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lundi 8 juin 2020

Covid-19 – La CNIL rappelle les conditions de collecte de données de santé par les employeurs


La CNIL a rappelé aux employeurs les règles applicables à la collecte de données de santé dans le contexte du déconfinement et du retour des salariés sur leurs lieux de travail, dans une communication du 7 mai dernier. (1)

Les données concernant la santé sont définies à l’article 4 du Règlement général sur la protection des données (RGPD) comme “les données à caractère personnel relatives à la santé physique ou mentale d'une personne physique, y compris la prestation de services de soins de santé, qui révèlent des informations sur l'état de santé de cette personne.

Les données de santé sont en principe interdites de traitement (art 9 RGPD), sauf dans le cadre des exceptions prévues au RGPD, et notamment lorsque le traitement est nécessaire aux fins de la médecine préventive ou de la médecine du travail, de l'appréciation de la capacité de travail du travailleur, de diagnostics médicaux, et sous réserve que ces données soient traitées par un professionnel de la santé soumis à l’obligation de secret professionnel. (2)

La collecte de données de santé des employés par les employeurs est donc interdite, car susceptible de porter une atteinte disproportionnée à la vie privée des personnes concernées. Les employeurs souhaitant mettre en place des procédures visant à s’assurer de l’état de santé de leurs employés à leur retour sur leur lieux de travail doivent se conformer au RGPD et au droit du travail. Il leur est conseillé de suivre les conseils des services de santé au travail (SST), particulièrement pendant la durée de la crise sanitaire. (3)

  • L’obligation de sécurité des employeurs

Les employeurs sont soumis à une obligation de sécurité de leurs employés (art. L.4121-1 et R.4422-1 code du travail). Ils doivent notamment mettre en œuvre des actions de prévention des risques professionnels, mais également informer et former les salariés. Enfin l’organisation et les conditions de travail doivent être adaptés. Ainsi, il leur est demandé de mettre à leur disposition du gel hydroalcoolique et des masques pour permettre de limiter les risques de contamination, mas également réaménager les postes de travail dans le respect des règles de distanciation sociale.

L’employeur peut rappeler à ses employés travaillant au contact d’autres personnes, de remonter toute information en cas de contamination éventuelle ou avérée, auprès de lui ou des autorités sanitaires compétentes pour adapter les conditions de travail, faciliter la transmission de ces informations par la mise en place de canaux dédiés et sécurisés, favoriser les modes de travail à distance et encourager le recours à la médecine du travail. En tout état de cause, il est recommandé aux employeurs d’informer les employés sur la mise en oeuvre de dispositifs ou de traitements liés à la santé pendant la période de crise sanitaire.

  • L’obligation de sécurité des employés

Les employés sont également soumis à une obligation de sécurité en matière de santé. En application de l’article L.4122-1 du code du travail, chaque employé doit veiller à préserver sa propre santé et sécurité, ainsi que celles des personnes avec qui il peut être en contact à l’occasion de son activité professionnelle.

Pendant la pandémie, tout employé en contact avec des tiers (collègues ou public) doit informer l’employeur en cas de contamination avérée ou éventuelle. Par contre, les employés en télétravail qui seraient contaminés ne sont pas tenus d’informer leur employeur. L’arrêt de travail n’aura pas à mentionner la cause.

Seules les données de date, d’identité de la personne, de contamination suspecte ou avérée, et de mesures organisationnelles prises peuvent être traitées par l’employeur. Par contre, l’identité de la/des personne(s) infectée(s) ne doit pas être communiquée aux autres employés.

  • Les différentes pratiques pendant la crise sanitaire

- Relevés de température des employés et clients à l’entrée des locaux : les employeurs ne peuvent constituer des fichiers conservant les données de température des salariés et clients. De même, il est interdit de déployer des outils de captation automatique de température. En revanche, l’utilisation d’un thermomètre manuel (type infrarouge sans contact), sans conservation des résultats, ni autre traitement, est autorisée.

- Tests sérologiques et questionnaires de santé : selon la Direction générale du travail, les campagnes de dépistage organisées par les entreprises pour leurs salariés ne sont pas autorisées. Seuls les personnels de santé compétents, soumis au secret médical, peuvent collecter ces données.

Les autorités sanitaires peuvent collecter des données de santé, dans les limites de leurs compétences, y compris “l’évaluation et la collecte des informations relatives aux symptômes du coronavirus et des informations sur les mouvements récents de certaines personnes.”


