Avec internet, il est devenu beaucoup plus aisé de comparer les offres de produits et de services en quelques clics. Les sites comparateurs de prix jouent ainsi un rôle significatif dans le processus d'achat des consommateurs.
Les sites comparateurs suscitent cependant de nombreuses questions en matière de transparence et de loyauté des informations, notamment quant au caractère fiable, exhaustif et à jour des informations fournies, la pertinence des critères de comparaison, leur mode de rémunération par les sites marchands référencés ou leur degré d’indépendance vis-à-vis des sites marchands.
Afin d’améliorer leur image et le niveau de confiance en leurs services, la Fevad et le Secrétariat d’Etat chargé de la prospective, de l’évaluation des politiques publiques et du développement de l’économie numérique ont adopté, le 11 juin 2008, une Charte des sites internet comparateurs. Cette charte, signée par les principaux sites comparateurs, comporte d’une part des recommandations relatives aux informations communiquées par les sites comparateurs aux utilisateurs, d’autre part des recommandations relatives aux relations entre les sites comparateurs et les sites marchands. (1)
Cependant, malgré l’adoption de la Charte des sites internet comparateurs, les sites Kelkoo et shopping.com ont été poursuivis pour pratiques trompeuses, pratique commerciale déloyale et contrefaçon de marque. La jurisprudence en résultant permet d’une part de clarifier la qualification juridique de l’activité de comparateur, d’autre part de rappeler leur responsabilité quant au contenu des annonces.
1. La qualification juridique de l’activité de comparateur de prix
S’ils proposent globalement le même type de services, les sites comparateurs ne fonctionnent pas tous sur un modèle unique.
1.1 Plusieurs modèles de fonctionnement co-existent
L’objet de tous les sites comparateurs de prix, qu’ils soient généralistes (biens de consommation) ou spécialisés (comparaison en matière de contrats d’assurance ou de voyages par exemple), est de référencer des offres de produits et de services de sites marchands. Le site comparateur permet alors aux internautes, grâce à un moteur de recherches, de rechercher et de comparer les offres de produits et de services des sites marchands référencés, puis d’accéder directement à l’offre de leur choix pour éventuellement commander le produit ou le service concerné sur un site marchand référencé. (2)
On peut distinguer deux modèles principaux de fonctionnement :
- Le référencement payant : le référencement des sites marchands sur la plupart des sites comparateurs de prix est régi par des accords commerciaux conclus entre le site comparateur et chaque site marchand. Le comparateur est généralement rémunéré soit au coût par clic (CPC), indépendamment de la transformation du clic sur la page d’annonce du marchand en achat, soit au coût par action ou par acquisition (CPA), si la vente a effectivement lieu.
- Le référencement gratuit : d’autres comparateurs (tel Google Shopping) proposent également, parallèlement au référencement payant, un référencement naturel des sites marchands, en “trackant” l’ensemble des offres disponibles en ligne, sous réserve de l'inscription du site marchand sur la plateforme du site comparateur.
Le comparateur joue un rôle d'intermédiaire entre les internautes et les sites marchands référencés sur sa plateforme. Toutefois, la multiplicité des services proposés et les différents modes de rémunération adoptés par ceux-ci soulèvent la question de la qualification juridique de l’activité de comparateur.
1.2 Le comparateur de prix : courtier ou site publicitaire ?
Les sites comparateurs de prix sont des opérateurs de commerce électronique. Cependant, le rôle joué par ces sites peut relever de la mise en relation entre le consommateur et le site marchand selon le mode du courtage, ou relever de l’activité publicitaire, tel qu’il ressort de l’affaire Kelkoo.
1.2.1 Opérateur de commerce électronique, courtier et site publicitaire
- L'opérateur de commerce électronique exerce une activité de commerce électronique, telle que définie à l'article 14 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique (LCEN), à savoir : "l'activité économique par laquelle une personne propose ou assure à distance et par voie électronique la fourniture de biens ou de services".
Ces services comprennent "(…) ceux consistant à fournir des informations en ligne, des communications commerciales et des outils de recherche, d'accès et de récupération de données, d'accès à un réseau de communication ou d'hébergement d'informations, y compris lorsqu'ils ne sont pas rémunérés par ceux qui les reçoivent. (...)".
Il ressort de la définition, très large, donnée par cet article que la plupart des sites web peuvent être considérés comme exerçant une activité de commerce électronique.
- Le courtier est un intermédiaire qui met en relation des personnes désireuses de traiter entre elles. Il existe une multitude de types de courtage, du courtier en marchandises (tels les courtiers en vins) aux courtiers en services divers (tels les courtiers en assurances). Le rôle du courtier se limite à rapprocher deux personnes pour qu’elles concluent un contrat entre elles. Le courtier est un commerçant qui agit en toute indépendance. (3)
La plupart des plateformes de mise en relation entre internautes et vendeurs de produits ou services agissent dans le cadre du courtage.
- L’activité est de nature publicitaire lorsqu’elle a pour objet de promouvoir des produits ou services. En matière de commerce électronique, l’article 20 de la LCEN dispose que la publicité doit pouvoir être clairement identifiée comme telle et doit rendre clairement identifiable la personne physique ou morale pour le compte de laquelle elle est réalisée.
Les dispositions de l'article L.121-1 du Code de la consommation relatives aux pratiques commerciales trompeuses sont applicables à la publicité en ligne. Sont notamment considérées comme pratiques commerciales trompeuses, les pratiques qui créent une confusion avec un autre bien ou service ou une marque, les pratiques reposant sur des présentations fausses ou de nature à induire en erreur, l’omission ou la dissimulation d’une information substantielle (telle que les caractéristiques principales du bien ou du service, l’adresse et l’identité du professionnel et le prix TTC et les frais de livraison à la charge de l’acheteur).
La qualification de l’activité du site est donc particulièrement importante compte tenu de l’incidence des obligations qui vont peser sur l’exploitant du service.
1.2.2 L’affaire Kelkoo : le site comparateur est un site publicitaire
Dans une affaire opposant la société Concurrence, exploitant un magasin de produits électroniques et audiovisuels, à la société Kelkoo, exploitant un site comparateur de prix, la Cour d’appel de Grenoble a jugé, en octobre 2010, que le comparateur n’exerçait pas une activité de courtier mais une activité publicitaire.
En l'espèce, les deux sociétés avaient signé un contrat de partenariat ayant pour objet de promouvoir le site de la société Concurrence à travers la mise en place de liens hypertextes, cliquables à partir du site kelkoo.fr vers le site concurrence.fr., Kelkoo étant rémunéré au clic (CPC). Ce contrat a été résilié, notamment pour non paiement de plusieurs factures à Kelkoo.
En appel, la société Concurrence, qui contestait devoir régler ces factures, invoquait notamment le fait que la société Kelkoo ne respectait pas les règles applicables à la publicité en ligne en ne s’identifiant pas comme site publicitaire et en affirmant que les publicités de la société Kelkoo étaient mensongères et de nature trompeuses.
Kelkoo soutenait pour sa part que l’activité du site relevait du courtage et non de la publicité et que sa responsabilité était limitée en tant que simple intermédiaire, soumis à une obligation de moyens. A ce titre, le marchand est responsable des informations communiquées au site comparateur relatives à ses offres.
La Cour a jugé que dans la mesure où la rémunération des marchands était réalisée au clic et non sur la base du coût par action/acquisition, le site comparateur n’intervenant pas en qualité d’intermédiaire entre les acheteurs et les vendeurs, la qualification de courtier ne pouvait être retenue. Cependant, en application des dispositions de l’article 14 de la LCEN, le site comparateur opère néanmoins une activité de commerce électronique. La Cour poursuit en qualifiant cette activité de publicitaire.
La Cour en conclut que la société Kelkoo, en qualité de site publicitaire, est tenue de respecter la réglementation en matière de publicité, telle que prévue à l'article 20 de la LCEN et au Code de la consommation. Constatant la non-conformité du site comparateur Kelkoo à la réglementation sur la publicité, la Cour a décidé que celle-ci suivait une pratique qualifiée de trompeuse au sens de l’article L.121-1 du Code de la consommation et qui constitue une pratique commerciale déloyale au sens des dispositions de l’article L.120-1 du même code en omettant de s’identifier comme site publicitaire, de mettre à jour les prix en temps réel, d’indiquer les périodes de validité des offres, d’indiquer les frais en sus du prix, etc. (4)
Dans un arrêt du 29 novembre 2011, la Cour de cassation a partiellement cassé la décision d’appel. Les juges ont en effet estimé que l'éditeur d'un site comparateur de prix, qui ne s'identifie pas comme site publicitaire, ne se rend pas automatiquement coupable de pratique trompeuse.
La Cour affirme que pour être qualifiés de déloyaux, les agissements d'un comparateur doivent avoir faussé le jeu de la concurrence sur le marché et donc altéré le comportement du consommateur. Selon la Cour, les juges d'appel auraient dû vérifier si les omissions reprochées au site internet étaient susceptibles d'altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur. En conséquence, la Cour affirme que pour être qualifiés de déloyaux les agissements d'un comparateur doivent avoir faussé le jeu de la concurrence sur le marché et donc altéré le comportement du consommateur. (5)
On constate donc que la qualification de l’activité des sites comparateurs et les contours de cette qualification sont loin d’être définitivement réglées. S’il ne fait pas de doute qu’un site comparateur exerce une activité de commerce électronique, il reste nécessaire d’analyser les modalités de mise en oeuvre du service par le site comparateur. La qualification de site publicitaire ne nous paraît pas devoir s’appliquer automatiquement à tous les sites comparateurs. Certains sites peuvent relever du courtage, et ce indépendamment du mode de rémunération du site comparateur.
2. Le régime de responsabilité applicable aux sites comparateurs
Quelle que soit la nature juridique de leur activité, restait encore à déterminer le régime de responsabilité applicable aux sites comparateurs de prix. En effet, concernant les contenus (annonces) accessibles en ligne à partir de leurs sites, les comparateurs sont susceptibles de relever soit du régime de l’hébergeur tel que défini à la LCEN, soit du régime de responsabilité de droit commun. Une illustration en a été donnée par le TGI de Paris dans une affaire opposant la société J.M. Weston à Shopping Epinions International.
2.1 Hébergement ou édition de contenu ?
Lorsque la responsabilité d'un exploitant de site internet est susceptible d'être engagée, il convient de déterminer si l'exploitant relève du régime du droit commun de l'éditeur ou au contraire, s'il peut bénéficier du régime de responsabilité des hébergeurs prévu à l’article 6.I.2 de la LCEN.
2.1.1 La distinction entre hébergeur et éditeur de contenu
- Les hébergeurs bénéficient d'un régime de responsabilité atténuée sur les contenus hébergés, fournis par des tiers au service. L’hébergeur technique n’est pas, en principe, responsable des contenus fournis par des tiers. Est considéré comme hébergeur, le prestataire technique qui fournit un service de stockage de contenus numériques (textes, photos, vidéos, musique, etc.).
Les hébergeurs ne sont pas soumis à une obligation générale de surveillance des contenus hébergés sur leurs serveurs. Leur responsabilité ne peut être engagée du fait des activités des titulaires des contenus ou des informations qu’ils stockent, sauf s’ils jouent un rôle actif sur ces contenus. En l’absence de connaissance, et donc de contrôle, des contenus (notamment via la modération du site), la responsabilité relevant du régime de l’hébergeur s’appliquera.
- Le régime de responsabilité de l’éditeur n'est pas spécifique à internet. Il s'agit du régime général applicable à l'édition et aux responsables de la publication, sur papier ou sous format électronique, en application notamment de la loi du 29 juillet 1881.
La responsabilité éditoriale signifie que l’exploitant d’un site internet est responsable, en qualité d'éditeur, de tout ou partie du contenu du site. En effet, l’éditeur maîtrise, ou contrôle, les contenus qu’il publie, il en est donc responsable. Sa responsabilité civile et pénale peut être engagée en cas de contenus erronés, diffamants, contrefaisants, contraires à la loi ou à l’ordre public, etc.
Par extension, ce régime de responsabilité éditoriale est appliqué aux exploitants de sites web, à chaque fois qu’ils interviennent sur des contenus fournis par des tiers, par la validation ou la modération des contenus par l’hébergeur, avant leur mise en ligne (ou publication).
2.1.2 Un site comparateur peut être éditeur du contenu
Dans une affaire opposant la société J.M. Weston, fabricant et distributeur de chaussures, à la société Shopping Epinions International, exploitant le site comparateur Shopping.com, le Tribunal de grande instance de Paris a considéré, dans un jugement du 15 décembre 2011, que le comparateur était un éditeur de contenu au sens de la loi. (6)
En l'espèce, la société Shopping Epinions International était poursuivie par la société J.M. Weston pour contrefaçon de la marque Weston.
La société Shopping Epinions International soutenait que son activité relevait du régime de l’hébergeur dans la mesure où elle exerçait une activité de stockage d’annonces fournies par des tiers, et qu’elle n’était donc pas responsable de ces contenus.
Le Tribunal, après une analyse des différentes activités du site shopping.com, relève que les opérations techniques de présentation et d’organisation des données, la mise à disposition d’outils de classification des contenus pour assurer une optimisation du site, la sélection des annonceurs, la référence de marchands avec lesquels elle n’avait pas d’accord commercial (référencement naturel) à côté des marchands sous contrat, la présence d’annonces publicitaires sur le site (générant des revenus), et le fait que la société pouvait ajouter ou supprimer certains mots-clés, ne permettaient pas de caractériser une action éditoriale, dans la mesure où des opérations techniques n’impliquent pas la connaissance ou le contrôle des contenus.
En revanche, le Tribunal retient que shopping.com opérait une sélection préalable sur les informations fournies par les sites marchands partenaires (les annonceurs) dans les fiches produits avant de les reproduire dans les annonces. En outre, les conditions générales du service entre la société et les annonceurs accordaient à shopping.com les droits de sélectionner, modifier et adapter le contenu fourni par les annonceurs.
Cette sélection et ce pouvoir d'intervention sur le contenu fourni par les annonceurs supposait une prise de connaissance et un contrôle préalable du contenu mis en ligne par shopping.com. Le site comparateur exerçait donc un rôle actif auprès des annonceurs afin d'optimiser leurs offres. Les juges en ont donc conclu que le site shopping.com relevait du régime de responsabilité de l’éditeur. A ce titre, la société Shopping Epinions a été reconnue comme ayant commis des actes de contrefaçon par reproduction des marques Weston, faisant apparaître sur les moteurs de recherche Google et Yahoo! des annonces publicitaires comportant le signe Weston associé à des chaussures d’autre marque et renvoyant vers le site shopping.com, laissant à penser que des offres de vente de chaussures de marque Weston étaient disponibles depuis le site shopping.com.
La portée de ce jugement est cependant relative. En l’espèce, shopping.com intervenait effectivement sur les contenus fournis par les sites marchands. Cependant, en cas de référencement automatique sur le site comparateur des annonces fournies par les marchands, sans intervention éditoriale du comparateur sur ces contenus, la qualification d’hébergeur aurait été retenue.
2.2 Le nécessaire respect des obligations applicables à l’activité commerciale
Que le site comparateur relève du régime de responsabilité de l’hébergeur technique ou de l’éditeur, sa responsabilité civile, voire pénale, pourra être engagée en cas de non-respect ou de non-conformité aux obligations dont relève son activité.
Les décisions de justice impliquant les sites Kelkoo et shopping.com respectivement ont retenu la responsabilité de ces sites pour manquement à la réglementation en matière de publicité et de propriété intellectuelle.
2.2.1 Le respect des règles applicables à la publicité
Comme nous l’avons évoqué plus haut, la Cour d’appel de Grenoble a qualifié l’activité de Kelkoo de publicitaire. Les parties se sont ensuite pourvues en cassation.
Par le biais de deux arrêts, rendus le 29 novembre 2011, la Cour de cassation a retenu :
- d’une part, que l'exploitant d'un site comparateur de prix, qui ne s'identifie pas comme un site publicitaire, n’est coupable de pratique trompeuse, au sens des dispositions de l'article L.121-1 du Code de la consommation que si les omissions reprochées au site internet étaient susceptibles d'altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur ;
- d’autre part, que l'article 20 de la LCEN dispose que toute publicité en ligne doit pouvoir être clairement identifiée en tant que telle. Or, le comparateur Kelkoo a manqué à son obligation de rendre facilement accessible la nature publicitaire de son site internet, le consommateur étant obligé d’ouvrir plusieurs fenêtres de Kelkoo.fr pour être informé du fait qu’il se trouvait sur un site publicitaire. La Cour considère que ce cheminement (ouverture de plusieurs pages successives pour accéder à l’information) est incompatible avec les dispositions de l'article 20 de la LCEN et déclare recevable la demande de la société Concurrence visant à mettre fin à ces pratiques illicites.
2.2.2 Le respect des règles de la propriété intellectuelle
Dans l'affaire opposant la société J.M. Weston (fabricant de chaussures) à la société Shopping Epinions International, exploitant le site shopping.com, le fabricant affirmait que le comparateur avait commis des actes de contrefaçon de ses marques.
- Au terme de l'analyse d'un premier procès-verbal de constat de 2009, le Tribunal a rejeté la contrefaçon au motif que la marque litigieuse n'apparaissait pas sur le site du comparateur mais que celle-ci était simplement stockée par le comparateur en tant que mot-clé pour provoquer l'apparition d'une annonce (sans reproduction de la marque dans le texte) qui redirigeait vers le site marchand de son annonceur. Conformément à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, le Tribunal en a conclu que le site comparateur ne faisant pas usage de la marque Weston dans le cadre de sa propre communication commerciale, mais permettant seulement à ses propres clients de faire usage d'un signe identique ou similaire à la marque du fabricant, ne commettait pas des actes de contrefaçon de marque.
- Par contre, au terme de l'analyse d'un second procès-verbal de constat de 2010, le Tribunal a jugé que le comparateur avait commis des actes de contrefaçon des marques du fabricant au motif que la page de résultat des moteurs de recherches Google et Yahoo! faisait apparaître des liens commerciaux ou sponsorisés comportant des annonces reprenant la marque Weston dans le titre ou dans le corps du message promotionnel, alors que le site shopping.com ne proposait pas de chaussures de cette marque. Le Tribunal en a conclu que l'édition d'un tel lien commercial, créant un risque de confusion dans l'esprit de l'internaute d'attention moyenne, constituait un acte de contrefaçon desdites marques par le site shopping.com.
L’activité des sites comparateurs est juridiquement complexe et sa qualification dépend des modalités de mise en oeuvre du service. Comme mentionné dans cet article, plusieurs modèles de sites comparateurs de prix co-existent, identifiés notamment dans l’Avis de l’Autorité de la concurrence du 18 septembre 2012, relatif au fonctionnement concurrentiel du commerce électronique. L’Autorité de la concurrence relève que l’adoption, par les sites comparateurs, de la Charte des sites internet comparateurs permet d’améliorer les conditions de transparence sur le fonctionnement du service, et donc le niveau de confiance des internautes, sachant que le respect de la Charte par les sites adhérents est soumis à des audits de conformité réguliers. L’Autorité émet par ailleurs des pistes d’amélioration en matière notamment d’affichage des prix (et de ce qui est compris dans le prix) et de classement des offres. (7)
PS: mise à jour du 26 décembre 2012:
La Cour de cassation vient de rendre une nouvelle décision relative à un site comparateur de prix le 4 décembre 2012. En l'occurrence, l'absence d'indication claire et facilement accessible à la dinstinction entre ces deux catégories d'annonces, et au fait que les annonces payantes étaient référencées en priorité, ont été considérées comme constitutives d’une pratique commerciale déloyale et
trompeuse. La Cour de cassation a ainsi décidé que "l’absence
d’identification claire du référencement prioritaire est susceptible
d’altérer de manière substantielle le comportement économique du
consommateur qui est orienté d’abord vers les produits et offres des
e-marchands “payants” et ne dispose pas ainsi de critères objectifs de
choix". (8)
* * * * * * * * * * *
(1) Charte des sites Internet comparateurs, adoptée le 11 juin 2008 avec le soutient de la FEVAD et du Secrétariat d'Etat chargé de la prospective, de l'évaluation des politiques publiques et du développement de l'économie numérique. Les sites comparateurs signataires de la Charte Fevad sont : Easyvoyage, Kelkoo, Leguide.com, Pangora, Pricerunner, Shopping.com, VoyagerMoinsCher, Alibabuy, Anyresa, BilletMoinsCher.com, Sprice, Achetez Facile et AssureMieux.com.
(2) Voir la définition de site comparateur en annexe à la Charte des sites internet comparateurs du 11 juin 2008.
(3) Voir les articles L.131-1 et suivants du Code de commerce.
