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vendredi 24 août 2012

Vente en ligne : les conditions d’opposabilité des informations contractuelles au consommateur précisées par la CJUE

De très nombreux sites de e-commerce font accepter leurs conditions contractuelles (CGU et/ou CGV) en faisant cocher une case face à un lien hypertexte renvoyant vers la page web correspondante. Cette pratique, qui était juridiquement acceptée jusqu’à maintenant, vient d’être invalidée par la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) dans un arrêt du 5 juillet 2012, qui l’estime contraire à la directive 97/7 concernant la protection des consommateurs en matière de contrats à distance. (1)

En l’espèce, la société Content Services Ltd proposait des services en ligne, dont le téléchargement de logiciels gratuits et payants et des abonnements en ligne. L’acceptation des conditions contractuelles se faisait via une case à cocher, avec un lien hypertexte vers la page des CGV du site. En cochant la case, l’internaute acceptait donc les CGV, qui mentionnaient notamment leur renonciation au droit de rétractation. Un organisme autrichien de protection des consommateurs a poursuivi Content Services devant les tribunaux autrichiens, considérant que cette société ne respectait pas les règles européennes en matière de protection des consommateurs et de conclusion des contrats à distance, notamment l’article 5 par.1 de la directive 97/7. Le tribunal autrichien a décidé de porter la demande devant la CJUE afin d’obtenir une décision préjudicielle.

En résumé, il était demandé à la CJUE de trancher la question de savoir si le fait, pour le e-commerçant, de communiquer au e-consommateur un lien hypertexte renvoyant aux conditions contractuelles consultables sur son site web, était ou non conforme aux exigences d’information du consommateur, posées par l’article 5 par. 1 de la directive.


1. La communication d’un lien hypertexte renvoyant vers une page du site web du vendeur répond-elle à l’exigence de “fourniture des informations” au sens de la directive ?

La directive 97/7/CE concerne la protection des consommateurs en matière de contrats à distance. (2) L’article 5 “Confirmation écrite des informations” dispose, au paragraphe 1 que “le consommateur doit recevoir, par écrit ou sur un autre support durable à sa disposition et auquel il a accès, confirmation des informations mentionnées à l’article 4 par. 1(…), en temps utile lors de l’exécution du contrat et au plus tard au moment de la livraison (…), à moins que ces informations n’aient déjà été fournies au consommateur préalablement à la conclusion du contrat par écrit ou sur un autre support durable à sa disposition et auquel il a accès.(…)”. (3)

Les informations devant être fournies comprennent notamment les conditions et modalités d’exercice du droit de rétractation, l’adresse géographique du fournisseur où le consommateur peut présenter ses réclamations, les informations relatives au SAV et aux garanties commerciales, les conditions de résiliation du contrat lorsque celui-ci est à durée indéterminée ou d’une durée supérieure à un an.

La directive 97/7 a été transposée en droit français, l’article 5 étant transposé à l’article L.121-19 du Code de la consommation. (4)

La première partie de la question posée à la CJUE portait sur la notion de “fourniture” des informations pertinentes au consommateur ou de “réception” de celles-ci, au sens de la directive.

En d’autres termes, le fait pour l’exploitant d’un site de e-commerce, de communiquer au consommateur un lien hypertexte qui renvoie vers les pages du site relatives aux CGV est-il suffisant et conforme aux exigences d’information de la directive ?

La réponse de la CJUE est négative. Selon les juges européens, la directive a pour objet la protection du consommateur, cette protection devant être renforcée en matière d’achat à distance.  La protection du e-consommateur inclut la fourniture d’une information complète par le e-commerçant. A ce titre, le e-consommateur dispose notamment du droit de se rétracter postérieurement à son achat, sans avoir à se justifier.

La directive impose, à l’article 5, la “fourniture” des informations pertinentes au e-consommateur, ou sa “réception” de celles-ci. Les juges estiment que le consommateur ne doit pas avoir à faire d’efforts pour avoir accès à ces informations, par exemple, en devant cliquer sur un lien pour rechercher et accéder aux conditions contractuelles sur le site web, a fortiori dans la mesure où la grande majorité des utilisateurs acceptent les CGU/CGV des sites marchands quasiment automatiquement avant leur achat et ne les lisent jamais. Selon la Cour, un comportement passif des consommateurs doit suffire pour prendre effectivement connaissance des informations, sans même avoir à cliquer sur un lien pour se rendre sur une page web.