                                                                             * * * * * * * * * * *

(1) CNIL, « Coronavirus(Covid-19) : les rappels de la CNIL sur la collecte de données personnelles par les employeurs »

(2) Règlement 2016/679 du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données (RGPD, et plus particulièrement les considérants 35, 52 à 54 et l’article 9

(3) Ordonnance n°2020-386 du 1er avril 2020 adaptant les conditions d'exercice des missions des services de santé au travail à l'urgence sanitaire et modifiant le régime des demandes préalables d'autorisation d'activité partielle


Bénédicte DELEPORTE
Avocat

Deleporte Wentz Avocat
www.dwavocat.com

Juin 2020

jeudi 13 février 2014

Enfin un cadre légal pour la vente en ligne de lunettes et lentilles de vue ?

 
Actuellement, la vente de lunettes et lentilles de vue sur internet n’est pas expressément prévue par la loi. Or, même si la législation française n’interdit pas la vente de lunettes et lentilles de vue en ligne en tant que tel, l’impossibilité en pratique - compte tenu des conditions réglementaires et sanitaires -, de vendre ces produits sur internet reste en contradiction avec les principes généraux du droit européen de libre établissement et de prestations de services.

En juin 2011, des dispositions relatives à la vente en ligne de produits d’optique-lunetterie avaient été intégrées dans le projet de loi “renforçant les droits, la protection et l’information des consommateurs”. (1) Ce projet de loi visait à satisfaire aux exigences de santé publique et à assurer la protection des consommateurs quelque soit le canal de vente, notamment en garantissant une correction adaptée de la vision lors de l’achat en ligne de produits d’optique-lunetterie. Ce projet de loi a cependant été abandonné en deuxième lecture à l’Assemblée nationale, fin décembre 2011.

Deux ans après cette première tentative, c’est en cours de débat parlementaire sur le projet de loi relatif à la consommation (ou projet de loi “Hamon”) que le Sénat a décidé d’intégrer des dispositions modifiant le Code de la santé publique. (2)

Nous rappelons ci-après les principales règles actuellement applicables à la vente de lunettes et lentilles de vue et la proposition figurant au projet de loi sur la consommation.


1. La vente de produits d’optique-lunetterie : une commercialisation strictement encadrée

Les règles applicables à la profession d’opticien et à la vente de lunettes et lentilles de vue sont définies au Code de la santé publique. (3)

La vente de lunettes et lentilles de contact de vue est notamment soumise aux conditions suivantes :

- être titulaire d’un diplôme ou certificat professionnel : la vente est réservée aux opticiens-lunetiers diplômés ;

- ne pas démarcher les clients en porte-à-porte. Le colportage de verres correcteurs est donc interdit ;

- exiger la présentation d’une ordonnance en cas de délivrance de verres correcteurs à des mineurs de moins de 16 ans, au-delà de cet âge la prescription n’est pas obligatoire.

Compte tenu des conditions applicables à la vente de lunettes et lentilles de vue, il est actuellement difficile de vendre ces produits en ligne dans le respect de la loi en vigueur.


2. Un nouveau projet de réglementation spécifique à la vente en ligne de produits d’optique-lunetterie

Les nouvelles dispositions figurant dans le projet de loi relatif à la consommation sont proches de celles proposées en 2011.

    - Les conditions de délivrance des lunettes et lentilles de vue
La délivrance de verres correcteurs et de lentilles de contact est réservée aux opticiens-lunetiers diplômés. Toutefois, concernant la vente en ligne, le texte prévoit que les vendeurs (“les prestataires concernés”) devront mettre à la disposition des internautes un opticien-lunetier apte à les conseiller. Toute personne pourra donc en principe exploiter un site web de vente de produits d'optique-lunetterie, à la condition toutefois de faire appel à un professionnel qualifié pour la fourniture d’informations et de conseils.

L'opticien (ou l’exploitant du site web) devra réclamer et vérifier l’existence d’une prescription médicale en cours de validité, quelque soit l'âge du client. L’ordonnance devra mentionner la valeur de l’écart pupillaire du patient.

En cas de délivrance de verres correcteurs de “puissance significative”, le site devra pouvoir faire une prise de mesure.

Enfin, le site devra mettre à disposition des internautes un professionnel qualifié, apte à répondre à toute demande d’informations et de conseils. La simple mise à disposition de fiches pratiques et informations en ligne ne sera pas suffisante.

Les modalités précises de la vente en ligne, à savoir, les conditions de transmission et de contrôle de validité de l’ordonnance, la prise des mesures, la délivrance de lentilles de contact aux primo-porteurs doivent être fixées par décret.