(4) CA Grenoble, ch.com. 21 octobre 2010, Concurrence / Kelkoo.com
(5) Cour cass. Ch. com., 29 novembre 2011, n°10-27.402 et n°09-13223, Kelkoo / Concurrence.
(6) TGI Paris, 3e ch., 4e section, 15 déc. 2011, J.M. Weston / Shopping Epinions International.
(7) Avis de l'Autorité de la concurrence n°12-A-20 du 18 septembre 2012 relatif au fonctionnement concurrentiel du commerce électronique (p. 33 à 36).
(8) Cass com., 4 décembre 2012, Leguide.com / Pewterpassion.com
Bénédicte DELEPORTE - Avocat
Betty SFEZ - Avocat
Deleporte Wentz Avocat
www.dwavocat.com
Novembre 2012
DELEPORTE WENTZ AVOCAT est une société d’avocats spécialisée en droit des technologies de l’information - informatique, internet, données personnelles, inscrite au Barreau de Paris. Nous publions régulièrement des articles concernant des thématiques juridiques diverses relevant du domaine des technologies : actualité juridique, présentation d'une nouvelle loi ou analyse d'une jurisprudence récente. Pour consulter notre site web: www.dwavocat.com
Messages les plus consultés
-
De nombreux organismes privés (entreprises, associations, syndicats professionnels) ou publics, quels que soient leurs domaines d’activité,...
-
Ce qu’il faut retenir Dans son bilan de l’année 2024, la CNIL souligne la forte augmentation des sanctions et autres mesures correctrices ...
-
Nombre de sociétés font signer des accords de confidentialité avant d’entrer en pourparlers commerciaux avec des prospects. Ces accords...
-
La vente de vins et alcools est encadrée par des règles strictes, relatives à la protection de la santé publique et de la jeunesse. Ces règ...
-
Ce qu’il faut retenir Le 11 février 2025, un tribunal fédéral américain a jugé que l’utilisation par une société de résumés de jurisprudence...
mercredi 21 novembre 2012
dimanche 18 novembre 2012
Open Data culturel : le point sur le développement de la libre diffusion des données culturelles
A l'occasion de la création du nouveau Secrétariat général pour la modernisation de l'action publique, fin octobre 2012, le Gouvernement a confirmé sa volonté de poursuivre la politique de développement et de diffusion Open Data, consistant à faciliter la réutilisation des informations publiques produites par les administrations. (1)
En phase avec cette politique, les administrations sont de plus en plus nombreuses à mettre à disposition leurs données (données de transport, données cartographiques, statistiques, géographiques, sociologiques, données d’environnement, etc.) sous licence libre et dans des formats ouverts. Toutefois, la libéralisation de ces informations est loin d'être complètement acquise en France. (2)
Les données culturelles, occupant une place particulière parmi les données publiques, restent encore en retrait de ce mouvement. Ces données sont en effet soumises à un régime juridique d’exception qui devrait cependant évoluer. Malgré ce cadre juridique spécifique, quelques projets d’Open Data culturel ont été lancés par des établissements culturels.
1. L'"exception culturelle" comme frein à la mise à disposition des données culturelles
Une grande partie du patrimoine culturel français (oeuvres d’art, oeuvres culturelles et littéraires et autres documents de nature culturelle), est aujourd’hui conservée et gérée par des établissements publics : musées, bibliothèques, instituts et centres culturels nationaux, mais aussi les archives. Ces établissements détiennent et produisent de plus en plus de documents et de données culturelles, par le biais de la numérisation d’œuvres (textes et images), de production de données de référencement (bases de données, métadonnées, notices descriptives, etc.), de données d’activités (horaires et programmations, statistiques de fréquentations, géolocalisation des sites, etc.) ou plus généralement de données administratives (budgets, organigrammes, etc.). (3)
Ces données culturelles sont soumises à un régime juridique différent du régime général applicable aux autres données publiques.
1.1 Le régime juridique dérogatoire des données culturelles
Le cadre légal applicable aux données culturelles constitue une exception à la libre exploitation des données publiques. En effet, les données culturelles ne sont pas, par principe, libres de droits. Droit d’auteur, mais également règles de protection de la vie privée interfèrent avec la libre mise à disposition des données.
Les principes posés par la loi du 17 juillet 1978, dite loi CADA
La loi CADA a instauré le principe de libre diffusion et de réutilisation des informations publiques.(4) Cette loi prévoit ainsi le droit pour toute personne d’accéder aux documents administratifs et d’utiliser les informations y figurant. En outre, la loi impose aux administrations de communiquer ces documents à toute personne qui en fait la demande.
La loi CADA comprend également plusieurs dérogations au principe général de libre diffusion, notamment :
- L’exception culturelle : l'article 11 de la loi offre aux établissements d'enseignement, de recherche et culturels la possibilité de fixer eux-mêmes les conditions dans lesquelles les informations qu'ils détiennent peuvent être réutilisées par des tiers.
Alors que les autres administrations ont l'obligation de permettre la réutilisation de leurs données, les établissements culturels peuvent choisir de se placer, ou non, sous le régime de droit commun de la loi de 1978. Ces établissements conservent une certaine latitude pour écarter ou limiter la réutilisation de leurs données culturelles en soumettant leur diffusion à des conditions tarifaires et/ou contractuelles spécifiques.
Cet article 11 a ainsi été invoqué à plusieurs reprises devant les tribunaux, notamment par des services d'archives départementales, pour refuser la mise à disposition des données leur appartenant.
- Le respect des droits de propriété intellectuelle : les articles 9 et 10 de la loi CADA disposent que "les documents administratifs sont communiqués sous réserve des droits de propriété littéraire et artistique" ; "Ne sont pas considérées comme des informations publiques, (...) les informations (...) sur lesquelles des tiers détiennent des droits de propriété intellectuelle".
Les droits de propriété intellectuelle (droit d’auteur et droits voisins) confèrent à leurs titulaires un monopole d'exploitation permettant de contrôler la diffusion de leurs oeuvres, et ce pendant la durée de vie de l’auteur et 70 ans après sa mort (droits patrimoniaux).
Les établissements culturels peuvent être soit titulaires de droits sur les œuvres initiées et dirigées par l’établissement, soit cessionnaires pour toutes les autres œuvres cédées volontairement, dans le cadre d’un marché public par exemple, ou automatiquement, s’il s’agit d’une œuvre d’un agent de l’État, qui relèverait de l’article L.131-3-1 du Code de la propriété intellectuelle.
En qualité de titulaires de droits sur leurs oeuvres, les établissements culturels conservent une entière liberté pour entrer dans une démarche d’Open Data, sous réserve de ne pas avoir conclu de contrats exclusifs et/ou partenariats qui limiteraient par ailleurs cette faculté. En revanche, la qualité de cessionnaire de l’établissement culturel ne permettra d’entreprendre une telle démarche que si l'acte de cession autorise une diffusion et une réutilisation de l'oeuvre ou des données culturelles compatible avec le projet d'Open Data envisagé par l'établissement. (5)
- Le respect de la loi informatique et libertés : l'article 13 de la loi CADA dispose que "les informations publiques comportant des données à caractère personnel peuvent faire l'objet d'une réutilisation soit lorsque la personne intéressée y a consenti, soit si l'autorité détentrice est en mesure de les rendre anonymes ou, à défaut d'anonymisation, si une disposition législative ou réglementaire le permet. La réutilisation d'informations publiques comportant des données à caractère personnel est subordonnée au respect des dispositions de la loi informatique et libertés de 1978".
La loi informatique et libertés définit les règles de protection des données à caractère personnel, à savoir toute information permettant d'identifier une personne physique, directement ou indirectement (nom, prénom, adresses postale et électronique, etc.). (6) Les documents détenus par les services d'état civil et d'archives de l'Etat comprennent donc des données à caractère personnel au sens de la loi informatique et libertés.
La circulaire du 26 mai 2011
Cette circulaire porte sur la création du portail internet data.gouv.fr, lancé fin 2011 avec le soutien de la mission gouvernementale Etalab. Elle fixe le principe, pour les administrations, d’autoriser la réutilisation gratuite de leurs données ; les administrations ne pouvant imposer de redevances que si “des circonstances particulières le justifient” et par le biais d'une procédure relativement lourde instaurée par décret du Premier Ministre.
Néanmoins, s’inspirant de l’exception prévue à l’article 11 de la loi CADA, la circulaire prévoit une dérogation en faveur des établissements culturels qui peuvent décider “s’ils le souhaitent”, de mettre à disposition leurs données sur le portail data.gouv.fr. Cela explique en grande partie la faible part des données culturelles sur le portail.
En conséquence, le cadre législatif existant n'encourage pas l'ouverture des données culturelles pour une libre réutilisation. L'existence de cette exception culturelle est-elle pour autant justifiée ?
1.2 L'exclusion des données culturelles du domaine des données publiques est-elle justifiée ?
Les obstacles économiques à l'ouverture des données culturelles à l’Open Data
Pour certains, l’exception culturelle est justifiée compte tenu de la nature des données culturelles (nativement extra-numériques pour la plupart d’entre elles) et de leur diversité.
Dans le cadre d'un rapport remis au Ministre de la Culture au deuxième trimestre 2012, l'Inspection Générale des Affaires Culturelles (IGAC) a confirmé pour sa part que les données culturelles ne devaient pas être traitées comme des informations administratives ordinaires et qu'il convenait d'organiser un régime de réutilisation adapté à cette spécificité. (7)
Certains établissements, en faveur du maintien de l’exception, considèrent que l'ouverture de leurs données conduirait à des pertes financières, qu'ils souhaitent éviter tant le financement culturel reste fragile et périlleux. Les établissements culturels tirent notamment leurs revenus, outre des droits d’entrée des visiteurs, grâce à la revente des images de leurs collections à la presse et aux éditeurs. La mise à la disposition du public de tout ou partie de leurs données culturelles, à titre gratuit, pourrait donc mettre en danger une part non négligeable des sources de revenus de ces établissements.
Par ailleurs, le coût de la numérisation des données constitue, à lui seul, un frein majeur à leur mise à disposition gratuite.
Des opportunités à ne pas négliger
L’exception culturelle est cependant contestée par plusieurs groupes de travail et de réflexion en faveur d'un Open Data culturel (ex: groupe de travail Open GLAM). (8)
La mise en place de plateformes internet par les établissements culturels peut augmenter la visibilité des oeuvres et collections dont ils disposent, et ainsi fidéliser et diversifier leur public. L'ouverture des données peut également contribuer à valoriser les lieux culturels et entraîner une augmentation de leur fréquentation.
En outre, les données culturelles émanant du secteur public peuvent constituer un potentiel de croissance dans la mesure où d'autres acteurs (entreprises du secteur privé, associations) peuvent les réutiliser pour proposer des services et contenus enrichis, contribuant, d'une part au développement économique et d'autre part, à une meilleure visibilité du patrimoine, en particulier des sites et collections les moins connus.
Enfin, chaque année des appels à projets de numérisation sont lancés par le Ministère de la Culture. Ces projets s'adressent aux acteurs culturels, publics et privés à but non lucratif, et ont pour objectif de financer la numérisation de collections. Le dernier appel a été lancé le 5 octobre 2012. (9)
L'Open Data culturel permettrait ainsi de stimuler l'innovation technologique et par conséquent, de soutenir la croissance économique. Aussi, face à de telles opportunités, et dans un souci d'accès pour tous au patrimoine culturel, une évolution vers plus d’ouverture des données culturelles semble être en marche.
2. Un mouvement de libéralisation des données culturelles se dessine pourtant en France
L'Open Data culturel tend à devenir une réalité en France malgré le régime d’exception applicable à ces données et la réglementation protectrice de la propriété intellectuelle et de la vie privée. Quelques propositions pour faire évoluer le cadre juridique existant et diverses initiatives lancées dans le secteur culturel attestent de ce mouvement.
2.1 Vers une évolution du cadre juridique applicable aux données culturelles ?
Constatant la difficulté d’articuler les contraintes de la réglementation protectrice de la propriété intellectuelle et de la vie privée avec la loi CADA de 1978 et avec la politique numérique de promotion de l’Open Data, une évolution du cadre juridique applicable est souhaitée.
La proposition de directive communautaire de décembre 2011
Cette proposition de directive vise à réviser la directive de 2003 portant sur la réutilisation des informations du secteur public. La directive de 2003 exclut de son champ d'application les données détenues par les établissements d'enseignement, de recherche et les établissements culturels (musées, bibliothèques, archives, orchestres, opéras, ballets et théâtres).
La proposition de directive a pour but de promouvoir une véritable ouverture des données publiques en posant le principe selon lequel celles-ci seront automatiquement réutilisables. Cette proposition de directive étendrait son champ d'application aux données détenues par les bibliothèques, les musées et les archives, mais exclurait les autres institutions culturelles telles que les opéras, ballets ou théâtres et les archives détenues par ces établissements. Par contre, la réutilisation de ces données ne pourrait se faire que dans le respect des droits de propriété intellectuelle de leurs ayants droit. (10)
L’avis du Conseil National du Numérique de juin 2012 sur l’Open Data
Parmi les propositions émises par le CNNum dans l’avis précité figure la promotion de la réutilisation des données culturelles et leur réintégration dans le régime de droit commun. Selon le CNNum, le régime d'exception instauré par la loi CADA s'appliquant à tout le secteur culturel, sans distinction aucune, ne serait pas justifié et devrait être nettement plus nuancé.
En outre, le CNNum préconise la clarification des questions de propriété intellectuelle relatives à la réutilisation des oeuvres numérisées et des données soumises au droit d'auteur des agents publics.
2.2 Les initiatives lancées par les musées et bibliothèques
Plusieurs associations et établissements culturels travaillent sur des projets d'Open Data culturel. Parmi les initiatives les plus récentes, on peut citer :
Le projet de valorisation numérique du patrimoine de l’AGCCPF PACA
L’Association des Conservateurs des Collections Publiques de France (section fédérée PACA), mène depuis quelques années une réflexion sur la valorisation numérique du patrimoine et sur les nouvelles pratiques culturelles au cœur des cultures numériques.
L'Association a décidé d’axer son volet numérique 2012 sur le thème de l’ouverture et de la réutilisation des données culturelles. Le projet est réalisé en partenariat avec la Fondation Internet Nouvelle Génération (FING) et avec l’aide du Département des programmes numériques du Ministère de la Culture et de la Communication. Les objectifs de ce projet sont multiples, notamment disposer d’une cartographie générale de la connaissance des musées sur cette question et mettre à plat l’ensemble des questions que se posent les professionnels qui souhaiteraient diffuser leurs données en Open Data.
A cette fin, en avril 2012, l'Association a envoyé un questionnaire aux 180 musées du réseau et organisé des journées d’étude à la réutilisation des données publiques et à l’Open Data culturel, destinées aux conservateurs, développeurs, concepteurs de jeux vidéo, étudiants, data journalistes et responsables de collectivités territoriales.
La stratégie numérique de la RMN-Grand Palais
L'Etablissement public de la Réunion des musées nationaux et du Grand Palais des Champs-Élysées, fusion du Grand Palais avec la RMN, a été créé en janvier 2011. Le décret du 13 janvier 2011, définissant ses missions, prévoit que l’établissement doit constituer une photothèque universelle regroupant les reproductions photographiques des collections de l’Etat et en assurer la conservation, la valorisation et la diffusion numérique.
Afin de répondre à cette mission et dans le cadre d'une stratégie numérique globale, l'établissement a lancé le portail internet www.photo.rmn.fr, regroupant plus de 700.000 images photographiques d'oeuvres d'art. A noter que la réutilisation d'images du site photo.rmn.fr par les professionnels n'est pas gratuite, mais soumise au paiement de droits pour leur exploitation et, pour les photos qui ne sont pas encore tombées dans le domaine public, à l'accord des ayants droit. Par ailleurs, la RMN travaille actuellement sur le projet d'une plateforme regroupant de très nombreux jeux de données, devant être lancée courant 2013.
Le Centre Pompidou virtuel
En octobre 2011, le Centre Pompidou a lancé le "Centre Pompidou virtuel" (http://www.centrepompidou.fr/), une plateforme internet donnant accès à l’ensemble des contenus culturels produits par le Centre : images et dossiers des œuvres de la collection, dossiers pédagogiques, interviews vidéo d’artistes et de commissaires, captations de colloques et de conférences, archives, etc.
Les bibliothèques nationales
Plusieurs initiatives ont également été lancées par les bibliothèques.
Ainsi, en janvier 2012, la bibliothèque nationale universitaire de Strasbourg a décidé d'autoriser la libre réutilisation des fichiers images qu'elle produit, en les plaçant sous Licence Ouverte / Open Licence (http://www.bnu.fr/).
La Bibliothèque nationale de France (BNF) a lancé en juillet 2012 un nouveau site Internet (http://data.bnf.fr/) qui regroupe toutes les informations issues de ses différents catalogues ainsi que de sa bibliothèque numérique Gallica.
2.3 Les archives et données généalogiques
Les archives et données généalogiques sont également considérées par la loi comme des données culturelles. Ces données un peu particulières comprennent des données à caractère personnel. La CNIL a dû se prononcer sur leurs conditions de réutilisation, illustrées par une décision judiciaire récente.
La recommandation de la CNIL de décembre 2010
Régulièrement consultée par les services des archives, les élus, les associations ou les sociétés privées spécialisées dans la recherche généalogique, et donc souvent confrontée aux difficultés soulevées par l'articulation de la loi informatique et libertés avec la loi CADA et le code du patrimoine, la CNIL a publié une recommandation relative aux conditions de réutilisation des données publiques comportant des données personnelles. (11)
La CNIL précise les cas dans lesquels la réutilisation de données personnelles contenues dans des documents d’archives est à exclure ou, au contraire, possible moyennant certaines précautions. Ainsi, selon la CNIL, la réutilisation des données est possible dans le cas où la personne concernée a donné son accord exprès et a été informée de façon claire et complète sur les finalités, les données concernées, les destinataires des données, et leurs droits d’opposition, d’accès, de rectification, et de suppression.
L’arrêt Notrefamille.com et la réutilisation des données généalogiques détenues par le service des archives départementales
Un litige opposait le Conseil général du Cantal à la société Notrefamille.com, éditant le site internet genealogie.com. La société Notrefamille.com souhaitait réutiliser les archives des services départementaux à des fins commerciales et avait demandé, à plusieurs reprises et en vain, au président du Conseil général du Cantal de lui communiquer des cahiers de recensement des années 1831 à 1931 détenus par le service des archives. Face au refus persistant de la collectivité, la société Notrefamille.com a alors saisi le juge administratif. Dans un jugement du 13 juillet 2011, le Tribunal administratif de Clermont-Ferrand a enjoint la collectivité de communiquer les documents.
La collectivité a interjeté appel. Dans un arrêt du 4 juillet 2012, la Cour administrative d’appel de Lyon a jugé que les informations publiques, figurant dans les documents détenus par les services des archives publiques, relevaient de la liberté de réutilisation consacrée de façon générale par la loi CADA de 1978.
Toutefois, les magistrats lyonnais ont considéré qu’il appartenait à l’administration, saisie d’une demande de réutilisation de ces documents, de s’assurer que cette réutilisation satisfaisait aux exigences posées par la loi informatique et libertés. Or, la société Notrefamille.com prévoyait de transférer les données à Madagascar, et n'avait pas obtenu l'autorisation préalable de la CNIL prévue par loi. Selon la Cour, la collectivité était donc tenue de rejeter la demande de la société Notrefamille.com. En conséquence, les juges d’appel ont annulé le jugement du tribunal administratif de Clermont-Ferrand. (12)
Une société peut donc réutiliser, à des fins commerciales, les données contenues dans les actes conservés par les archives départementales, sous réserve d'être en conformité avec la loi informatique et libertés.
Considérant les données culturelles comme une catégorie à part, le législateur français a instauré un régime d’exception limitant leur accès et leur réutilisation. Toutefois, en dépit de ce régime juridique peu favorable et des débats provoqués par l'ouverture de ces données, il semble au regard des quelques projets déjà lancés, que leur libération devienne effective. Les initiatives se multiplient dans le secteur culturel et donnent ainsi naissance à un mouvement d’Open Data culturel.
Compte tenu des réticences et critiques que suscite ce mouvement sur le plan juridique mais également économique, la France va devoir aménager le cadre juridique existant. Il est à souhaiter que le nouveau cadre juridique détermine de façon claire et précise la notion de données culturelles, les établissements culturels concernés, les conditions d'accès et de réutilisation (avec ou sans redevance, sous quelle licence) et les conditions d'exploitation des données culturelles comportant des données personnelles ou sur lesquelles des tiers détiennent des droits de propriété intellectuelle.