La Cour en conclut donc que lorsque ces informations ne sont accessibles que via un lien communiqué au consommateur, lesdites informations ne sont ni fournies au consommateur, ni reçues par celui-ci au sens de l’article 5 par. 1 de la directive.


2. La fourniture des informations via un lien hypertexte renvoyant vers une page du site web du vendeur répond-elle à l’exigence de “support durable” ?

L’article 5 par. 1 de la directive pose une deuxième condition en matière de fourniture des informations pertinentes au e-consommateur : celles-ci doivent être fournies par écrit ou sur un “support durable”.

Après avoir répondu à la question relative à la fourniture des informations, la Cour examine la notion de support durable. Ainsi, pour être considéré comme durable, un support doit répondre aux trois critères suivants : 1) permettre au consommateur de stocker les informations qui lui ont été adressées personnellement, 2) garantir l’absence d’altération de leur contenu ainsi que leur accessibilité pendant une durée appropriée, et 3) offrir aux consommateurs la possibilité de les reproduire telles quelles. En effet, le consommateur doit pouvoir conserver durablement les conditions contractuelles applicables à son achat afin de pouvoir y faire référence en cas de litige éventuel.

Or, selon les juges, le seul fait de renvoyer vers une page web, à partir d’un lien communiqué au consommateur, ne permet pas à celui-ci de stocker les informations dans les conditions rappelées ci-dessus. En outre, le contenu des pages web peut être modifié à tout moment par le e-commerçant. (5)

La CJUE estime donc que les informations qui sont uniquement disponibles sur un site internet, en passant par un lien hypertexte présenté par le vendeur, ne peuvent être considérées comme fournies sur un support durable, au sens de l’article 5 par. 1 de la directive.


3. Les conséquences pratiques de l’arrêt de la CJUE du 5 juillet 2012 pour les sites de e-commerce européens


L’intérêt de cette décision est qu’elle s’applique à l’ensemble des sites de e-commerce de l’Union. Or, à ce jour, de très nombreux sites de vente en ligne font accepter leurs conditions contractuelles (CGU et/ou CGV) en faisant cocher une case face à un lien hypertexte renvoyant vers la page correspondante. Les conditions peuvent parfois être téléchargées en format pdf et/ou être imprimées. D’autres sites ne prennent même pas la peine de faire accepter leurs conditions contractuelles par ce moyen, les CGV indiquant uniquement que le fait de commander un bien ou un service entraîne automatiquement l’accord des conditions contractuelles du marchand par le consommateur.

La décision de la CJUE du 5 juillet 2012 a pour effet de lever toute ambigüité sur l’opposabilité des conditions contractuelles (ou “informations pertinentes”) des e-commerçants aux e-consommateurs. Cet arrêt a pour effet de pousser la protection du e-consommateur vers un nouveau pallier, quitte à le déresponsabiliser un peu plus. Il contredit la pratique communément admise de l’acceptation des conditions contractuelles par opt-in et lien hypertexte, validée notamment par les tribunaux français. (6)

En conséquence, nombre de sites de e-commerce français et européens vont devoir adapter le mode de communication de leurs conditions contractuelles à leurs clients s’ils veulent s’assurer que ces conditions sont considérées comme effectivement acceptées par les consommateurs et qu’elles leurs sont donc opposables.

Cette adaptation s’articule autour de deux éléments : la “fourniture” effective des informations au consommateur, sur un “support durable”.

Ainsi, jusqu’à présent, les e-marchands adressaient un email de confirmation de commande au client, au contenu souvent générique. La mise en conformité aux dispositions de la directive passera, par exemple, par l’intégration en toutes lettres dans l’email de confirmation de commande des informations prévues à l’article 5 par.1 de la directive (article L.121-19 du Code de la consommation). Il est recommandé par ailleurs de faire en sorte que les CGU/CGV puissent être aisément imprimables et/ou disponibles sous format électronique non modifiable (support durable) et comprennent a minima une date d’effet, un numéro de version et/ou une empreinte d’horodatage.