    - Les sanctions en cas de non-respect des conditions de vente en ligne des lunettes et lentilles de vue
Le projet de loi condamne d'une amende de 3.750€ toute personne qui ne respecterait pas les conditions mentionnées ci-dessus, à savoir notamment la délivrance ou la vente à distance de produits d’optique-lunetterie sans vérifier l’existence d’une ordonnance en cours de validité ou sans mettre à la disposition du client un professionnel apte à les conseiller.


Une fois le texte définitif voté, il conviendrait que les décrets d’application soient rapidement adoptés afin que ce texte puisse être effectivement appliqué par les professionnels. Ainsi, les décrets d’application devront aiguiller les professionnels sur les modalités pratiques de communication des ordonnances par les internautes. Il en va de même concernant les modalités pratiques de la délivrance de conseils personnalisés au client à distance.

Il convient enfin de noter que sans attendre l’adoption d’un cadre légal adapté, plusieurs sites internet français se sont d’ores et déjà lancés dans l’activité de vente en ligne de lunettes et de lentilles de vue. Certains sites vendent des lunettes de vue sans conditions particulières, d’autres appliquent les règles posées dans le projet de loi de 2011, ou anticipent les règles qui devraient s’appliquer lorsque la loi Hamon sera votée. La clarification des conditions de vente en ligne de lunettes et lentilles de vue sera donc la bienvenue.

A suivre donc…




Nota: la loi sur la consommation a été adoptée le 13 février 2014, concernant l'optique, dans les termes étudiés au présent article.

                                                       * * * * * * * * * * *

(1) Projet de loi n°3508, renforçant les droits, la protection et l'information des consommateurs, déposé le 1er juin 2011 et voir notre article « La vente en ligne de lunettes et lentilles de vue bientôt autorisée » (http://dwavocat.blogspot.fr/2011/10/la-vente-en-ligne-de-lunettes-et.html).

(2) Projet de loi relatif à la consommation, n°1015, déposé le 2 mai 2013 ; voir son article 17 quater du projet adopté, le 29 janvier 2014, par le Sénat, en 2e lecture.

(3) Voir les articles L.4211-4, L.4362-1 et s., L.4363-1 et s. du Code de la santé publique. Par ailleurs, les produits d’optique-lunetterie sont considérés comme des dispositifs médicaux, dont la commercialisation est régie par les articles L.5211-1 et R.5211-1 et s. du Code de la santé publique.



Betty SFEZ
Avocat

Deleporte Wentz Avocat
www.deleporte-wentz-avocat.com 

Février 2014

jeudi 14 novembre 2013

Données de santé : des obligations de sécurité spécifiques pour les professionnels de la santé

Les données de santé sont considérées comme des informations sensibles, et à ce titre, sont soumises à un haut niveau de sécurité, physique et technique. Toutefois, les médias rapportent régulièrement l'existence de fuites de données de patients, par des centres hospitaliers ou des laboratoires d'analyses médicales, retrouvées sur la Toile. (1)

Les professionnels et établissements de santé sont ainsi légalement tenus de préserver la sécurité et la confidentialité des données de leurs patients, le recours à la sous-traitance pour certains traitements de données ou leur hébergement, ne déchargeant pas les professionnels des obligations, comme vient de le rappeler la CNIL.


1. Les obligations de sécurité et de confidentialité des données des patients pesant sur les professionnels de santé

Les informations relatives à l'état de santé physique et psychique d'un patient sont considérées par la loi comme des données sensibles. Le traitement de ces données, notamment leur collecte, utilisation, communication, stockage, destruction, est soumis à des conditions particulières définies dans la loi Informatique et Libertés (art. 8, 34 et 35) et le Code de la santé publique.

Les professionnels et établissements de santé sont tenus de respecter les obligations relatives aux traitements de données à caractère personnel, en leur qualité de responsable du traitement. Parmi ces obligations, la sécurité des données constitue un impératif.

Le Code de la santé publique dispose, en outre, que toute personne prise en charge par un professionnel ou un établissement de santé a droit au respect de sa vie privée et au secret des informations la concernant. Les professionnels de santé, ainsi que ceux intervenant dans le système de santé, sont soumis au secret médical (art. L.1110-4).

Le Code de la santé publique impose aux professionnels de santé le respect de référentiels de sécurité. En pratique, ces professionnels doivent prendre toutes précautions utiles pour empêcher que les données ne soient modifiées, effacées par erreur, ou que des tiers non autorisés aient accès au traitement. Ils sont donc tenus de mettre en oeuvre :

    - des mesures de sécurité physique par un accès contrôlé aux locaux hébergeant les serveurs et par la mise en oeuvre d'une procédure d’habilitation permettant de restreindre l’accès aux seules personnes habilitées, et

    - des mesures techniques par la protection des serveurs par des firewalls, filtres anti-spam et anti-virus, l'accès aux postes de travail par des mots de passe individuels et régulièrement renouvelés, l'utilisation de la carte de professionnel de santé pour accéder aux données, le chiffrement des données, etc.