Avec ou sans refonte du régime juridique applicable, une question reste cependant en suspend : la mise à disposition de ce patrimoine informationnel constitue-t-elle une réelle opportunité économique pour les établissements culturels et le secteur privé ? La mise en oeuvre de politiques Open Data et le lancement de projets y afférent, tel que dernièrement la publication de tous les contenus d'Europeana (portail culturel paneuropéen sous licence Creative Commons) permettent d'espérer que l’Open Data culturel devienne une réalité permettant à des entreprises du secteur numérique notamment, de développer des produits et services enrichis à partir de ces données. (13)
* * * * * * * * * *
(1) A noter que la mission Etalab, créée par le précédent Gouvernement en février 2011, a été dissoute. Les missions d’Etalab sont transférées au nouveau Secrétariat général pour la modernisation de l’action publique.
(2) A ce sujet, voir notre article “Open Data : un plus large accès aux données publiques permettra t-il un véritable essor de leur réutilisation ?” publié sur ce blog en novembre 2011
(3) Voir l'Avis n°12 du Conseil national du numérique (CNNum) du 5 juin 2012 relatif à l’ouverture des données publiques.
(4) Loi n°78-753 du 17 juillet 1978, dite loi CADA, portant diverses mesures d'amélioration des relations entre l'administration et le public et diverses dispositions d'ordre administratif, social et fiscal.
(5) Voir le Rapport "open GLAM", publié au deuxième trimestre 2012, intitulé "Recommandations pour l'ouverture des données et des contenus culturels".
(6) Loi n°78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, modifiée, dite Loi informatique et libertés.
(7) Voir l'interview de François Braize, Inspecteur général des affaires culturelles, Lettre du COEPIA N°4, 2e trim. 2012, accessible à www.gouvernement.fr.
(8) Quelques groupes de réflexion ont publié des rapports, tels que "Partager notre patrimoine culturel" (mai 2009), proposant la création d'une charte en faveur de la mise à disposition des contenus culturels numériques, ou le rapport du groupe de travail "open Glam" (2e trim. 2012), proposant plusieurs recommandations visant à simplifier le cadre juridique actuel et à mettre en place de bonnes pratiques d'accès et de réutilisation des données pour les établissements culturels.
(9) Communiqué du Ministère de la Culture et de la Communication du 25 octobre 2012, accessible à l’URL: www.culturecommunication.gouv.fr.
(10) Directive 2003/98/CE du Parlement européen et du Conseil du 17 novembre 2003 concernant la réutilisation des informations du secteur public ; Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 2003/98/CE concernant la réutilisation des informations du secteur public, du 12 décembre 2011.
(11) Délibération de la CNIL n°2010-460 du 9 décembre 2010 portant recommandation relative aux conditions de réutilisation des données à caractère personnel contenues dans des documents d'archives publiques ; Communiqué CNIL du 16 mai 2011 intitulé "Comment concilier la protection de la vie privée et la réutilisation des archives publiques sur internet ?".
(12) Cour administrative d'appel de Lyon, 4 juillet 2012, Département du Cantal c. SA NotreFamille.com, n°11LY02325.
(13) Europeana - portail culturel paneuropéen, contenant plus de 20 millions d'oeuvres, fournies par 2.200 institutions partenaires (http://www.europeana.eu/portal/).
Bénédicte DELEPORTE – Avocat
Betty SFEZ – Avocat
Deleporte Wentz Avocat
www.dwavocat.com
Novembre 2012
En phase avec cette politique, les administrations sont de plus en plus nombreuses à mettre à disposition leurs données (données de transport, données cartographiques, statistiques, géographiques, sociologiques, données d’environnement, etc.) sous licence libre et dans des formats ouverts. Toutefois, la libéralisation de ces informations est loin d'être complètement acquise en France. (2)
Les données culturelles, occupant une place particulière parmi les données publiques, restent encore en retrait de ce mouvement. Ces données sont en effet soumises à un régime juridique d’exception qui devrait cependant évoluer. Malgré ce cadre juridique spécifique, quelques projets d’Open Data culturel ont été lancés par des établissements culturels.
1. L'"exception culturelle" comme frein à la mise à disposition des données culturelles
Une grande partie du patrimoine culturel français (oeuvres d’art, oeuvres culturelles et littéraires et autres documents de nature culturelle), est aujourd’hui conservée et gérée par des établissements publics : musées, bibliothèques, instituts et centres culturels nationaux, mais aussi les archives. Ces établissements détiennent et produisent de plus en plus de documents et de données culturelles, par le biais de la numérisation d’œuvres (textes et images), de production de données de référencement (bases de données, métadonnées, notices descriptives, etc.), de données d’activités (horaires et programmations, statistiques de fréquentations, géolocalisation des sites, etc.) ou plus généralement de données administratives (budgets, organigrammes, etc.). (3)
Ces données culturelles sont soumises à un régime juridique différent du régime général applicable aux autres données publiques.
1.1 Le régime juridique dérogatoire des données culturelles
Le cadre légal applicable aux données culturelles constitue une exception à la libre exploitation des données publiques. En effet, les données culturelles ne sont pas, par principe, libres de droits. Droit d’auteur, mais également règles de protection de la vie privée interfèrent avec la libre mise à disposition des données.
Les principes posés par la loi du 17 juillet 1978, dite loi CADA
La loi CADA a instauré le principe de libre diffusion et de réutilisation des informations publiques.(4) Cette loi prévoit ainsi le droit pour toute personne d’accéder aux documents administratifs et d’utiliser les informations y figurant. En outre, la loi impose aux administrations de communiquer ces documents à toute personne qui en fait la demande.
La loi CADA comprend également plusieurs dérogations au principe général de libre diffusion, notamment :
- L’exception culturelle : l'article 11 de la loi offre aux établissements d'enseignement, de recherche et culturels la possibilité de fixer eux-mêmes les conditions dans lesquelles les informations qu'ils détiennent peuvent être réutilisées par des tiers.
Alors que les autres administrations ont l'obligation de permettre la réutilisation de leurs données, les établissements culturels peuvent choisir de se placer, ou non, sous le régime de droit commun de la loi de 1978. Ces établissements conservent une certaine latitude pour écarter ou limiter la réutilisation de leurs données culturelles en soumettant leur diffusion à des conditions tarifaires et/ou contractuelles spécifiques.
Cet article 11 a ainsi été invoqué à plusieurs reprises devant les tribunaux, notamment par des services d'archives départementales, pour refuser la mise à disposition des données leur appartenant.
- Le respect des droits de propriété intellectuelle : les articles 9 et 10 de la loi CADA disposent que "les documents administratifs sont communiqués sous réserve des droits de propriété littéraire et artistique" ; "Ne sont pas considérées comme des informations publiques, (...) les informations (...) sur lesquelles des tiers détiennent des droits de propriété intellectuelle".
Les droits de propriété intellectuelle (droit d’auteur et droits voisins) confèrent à leurs titulaires un monopole d'exploitation permettant de contrôler la diffusion de leurs oeuvres, et ce pendant la durée de vie de l’auteur et 70 ans après sa mort (droits patrimoniaux).
Les établissements culturels peuvent être soit titulaires de droits sur les œuvres initiées et dirigées par l’établissement, soit cessionnaires pour toutes les autres œuvres cédées volontairement, dans le cadre d’un marché public par exemple, ou automatiquement, s’il s’agit d’une œuvre d’un agent de l’État, qui relèverait de l’article L.131-3-1 du Code de la propriété intellectuelle.
En qualité de titulaires de droits sur leurs oeuvres, les établissements culturels conservent une entière liberté pour entrer dans une démarche d’Open Data, sous réserve de ne pas avoir conclu de contrats exclusifs et/ou partenariats qui limiteraient par ailleurs cette faculté. En revanche, la qualité de cessionnaire de l’établissement culturel ne permettra d’entreprendre une telle démarche que si l'acte de cession autorise une diffusion et une réutilisation de l'oeuvre ou des données culturelles compatible avec le projet d'Open Data envisagé par l'établissement. (5)
- Le respect de la loi informatique et libertés : l'article 13 de la loi CADA dispose que "les informations publiques comportant des données à caractère personnel peuvent faire l'objet d'une réutilisation soit lorsque la personne intéressée y a consenti, soit si l'autorité détentrice est en mesure de les rendre anonymes ou, à défaut d'anonymisation, si une disposition législative ou réglementaire le permet. La réutilisation d'informations publiques comportant des données à caractère personnel est subordonnée au respect des dispositions de la loi informatique et libertés de 1978".
La loi informatique et libertés définit les règles de protection des données à caractère personnel, à savoir toute information permettant d'identifier une personne physique, directement ou indirectement (nom, prénom, adresses postale et électronique, etc.). (6) Les documents détenus par les services d'état civil et d'archives de l'Etat comprennent donc des données à caractère personnel au sens de la loi informatique et libertés.
La circulaire du 26 mai 2011
Cette circulaire porte sur la création du portail internet data.gouv.fr, lancé fin 2011 avec le soutien de la mission gouvernementale Etalab. Elle fixe le principe, pour les administrations, d’autoriser la réutilisation gratuite de leurs données ; les administrations ne pouvant imposer de redevances que si “des circonstances particulières le justifient” et par le biais d'une procédure relativement lourde instaurée par décret du Premier Ministre.
Néanmoins, s’inspirant de l’exception prévue à l’article 11 de la loi CADA, la circulaire prévoit une dérogation en faveur des établissements culturels qui peuvent décider “s’ils le souhaitent”, de mettre à disposition leurs données sur le portail data.gouv.fr. Cela explique en grande partie la faible part des données culturelles sur le portail.
En conséquence, le cadre législatif existant n'encourage pas l'ouverture des données culturelles pour une libre réutilisation. L'existence de cette exception culturelle est-elle pour autant justifiée ?
1.2 L'exclusion des données culturelles du domaine des données publiques est-elle justifiée ?
Les obstacles économiques à l'ouverture des données culturelles à l’Open Data
Pour certains, l’exception culturelle est justifiée compte tenu de la nature des données culturelles (nativement extra-numériques pour la plupart d’entre elles) et de leur diversité.
Dans le cadre d'un rapport remis au Ministre de la Culture au deuxième trimestre 2012, l'Inspection Générale des Affaires Culturelles (IGAC) a confirmé pour sa part que les données culturelles ne devaient pas être traitées comme des informations administratives ordinaires et qu'il convenait d'organiser un régime de réutilisation adapté à cette spécificité. (7)
Certains établissements, en faveur du maintien de l’exception, considèrent que l'ouverture de leurs données conduirait à des pertes financières, qu'ils souhaitent éviter tant le financement culturel reste fragile et périlleux. Les établissements culturels tirent notamment leurs revenus, outre des droits d’entrée des visiteurs, grâce à la revente des images de leurs collections à la presse et aux éditeurs. La mise à la disposition du public de tout ou partie de leurs données culturelles, à titre gratuit, pourrait donc mettre en danger une part non négligeable des sources de revenus de ces établissements.
Par ailleurs, le coût de la numérisation des données constitue, à lui seul, un frein majeur à leur mise à disposition gratuite.
Des opportunités à ne pas négliger
L’exception culturelle est cependant contestée par plusieurs groupes de travail et de réflexion en faveur d'un Open Data culturel (ex: groupe de travail Open GLAM). (8)
La mise en place de plateformes internet par les établissements culturels peut augmenter la visibilité des oeuvres et collections dont ils disposent, et ainsi fidéliser et diversifier leur public. L'ouverture des données peut également contribuer à valoriser les lieux culturels et entraîner une augmentation de leur fréquentation.
En outre, les données culturelles émanant du secteur public peuvent constituer un potentiel de croissance dans la mesure où d'autres acteurs (entreprises du secteur privé, associations) peuvent les réutiliser pour proposer des services et contenus enrichis, contribuant, d'une part au développement économique et d'autre part, à une meilleure visibilité du patrimoine, en particulier des sites et collections les moins connus.
Enfin, chaque année des appels à projets de numérisation sont lancés par le Ministère de la Culture. Ces projets s'adressent aux acteurs culturels, publics et privés à but non lucratif, et ont pour objectif de financer la numérisation de collections. Le dernier appel a été lancé le 5 octobre 2012. (9)
L'Open Data culturel permettrait ainsi de stimuler l'innovation technologique et par conséquent, de soutenir la croissance économique. Aussi, face à de telles opportunités, et dans un souci d'accès pour tous au patrimoine culturel, une évolution vers plus d’ouverture des données culturelles semble être en marche.
2. Un mouvement de libéralisation des données culturelles se dessine pourtant en France
L'Open Data culturel tend à devenir une réalité en France malgré le régime d’exception applicable à ces données et la réglementation protectrice de la propriété intellectuelle et de la vie privée. Quelques propositions pour faire évoluer le cadre juridique existant et diverses initiatives lancées dans le secteur culturel attestent de ce mouvement.
2.1 Vers une évolution du cadre juridique applicable aux données culturelles ?
Constatant la difficulté d’articuler les contraintes de la réglementation protectrice de la propriété intellectuelle et de la vie privée avec la loi CADA de 1978 et avec la politique numérique de promotion de l’Open Data, une évolution du cadre juridique applicable est souhaitée.
La proposition de directive communautaire de décembre 2011
Cette proposition de directive vise à réviser la directive de 2003 portant sur la réutilisation des informations du secteur public. La directive de 2003 exclut de son champ d'application les données détenues par les établissements d'enseignement, de recherche et les établissements culturels (musées, bibliothèques, archives, orchestres, opéras, ballets et théâtres).
La proposition de directive a pour but de promouvoir une véritable ouverture des données publiques en posant le principe selon lequel celles-ci seront automatiquement réutilisables. Cette proposition de directive étendrait son champ d'application aux données détenues par les bibliothèques, les musées et les archives, mais exclurait les autres institutions culturelles telles que les opéras, ballets ou théâtres et les archives détenues par ces établissements. Par contre, la réutilisation de ces données ne pourrait se faire que dans le respect des droits de propriété intellectuelle de leurs ayants droit. (10)
L’avis du Conseil National du Numérique de juin 2012 sur l’Open Data
Parmi les propositions émises par le CNNum dans l’avis précité figure la promotion de la réutilisation des données culturelles et leur réintégration dans le régime de droit commun. Selon le CNNum, le régime d'exception instauré par la loi CADA s'appliquant à tout le secteur culturel, sans distinction aucune, ne serait pas justifié et devrait être nettement plus nuancé.
En outre, le CNNum préconise la clarification des questions de propriété intellectuelle relatives à la réutilisation des oeuvres numérisées et des données soumises au droit d'auteur des agents publics.
2.2 Les initiatives lancées par les musées et bibliothèques
Plusieurs associations et établissements culturels travaillent sur des projets d'Open Data culturel. Parmi les initiatives les plus récentes, on peut citer :
Le projet de valorisation numérique du patrimoine de l’AGCCPF PACA
L’Association des Conservateurs des Collections Publiques de France (section fédérée PACA), mène depuis quelques années une réflexion sur la valorisation numérique du patrimoine et sur les nouvelles pratiques culturelles au cœur des cultures numériques.
L'Association a décidé d’axer son volet numérique 2012 sur le thème de l’ouverture et de la réutilisation des données culturelles. Le projet est réalisé en partenariat avec la Fondation Internet Nouvelle Génération (FING) et avec l’aide du Département des programmes numériques du Ministère de la Culture et de la Communication. Les objectifs de ce projet sont multiples, notamment disposer d’une cartographie générale de la connaissance des musées sur cette question et mettre à plat l’ensemble des questions que se posent les professionnels qui souhaiteraient diffuser leurs données en Open Data.
A cette fin, en avril 2012, l'Association a envoyé un questionnaire aux 180 musées du réseau et organisé des journées d’étude à la réutilisation des données publiques et à l’Open Data culturel, destinées aux conservateurs, développeurs, concepteurs de jeux vidéo, étudiants, data journalistes et responsables de collectivités territoriales.
La stratégie numérique de la RMN-Grand Palais
L'Etablissement public de la Réunion des musées nationaux et du Grand Palais des Champs-Élysées, fusion du Grand Palais avec la RMN, a été créé en janvier 2011. Le décret du 13 janvier 2011, définissant ses missions, prévoit que l’établissement doit constituer une photothèque universelle regroupant les reproductions photographiques des collections de l’Etat et en assurer la conservation, la valorisation et la diffusion numérique.
Afin de répondre à cette mission et dans le cadre d'une stratégie numérique globale, l'établissement a lancé le portail internet www.photo.rmn.fr, regroupant plus de 700.000 images photographiques d'oeuvres d'art. A noter que la réutilisation d'images du site photo.rmn.fr par les professionnels n'est pas gratuite, mais soumise au paiement de droits pour leur exploitation et, pour les photos qui ne sont pas encore tombées dans le domaine public, à l'accord des ayants droit. Par ailleurs, la RMN travaille actuellement sur le projet d'une plateforme regroupant de très nombreux jeux de données, devant être lancée courant 2013.
Le Centre Pompidou virtuel
En octobre 2011, le Centre Pompidou a lancé le "Centre Pompidou virtuel" (http://www.centrepompidou.fr/), une plateforme internet donnant accès à l’ensemble des contenus culturels produits par le Centre : images et dossiers des œuvres de la collection, dossiers pédagogiques, interviews vidéo d’artistes et de commissaires, captations de colloques et de conférences, archives, etc.
Les bibliothèques nationales
Plusieurs initiatives ont également été lancées par les bibliothèques.
Ainsi, en janvier 2012, la bibliothèque nationale universitaire de Strasbourg a décidé d'autoriser la libre réutilisation des fichiers images qu'elle produit, en les plaçant sous Licence Ouverte / Open Licence (http://www.bnu.fr/).
La Bibliothèque nationale de France (BNF) a lancé en juillet 2012 un nouveau site Internet (http://data.bnf.fr/) qui regroupe toutes les informations issues de ses différents catalogues ainsi que de sa bibliothèque numérique Gallica.
2.3 Les archives et données généalogiques
Les archives et données généalogiques sont également considérées par la loi comme des données culturelles. Ces données un peu particulières comprennent des données à caractère personnel. La CNIL a dû se prononcer sur leurs conditions de réutilisation, illustrées par une décision judiciaire récente.
La recommandation de la CNIL de décembre 2010
Régulièrement consultée par les services des archives, les élus, les associations ou les sociétés privées spécialisées dans la recherche généalogique, et donc souvent confrontée aux difficultés soulevées par l'articulation de la loi informatique et libertés avec la loi CADA et le code du patrimoine, la CNIL a publié une recommandation relative aux conditions de réutilisation des données publiques comportant des données personnelles. (11)
La CNIL précise les cas dans lesquels la réutilisation de données personnelles contenues dans des documents d’archives est à exclure ou, au contraire, possible moyennant certaines précautions. Ainsi, selon la CNIL, la réutilisation des données est possible dans le cas où la personne concernée a donné son accord exprès et a été informée de façon claire et complète sur les finalités, les données concernées, les destinataires des données, et leurs droits d’opposition, d’accès, de rectification, et de suppression.
L’arrêt Notrefamille.com et la réutilisation des données généalogiques détenues par le service des archives départementales
Un litige opposait le Conseil général du Cantal à la société Notrefamille.com, éditant le site internet genealogie.com. La société Notrefamille.com souhaitait réutiliser les archives des services départementaux à des fins commerciales et avait demandé, à plusieurs reprises et en vain, au président du Conseil général du Cantal de lui communiquer des cahiers de recensement des années 1831 à 1931 détenus par le service des archives. Face au refus persistant de la collectivité, la société Notrefamille.com a alors saisi le juge administratif. Dans un jugement du 13 juillet 2011, le Tribunal administratif de Clermont-Ferrand a enjoint la collectivité de communiquer les documents.
La collectivité a interjeté appel. Dans un arrêt du 4 juillet 2012, la Cour administrative d’appel de Lyon a jugé que les informations publiques, figurant dans les documents détenus par les services des archives publiques, relevaient de la liberté de réutilisation consacrée de façon générale par la loi CADA de 1978.
Toutefois, les magistrats lyonnais ont considéré qu’il appartenait à l’administration, saisie d’une demande de réutilisation de ces documents, de s’assurer que cette réutilisation satisfaisait aux exigences posées par la loi informatique et libertés. Or, la société Notrefamille.com prévoyait de transférer les données à Madagascar, et n'avait pas obtenu l'autorisation préalable de la CNIL prévue par loi. Selon la Cour, la collectivité était donc tenue de rejeter la demande de la société Notrefamille.com. En conséquence, les juges d’appel ont annulé le jugement du tribunal administratif de Clermont-Ferrand. (12)
Une société peut donc réutiliser, à des fins commerciales, les données contenues dans les actes conservés par les archives départementales, sous réserve d'être en conformité avec la loi informatique et libertés.