A défaut de prendre ces précautions, le e-commerçant, sur qui repose la charge de la preuve de la fourniture des informations pertinentes et de la bonne exécution de ses obligations, pourra se voir imposer un droit de rétractation porté de 7 jours à 3 mois, des conditions contractuelles non opposables à ses clients, ainsi qu’une amende de 1500€ (3000€ en cas de récidive) en application de l’article R.121-1-1 du Code de la consommation.


Cette décision suscite une certaine perplexité : d’une part, rien n’obligera le consommateur à lire effectivement les conditions contractuelles lors d’un achat en ligne, quel que soit le mode de communication de ces conditions, via un lien hypertexte ou in extenso dans l’email de confirmation de commande par exemple ; d’autre part, à l’ère du m-commerce, encore moins d’acheteurs auront la volonté de lire les conditions contractuelles applicables à un achat, le plus souvent d’impulsion, sur un écran de smartphone... Le consommateur doit, certes pouvoir bénéficier d’une certaine protection contractuelle, il n’en doit pas moins prendre ses responsabilités d’acheteur, en lisant le contrat.

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(1) Arrêt CJUE 3é ch. du 5 juillet 2012, Content Services Ltd c/ Bundesarbeitskammer, aff. C-49/11

(2) Directive 97/7/CE du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 1997 concernant la protection des consommateurs en matière de contrats à distance. Cette directive doit être remplacée par la directive 2011/83 relative aux droits des consommateurs, à compter du 13 juin 2014. La directive 2011/83 reprend, à l’article 6, des dispositions relatives à l’obligation d’information concernant les contrats à distance.

(3) A noter que les dispositions de l’article 5 par. 1 ne s’appliquent pas aux services fournis en une seule fois et dont la facturation est effectuée par l’opérateur de la technique de communication.

(4) L’article L.121-19 du Code de la consommation dispose “I.-Le consommateur doit recevoir, par écrit ou sur un autre support durable à sa disposition, en temps utile et au plus tard au moment de la livraison :
1° Confirmation des informations mentionnées aux 1° à 4° de l'article L. 121-18 et de celles qui figurent en outre aux articles L. 111-1, L. 111-2 et L. 113-3 ainsi que de celles prévues pour l'application de l'article L. 214-1, à moins que le professionnel n'ait satisfait à cette obligation avant la conclusion du contrat ;
2° Une information sur les conditions et les modalités d'exercice du droit de rétractation ;
3° L'adresse de l'établissement du fournisseur où le consommateur peut présenter ses réclamations ;
4° Les informations relatives au service après vente et aux garanties commerciales ;
5° Les conditions de résiliation du contrat lorsque celui-ci est d'une durée indéterminée ou supérieure à un an.
II.-Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux services fournis en une seule fois au moyen d'une technique de communication à distance et facturés par l'opérateur de cette technique à l'exception du 3°.
III.-Les moyens de communication permettant au consommateur de suivre l'exécution de sa commande, d'exercer son droit de rétractation ou de faire jouer la garantie ne supportent que des coûts de communication, à l'exclusion de tout coût complémentaire spécifique.”

(5) L’arrêt fait référence à un rapport du European Securities Markets Expert Group (ESME) de 2007 qui distinguait entre les “sites ordinaires” et les “sites sophistiqués”, considérant que certains sites sophistiqués pouvaient constituer un support durable. Ce point n’a pas été étudié plus avant par les juges dans la mesure où le site de la société Content Services n’entrait pas dans la catégorie des sites sophistiqués.

(6) Voir par exemple : CA Paris du 25 novembre 2010, SAS Karavel c/ epx Challet. Dans cette affaire, les utilisateurs contestaient, entre autre, l’opposabilité des CGV de l’exploitant du site. La Cour a estimé que le fait d’avoir coché une case mentionnant leur acceptation des CGV, celles-ci étant accessibles via un lien hypertexte, les engageait contractuellement. Ils ne pouvaient donc prétendre ne pas connaître les conditions contractuelles du site.


Bénédicte DELEPORTE
Avocat
août 2012

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