Afin de garantir la sécurité et la confidentialité des données, il est recommandé aux directeurs d'établissements de santé, publics comme privés, de sensibiliser leur personnel aux bonnes pratiques à adopter. Cette sensibilisation passera par exemple, par des plans internes de formation à la sécurité informatique et l’adoption d’une charte informatique adaptée aux outils et autres moyens informatiques mis à la disposition du personnel.

L’absence de déploiement de mesures de sécurité technique ou la négligence dans le déploiement de mesures adaptées sont considérées comme des atteintes graves à la protection de la vie privée des personnes et sont sanctionnées pénalement (jusqu'à 5 ans d’emprisonnement et 300.000€ d’amende - article 226-17 du code pénal). La violation du secret médical est punie d'un an d'emprisonnement et 15.000€ d'amende.


2. Les obligations de sécurité et de confidentialité des données de santé en cas d'externalisation

L’externalisation est entendue comme la sous-traitance à un prestataire tiers de certains types de traitements sur les données ou l’hébergement des données. Ces prestations restent soumises aux mêmes obligations de sécurité et de confidentialité. L’établissement de santé, considéré comme le responsable du traitement, doit donc s’assurer que son sous-traitant agit en conformité avec les obligations légales.

La sous-traitance  -  Le professionnel ou l'établissement de santé peut décider d'externaliser une partie du traitement des données des patients. Dans ce cas, le sous-traitant doit présenter des garanties suffisantes pour assurer la mise en oeuvre des mesures de sécurité et de confidentialité telles que prévues par la loi.

A ce titre, le contrat conclu entre le sous-traitant et le professionnel de santé doit détailler les obligations du sous-traitant en matière de protection de la sécurité et de la confidentialité des données et prévoir que le sous-traitant ne peut agir que sur instruction du responsable du traitement.

L'hébergement de données de santé par un tiers  -  En cas d’hébergement par un tiers, le professionnel ou l'établissement de santé devra s'assurer que le prestataire met en oeuvre des mesures de sécurité suffisantes. A ce titre, le professionnel de santé doit faire héberger les données de ses patients chez un prestataire agréé par le ministre chargé de la santé, conformément aux articles L.1111-8 et R.1111-9 du Code de la santé publique.

L'obtention de l’agrément est soumise à la mise en oeuvre (i) de solutions techniques, d'une organisation et de procédures de contrôle assurant la sécurité, la protection, la conservation et la restitution des données hébergées, et (ii) d'une politique de confidentialité et de sécurité. L'hébergeur doit ainsi démontrer sa capacité à assurer la confidentialité, la sécurité, l'intégrité et la disponibilité des données de santé qui lui seront confiées par les professionnels de santé.

La prestation d'hébergement fait l'objet d'un contrat avec le professionnel ou l'établissement de santé, détaillant notamment les prestations fournies et les modalités d'accès aux données.


3. Le rappel des conditions de la protection des données de santé par la CNIL


Malgré ces obligations fortes, de nombreux professionnels et établissements de santé peinent à se mettre en conformité avec la réglementation. Les professionnels des milieux hospitaliers (médecins, infirmiers, etc.), par exemple, ne sont pas toujours informés ni sensibilisés aux règles particulières devant être respectées en matière de sécurité des données. Des données de santé de patients identifiés sont régulièrement accessibles par des sous-traitants intervenant en milieu hospitalier ou dans des laboratoires d’analyses, ou ont même été rendues accessibles en ligne, par simple négligence.

A titre d’illustration, la CNIL, par une délibération du 25 septembre 2013, a mis en demeure publiquement le centre hospitalier de Saint-Malo pour non-respect de la confidentialité des données.

En l'espèce, suite à un contrôle réalisé au sein du centre hospitalier, la CNIL a constaté qu’un des prestataires avait accédé, avec l’accord de l’établissement, aux dossiers médicaux de plusieurs centaines de patients, en méconnaissance totale des dispositions du Code de la santé publique et de la loi Informatique et Libertés relatives au respect de la vie privée des patients et à la sécurité de leurs données.

Le sous-traitant avait été mandaté par le centre hospitalier pour une mission de codage des actes médicaux et paramédicaux. En effet, lors de la prise en charge d'un patient par un centre hospitalier, les actes pratiqués sont codés selon une nomenclature particulière, correspondant au code de remboursement par l'assurance maladie.