Considérant les données culturelles comme une catégorie à part, le législateur français a instauré un régime d’exception limitant leur accès et leur réutilisation. Toutefois, en dépit de ce régime juridique peu favorable et des débats provoqués par l'ouverture de ces données, il semble au regard des quelques projets déjà lancés, que leur libération devienne effective. Les initiatives se multiplient dans le secteur culturel et donnent ainsi naissance à un mouvement d’Open Data culturel.
Compte tenu des réticences et critiques que suscite ce mouvement sur le plan juridique mais également économique, la France va devoir aménager le cadre juridique existant. Il est à souhaiter que le nouveau cadre juridique détermine de façon claire et précise la notion de données culturelles, les établissements culturels concernés, les conditions d'accès et de réutilisation (avec ou sans redevance, sous quelle licence) et les conditions d'exploitation des données culturelles comportant des données personnelles ou sur lesquelles des tiers détiennent des droits de propriété intellectuelle.
Avec ou sans refonte du régime juridique applicable, une question reste cependant en suspend : la mise à disposition de ce patrimoine informationnel constitue-t-elle une réelle opportunité économique pour les établissements culturels et le secteur privé ? La mise en oeuvre de politiques Open Data et le lancement de projets y afférent, tel que dernièrement la publication de tous les contenus d'Europeana (portail culturel paneuropéen sous licence Creative Commons) permettent d'espérer que l’Open Data culturel devienne une réalité permettant à des entreprises du secteur numérique notamment, de développer des produits et services enrichis à partir de ces données. (13)
* * * * * * * * * *
(1) A noter que la mission Etalab, créée par le précédent Gouvernement en février 2011, a été dissoute. Les missions d’Etalab sont transférées au nouveau Secrétariat général pour la modernisation de l’action publique.
(2) A ce sujet, voir notre article “Open Data : un plus large accès aux données publiques permettra t-il un véritable essor de leur réutilisation ?” publié sur ce blog en novembre 2011
(3) Voir l'Avis n°12 du Conseil national du numérique (CNNum) du 5 juin 2012 relatif à l’ouverture des données publiques.
(4) Loi n°78-753 du 17 juillet 1978, dite loi CADA, portant diverses mesures d'amélioration des relations entre l'administration et le public et diverses dispositions d'ordre administratif, social et fiscal.
(5) Voir le Rapport "open GLAM", publié au deuxième trimestre 2012, intitulé "Recommandations pour l'ouverture des données et des contenus culturels".
(6) Loi n°78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, modifiée, dite Loi informatique et libertés.
(7) Voir l'interview de François Braize, Inspecteur général des affaires culturelles, Lettre du COEPIA N°4, 2e trim. 2012, accessible à www.gouvernement.fr.
(8) Quelques groupes de réflexion ont publié des rapports, tels que "Partager notre patrimoine culturel" (mai 2009), proposant la création d'une charte en faveur de la mise à disposition des contenus culturels numériques, ou le rapport du groupe de travail "open Glam" (2e trim. 2012), proposant plusieurs recommandations visant à simplifier le cadre juridique actuel et à mettre en place de bonnes pratiques d'accès et de réutilisation des données pour les établissements culturels.
(9) Communiqué du Ministère de la Culture et de la Communication du 25 octobre 2012, accessible à l’URL: www.culturecommunication.gouv.fr.
(10) Directive 2003/98/CE du Parlement européen et du Conseil du 17 novembre 2003 concernant la réutilisation des informations du secteur public ; Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 2003/98/CE concernant la réutilisation des informations du secteur public, du 12 décembre 2011.
(11) Délibération de la CNIL n°2010-460 du 9 décembre 2010 portant recommandation relative aux conditions de réutilisation des données à caractère personnel contenues dans des documents d'archives publiques ; Communiqué CNIL du 16 mai 2011 intitulé "Comment concilier la protection de la vie privée et la réutilisation des archives publiques sur internet ?".
(12) Cour administrative d'appel de Lyon, 4 juillet 2012, Département du Cantal c. SA NotreFamille.com, n°11LY02325.
(13) Europeana - portail culturel paneuropéen, contenant plus de 20 millions d'oeuvres, fournies par 2.200 institutions partenaires (http://www.europeana.eu/portal/).
Bénédicte DELEPORTE – Avocat
Betty SFEZ – Avocat
Deleporte Wentz Avocat
www.dwavocat.com
Novembre 2012
vendredi 5 octobre 2012
E-commerce : les conditions de validité et d’opposabilité des contrats de vente en ligne B-to-C
Sur un site marchand, l’achat d’un produit ou d’un service, et donc la contractualisation de l’acte d’achat est réglementée et passe par plusieurs étapes que l’on peut résumer comme suit : la consultation du site web et de l'offre par l'internaute, suivie de la sélection du/des produits ou services, la vérification puis la confirmation de la commande, le paiement, puis côté marchand, la confirmation de la commande par le e-commerçant et enfin la livraison du produit ou du service commandé.
Cette succession d’étapes nous conduit à revenir sur les conditions de formation et de validité du contrat de vente en ligne : à quel moment et à quelles conditions le contrat de vente est-il considéré comme conclu ? Comment s’assurer que les conditions de vente sont effectivement acceptées et opposables aux acheteurs ?
Nous rappelons ci-après les règles applicables aux contrats conclus en ligne, dans une relation B-to-C et plus particulièrement la procédure de contractualisation et les conditions d’opposabilité du contrat aux parties.
1. La conclusion du contrat de vente en ligne
1.1 L'offre de vente et l’information sur les produits ou services
Sur un site marchand, la description des produits n’est pas considérée comme une “simple” publicité, ni comme la “simple” fourniture d’informations. La description des produits proposés à la vente est considérée juridiquement comme une offre de contracter qui engage le e-commerçant. A ce titre, la description doit être complète, loyale (ne pas induire le consommateur en erreur) et à jour (les produits doivent être disponibles).
Un e-commerçant pourrait par exemple voir sa responsabilité engagée si la description des produits (couleur, taille, origine, composition, etc.) n’était pas conforme à la réalité.
Ainsi, l'offre de vente doit notamment préciser les caractéristiques essentielles (qualitatives et quantitatives) des produits, le prix en euros TTC et s’il y a lieu, les frais qui viendront s’ajouter au prix de vente (frais de livraison, le cas échéant, droits de douane). L’offre doit en outre mentionner, de manière claire et compréhensible, un certain nombre d’éléments relatifs à l’exécution de la vente : modalités de paiement, date limite de livraison, existence ou non du droit de rétractation, etc. (1)
1.2 La contractualisation en ligne
Le processus de contractualisation comprend deux étapes : la vérification de la commande puis sa confirmation par l’acheteur (procédure du "double-clic").
Dans un premier temps, pour que la commande soit valablement conclue, l'acheteur doit avoir pu la vérifier (détail de la commande et prix total, y compris les frais de livraison et autres frais annexes éventuels). Dans un second temps, le contrat est finalement conclu lorsque, après avoir pu vérifier le détail de sa commande, l'acheteur confirme la commande. Le e-commerçant doit alors sans délai, accuser réception de celle-ci par voie électronique, généralement par l’émission automatique d’un accusé de réception. Cet accusé de réception ne constitue qu'une information indiquant au client que sa commande a été prise en compte par le e-commerçant, et n’a pas de valeur contractuelle en soi.
Pour rappel, les pratiques ou les clauses contractuelles qui permettraient à l'e-commerçant de modifier de façon unilatérale le prix, d'ajouter unilatéralement le coût de la livraison qui n'aurait pas été contractuellement fixé (et non agréé par le client) ou de rajouter des produits ou services (extension de garantie ou assurance par exemple) dans le panier de l'acheteur, en pré-cochant des cases, sont prohibées.
Au cas où l’un des éléments relatifs à l’exécution de la commande (tels les frais de livraison) ne serait pas renseigné au moment de la passation de la commande, le contrat ne sera pas considéré comme conclu. Si le bien vendu doit être livré, et que la livraison est payante, le contrat à distance ne sera réputé conclu qu’après que l’acheteur ait reçu les informations relatives à la livraison (frais de livraison, délais et conditions) et ait confirmé son acceptation de la commande.
Une fois le contrat valablement conclu, le marchand est tenu de l’exécuter dans les termes agréés. Le e-commerçant est responsable de plein droit de la bonne fin de la vente jusqu’à la livraison du produit à l’acheteur et ce, que l’intégralité des obligations contractuelles soient exécutées par lui-même ou non (sous-traitance de la logistique, du transport, etc.).
2. L’opposabilité, à l’acheteur, du contrat conclu en ligne
2.1 L'acceptation effective des conditions générales de vente (CGV)
En application de l’article 1369-4 du code civil “Quiconque propose, à titre professionnel, par voie électronique, la fourniture de biens ou la prestation de services, met à disposition les conditions contractuelles applicables d'une manière qui permette leur conservation et leur reproduction. (…)”
Tout e-commerçant doit donc mettre ses CGV à disposition, en ligne. Les CGV, si elles sont correctement rédigées, auront l'avantage de regrouper en un seul document l'ensemble des informations contractuelles requises par la loi, devant être fournies à l'acheteur.
L'article L.121-19 du Code de la consommation prévoit en outre que l'acheteur doit recevoir par écrit ("ou sur un autre support durable à sa disposition"), en temps utile et au plus tard au moment de la livraison, certaines informations telles que : la confirmation des informations mentionnées dans l'offre de vente, les conditions et les modalités d'exercice du droit de rétractation, l'adresse de l'e-commerçant où l'acheteur peut présenter ses réclamations, etc.
Toutefois, la simple mise en ligne des CGV sur le site web, la simple mention d'application des CGV à la commande ou encore l’indication que le e-commerçant se réserve le droit de modifier les CGV à tout moment, sans qu’une procédure d’acceptation des CGV n’ait été mise en place, ne suffisent pas à prouver que le e-commerçant a rempli son obligation d'information contractuelle et que le consommateur a effectivement accepté les CGV du marchand.
A défaut de procédure d'acceptation effective des CGV, ou de leur version modifiée, celles-ci pourront être déclarées inopposables à l'acheteur en cas de contentieux. Dans ce cas, le juge appliquera les conditions issues de la loi, de la jurisprudence et de l'équité, ce qui créera un degré d’incertitude pour le commerçant, qui risquera de se voir opposer des conditions différentes et/ou moins favorables que prévues aux CGV.
Afin de s’assurer que ses CGV seront opposables aux acheteurs, le e-commerçant doit prévoir une procédure d'acceptation effective des CGV, à renouveler lors de leur modification (ou au moment de la passation d’une nouvelle commande, postérieurement à la modification des CGV).
Par ailleurs, de très nombreux sites marchands font accepter leurs conditions contractuelles en faisant cocher une case avec une mention du type "J'ai lu et j'accepte les CGV", avec un lien hypertexte renvoyant vers la page des CGV sur le site.
Cette pratique, qui était juridiquement acceptée jusqu’à maintenant, vient d’être invalidée par la Cour de Justice de l’Union européenne dans un arrêt de juillet 2012, qui l’estime contraire à l'article 5 §1 de la directive 97/7 concernant la protection des consommateurs en matière de contrats à distance (transposé à l'article L.121-19 du code de la consommation mentionné ci-dessus). Dans cet arrêt, la Cour rappelle, que “(…) le consommateur doit recevoir, par écrit ou sur un autre support durable à sa disposition et auquel il a accès, confirmation des informations mentionnées à l’article 4 par.1(…), en temps utile lors de l’exécution du contrat et au plus tard au moment de la livraison (…), à moins que ces informations n’aient déjà été fournies au consommateur préalablement à la conclusion du contrat par écrit ou sur un autre support durable à sa disposition et auquel il a accès.(…)”.
La Cour considère que lorsque les informations contenues dans les CGV ne sont accessibles que via un lien communiqué au consommateur, ces informations (i) ne sont ni "fournies" au consommateur, ni "reçues" par celui-ci et (ii) ne peuvent être considérées comme fournies sur "un support durable" au sens de la directive. (2)
Les conditions d’acceptation des CGV ont ainsi été renforcées par une interprétation stricte des dispositions de la directive de 1997 par les juges européens. Il est donc recommandé de revoir les conditions d’acceptations des CGV en ligne afin d’éviter les procédures en inopposabilité de ces CGV.
2.2 Le délai de prescription, l’archivage du contrat et l’opposabilité dans le temps
La question de l’opposabilité des CGV aux acheteurs ne se pose pas uniquement pendant l’exécution du contrat de vente, mais jusqu’à l’expiration du délai de prescription des actions en responsabilité.
Même si le contrat de vente en ligne expire après exécution de la livraison (étendue à la durée de la garantie légale, et éventuellement d’une garantie contractuelle plus longue), l’acheteur conserve la possibilité d’intenter une action en responsabilité à l’encontre du vendeur pendant un délai de plusieurs années après l’expiration du contrat.
Le droit de la prescription civile a été modifié avec la loi du 17 août 2008. Le délai de prescription de droit commun est ainsi passé de 30 ans à 5 ans. (3) Ce délai de 5 ans concerne les contrats conclus en ligne avec les consommateurs.
Ce délai de droit commun comporte cependant de nombreuses exceptions.
Outre, ce délai de prescription, tout e-commerçant a l’obligation, pour les contrats d’un montant supérieur à 120€ TTC, de conserver le contrat et de le tenir à la disposition du consommateur pendant une durée de 10 ans à compter de sa conclusion. (4) Le e-commerçant est donc dans l’obligation de conserver et d’archiver les CGV applicables au moment de la conclusion de la vente, ainsi que les éléments contractuels (commande, description du bien ou du service). La conservation de ces documents est nécessaire pour que les parties puissent faire valoir leurs droits en cas de contestation future, pendant la période non-prescrite.
Cet archivage électronique devra être réalisé de manière à ce que le e-commerçant puisse à tout moment produire le contrat à la demande de l’acheteur, de l’administration (en cas de contrôle fiscal par exemple) et en cas de litige avec un acheteur, pendant la période non-prescrite. La norme d’archivage de référence est la norme AFNOR Z42-013 / ISO 14641-1. Bien que cette norme ne soit pas impérative, elle constitue néanmoins le référentiel en matière d’archivage électronique.
Il est donc recommandé aux e-commerçants de s’assurer de la conformité à la loi de leur procédure de contractualisation en ligne et de conservation des documents contractuels et, à défaut, de prendre toutes mesures nécessaires de mise en conformité pour s’assurer notamment que leurs conditions de vente sont effectivement opposables aux acheteurs, non seulement au moment de la conclusion de la vente, mais pendant toute la durée de conservation, jusqu’à l’expiration des délais de prescription.
Le non-respect de certaines des obligations mentionnées dans notre article est sanctionné pénalement par une contravention de 5e classe, soit, pour les personnes morales, un montant maximum de 7.500€, pouvant être porté à 15.000€ en cas de récidive.
* * * * * * * * * * *
(1) Voir les art. L.111-1 et s., L.113-1 et s., et L.121-18 et s., R.121-1 et s. du Code de la consommation ; art. 1369-4 du Code civil.
(2) Voir l’arrêt CJUE 3é ch. du 5 juillet 2012, Content Services Ltd c/ Bundesarbeitskammer, aff. C-49/11 et notre article “Vente en ligne : les conditions d’opposabilité des informations contractuelles au consommateur précisées par la CJUE” publié sur ce blog en août 2012
(3) Loi 2008-561 portant réforme de la prescription en matière civile
(4) Voir Art. L.134-2 du Code de la consommation et le décret d’application n°2005-137 du 16 février 2005.
Bénédicte DELEPORTE - Avocat
Betty SFEZ - Avocat
Deleporte Wentz Avocat
www.dwavocat.com
Octobre 2012
Cette succession d’étapes nous conduit à revenir sur les conditions de formation et de validité du contrat de vente en ligne : à quel moment et à quelles conditions le contrat de vente est-il considéré comme conclu ? Comment s’assurer que les conditions de vente sont effectivement acceptées et opposables aux acheteurs ?
Nous rappelons ci-après les règles applicables aux contrats conclus en ligne, dans une relation B-to-C et plus particulièrement la procédure de contractualisation et les conditions d’opposabilité du contrat aux parties.
1. La conclusion du contrat de vente en ligne
1.1 L'offre de vente et l’information sur les produits ou services
Sur un site marchand, la description des produits n’est pas considérée comme une “simple” publicité, ni comme la “simple” fourniture d’informations. La description des produits proposés à la vente est considérée juridiquement comme une offre de contracter qui engage le e-commerçant. A ce titre, la description doit être complète, loyale (ne pas induire le consommateur en erreur) et à jour (les produits doivent être disponibles).
Un e-commerçant pourrait par exemple voir sa responsabilité engagée si la description des produits (couleur, taille, origine, composition, etc.) n’était pas conforme à la réalité.
Ainsi, l'offre de vente doit notamment préciser les caractéristiques essentielles (qualitatives et quantitatives) des produits, le prix en euros TTC et s’il y a lieu, les frais qui viendront s’ajouter au prix de vente (frais de livraison, le cas échéant, droits de douane). L’offre doit en outre mentionner, de manière claire et compréhensible, un certain nombre d’éléments relatifs à l’exécution de la vente : modalités de paiement, date limite de livraison, existence ou non du droit de rétractation, etc. (1)
1.2 La contractualisation en ligne
Le processus de contractualisation comprend deux étapes : la vérification de la commande puis sa confirmation par l’acheteur (procédure du "double-clic").
Dans un premier temps, pour que la commande soit valablement conclue, l'acheteur doit avoir pu la vérifier (détail de la commande et prix total, y compris les frais de livraison et autres frais annexes éventuels). Dans un second temps, le contrat est finalement conclu lorsque, après avoir pu vérifier le détail de sa commande, l'acheteur confirme la commande. Le e-commerçant doit alors sans délai, accuser réception de celle-ci par voie électronique, généralement par l’émission automatique d’un accusé de réception. Cet accusé de réception ne constitue qu'une information indiquant au client que sa commande a été prise en compte par le e-commerçant, et n’a pas de valeur contractuelle en soi.
Pour rappel, les pratiques ou les clauses contractuelles qui permettraient à l'e-commerçant de modifier de façon unilatérale le prix, d'ajouter unilatéralement le coût de la livraison qui n'aurait pas été contractuellement fixé (et non agréé par le client) ou de rajouter des produits ou services (extension de garantie ou assurance par exemple) dans le panier de l'acheteur, en pré-cochant des cases, sont prohibées.
Au cas où l’un des éléments relatifs à l’exécution de la commande (tels les frais de livraison) ne serait pas renseigné au moment de la passation de la commande, le contrat ne sera pas considéré comme conclu. Si le bien vendu doit être livré, et que la livraison est payante, le contrat à distance ne sera réputé conclu qu’après que l’acheteur ait reçu les informations relatives à la livraison (frais de livraison, délais et conditions) et ait confirmé son acceptation de la commande.
Une fois le contrat valablement conclu, le marchand est tenu de l’exécuter dans les termes agréés. Le e-commerçant est responsable de plein droit de la bonne fin de la vente jusqu’à la livraison du produit à l’acheteur et ce, que l’intégralité des obligations contractuelles soient exécutées par lui-même ou non (sous-traitance de la logistique, du transport, etc.).
2. L’opposabilité, à l’acheteur, du contrat conclu en ligne
2.1 L'acceptation effective des conditions générales de vente (CGV)
En application de l’article 1369-4 du code civil “Quiconque propose, à titre professionnel, par voie électronique, la fourniture de biens ou la prestation de services, met à disposition les conditions contractuelles applicables d'une manière qui permette leur conservation et leur reproduction. (…)”
Tout e-commerçant doit donc mettre ses CGV à disposition, en ligne. Les CGV, si elles sont correctement rédigées, auront l'avantage de regrouper en un seul document l'ensemble des informations contractuelles requises par la loi, devant être fournies à l'acheteur.
L'article L.121-19 du Code de la consommation prévoit en outre que l'acheteur doit recevoir par écrit ("ou sur un autre support durable à sa disposition"), en temps utile et au plus tard au moment de la livraison, certaines informations telles que : la confirmation des informations mentionnées dans l'offre de vente, les conditions et les modalités d'exercice du droit de rétractation, l'adresse de l'e-commerçant où l'acheteur peut présenter ses réclamations, etc.
Toutefois, la simple mise en ligne des CGV sur le site web, la simple mention d'application des CGV à la commande ou encore l’indication que le e-commerçant se réserve le droit de modifier les CGV à tout moment, sans qu’une procédure d’acceptation des CGV n’ait été mise en place, ne suffisent pas à prouver que le e-commerçant a rempli son obligation d'information contractuelle et que le consommateur a effectivement accepté les CGV du marchand.
A défaut de procédure d'acceptation effective des CGV, ou de leur version modifiée, celles-ci pourront être déclarées inopposables à l'acheteur en cas de contentieux. Dans ce cas, le juge appliquera les conditions issues de la loi, de la jurisprudence et de l'équité, ce qui créera un degré d’incertitude pour le commerçant, qui risquera de se voir opposer des conditions différentes et/ou moins favorables que prévues aux CGV.
Afin de s’assurer que ses CGV seront opposables aux acheteurs, le e-commerçant doit prévoir une procédure d'acceptation effective des CGV, à renouveler lors de leur modification (ou au moment de la passation d’une nouvelle commande, postérieurement à la modification des CGV).
Par ailleurs, de très nombreux sites marchands font accepter leurs conditions contractuelles en faisant cocher une case avec une mention du type "J'ai lu et j'accepte les CGV", avec un lien hypertexte renvoyant vers la page des CGV sur le site.
Cette pratique, qui était juridiquement acceptée jusqu’à maintenant, vient d’être invalidée par la Cour de Justice de l’Union européenne dans un arrêt de juillet 2012, qui l’estime contraire à l'article 5 §1 de la directive 97/7 concernant la protection des consommateurs en matière de contrats à distance (transposé à l'article L.121-19 du code de la consommation mentionné ci-dessus). Dans cet arrêt, la Cour rappelle, que “(…) le consommateur doit recevoir, par écrit ou sur un autre support durable à sa disposition et auquel il a accès, confirmation des informations mentionnées à l’article 4 par.1(…), en temps utile lors de l’exécution du contrat et au plus tard au moment de la livraison (…), à moins que ces informations n’aient déjà été fournies au consommateur préalablement à la conclusion du contrat par écrit ou sur un autre support durable à sa disposition et auquel il a accès.(…)”.
La Cour considère que lorsque les informations contenues dans les CGV ne sont accessibles que via un lien communiqué au consommateur, ces informations (i) ne sont ni "fournies" au consommateur, ni "reçues" par celui-ci et (ii) ne peuvent être considérées comme fournies sur "un support durable" au sens de la directive. (2)
Les conditions d’acceptation des CGV ont ainsi été renforcées par une interprétation stricte des dispositions de la directive de 1997 par les juges européens. Il est donc recommandé de revoir les conditions d’acceptations des CGV en ligne afin d’éviter les procédures en inopposabilité de ces CGV.
2.2 Le délai de prescription, l’archivage du contrat et l’opposabilité dans le temps
La question de l’opposabilité des CGV aux acheteurs ne se pose pas uniquement pendant l’exécution du contrat de vente, mais jusqu’à l’expiration du délai de prescription des actions en responsabilité.
Même si le contrat de vente en ligne expire après exécution de la livraison (étendue à la durée de la garantie légale, et éventuellement d’une garantie contractuelle plus longue), l’acheteur conserve la possibilité d’intenter une action en responsabilité à l’encontre du vendeur pendant un délai de plusieurs années après l’expiration du contrat.
Le droit de la prescription civile a été modifié avec la loi du 17 août 2008. Le délai de prescription de droit commun est ainsi passé de 30 ans à 5 ans. (3) Ce délai de 5 ans concerne les contrats conclus en ligne avec les consommateurs.
Ce délai de droit commun comporte cependant de nombreuses exceptions.
Outre, ce délai de prescription, tout e-commerçant a l’obligation, pour les contrats d’un montant supérieur à 120€ TTC, de conserver le contrat et de le tenir à la disposition du consommateur pendant une durée de 10 ans à compter de sa conclusion. (4) Le e-commerçant est donc dans l’obligation de conserver et d’archiver les CGV applicables au moment de la conclusion de la vente, ainsi que les éléments contractuels (commande, description du bien ou du service). La conservation de ces documents est nécessaire pour que les parties puissent faire valoir leurs droits en cas de contestation future, pendant la période non-prescrite.
Cet archivage électronique devra être réalisé de manière à ce que le e-commerçant puisse à tout moment produire le contrat à la demande de l’acheteur, de l’administration (en cas de contrôle fiscal par exemple) et en cas de litige avec un acheteur, pendant la période non-prescrite. La norme d’archivage de référence est la norme AFNOR Z42-013 / ISO 14641-1. Bien que cette norme ne soit pas impérative, elle constitue néanmoins le référentiel en matière d’archivage électronique.
Il est donc recommandé aux e-commerçants de s’assurer de la conformité à la loi de leur procédure de contractualisation en ligne et de conservation des documents contractuels et, à défaut, de prendre toutes mesures nécessaires de mise en conformité pour s’assurer notamment que leurs conditions de vente sont effectivement opposables aux acheteurs, non seulement au moment de la conclusion de la vente, mais pendant toute la durée de conservation, jusqu’à l’expiration des délais de prescription.
Le non-respect de certaines des obligations mentionnées dans notre article est sanctionné pénalement par une contravention de 5e classe, soit, pour les personnes morales, un montant maximum de 7.500€, pouvant être porté à 15.000€ en cas de récidive.
* * * * * * * * * * *
(1) Voir les art. L.111-1 et s., L.113-1 et s., et L.121-18 et s., R.121-1 et s. du Code de la consommation ; art. 1369-4 du Code civil.
(2) Voir l’arrêt CJUE 3é ch. du 5 juillet 2012, Content Services Ltd c/ Bundesarbeitskammer, aff. C-49/11 et notre article “Vente en ligne : les conditions d’opposabilité des informations contractuelles au consommateur précisées par la CJUE” publié sur ce blog en août 2012
(3) Loi 2008-561 portant réforme de la prescription en matière civile
(4) Voir Art. L.134-2 du Code de la consommation et le décret d’application n°2005-137 du 16 février 2005.
Bénédicte DELEPORTE - Avocat
Betty SFEZ - Avocat
Deleporte Wentz Avocat
www.dwavocat.com
Octobre 2012
mercredi 12 septembre 2012
Droits et limites des collectivités territoriales sur leur nom enregistré comme marque ou nom de domaine
Le nouveau cadre juridique des noms de domaine est entré en vigueur il y a un peu plus d’un an, le 1er juillet 2011. Jusqu'à cette date, les collectivités territoriales (communes, départements, régions, etc.), bénéficiaient d'un droit exclusif pour l'enregistrement de leur nom en .fr. Désormais, la possibilité de déposer un nom de domaine sur le nom d'une collectivité ne leur est plus réservé. (1)
Cette nouvelle réglementation a conduit de nombreuses collectivités territoriales à s'interroger sur la protection de leur nom, dont l'utilisation, permettant de promouvoir leur territoire et de faciliter le lien social avec leurs administrés, suscite beaucoup de convoitise auprès des tiers, entreprises du secteur privé ou associations. (2)
Ces interrogations nous donnent l'occasion de faire le point sur : (i) les droits dont bénéficient les collectivités sur leurs noms et les moyens d'action qui s'offrent à elles pour contester l'utilisation de leur nom, à titre de marque ou de nom de domaine, par un tiers, (ii) mais également les limites aux droits des collectivités sur leur nom.
1. Les moyens d'action contre l'utilisation du nom d'une collectivité, à titre de marque ou de nom de domaine
Les collectivités territoriales ne jouissent pas d'un droit spécifique sur leur nom ; elles sont cependant en droit de protéger leur nom contre une exploitation commerciale injustifiée.
L'utilisation abusive de leur dénomination par des tiers peut notamment être sanctionnée sur le terrain du droit des noms de domaine. En effet, la nouvelle réglementation, qui certes a supprimé l'exclusivité d'enregistrement au profit des collectivités, comporte néanmoins des dispositions visant à protéger l'usage de leur nom. A ce titre, les collectivités ont, sous certaines conditions, la possibilité de s'opposer à l'enregistrement ou au renouvellement d'un nom de domaine, ou de le faire supprimer, ou encore d'en demander le transfert, lorsque ce nom de domaine est identique ou apparenté à celui d'une collectivité territoriale ou porte atteinte à ses droits (articles L.45-2 et L.45-6 Code des Postes et des Communications Electroniques - CPCE).
Par ailleurs, et nous nous attarderons plus longuement sur ce point, l'utilisation abusive de la dénomination d'une collectivité par des tiers peut être sanctionnée sur le terrain du droit des marques, que la collectivité ait ou non déposé son nom à titre de marque.
1.1 Une réglementation protectrice du nom des collectivités territoriales
Une collectivité peut engager une action judiciaire pour atteinte au nom. Cette action, envisageable que la collectivité ait ou non déposé son nom à titre de marque, est prévue par l'article L711-4 (h) CPI qui dispose : "ne peut être adopté comme marque, un signe portant atteinte à des droits antérieurs, et notamment : h) Au nom, à l'image ou à la renommée d'une collectivité territoriale." Cette action permet à une collectivité de s'opposer à l'utilisation de son nom comme marque lorsque son utilisation peut entraîner une confusion dans l'esprit du public avec une marque déposée par la commune, un site officiel de la commune (nom de domaine) ou une action mise en oeuvre par celle-ci.
A titre d'exemple, la ville de Paris a attaqué une personne physique ayant déposé la marque PARIS L’ETE au motif que ce dépôt portait atteinte aux droits que la commune détient sur son nom. En effet, la ville de Paris affirme communiquer et intervenir dans les domaines concernés par les produits et services désignés par la marque PARIS L’ETE.
Dans un arrêt du 12 décembre 2007, la Cour d’appel de Paris a fait droit à la demande de la ville de Paris, précisant qu’"une collectivité territoriale est en droit de protéger son nom contre toute exploitation commerciale injustifiée, notamment lorsqu’un tiers, en déposant une marque, sera susceptible de lui causer un préjudice soit en l’empêchant de tirer profit de la commercialisation de son nom, soit en nuisant à son identité, son prestige ou sa renommée”.
La Cour relève que la Ville de Paris organise de nombreuses manifestations, lors de la saison d’été, dans les domaines culturel, économique et touristique ; qu’elle fait connaître ces événements, qui lui permettent de développer sa renommée, par le biais de différents médias d’information ; et utilise, dans ce contexte, son nom associé au mot L’ETE. En outre, la Cour relève que les produits et services désignés par la marque PARIS L’ETE (services de diffusion de programmes de radio ou de télévision et des services de présentation au public d’œuvres plastiques, de littérature à but culturel ou éducatif) sont similaires à ceux que la ville de Paris fournit sous son nom à ses partenaires et plus largement, aux services offerts dans le cadre de ses missions de service public.
Dès lors, la Cour considère que le dépôt de la marque PARIS L’ETE, qui crée un monopole d’exploitation au profit d’un tiers, prive la ville de Paris de la possibilité d’exploiter son nom pour désigner ses propres activités et pour en contrôler l’usage. La Cour a donc prononcé l’annulation de la marque PARIS L’ETE. (3)
1.2 Une réglementation protectrice des marques des collectivités territoriales
Conflit entre deux marques - Une collectivité territoriale peut, sous réserve qu'elle ait enregistré son nom à titre de marque, s'opposer à l'enregistrement d'une marque par un tiers par le biais d'une procédure alternative de règlement des litiges. Cette procédure permet à une collectivité d'empêcher l'enregistrement d'une marque nouvelle qui porterait atteinte à ses droits, à savoir notamment une marque qui reproduirait à l'identique ou imiterait sa marque, pour des produits et services identiques ou similaires. Cette démarche doit être engagée auprès de l'INPI et peut aboutir, si l'opposition est fondée, au rejet de la marque nouvelle. (articles L.712-4 et s. et R. 712-8 et s. du Code de la propriété intellectuelle - CPI)
Conflit entre deux marques ou entre une marque et un nom de domaine - Par ailleurs, toujours sous réserve que la collectivité territoriale ait eu le réflexe de déposer son nom à titre de marque, celle-ci peut engager une action judiciaire en contrefaçon de marque contre un tiers qui voudrait déposer une nouvelle marque, sur le fondement de l'article L.713-3 CPI.
Ce texte dispose que, sauf autorisation du propriétaire, sont interdits la reproduction et l'imitation d'une marque ainsi que l'usage d'une marque reproduite ou imitée, pour des produits ou services similaires à ceux désignés dans l'enregistrement, s'il peut en résulter un risque de confusion dans l'esprit du public. Cette action peut être utilisée par une collectivité à l'encontre d'une marque ou d'un nom de domaine reprenant la marque déposée par la collectivité. La collectivité pourra obtenir du tribunal l'annulation de la marque ou du nom de domaine litigieux et/ou des dommages et intérêts.
2. Les limites à la protection du nom des collectivités territoriales posées par la jurisprudence
La protection accordée au nom des collectivités territoriales n'est cependant pas absolue et ne prohibe que les utilisations fautives. La jurisprudence a précisé les limites de cette prohibition, en affirmant que les collectivités ne disposent pas d'un droit exclusif leur permettant d'interdire a priori l'enregistrement de leur nom, à titre de marque ou de nom de domaine, par un tiers.
Les tribunaux exigent la preuve d'une faute, distincte du seul choix par un tiers d'un signe comprenant le nom d'une collectivité territoriale. Ainsi, dans l'hypothèse où une action judiciaire est engagée par une commune, il appartient à celle-ci de démontrer l’existence d’un risque de confusion avec ses propres attributions, ou un risque de nature à porter atteinte aux intérêts publics ou de nature à porter préjudice à la collectivité/ses administrés. Ce risque de confusion relève de l’appréciation souveraine des juges du fond.
Nous rappelons ci-après quelques décisions judiciaires illustrant les limites de la protection du nom des collectivités.
2.1 Conflits entre un nom de collectivité et une marque et des noms de domaine appartenant à des tiers
Affaire ville de Paris c/ Association "Paris sans fil" : Dans une affaire opposant la ville de Paris à l'association Paris-sans fil, cette dernière avait déposé et exploitait la marque PARIS SANS FIL (notamment en classe 38: télécommunication, communication par réseaux de fibres optiques, etc.) et les noms de domaine paris-sans-fil, avec les extensions ".info", ".fr" et ".org", et paris-sansfil.com. La ville de Paris a assigné l’association au motif que ces dépôts et cette exploitation portaient atteinte "aux droits de la ville sur son nom, sa renommée et son image, (...) et constitueraient en outre un usage trompeur pour le public".
Dans un jugement du 6 juillet 2007, le TGI de Paris a fait droit à ces demandes. Le tribunal prononce la nullité de la marque sur le fondement des articles L.711-4 h) et L. 714 CPI et ordonne à l'association de modifier sa dénomination sociale et de procéder à la radiation des noms de domaine en cause sur le fondement de l'article 1382 du Code civil.
Pourquoi une telle décision ? La ville de Paris avait démontré qu'elle intervenait de façon active dans le domaine des nouvelles technologies de l'information et de la communication, et notamment dans le domaine du développement du haut débit et du système Wifi et que l'emploi par l'association d'une marque déposée pour désigner des services identiques et similaires entraînait un risque de confusion avec ses propres activités. (4)
Affaire ville de Paris c/ la société Studyrama : Dans une autre affaire, la ville de Paris a été déboutée par la même juridiction dans un dossier l'opposant à la société Studyrama.
En l'espèce, la société Studyrama, titulaire de la marque JEUNES A PARIS, exploitait un magazine du même nom destiné aux étudiants et comportant des rubriques relatives aux loisirs, restaurants, voyages, etc. La marque JEUNES A PARIS avait été déposée dans les classes de produits et services 16 (papier, carton et journal), 38 (télécommunication) et 41 (éducation, formation, divertissement) . La ville de Paris a demandé au TGI de Paris de prononcer la nullité de la marque JEUNES A PARIS, sur le fondement de l'article L.711-4 h) CPI.
Dans un jugement du 24 novembre 2004, le Tribunal a rappelé qu'il appartenait à la ville de Paris de prouver que "la dénomination critiquée est de nature à tromper le public quant à l'origine des produits ou à la garantie qu'il penserait être en droit d'attendre de la collectivité". Or, le tribunal a considéré que (i) les produits et services de la marque JEUNES A PARIS ne relevaient pas exclusivement des attributions municipales, de telle sorte que le public n’était pas nécessairement amené à penser que ces services étaient proposés par la ville de Paris, et (ii) qu'"un tel raisonnement conduirait à interdire toute marque comportant le nom Paris en association avec d'autres mots". A défaut de risque de confusion entre la marque JEUNES A PARIS et la ville de Paris, la demande en nullité a été rejetée.
Par ailleurs, le tribunal a fait droit à la demande de la société Studyrama en contrefaçon de la marque JEUNES A PARIS contre le nom de domaine www.jeunes-paris.fr, enregistré par la ville de Paris. Le tribunal a considéré, en effet, que ce nom de domaine constituait une imitation de la marque litigieuse : il reprenait les mêmes termes "jeunes" et "Paris" et l'utilisation de ce nom de domaine concernait le même service que celui désigné par la marque, à savoir la communication par terminaux d'ordinateurs (classe 38). Il en résultait donc un risque de confusion pour le public. Le tribunal a ainsi condamné la ville de Paris à ne plus utiliser l'expression "jeunes à paris" en tant que nom de domaine. (5)
2.2 Conflit entre une marque et un nom de domaine appartenant à une collectivité et une marque et des noms de domaine appartenant à un tiers
Affaire ville d'Issy-les-Moulineaux c/ Association "Issy on line" : En l'espèce, la ville d'Issy-les-Moulineaux, titulaire de la marque ISSY et du nom de domaine issy.com, avait assigné l’association Issy on line. Cette association avait déposé la marque "Issy Tv" et enregistré les noms de domaine "Issy.net", "Issytv.com", "Issytv.org" et "Issy.info". La ville d'Issy-les-Moulineaux demandait la nullité de la marque, la cessation de toute utilisation par l'association du terme "Issy" et la cessation de l'utilisation des noms de domaine, sur le fondement des articles L.711-4, L.713-2 et suivants CPI et 1382 du Code civil.
Dans un arrêt du 13 septembre 2007, la Cour d'appel de Versailles a débouté la commune d'Issy-les-Moulineaux de ses demandes, relevant l'absence de contrefaçon de la marque ISSY et l'absence de faute dans l'enregistrement et l'utilisation des noms de domaines litigieux.
Pourquoi une telle décision ? La Cour a rappelé "qu'une commune peut déposer son nom de domaine en intégral ou en abrégé à titre de marque et l'enregistrer comme nom de domaine, mais elle ne peut interdire son utilisation par un tiers et doit la tolérer, dès lors que celui qui utilise dans la marque ou le nom de domaine tout ou partie du nom de la commune justifie d'un intérêt légitime à se prévaloir de ce nom, notamment pour y mentionner le lieu où il exerce effectivement son activité, et qu'il n'existe aucun risque de confusion avec la marque déposée ou le site officiel de la commune".
En outre, la Cour a rappelé que l'existence d'une contrefaçon éventuelle devait être appréciée au regard du contenu du site correspondant au nom de domaine litigieux. Or, dans le cas présent, la Cour a considéré (i) qu’il n’existait aucun risque de confusion entre la marque ISSY TV et la marque ISSY, déposée en classe 38 par la commune du même nom, “l’adjonction de l’abréviation "tv" au terme "Issy" présentant un caractère suffisamment distinctif” et (ii) que le contenu des sites en cause excluait tout risque de confusion, notamment parce que les services proposés par l'administré n'étaient ni professionnels ni officiels, et qu'il apparaissait clairement qu'il s'agissait d'un site géré par une personne privée et non par la municipalité. C'est ainsi qu’en raison de l'absence de risque de confusion, la commune d'Issy-les-Moulineaux a été déboutée de ses demandes. (6)
2.3 Conflit entre un nom de domaine appartenant à une collectivité et un nom de domaine appartenant à un tiers
Affaire Commune de Levallois-Perret c/ un élu de la commune, Loic L : La commune de Levallois-Perret, titulaire du nom de domaine ville-levallois.tv, avait attaqué en référé l'exploitant titulaire du nom de domaine "levallois.tv", au motif que le site internet portait à confusion avec le site web officiel de la commune.
Le défendeur, conseiller municipal de Levallois-Perret, contestait l'existence d'un risque de confusion, en l'absence de reprise sur son site des couleurs, de la charte graphique, du logo et du nom officiel de la ville de Levallois-Perret. Le juge des référés a alors procédé à une analyse du site contesté pour déterminer si un internaute moyen pouvait penser qu’il s’agissait du site officiel de la ville. Pour le juge, le signe Levallois TV associé à la photographie du titulaire du site et à son adresse email, ainsi qu’une présentation graphique différente du site officiel, le distinguaient parfaitement des publications de la ville, de sorte qu’il n’existait pas de risque de confusion avec le site de la commune. L'utilisation du terme "Levallois", seul point commun entre les deux sites, ne suffisait pas à caractériser un risque de confusion. Le juge des référés a donc débouté la ville de Levallois-Perret de sa demande d’interdire le site levallois.tv. (7)
Ainsi, il existe une réglementation protectrice du nom des collectivités territoriales, qui disposent de moyens d'action pour lutter contre l'utilisation abusive de leur nom par un tiers. Toutefois, cette réglementation n'a pas pour objet d'interdire aux tiers, de manière générale, de déposer en tant que marque ou nom de domaine, un signe identifiant une collectivité territoriale, mais seulement de réserver cette interdiction au cas où il résulterait de ce dépôt une atteinte aux intérêts publics.
Au regard de ces éléments, il est recommandé aux collectivités territoriales de définir leurs besoins en termes de marques et de noms de domaine et de faire procéder aux enregistrements nécessaires. Une protection efficace du nom des collectivités passe par la mise en place d'une stratégie commune entre la marque et le nom de domaine.
Quant aux personnes de droit privé (entreprises ou particuliers) souhaitant utiliser la dénomination d’une commune, d’un territoire ou d’une région dans une marque ou un nom de domaine, il conviendra de s’assurer que cette marque ou ce nom de domaine, non seulement ne crée pas de confusion dans l’esprit du public, mais également qu’ils ne portent pas atteinte aux intérêts publics.
* * * * * * * * * * * *
(1) Loi n°2004-669 du 9 juillet 2004 relative aux communications électroniques et décret d'application n°2007-162 du 6 février 2007 ; Loi n°2011-302 du 22 mars 2011 portant diverses dispositions d'adaptation de la législation au droit de l'Union européenne en matière de santé, de travail et de communications électroniques.
(2) A ce sujet, voir les réponses ministérielles (ministère chargé des collectivités territoriales) du 12 avril 2012, p. 913, n°21080 et du 29 mars 2012, p. 790, n°21079.
(3) CA Paris, 4e ch., section A, 12 décembre 2007, n°06/20595, Ville de Paris c/ M.Simon.
(4) TGI Paris,3e ch., 2e section, 6 juillet 2007, n°06/01925, Ville de Paris c/ Association Paris sans Fil.
(5) TGI Paris, 3e ch., 1re sect., 24 nov. 2004, Sarl Studyrama c/ Ville de Paris.
(6) CA Versailles, 12e ch. 2e sect., 13 sept. 2007, SA SEM Média c/ El Hadri, Juris-Data n° 2007-346646.
(7) TGI Nanterre, ord. réf., 30 janv. 2007, Cne Levallois-Perret c/ Loic L.
Betty SFEZ
Avocat
Deleporte Wentz Avocat
www.dwavocat.com
Septembre 2012
Cette nouvelle réglementation a conduit de nombreuses collectivités territoriales à s'interroger sur la protection de leur nom, dont l'utilisation, permettant de promouvoir leur territoire et de faciliter le lien social avec leurs administrés, suscite beaucoup de convoitise auprès des tiers, entreprises du secteur privé ou associations. (2)
Ces interrogations nous donnent l'occasion de faire le point sur : (i) les droits dont bénéficient les collectivités sur leurs noms et les moyens d'action qui s'offrent à elles pour contester l'utilisation de leur nom, à titre de marque ou de nom de domaine, par un tiers, (ii) mais également les limites aux droits des collectivités sur leur nom.
1. Les moyens d'action contre l'utilisation du nom d'une collectivité, à titre de marque ou de nom de domaine
Les collectivités territoriales ne jouissent pas d'un droit spécifique sur leur nom ; elles sont cependant en droit de protéger leur nom contre une exploitation commerciale injustifiée.
L'utilisation abusive de leur dénomination par des tiers peut notamment être sanctionnée sur le terrain du droit des noms de domaine. En effet, la nouvelle réglementation, qui certes a supprimé l'exclusivité d'enregistrement au profit des collectivités, comporte néanmoins des dispositions visant à protéger l'usage de leur nom. A ce titre, les collectivités ont, sous certaines conditions, la possibilité de s'opposer à l'enregistrement ou au renouvellement d'un nom de domaine, ou de le faire supprimer, ou encore d'en demander le transfert, lorsque ce nom de domaine est identique ou apparenté à celui d'une collectivité territoriale ou porte atteinte à ses droits (articles L.45-2 et L.45-6 Code des Postes et des Communications Electroniques - CPCE).
Par ailleurs, et nous nous attarderons plus longuement sur ce point, l'utilisation abusive de la dénomination d'une collectivité par des tiers peut être sanctionnée sur le terrain du droit des marques, que la collectivité ait ou non déposé son nom à titre de marque.
1.1 Une réglementation protectrice du nom des collectivités territoriales
Une collectivité peut engager une action judiciaire pour atteinte au nom. Cette action, envisageable que la collectivité ait ou non déposé son nom à titre de marque, est prévue par l'article L711-4 (h) CPI qui dispose : "ne peut être adopté comme marque, un signe portant atteinte à des droits antérieurs, et notamment : h) Au nom, à l'image ou à la renommée d'une collectivité territoriale." Cette action permet à une collectivité de s'opposer à l'utilisation de son nom comme marque lorsque son utilisation peut entraîner une confusion dans l'esprit du public avec une marque déposée par la commune, un site officiel de la commune (nom de domaine) ou une action mise en oeuvre par celle-ci.
A titre d'exemple, la ville de Paris a attaqué une personne physique ayant déposé la marque PARIS L’ETE au motif que ce dépôt portait atteinte aux droits que la commune détient sur son nom. En effet, la ville de Paris affirme communiquer et intervenir dans les domaines concernés par les produits et services désignés par la marque PARIS L’ETE.
Dans un arrêt du 12 décembre 2007, la Cour d’appel de Paris a fait droit à la demande de la ville de Paris, précisant qu’"une collectivité territoriale est en droit de protéger son nom contre toute exploitation commerciale injustifiée, notamment lorsqu’un tiers, en déposant une marque, sera susceptible de lui causer un préjudice soit en l’empêchant de tirer profit de la commercialisation de son nom, soit en nuisant à son identité, son prestige ou sa renommée”.
La Cour relève que la Ville de Paris organise de nombreuses manifestations, lors de la saison d’été, dans les domaines culturel, économique et touristique ; qu’elle fait connaître ces événements, qui lui permettent de développer sa renommée, par le biais de différents médias d’information ; et utilise, dans ce contexte, son nom associé au mot L’ETE. En outre, la Cour relève que les produits et services désignés par la marque PARIS L’ETE (services de diffusion de programmes de radio ou de télévision et des services de présentation au public d’œuvres plastiques, de littérature à but culturel ou éducatif) sont similaires à ceux que la ville de Paris fournit sous son nom à ses partenaires et plus largement, aux services offerts dans le cadre de ses missions de service public.
Dès lors, la Cour considère que le dépôt de la marque PARIS L’ETE, qui crée un monopole d’exploitation au profit d’un tiers, prive la ville de Paris de la possibilité d’exploiter son nom pour désigner ses propres activités et pour en contrôler l’usage. La Cour a donc prononcé l’annulation de la marque PARIS L’ETE. (3)
1.2 Une réglementation protectrice des marques des collectivités territoriales
Conflit entre deux marques - Une collectivité territoriale peut, sous réserve qu'elle ait enregistré son nom à titre de marque, s'opposer à l'enregistrement d'une marque par un tiers par le biais d'une procédure alternative de règlement des litiges. Cette procédure permet à une collectivité d'empêcher l'enregistrement d'une marque nouvelle qui porterait atteinte à ses droits, à savoir notamment une marque qui reproduirait à l'identique ou imiterait sa marque, pour des produits et services identiques ou similaires. Cette démarche doit être engagée auprès de l'INPI et peut aboutir, si l'opposition est fondée, au rejet de la marque nouvelle. (articles L.712-4 et s. et R. 712-8 et s. du Code de la propriété intellectuelle - CPI)
Conflit entre deux marques ou entre une marque et un nom de domaine - Par ailleurs, toujours sous réserve que la collectivité territoriale ait eu le réflexe de déposer son nom à titre de marque, celle-ci peut engager une action judiciaire en contrefaçon de marque contre un tiers qui voudrait déposer une nouvelle marque, sur le fondement de l'article L.713-3 CPI.
Ce texte dispose que, sauf autorisation du propriétaire, sont interdits la reproduction et l'imitation d'une marque ainsi que l'usage d'une marque reproduite ou imitée, pour des produits ou services similaires à ceux désignés dans l'enregistrement, s'il peut en résulter un risque de confusion dans l'esprit du public. Cette action peut être utilisée par une collectivité à l'encontre d'une marque ou d'un nom de domaine reprenant la marque déposée par la collectivité. La collectivité pourra obtenir du tribunal l'annulation de la marque ou du nom de domaine litigieux et/ou des dommages et intérêts.
2. Les limites à la protection du nom des collectivités territoriales posées par la jurisprudence
La protection accordée au nom des collectivités territoriales n'est cependant pas absolue et ne prohibe que les utilisations fautives. La jurisprudence a précisé les limites de cette prohibition, en affirmant que les collectivités ne disposent pas d'un droit exclusif leur permettant d'interdire a priori l'enregistrement de leur nom, à titre de marque ou de nom de domaine, par un tiers.
Les tribunaux exigent la preuve d'une faute, distincte du seul choix par un tiers d'un signe comprenant le nom d'une collectivité territoriale. Ainsi, dans l'hypothèse où une action judiciaire est engagée par une commune, il appartient à celle-ci de démontrer l’existence d’un risque de confusion avec ses propres attributions, ou un risque de nature à porter atteinte aux intérêts publics ou de nature à porter préjudice à la collectivité/ses administrés. Ce risque de confusion relève de l’appréciation souveraine des juges du fond.
Nous rappelons ci-après quelques décisions judiciaires illustrant les limites de la protection du nom des collectivités.
2.1 Conflits entre un nom de collectivité et une marque et des noms de domaine appartenant à des tiers
Affaire ville de Paris c/ Association "Paris sans fil" : Dans une affaire opposant la ville de Paris à l'association Paris-sans fil, cette dernière avait déposé et exploitait la marque PARIS SANS FIL (notamment en classe 38: télécommunication, communication par réseaux de fibres optiques, etc.) et les noms de domaine paris-sans-fil, avec les extensions ".info", ".fr" et ".org", et paris-sansfil.com. La ville de Paris a assigné l’association au motif que ces dépôts et cette exploitation portaient atteinte "aux droits de la ville sur son nom, sa renommée et son image, (...) et constitueraient en outre un usage trompeur pour le public".
Dans un jugement du 6 juillet 2007, le TGI de Paris a fait droit à ces demandes. Le tribunal prononce la nullité de la marque sur le fondement des articles L.711-4 h) et L. 714 CPI et ordonne à l'association de modifier sa dénomination sociale et de procéder à la radiation des noms de domaine en cause sur le fondement de l'article 1382 du Code civil.
Pourquoi une telle décision ? La ville de Paris avait démontré qu'elle intervenait de façon active dans le domaine des nouvelles technologies de l'information et de la communication, et notamment dans le domaine du développement du haut débit et du système Wifi et que l'emploi par l'association d'une marque déposée pour désigner des services identiques et similaires entraînait un risque de confusion avec ses propres activités. (4)
Affaire ville de Paris c/ la société Studyrama : Dans une autre affaire, la ville de Paris a été déboutée par la même juridiction dans un dossier l'opposant à la société Studyrama.
En l'espèce, la société Studyrama, titulaire de la marque JEUNES A PARIS, exploitait un magazine du même nom destiné aux étudiants et comportant des rubriques relatives aux loisirs, restaurants, voyages, etc. La marque JEUNES A PARIS avait été déposée dans les classes de produits et services 16 (papier, carton et journal), 38 (télécommunication) et 41 (éducation, formation, divertissement) . La ville de Paris a demandé au TGI de Paris de prononcer la nullité de la marque JEUNES A PARIS, sur le fondement de l'article L.711-4 h) CPI.
Dans un jugement du 24 novembre 2004, le Tribunal a rappelé qu'il appartenait à la ville de Paris de prouver que "la dénomination critiquée est de nature à tromper le public quant à l'origine des produits ou à la garantie qu'il penserait être en droit d'attendre de la collectivité". Or, le tribunal a considéré que (i) les produits et services de la marque JEUNES A PARIS ne relevaient pas exclusivement des attributions municipales, de telle sorte que le public n’était pas nécessairement amené à penser que ces services étaient proposés par la ville de Paris, et (ii) qu'"un tel raisonnement conduirait à interdire toute marque comportant le nom Paris en association avec d'autres mots". A défaut de risque de confusion entre la marque JEUNES A PARIS et la ville de Paris, la demande en nullité a été rejetée.
Par ailleurs, le tribunal a fait droit à la demande de la société Studyrama en contrefaçon de la marque JEUNES A PARIS contre le nom de domaine www.jeunes-paris.fr, enregistré par la ville de Paris. Le tribunal a considéré, en effet, que ce nom de domaine constituait une imitation de la marque litigieuse : il reprenait les mêmes termes "jeunes" et "Paris" et l'utilisation de ce nom de domaine concernait le même service que celui désigné par la marque, à savoir la communication par terminaux d'ordinateurs (classe 38). Il en résultait donc un risque de confusion pour le public. Le tribunal a ainsi condamné la ville de Paris à ne plus utiliser l'expression "jeunes à paris" en tant que nom de domaine. (5)
2.2 Conflit entre une marque et un nom de domaine appartenant à une collectivité et une marque et des noms de domaine appartenant à un tiers
Affaire ville d'Issy-les-Moulineaux c/ Association "Issy on line" : En l'espèce, la ville d'Issy-les-Moulineaux, titulaire de la marque ISSY et du nom de domaine issy.com, avait assigné l’association Issy on line. Cette association avait déposé la marque "Issy Tv" et enregistré les noms de domaine "Issy.net", "Issytv.com", "Issytv.org" et "Issy.info". La ville d'Issy-les-Moulineaux demandait la nullité de la marque, la cessation de toute utilisation par l'association du terme "Issy" et la cessation de l'utilisation des noms de domaine, sur le fondement des articles L.711-4, L.713-2 et suivants CPI et 1382 du Code civil.
Dans un arrêt du 13 septembre 2007, la Cour d'appel de Versailles a débouté la commune d'Issy-les-Moulineaux de ses demandes, relevant l'absence de contrefaçon de la marque ISSY et l'absence de faute dans l'enregistrement et l'utilisation des noms de domaines litigieux.
Pourquoi une telle décision ? La Cour a rappelé "qu'une commune peut déposer son nom de domaine en intégral ou en abrégé à titre de marque et l'enregistrer comme nom de domaine, mais elle ne peut interdire son utilisation par un tiers et doit la tolérer, dès lors que celui qui utilise dans la marque ou le nom de domaine tout ou partie du nom de la commune justifie d'un intérêt légitime à se prévaloir de ce nom, notamment pour y mentionner le lieu où il exerce effectivement son activité, et qu'il n'existe aucun risque de confusion avec la marque déposée ou le site officiel de la commune".
En outre, la Cour a rappelé que l'existence d'une contrefaçon éventuelle devait être appréciée au regard du contenu du site correspondant au nom de domaine litigieux. Or, dans le cas présent, la Cour a considéré (i) qu’il n’existait aucun risque de confusion entre la marque ISSY TV et la marque ISSY, déposée en classe 38 par la commune du même nom, “l’adjonction de l’abréviation "tv" au terme "Issy" présentant un caractère suffisamment distinctif” et (ii) que le contenu des sites en cause excluait tout risque de confusion, notamment parce que les services proposés par l'administré n'étaient ni professionnels ni officiels, et qu'il apparaissait clairement qu'il s'agissait d'un site géré par une personne privée et non par la municipalité. C'est ainsi qu’en raison de l'absence de risque de confusion, la commune d'Issy-les-Moulineaux a été déboutée de ses demandes. (6)
2.3 Conflit entre un nom de domaine appartenant à une collectivité et un nom de domaine appartenant à un tiers
Affaire Commune de Levallois-Perret c/ un élu de la commune, Loic L : La commune de Levallois-Perret, titulaire du nom de domaine ville-levallois.tv, avait attaqué en référé l'exploitant titulaire du nom de domaine "levallois.tv", au motif que le site internet portait à confusion avec le site web officiel de la commune.
Le défendeur, conseiller municipal de Levallois-Perret, contestait l'existence d'un risque de confusion, en l'absence de reprise sur son site des couleurs, de la charte graphique, du logo et du nom officiel de la ville de Levallois-Perret. Le juge des référés a alors procédé à une analyse du site contesté pour déterminer si un internaute moyen pouvait penser qu’il s’agissait du site officiel de la ville. Pour le juge, le signe Levallois TV associé à la photographie du titulaire du site et à son adresse email, ainsi qu’une présentation graphique différente du site officiel, le distinguaient parfaitement des publications de la ville, de sorte qu’il n’existait pas de risque de confusion avec le site de la commune. L'utilisation du terme "Levallois", seul point commun entre les deux sites, ne suffisait pas à caractériser un risque de confusion. Le juge des référés a donc débouté la ville de Levallois-Perret de sa demande d’interdire le site levallois.tv. (7)
Ainsi, il existe une réglementation protectrice du nom des collectivités territoriales, qui disposent de moyens d'action pour lutter contre l'utilisation abusive de leur nom par un tiers. Toutefois, cette réglementation n'a pas pour objet d'interdire aux tiers, de manière générale, de déposer en tant que marque ou nom de domaine, un signe identifiant une collectivité territoriale, mais seulement de réserver cette interdiction au cas où il résulterait de ce dépôt une atteinte aux intérêts publics.
Au regard de ces éléments, il est recommandé aux collectivités territoriales de définir leurs besoins en termes de marques et de noms de domaine et de faire procéder aux enregistrements nécessaires. Une protection efficace du nom des collectivités passe par la mise en place d'une stratégie commune entre la marque et le nom de domaine.
Quant aux personnes de droit privé (entreprises ou particuliers) souhaitant utiliser la dénomination d’une commune, d’un territoire ou d’une région dans une marque ou un nom de domaine, il conviendra de s’assurer que cette marque ou ce nom de domaine, non seulement ne crée pas de confusion dans l’esprit du public, mais également qu’ils ne portent pas atteinte aux intérêts publics.
* * * * * * * * * * * *
(1) Loi n°2004-669 du 9 juillet 2004 relative aux communications électroniques et décret d'application n°2007-162 du 6 février 2007 ; Loi n°2011-302 du 22 mars 2011 portant diverses dispositions d'adaptation de la législation au droit de l'Union européenne en matière de santé, de travail et de communications électroniques.
(2) A ce sujet, voir les réponses ministérielles (ministère chargé des collectivités territoriales) du 12 avril 2012, p. 913, n°21080 et du 29 mars 2012, p. 790, n°21079.
(3) CA Paris, 4e ch., section A, 12 décembre 2007, n°06/20595, Ville de Paris c/ M.Simon.
(4) TGI Paris,3e ch., 2e section, 6 juillet 2007, n°06/01925, Ville de Paris c/ Association Paris sans Fil.
(5) TGI Paris, 3e ch., 1re sect., 24 nov. 2004, Sarl Studyrama c/ Ville de Paris.
(6) CA Versailles, 12e ch. 2e sect., 13 sept. 2007, SA SEM Média c/ El Hadri, Juris-Data n° 2007-346646.
(7) TGI Nanterre, ord. réf., 30 janv. 2007, Cne Levallois-Perret c/ Loic L.
Betty SFEZ
Avocat
Deleporte Wentz Avocat
www.dwavocat.com
Septembre 2012
vendredi 24 août 2012
Vente en ligne : les conditions d’opposabilité des informations contractuelles au consommateur précisées par la CJUE
De très nombreux sites de e-commerce font accepter leurs conditions contractuelles (CGU et/ou CGV) en faisant cocher une case face à un lien hypertexte renvoyant vers la page web correspondante. Cette pratique, qui était juridiquement acceptée jusqu’à maintenant, vient d’être invalidée par la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) dans un arrêt du 5 juillet 2012, qui l’estime contraire à la directive 97/7 concernant la protection des consommateurs en matière de contrats à distance. (1)
En l’espèce, la société Content Services Ltd proposait des services en ligne, dont le téléchargement de logiciels gratuits et payants et des abonnements en ligne. L’acceptation des conditions contractuelles se faisait via une case à cocher, avec un lien hypertexte vers la page des CGV du site. En cochant la case, l’internaute acceptait donc les CGV, qui mentionnaient notamment leur renonciation au droit de rétractation. Un organisme autrichien de protection des consommateurs a poursuivi Content Services devant les tribunaux autrichiens, considérant que cette société ne respectait pas les règles européennes en matière de protection des consommateurs et de conclusion des contrats à distance, notamment l’article 5 par.1 de la directive 97/7. Le tribunal autrichien a décidé de porter la demande devant la CJUE afin d’obtenir une décision préjudicielle.
En résumé, il était demandé à la CJUE de trancher la question de savoir si le fait, pour le e-commerçant, de communiquer au e-consommateur un lien hypertexte renvoyant aux conditions contractuelles consultables sur son site web, était ou non conforme aux exigences d’information du consommateur, posées par l’article 5 par. 1 de la directive.
1. La communication d’un lien hypertexte renvoyant vers une page du site web du vendeur répond-elle à l’exigence de “fourniture des informations” au sens de la directive ?
La directive 97/7/CE concerne la protection des consommateurs en matière de contrats à distance. (2) L’article 5 “Confirmation écrite des informations” dispose, au paragraphe 1 que “le consommateur doit recevoir, par écrit ou sur un autre support durable à sa disposition et auquel il a accès, confirmation des informations mentionnées à l’article 4 par. 1(…), en temps utile lors de l’exécution du contrat et au plus tard au moment de la livraison (…), à moins que ces informations n’aient déjà été fournies au consommateur préalablement à la conclusion du contrat par écrit ou sur un autre support durable à sa disposition et auquel il a accès.(…)”. (3)
Les informations devant être fournies comprennent notamment les conditions et modalités d’exercice du droit de rétractation, l’adresse géographique du fournisseur où le consommateur peut présenter ses réclamations, les informations relatives au SAV et aux garanties commerciales, les conditions de résiliation du contrat lorsque celui-ci est à durée indéterminée ou d’une durée supérieure à un an.
La directive 97/7 a été transposée en droit français, l’article 5 étant transposé à l’article L.121-19 du Code de la consommation. (4)
La première partie de la question posée à la CJUE portait sur la notion de “fourniture” des informations pertinentes au consommateur ou de “réception” de celles-ci, au sens de la directive.
En d’autres termes, le fait pour l’exploitant d’un site de e-commerce, de communiquer au consommateur un lien hypertexte qui renvoie vers les pages du site relatives aux CGV est-il suffisant et conforme aux exigences d’information de la directive ?
La réponse de la CJUE est négative. Selon les juges européens, la directive a pour objet la protection du consommateur, cette protection devant être renforcée en matière d’achat à distance. La protection du e-consommateur inclut la fourniture d’une information complète par le e-commerçant. A ce titre, le e-consommateur dispose notamment du droit de se rétracter postérieurement à son achat, sans avoir à se justifier.
La directive impose, à l’article 5, la “fourniture” des informations pertinentes au e-consommateur, ou sa “réception” de celles-ci. Les juges estiment que le consommateur ne doit pas avoir à faire d’efforts pour avoir accès à ces informations, par exemple, en devant cliquer sur un lien pour rechercher et accéder aux conditions contractuelles sur le site web, a fortiori dans la mesure où la grande majorité des utilisateurs acceptent les CGU/CGV des sites marchands quasiment automatiquement avant leur achat et ne les lisent jamais. Selon la Cour, un comportement passif des consommateurs doit suffire pour prendre effectivement connaissance des informations, sans même avoir à cliquer sur un lien pour se rendre sur une page web.
La Cour en conclut donc que lorsque ces informations ne sont accessibles que via un lien communiqué au consommateur, lesdites informations ne sont ni fournies au consommateur, ni reçues par celui-ci au sens de l’article 5 par. 1 de la directive.
2. La fourniture des informations via un lien hypertexte renvoyant vers une page du site web du vendeur répond-elle à l’exigence de “support durable” ?
L’article 5 par. 1 de la directive pose une deuxième condition en matière de fourniture des informations pertinentes au e-consommateur : celles-ci doivent être fournies par écrit ou sur un “support durable”.
Après avoir répondu à la question relative à la fourniture des informations, la Cour examine la notion de support durable. Ainsi, pour être considéré comme durable, un support doit répondre aux trois critères suivants : 1) permettre au consommateur de stocker les informations qui lui ont été adressées personnellement, 2) garantir l’absence d’altération de leur contenu ainsi que leur accessibilité pendant une durée appropriée, et 3) offrir aux consommateurs la possibilité de les reproduire telles quelles. En effet, le consommateur doit pouvoir conserver durablement les conditions contractuelles applicables à son achat afin de pouvoir y faire référence en cas de litige éventuel.
Or, selon les juges, le seul fait de renvoyer vers une page web, à partir d’un lien communiqué au consommateur, ne permet pas à celui-ci de stocker les informations dans les conditions rappelées ci-dessus. En outre, le contenu des pages web peut être modifié à tout moment par le e-commerçant. (5)
La CJUE estime donc que les informations qui sont uniquement disponibles sur un site internet, en passant par un lien hypertexte présenté par le vendeur, ne peuvent être considérées comme fournies sur un support durable, au sens de l’article 5 par. 1 de la directive.
3. Les conséquences pratiques de l’arrêt de la CJUE du 5 juillet 2012 pour les sites de e-commerce européens
L’intérêt de cette décision est qu’elle s’applique à l’ensemble des sites de e-commerce de l’Union. Or, à ce jour, de très nombreux sites de vente en ligne font accepter leurs conditions contractuelles (CGU et/ou CGV) en faisant cocher une case face à un lien hypertexte renvoyant vers la page correspondante. Les conditions peuvent parfois être téléchargées en format pdf et/ou être imprimées. D’autres sites ne prennent même pas la peine de faire accepter leurs conditions contractuelles par ce moyen, les CGV indiquant uniquement que le fait de commander un bien ou un service entraîne automatiquement l’accord des conditions contractuelles du marchand par le consommateur.
La décision de la CJUE du 5 juillet 2012 a pour effet de lever toute ambigüité sur l’opposabilité des conditions contractuelles (ou “informations pertinentes”) des e-commerçants aux e-consommateurs. Cet arrêt a pour effet de pousser la protection du e-consommateur vers un nouveau pallier, quitte à le déresponsabiliser un peu plus. Il contredit la pratique communément admise de l’acceptation des conditions contractuelles par opt-in et lien hypertexte, validée notamment par les tribunaux français. (6)
En conséquence, nombre de sites de e-commerce français et européens vont devoir adapter le mode de communication de leurs conditions contractuelles à leurs clients s’ils veulent s’assurer que ces conditions sont considérées comme effectivement acceptées par les consommateurs et qu’elles leurs sont donc opposables.
Cette adaptation s’articule autour de deux éléments : la “fourniture” effective des informations au consommateur, sur un “support durable”.
Ainsi, jusqu’à présent, les e-marchands adressaient un email de confirmation de commande au client, au contenu souvent générique. La mise en conformité aux dispositions de la directive passera, par exemple, par l’intégration en toutes lettres dans l’email de confirmation de commande des informations prévues à l’article 5 par.1 de la directive (article L.121-19 du Code de la consommation). Il est recommandé par ailleurs de faire en sorte que les CGU/CGV puissent être aisément imprimables et/ou disponibles sous format électronique non modifiable (support durable) et comprennent a minima une date d’effet, un numéro de version et/ou une empreinte d’horodatage.
A défaut de prendre ces précautions, le e-commerçant, sur qui repose la charge de la preuve de la fourniture des informations pertinentes et de la bonne exécution de ses obligations, pourra se voir imposer un droit de rétractation porté de 7 jours à 3 mois, des conditions contractuelles non opposables à ses clients, ainsi qu’une amende de 1500€ (3000€ en cas de récidive) en application de l’article R.121-1-1 du Code de la consommation.
Cette décision suscite une certaine perplexité : d’une part, rien n’obligera le consommateur à lire effectivement les conditions contractuelles lors d’un achat en ligne, quel que soit le mode de communication de ces conditions, via un lien hypertexte ou in extenso dans l’email de confirmation de commande par exemple ; d’autre part, à l’ère du m-commerce, encore moins d’acheteurs auront la volonté de lire les conditions contractuelles applicables à un achat, le plus souvent d’impulsion, sur un écran de smartphone... Le consommateur doit, certes pouvoir bénéficier d’une certaine protection contractuelle, il n’en doit pas moins prendre ses responsabilités d’acheteur, en lisant le contrat.
* * * * * * * * * * * *
(1) Arrêt CJUE 3é ch. du 5 juillet 2012, Content Services Ltd c/ Bundesarbeitskammer, aff. C-49/11
(2) Directive 97/7/CE du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 1997 concernant la protection des consommateurs en matière de contrats à distance. Cette directive doit être remplacée par la directive 2011/83 relative aux droits des consommateurs, à compter du 13 juin 2014. La directive 2011/83 reprend, à l’article 6, des dispositions relatives à l’obligation d’information concernant les contrats à distance.
(3) A noter que les dispositions de l’article 5 par. 1 ne s’appliquent pas aux services fournis en une seule fois et dont la facturation est effectuée par l’opérateur de la technique de communication.
(4) L’article L.121-19 du Code de la consommation dispose “I.-Le consommateur doit recevoir, par écrit ou sur un autre support durable à sa disposition, en temps utile et au plus tard au moment de la livraison :
1° Confirmation des informations mentionnées aux 1° à 4° de l'article L. 121-18 et de celles qui figurent en outre aux articles L. 111-1, L. 111-2 et L. 113-3 ainsi que de celles prévues pour l'application de l'article L. 214-1, à moins que le professionnel n'ait satisfait à cette obligation avant la conclusion du contrat ;
2° Une information sur les conditions et les modalités d'exercice du droit de rétractation ;
3° L'adresse de l'établissement du fournisseur où le consommateur peut présenter ses réclamations ;
4° Les informations relatives au service après vente et aux garanties commerciales ;
5° Les conditions de résiliation du contrat lorsque celui-ci est d'une durée indéterminée ou supérieure à un an.
II.-Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux services fournis en une seule fois au moyen d'une technique de communication à distance et facturés par l'opérateur de cette technique à l'exception du 3°.III.-Les moyens de communication permettant au consommateur de suivre l'exécution de sa commande, d'exercer son droit de rétractation ou de faire jouer la garantie ne supportent que des coûts de communication, à l'exclusion de tout coût complémentaire spécifique.”
(5) L’arrêt fait référence à un rapport du European Securities Markets Expert Group (ESME) de 2007 qui distinguait entre les “sites ordinaires” et les “sites sophistiqués”, considérant que certains sites sophistiqués pouvaient constituer un support durable. Ce point n’a pas été étudié plus avant par les juges dans la mesure où le site de la société Content Services n’entrait pas dans la catégorie des sites sophistiqués.
(6) Voir par exemple : CA Paris du 25 novembre 2010, SAS Karavel c/ epx Challet. Dans cette affaire, les utilisateurs contestaient, entre autre, l’opposabilité des CGV de l’exploitant du site. La Cour a estimé que le fait d’avoir coché une case mentionnant leur acceptation des CGV, celles-ci étant accessibles via un lien hypertexte, les engageait contractuellement. Ils ne pouvaient donc prétendre ne pas connaître les conditions contractuelles du site.
Bénédicte DELEPORTE
Avocat
août 2012
En l’espèce, la société Content Services Ltd proposait des services en ligne, dont le téléchargement de logiciels gratuits et payants et des abonnements en ligne. L’acceptation des conditions contractuelles se faisait via une case à cocher, avec un lien hypertexte vers la page des CGV du site. En cochant la case, l’internaute acceptait donc les CGV, qui mentionnaient notamment leur renonciation au droit de rétractation. Un organisme autrichien de protection des consommateurs a poursuivi Content Services devant les tribunaux autrichiens, considérant que cette société ne respectait pas les règles européennes en matière de protection des consommateurs et de conclusion des contrats à distance, notamment l’article 5 par.1 de la directive 97/7. Le tribunal autrichien a décidé de porter la demande devant la CJUE afin d’obtenir une décision préjudicielle.
En résumé, il était demandé à la CJUE de trancher la question de savoir si le fait, pour le e-commerçant, de communiquer au e-consommateur un lien hypertexte renvoyant aux conditions contractuelles consultables sur son site web, était ou non conforme aux exigences d’information du consommateur, posées par l’article 5 par. 1 de la directive.
1. La communication d’un lien hypertexte renvoyant vers une page du site web du vendeur répond-elle à l’exigence de “fourniture des informations” au sens de la directive ?
La directive 97/7/CE concerne la protection des consommateurs en matière de contrats à distance. (2) L’article 5 “Confirmation écrite des informations” dispose, au paragraphe 1 que “le consommateur doit recevoir, par écrit ou sur un autre support durable à sa disposition et auquel il a accès, confirmation des informations mentionnées à l’article 4 par. 1(…), en temps utile lors de l’exécution du contrat et au plus tard au moment de la livraison (…), à moins que ces informations n’aient déjà été fournies au consommateur préalablement à la conclusion du contrat par écrit ou sur un autre support durable à sa disposition et auquel il a accès.(…)”. (3)
Les informations devant être fournies comprennent notamment les conditions et modalités d’exercice du droit de rétractation, l’adresse géographique du fournisseur où le consommateur peut présenter ses réclamations, les informations relatives au SAV et aux garanties commerciales, les conditions de résiliation du contrat lorsque celui-ci est à durée indéterminée ou d’une durée supérieure à un an.
La directive 97/7 a été transposée en droit français, l’article 5 étant transposé à l’article L.121-19 du Code de la consommation. (4)
La première partie de la question posée à la CJUE portait sur la notion de “fourniture” des informations pertinentes au consommateur ou de “réception” de celles-ci, au sens de la directive.
En d’autres termes, le fait pour l’exploitant d’un site de e-commerce, de communiquer au consommateur un lien hypertexte qui renvoie vers les pages du site relatives aux CGV est-il suffisant et conforme aux exigences d’information de la directive ?
La réponse de la CJUE est négative. Selon les juges européens, la directive a pour objet la protection du consommateur, cette protection devant être renforcée en matière d’achat à distance. La protection du e-consommateur inclut la fourniture d’une information complète par le e-commerçant. A ce titre, le e-consommateur dispose notamment du droit de se rétracter postérieurement à son achat, sans avoir à se justifier.
La directive impose, à l’article 5, la “fourniture” des informations pertinentes au e-consommateur, ou sa “réception” de celles-ci. Les juges estiment que le consommateur ne doit pas avoir à faire d’efforts pour avoir accès à ces informations, par exemple, en devant cliquer sur un lien pour rechercher et accéder aux conditions contractuelles sur le site web, a fortiori dans la mesure où la grande majorité des utilisateurs acceptent les CGU/CGV des sites marchands quasiment automatiquement avant leur achat et ne les lisent jamais. Selon la Cour, un comportement passif des consommateurs doit suffire pour prendre effectivement connaissance des informations, sans même avoir à cliquer sur un lien pour se rendre sur une page web.
La Cour en conclut donc que lorsque ces informations ne sont accessibles que via un lien communiqué au consommateur, lesdites informations ne sont ni fournies au consommateur, ni reçues par celui-ci au sens de l’article 5 par. 1 de la directive.
2. La fourniture des informations via un lien hypertexte renvoyant vers une page du site web du vendeur répond-elle à l’exigence de “support durable” ?
L’article 5 par. 1 de la directive pose une deuxième condition en matière de fourniture des informations pertinentes au e-consommateur : celles-ci doivent être fournies par écrit ou sur un “support durable”.
Après avoir répondu à la question relative à la fourniture des informations, la Cour examine la notion de support durable. Ainsi, pour être considéré comme durable, un support doit répondre aux trois critères suivants : 1) permettre au consommateur de stocker les informations qui lui ont été adressées personnellement, 2) garantir l’absence d’altération de leur contenu ainsi que leur accessibilité pendant une durée appropriée, et 3) offrir aux consommateurs la possibilité de les reproduire telles quelles. En effet, le consommateur doit pouvoir conserver durablement les conditions contractuelles applicables à son achat afin de pouvoir y faire référence en cas de litige éventuel.
Or, selon les juges, le seul fait de renvoyer vers une page web, à partir d’un lien communiqué au consommateur, ne permet pas à celui-ci de stocker les informations dans les conditions rappelées ci-dessus. En outre, le contenu des pages web peut être modifié à tout moment par le e-commerçant. (5)
La CJUE estime donc que les informations qui sont uniquement disponibles sur un site internet, en passant par un lien hypertexte présenté par le vendeur, ne peuvent être considérées comme fournies sur un support durable, au sens de l’article 5 par. 1 de la directive.
3. Les conséquences pratiques de l’arrêt de la CJUE du 5 juillet 2012 pour les sites de e-commerce européens
L’intérêt de cette décision est qu’elle s’applique à l’ensemble des sites de e-commerce de l’Union. Or, à ce jour, de très nombreux sites de vente en ligne font accepter leurs conditions contractuelles (CGU et/ou CGV) en faisant cocher une case face à un lien hypertexte renvoyant vers la page correspondante. Les conditions peuvent parfois être téléchargées en format pdf et/ou être imprimées. D’autres sites ne prennent même pas la peine de faire accepter leurs conditions contractuelles par ce moyen, les CGV indiquant uniquement que le fait de commander un bien ou un service entraîne automatiquement l’accord des conditions contractuelles du marchand par le consommateur.
La décision de la CJUE du 5 juillet 2012 a pour effet de lever toute ambigüité sur l’opposabilité des conditions contractuelles (ou “informations pertinentes”) des e-commerçants aux e-consommateurs. Cet arrêt a pour effet de pousser la protection du e-consommateur vers un nouveau pallier, quitte à le déresponsabiliser un peu plus. Il contredit la pratique communément admise de l’acceptation des conditions contractuelles par opt-in et lien hypertexte, validée notamment par les tribunaux français. (6)
En conséquence, nombre de sites de e-commerce français et européens vont devoir adapter le mode de communication de leurs conditions contractuelles à leurs clients s’ils veulent s’assurer que ces conditions sont considérées comme effectivement acceptées par les consommateurs et qu’elles leurs sont donc opposables.
Cette adaptation s’articule autour de deux éléments : la “fourniture” effective des informations au consommateur, sur un “support durable”.
Ainsi, jusqu’à présent, les e-marchands adressaient un email de confirmation de commande au client, au contenu souvent générique. La mise en conformité aux dispositions de la directive passera, par exemple, par l’intégration en toutes lettres dans l’email de confirmation de commande des informations prévues à l’article 5 par.1 de la directive (article L.121-19 du Code de la consommation). Il est recommandé par ailleurs de faire en sorte que les CGU/CGV puissent être aisément imprimables et/ou disponibles sous format électronique non modifiable (support durable) et comprennent a minima une date d’effet, un numéro de version et/ou une empreinte d’horodatage.
A défaut de prendre ces précautions, le e-commerçant, sur qui repose la charge de la preuve de la fourniture des informations pertinentes et de la bonne exécution de ses obligations, pourra se voir imposer un droit de rétractation porté de 7 jours à 3 mois, des conditions contractuelles non opposables à ses clients, ainsi qu’une amende de 1500€ (3000€ en cas de récidive) en application de l’article R.121-1-1 du Code de la consommation.
Cette décision suscite une certaine perplexité : d’une part, rien n’obligera le consommateur à lire effectivement les conditions contractuelles lors d’un achat en ligne, quel que soit le mode de communication de ces conditions, via un lien hypertexte ou in extenso dans l’email de confirmation de commande par exemple ; d’autre part, à l’ère du m-commerce, encore moins d’acheteurs auront la volonté de lire les conditions contractuelles applicables à un achat, le plus souvent d’impulsion, sur un écran de smartphone... Le consommateur doit, certes pouvoir bénéficier d’une certaine protection contractuelle, il n’en doit pas moins prendre ses responsabilités d’acheteur, en lisant le contrat.
* * * * * * * * * * * *
(1) Arrêt CJUE 3é ch. du 5 juillet 2012, Content Services Ltd c/ Bundesarbeitskammer, aff. C-49/11
(2) Directive 97/7/CE du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 1997 concernant la protection des consommateurs en matière de contrats à distance. Cette directive doit être remplacée par la directive 2011/83 relative aux droits des consommateurs, à compter du 13 juin 2014. La directive 2011/83 reprend, à l’article 6, des dispositions relatives à l’obligation d’information concernant les contrats à distance.
(3) A noter que les dispositions de l’article 5 par. 1 ne s’appliquent pas aux services fournis en une seule fois et dont la facturation est effectuée par l’opérateur de la technique de communication.
(4) L’article L.121-19 du Code de la consommation dispose “I.-Le consommateur doit recevoir, par écrit ou sur un autre support durable à sa disposition, en temps utile et au plus tard au moment de la livraison :
1° Confirmation des informations mentionnées aux 1° à 4° de l'article L. 121-18 et de celles qui figurent en outre aux articles L. 111-1, L. 111-2 et L. 113-3 ainsi que de celles prévues pour l'application de l'article L. 214-1, à moins que le professionnel n'ait satisfait à cette obligation avant la conclusion du contrat ;
2° Une information sur les conditions et les modalités d'exercice du droit de rétractation ;
3° L'adresse de l'établissement du fournisseur où le consommateur peut présenter ses réclamations ;
4° Les informations relatives au service après vente et aux garanties commerciales ;
5° Les conditions de résiliation du contrat lorsque celui-ci est d'une durée indéterminée ou supérieure à un an.
II.-Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux services fournis en une seule fois au moyen d'une technique de communication à distance et facturés par l'opérateur de cette technique à l'exception du 3°.III.-Les moyens de communication permettant au consommateur de suivre l'exécution de sa commande, d'exercer son droit de rétractation ou de faire jouer la garantie ne supportent que des coûts de communication, à l'exclusion de tout coût complémentaire spécifique.”
(5) L’arrêt fait référence à un rapport du European Securities Markets Expert Group (ESME) de 2007 qui distinguait entre les “sites ordinaires” et les “sites sophistiqués”, considérant que certains sites sophistiqués pouvaient constituer un support durable. Ce point n’a pas été étudié plus avant par les juges dans la mesure où le site de la société Content Services n’entrait pas dans la catégorie des sites sophistiqués.
(6) Voir par exemple : CA Paris du 25 novembre 2010, SAS Karavel c/ epx Challet. Dans cette affaire, les utilisateurs contestaient, entre autre, l’opposabilité des CGV de l’exploitant du site. La Cour a estimé que le fait d’avoir coché une case mentionnant leur acceptation des CGV, celles-ci étant accessibles via un lien hypertexte, les engageait contractuellement. Ils ne pouvaient donc prétendre ne pas connaître les conditions contractuelles du site.
Bénédicte DELEPORTE
Avocat
août 2012
lundi 20 août 2012
Géolocalisation et protection de la vie privée : la réglementation applicable aux données collectées
La géolocalisation, fonctionnalité présente sur la plupart des smartphones, offre des possibilités d’action de marketing ciblé intéressantes pour les entreprises (commerces, services, rencontres) et pour les utilisateurs. Toutefois, cette technologie rendant possible la surveillance des déplacements d'un individu, dans le temps et dans l’espace, peut donner lieu à certaines dérives et nuire à la vie privée des mobinautes. L'exploitation de services de géolocalisation est de ce fait, encadrée par la loi. Il appartient donc aux sociétés éditrices d'applications mobiles de géolocalisation et aux sociétés utilisant ces applications d'être vigilantes lors de la mise à disposition de ce service au public. Dès que l’exploitation d’un service de géolocalisation implique la collecte et le traitement de données à caractère personnel, ce service est soumis à la réglementation sur la protection de la vie privée.
Le présent article a pour objet de rappeler brièvement le cadre juridique applicable à l’utilisation de services de géolocalisation et le rôle de la CNIL dans ce domaine.
1. Le cadre juridique de la géolocalisation
La géolocalisation consiste notamment à communiquer des informations sur une personne en fonction de sa position géographique. Aussi, dès lors qu’une application mobile implique la collecte et l’exploitation d’informations relatives à la géolocalisation des mobinautes, le traitement de ces informations, considérées comme des données à caractère personnel, doit être conforme aux règles de respect de la vie privée. Les sociétés françaises éditrices et fournisseurs d'applications mobiles de géolocalisation et les sociétés souhaitant utiliser la géolocalisation relèvent de la loi Informatique et Libertés du 6 janvier 1978, en qualité de responsable de traitement. (1)
Un certain nombre d’obligations légales s’imposent aux sociétés exploitant ou utilisant un service de géolocalisation :
1.1 Les obligations relatives aux traitements de données de géolocalisation
La géolocalisation a le plus souvent pour finalité la collecte de données à caractère personnel. Il s’agit donc d’un traitement de données devant être déclaré à la CNIL préalablement à la mise en exploitation du service. (2)
Concernant les traitements de données de géolocalisation, les sociétés exploitant ce type de service doivent :
- respecter la finalité du traitement, qui doit être déterminée, explicite et légitime ;
- obtenir l’autorisation préalable de l’utilisateur de l'application mobile pour : (i) la collecte de ses données de localisation, cette autorisation pouvant être recueillie par l'intermédiaire d'une case à cocher (opt-in) au moment du téléchargement de l’application, ou éventuellement à tout moment pour activer ou désactiver l’application ou l’option de géolocalisation, et (ii) la conservation des informations liées à ses déplacements (historique des déplacements). En outre, l’utilisateur doit pouvoir revenir sur son consentement par un moyen simple et gratuit et pouvoir supprimer les données de localisation qui le concernent ;
- informer l'utilisateur du type de données collectées, de la durée de leur conservation, de la finalité du traitement, le cas échéant, des personnes à qui les données seront transmises (par exemples, commerçants ou gestionnaire de base cartographique) et de ses droits relatifs à ses données (droits d'accès, de rectification, de contestation et d'opposition (suppression/désinscription) au traitement des données).
La durée de conservation des données collectées doit être raisonnable, en fonction de l’objectif du traitement. Enfin l'entreprise devra assurer la sécurité des informations traitées en adoptant des mesures de sécurité physiques et techniques adaptées à la nature des données et aux risques présentés. (3)
1.2 Les obligations spécifiques à la réutilisation des données à des fins marketing, ou le “géo-marketing”
Les données de géolocalisation sont parfois utilisées pour envoyer de la publicité géo-ciblée sur le téléphone du mobinaute. Ainsi, grâce à cette technologie, des sociétés envoient aux mobinautes des publicités géo-ciblées, non seulement en fonction de qui ils sont (identité, goûts, habitudes), mais également en fonction de l'endroit où ils se trouvent. Le marketing ciblé basé sur de la géolocalisation n’est pas interdit par la loi. Cependant, les utilisateurs doivent être informés de la possible réutilisation de leurs données par des annonceurs tiers à des fins commerciales, et doivent avoir donné leur consentement (opt-in) pour recevoir ces messages. (4)
1.3 Les bonnes pratiques dans la mise en oeuvre d’un service de géolocalisation
Le Groupe de travail de l'article 29 a édité un Avis en mai 2011 regroupant des bonnes pratiques pour les éditeurs d'applications mobiles de géolocalisation.
Le Groupe de l’article 29 recommande ainsi aux sociétés souhaitant déployer un service de géolocalisation (i) d’informer clairement les mobinautes des raisons (finalités) pour lesquelles elles souhaitent utiliser leurs données, et d’obtenir leur consentement pour chacune de ces raisons ; (ii) d’offrir la possibilité aux mobinautes de choisir le niveau de géolocalisation (par exemple à l’échelle d’un pays, d’une ville, d’un code postal, ou d’un quartier) ; (iii) une fois que le service de localisation est activé, de mettre en place une icône, visible en permanence sur chaque écran, indiquant que les services de localisation sont activés et (iv) d’offrir la possibilité aux mobinautes de revenir sur leur consentement à tout moment, sans avoir à quitter l’application et d'être en mesure de supprimer facilement et de manière définitive toute donnée de localisation stockée sur le dispositif. (5)
2. Les pouvoirs de la CNIL et les sanctions encourues en cas de non-conformité aux obligations légales
2.1 La mission de la CNIL
La Commission est vigilante quant aux risques pouvant résulter d'un développement généralisé et banalisé de la géolocalisation. A ce titre, la CNIL a lancé plusieurs opérations de sensibilisation à l’attention de l’ensemble des citoyens et des dirigeants d’entreprises, notamment par l’intermédiaire de son site internet, afin de rappeler les règles applicables en matière de géolocalisation.
La CNIL s'est également prononcée contre de nouveaux dispositifs de géolocalisation qui lui paraissaient contrevenir aux droits des personnes car de nature trop intrusive. Par exemple, en 2009, la CNIL a demandé à la société Google de mettre son nouveau service de géolocalisation dénommé - Google Latitude - en conformité à la loi Informatique et Libertés. En 2010, la CNIL a mis en garde les membres Facebook contre le nouveau service Facebook Lieux, permettant d'indiquer sa position géographique à tout moment à un autre internaute. Le service permettait notamment de dévoiler des informations de nature privée et protégeable, pouvant être interceptées et réutilisées par des tiers malintentionnés. (6)
2.2 Les contrôles de la CNIL et les sanctions applicables en cas de non-conformité aux obligations légales
La Commission a par ailleurs renforcé les contrôles dans les entreprises proposant des services basés sur cette technologie, afin de s’assurer du respect de la vie privée des mobinautes. En effet, la CNIL dispose de la possibilité d'effectuer des contrôles sur place (dans les locaux de l’entreprise), au cours desquels les agents de la CNIL peuvent demander communication de tout document, recueillir tout renseignement utile et accéder aux serveurs, aux programmes informatiques et aux données afin de vérifier la conformité des traitements mis en oeuvre à la loi Informatique et Libertés.
La mise en place d'un dispositif de géolocalisation en violation des règles précitées peut conduire la CNIL à prononcer, à l’égard du chef d’entreprise qui méconnaît ses obligations, un avertissement, une mise en demeure, une sanction pécuniaire d’un montant maximum de 150.000€ (300.000€ en cas de récidive) et une injonction de cesser le traitement. La CNIL peut également décider de dénoncer les infractions à la loi au procureur de la République. Les manquements à la loi Informatique et Libertés sont punis jusqu'à 5 ans d’emprisonnement et 300.000€ d’amende.
La géolocalisation offre ainsi de nouvelles opportunités pour les professionnels souhaitant développer leurs actions de marketing. Toutefois, dès que des données personnelles sont collectées, cette technologie présente des risques liés à la protection de la vie privée en raison de son caractère particulièrement intrusif. En effet, ce type de technologie peut conduire, à défaut de paramétrage du téléphone ou en cas de piratage, à la surveillance constante des mobinautes, ignorant qu’ils transmettent leur position géographique et à qui ils la transmettent. C'est à ce titre que la loi impose des obligations aux sociétés exploitant un service de géolocalisation.
En conséquence, il est recommandé aux sociétés exploitant ce type de service de s’assurer de la conformité de leurs traitements au droit de la protection des données à caractère personnel et à défaut, de prendre toutes mesures nécessaires de mise en conformité.
* * * * * * * * * *
(1) Loi n°78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, modifiée, dite Loi Informatique et Libertés.
(2) Toutefois, cette déclaration n’est pas nécessaire en cas de désignation, par l’entreprise mettant en oeuvre ce traitement, d’un Correspondant Informatique et Libertés (CIL). Le CIL veille à la conformité à la loi des traitements mis en oeuvre par l'organisme qui l'a désigné. Voir à ce sujet notre article Le Correspondant Informatique et Libertés, garant de la conformité des traitements de données personnelles à la loi, publié en décembre 2011 (http://dwavocat.blogspot.fr/2011/12/le-correspondant-informatique-et.html)
(3) Voir notamment article L.34-1-V du Code des postes et des communications électroniques.
(4) Voir notamment article L.34-5 du Code des postes et des communications électroniques.
(5) Le groupe de travail, établi en vertu de l’article 29 de la directive 95/46/CE regroupe des représentant des commissions sur le respect de la vie privée de chaque Etat-membre. Concernant la géolocalisation, voir l’Avis 13/2011 sur les services de géolocalisation des dispositifs mobiles intelligents, adopté le 16 mai 2011.
(6) Communiqué CNIL, "Contrôler Latitude", du 11 juin 2009 et Avis CNIL, "Facebook Place en questions", du 15 octobre 2010, accessibles sur le site www.cnil.fr
Bénédicte DELEPORTE – Avocat
Betty SFEZ – Avocat
Deleporte Wentz Avocat
www.dwavocat.com
Août 2012
Le présent article a pour objet de rappeler brièvement le cadre juridique applicable à l’utilisation de services de géolocalisation et le rôle de la CNIL dans ce domaine.
1. Le cadre juridique de la géolocalisation
La géolocalisation consiste notamment à communiquer des informations sur une personne en fonction de sa position géographique. Aussi, dès lors qu’une application mobile implique la collecte et l’exploitation d’informations relatives à la géolocalisation des mobinautes, le traitement de ces informations, considérées comme des données à caractère personnel, doit être conforme aux règles de respect de la vie privée. Les sociétés françaises éditrices et fournisseurs d'applications mobiles de géolocalisation et les sociétés souhaitant utiliser la géolocalisation relèvent de la loi Informatique et Libertés du 6 janvier 1978, en qualité de responsable de traitement. (1)
Un certain nombre d’obligations légales s’imposent aux sociétés exploitant ou utilisant un service de géolocalisation :
1.1 Les obligations relatives aux traitements de données de géolocalisation
La géolocalisation a le plus souvent pour finalité la collecte de données à caractère personnel. Il s’agit donc d’un traitement de données devant être déclaré à la CNIL préalablement à la mise en exploitation du service. (2)
Concernant les traitements de données de géolocalisation, les sociétés exploitant ce type de service doivent :
- respecter la finalité du traitement, qui doit être déterminée, explicite et légitime ;
- obtenir l’autorisation préalable de l’utilisateur de l'application mobile pour : (i) la collecte de ses données de localisation, cette autorisation pouvant être recueillie par l'intermédiaire d'une case à cocher (opt-in) au moment du téléchargement de l’application, ou éventuellement à tout moment pour activer ou désactiver l’application ou l’option de géolocalisation, et (ii) la conservation des informations liées à ses déplacements (historique des déplacements). En outre, l’utilisateur doit pouvoir revenir sur son consentement par un moyen simple et gratuit et pouvoir supprimer les données de localisation qui le concernent ;
- informer l'utilisateur du type de données collectées, de la durée de leur conservation, de la finalité du traitement, le cas échéant, des personnes à qui les données seront transmises (par exemples, commerçants ou gestionnaire de base cartographique) et de ses droits relatifs à ses données (droits d'accès, de rectification, de contestation et d'opposition (suppression/désinscription) au traitement des données).
La durée de conservation des données collectées doit être raisonnable, en fonction de l’objectif du traitement. Enfin l'entreprise devra assurer la sécurité des informations traitées en adoptant des mesures de sécurité physiques et techniques adaptées à la nature des données et aux risques présentés. (3)
1.2 Les obligations spécifiques à la réutilisation des données à des fins marketing, ou le “géo-marketing”
Les données de géolocalisation sont parfois utilisées pour envoyer de la publicité géo-ciblée sur le téléphone du mobinaute. Ainsi, grâce à cette technologie, des sociétés envoient aux mobinautes des publicités géo-ciblées, non seulement en fonction de qui ils sont (identité, goûts, habitudes), mais également en fonction de l'endroit où ils se trouvent. Le marketing ciblé basé sur de la géolocalisation n’est pas interdit par la loi. Cependant, les utilisateurs doivent être informés de la possible réutilisation de leurs données par des annonceurs tiers à des fins commerciales, et doivent avoir donné leur consentement (opt-in) pour recevoir ces messages. (4)
1.3 Les bonnes pratiques dans la mise en oeuvre d’un service de géolocalisation
Le Groupe de travail de l'article 29 a édité un Avis en mai 2011 regroupant des bonnes pratiques pour les éditeurs d'applications mobiles de géolocalisation.
Le Groupe de l’article 29 recommande ainsi aux sociétés souhaitant déployer un service de géolocalisation (i) d’informer clairement les mobinautes des raisons (finalités) pour lesquelles elles souhaitent utiliser leurs données, et d’obtenir leur consentement pour chacune de ces raisons ; (ii) d’offrir la possibilité aux mobinautes de choisir le niveau de géolocalisation (par exemple à l’échelle d’un pays, d’une ville, d’un code postal, ou d’un quartier) ; (iii) une fois que le service de localisation est activé, de mettre en place une icône, visible en permanence sur chaque écran, indiquant que les services de localisation sont activés et (iv) d’offrir la possibilité aux mobinautes de revenir sur leur consentement à tout moment, sans avoir à quitter l’application et d'être en mesure de supprimer facilement et de manière définitive toute donnée de localisation stockée sur le dispositif. (5)
2. Les pouvoirs de la CNIL et les sanctions encourues en cas de non-conformité aux obligations légales
2.1 La mission de la CNIL
La Commission est vigilante quant aux risques pouvant résulter d'un développement généralisé et banalisé de la géolocalisation. A ce titre, la CNIL a lancé plusieurs opérations de sensibilisation à l’attention de l’ensemble des citoyens et des dirigeants d’entreprises, notamment par l’intermédiaire de son site internet, afin de rappeler les règles applicables en matière de géolocalisation.
La CNIL s'est également prononcée contre de nouveaux dispositifs de géolocalisation qui lui paraissaient contrevenir aux droits des personnes car de nature trop intrusive. Par exemple, en 2009, la CNIL a demandé à la société Google de mettre son nouveau service de géolocalisation dénommé - Google Latitude - en conformité à la loi Informatique et Libertés. En 2010, la CNIL a mis en garde les membres Facebook contre le nouveau service Facebook Lieux, permettant d'indiquer sa position géographique à tout moment à un autre internaute. Le service permettait notamment de dévoiler des informations de nature privée et protégeable, pouvant être interceptées et réutilisées par des tiers malintentionnés. (6)
2.2 Les contrôles de la CNIL et les sanctions applicables en cas de non-conformité aux obligations légales
La Commission a par ailleurs renforcé les contrôles dans les entreprises proposant des services basés sur cette technologie, afin de s’assurer du respect de la vie privée des mobinautes. En effet, la CNIL dispose de la possibilité d'effectuer des contrôles sur place (dans les locaux de l’entreprise), au cours desquels les agents de la CNIL peuvent demander communication de tout document, recueillir tout renseignement utile et accéder aux serveurs, aux programmes informatiques et aux données afin de vérifier la conformité des traitements mis en oeuvre à la loi Informatique et Libertés.
La mise en place d'un dispositif de géolocalisation en violation des règles précitées peut conduire la CNIL à prononcer, à l’égard du chef d’entreprise qui méconnaît ses obligations, un avertissement, une mise en demeure, une sanction pécuniaire d’un montant maximum de 150.000€ (300.000€ en cas de récidive) et une injonction de cesser le traitement. La CNIL peut également décider de dénoncer les infractions à la loi au procureur de la République. Les manquements à la loi Informatique et Libertés sont punis jusqu'à 5 ans d’emprisonnement et 300.000€ d’amende.
La géolocalisation offre ainsi de nouvelles opportunités pour les professionnels souhaitant développer leurs actions de marketing. Toutefois, dès que des données personnelles sont collectées, cette technologie présente des risques liés à la protection de la vie privée en raison de son caractère particulièrement intrusif. En effet, ce type de technologie peut conduire, à défaut de paramétrage du téléphone ou en cas de piratage, à la surveillance constante des mobinautes, ignorant qu’ils transmettent leur position géographique et à qui ils la transmettent. C'est à ce titre que la loi impose des obligations aux sociétés exploitant un service de géolocalisation.
En conséquence, il est recommandé aux sociétés exploitant ce type de service de s’assurer de la conformité de leurs traitements au droit de la protection des données à caractère personnel et à défaut, de prendre toutes mesures nécessaires de mise en conformité.
* * * * * * * * * *
(1) Loi n°78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, modifiée, dite Loi Informatique et Libertés.
(2) Toutefois, cette déclaration n’est pas nécessaire en cas de désignation, par l’entreprise mettant en oeuvre ce traitement, d’un Correspondant Informatique et Libertés (CIL). Le CIL veille à la conformité à la loi des traitements mis en oeuvre par l'organisme qui l'a désigné. Voir à ce sujet notre article Le Correspondant Informatique et Libertés, garant de la conformité des traitements de données personnelles à la loi, publié en décembre 2011 (http://dwavocat.blogspot.fr/2011/12/le-correspondant-informatique-et.html)
(3) Voir notamment article L.34-1-V du Code des postes et des communications électroniques.
(4) Voir notamment article L.34-5 du Code des postes et des communications électroniques.
(5) Le groupe de travail, établi en vertu de l’article 29 de la directive 95/46/CE regroupe des représentant des commissions sur le respect de la vie privée de chaque Etat-membre. Concernant la géolocalisation, voir l’Avis 13/2011 sur les services de géolocalisation des dispositifs mobiles intelligents, adopté le 16 mai 2011.
(6) Communiqué CNIL, "Contrôler Latitude", du 11 juin 2009 et Avis CNIL, "Facebook Place en questions", du 15 octobre 2010, accessibles sur le site www.cnil.fr
Bénédicte DELEPORTE – Avocat
Betty SFEZ – Avocat
Deleporte Wentz Avocat
www.dwavocat.com
Août 2012
Inscription à :
Articles (Atom)