Le Code de la santé publique prévoit que les établissements doivent procéder à une analyse de leur activité pour détecter d'éventuelles erreurs de codage. Ces analyses sont généralement sous-traitées par les établissements de santé à des sociétés privées.

Or, la loi soumet le traitement de données à caractère personnel à des fins d'évaluation ou d'analyse des activités de soins et de prévention, à l'obtention d'une autorisation. La CNIL veille ainsi, par le biais de contrôles sur place, dans les établissements de santé, à ce que ces traitements ne portent pas sur les données nominatives des malades.

La mise en demeure prononcée par la CNIL a imposé au centre hospitalier de prendre des mesures garantissant la sécurité et la confidentialité des dossiers médicaux des patients pris en charge et de veiller à ce que ces dossiers ne puissent pas être accessibles aux tiers. En outre, l'établissement de santé devait justifier du respect de cette injonction auprès de la CNIL sous 10 jours.

Dans un communiqué du 17 octobre 2013, la CNIL a annoncé que le centre hospitalier s’était mis en conformité suite à la mise en demeure en mettant en oeuvre plusieurs mesures telles que la suppression de l’accès, par le sous-traitant, aux dossiers médicaux des patients, qui demeurent  désormais sous la seule autorité du médecin responsable de l'information médicale de l'établissement, et la formalisation d’une politique stricte de sécurité des systèmes d’information. (2)

Compte tenu de cette mise en conformité, la CNIL a décidé de clôturer la procédure à l’encontre du centre hospitalier de Saint-Malo.

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(1) Voir notamment les articles intitulés "Des centaines de résultats d'analyses médicales accessibles sur internet", publié sur www.rue89.com, le 10 janvier 2012 et "Fuite de données concernant une quarantaine de centres hospitaliers français", publié sur http://www.datasecuritybreach.fr/, le 31 octobre 2013.

(2) Délibération CNIL n°2013-037 du 25 septembre 2013 mettant en demeure le centre hospitalier de Saint-Malo, et Communiqué CNIL intitulé "Clôture de la mise en demeure adoptée à l’encontre du centre hospitalier de Saint-Malo" du 17 octobre 2013.



Bénédicte Deleporte - Avocat
Betty Sfez - Avocat

Deleporte Wentz Avocat
www.dwavocat.com
Novembre 2013

mardi 2 juillet 2013

E-pharmacie : les conditions de vente de médicaments sur internet enfin précisées

Les médicaments sont des produits particuliers et leur vente sur internet, bien que désormais autorisée avec l’ordonnance et le décret d’application de décembre 2012, reste très encadrée. (1)

Conformément à l’article L.5121-5 du Code de la santé publique, le gouvernement vient de publier l’arrêté relatif aux bonnes pratiques de dispensation des médicaments par voie électronique. Cet arrêté a pour objet de préciser les conditions et recommandations relatives aux sites de e-pharmacie (conception du site et exploitation) et à la vente des médicaments en ligne (présentation des produits et conditions de vente). Il doit entrer en vigueur le 12 juillet 2013. (2)

La mise en place de la réglementation relative à la vente de médicaments en ligne s’élabore cependant dans la douleur. En effet, à la suite de la publication des textes de décembre 2012, le Conseil d’Etat a rendu une ordonnance en référé le 14 février 2013 relative aux catégories de médicaments pouvant être vendus en ligne. La réglementation française se voulant plus restrictive que la directive européenne, le Conseil d’Etat a ordonné la suspension du nouvel article L.5125-4 du Code de la santé publique qui interdisait la vente en ligne non seulement aux médicaments soumis à prescription obligatoire, mais également à une partie des médicaments en vente libre. (3) Or, la vente en ligne devait être autorisée pour tous les médicaments vendus sans ordonnance. Par ailleurs, le premier projet d’arrêté, datant de février, avait fait l’objet d’un avis défavorable de la part de l’Autorité de la concurrence. En effet, ce projet comportait plusieurs mesures restrictives de concurrence, jugées non justifiées par des considérations de santé publique (notamment interdiction de vente, sur le même site, de médicaments et de produits de para-pharmacie, ou restrictions en matière de liberté des prix). (4)

L’arrêté du 20 juin 2013 a levé ces restrictions. Nous rappelons ci-après les principales dispositions de cet arrêté, à savoir les conditions spécifiques relatives à la conception et à l’exploitation d’un site de e-pharmacie, à l’exercice de l’activité de e-pharmacien et à la vente de médicaments en ligne.


1. La conception et l’exploitation du site de e-pharmacie

Afin de respecter les particularités liées à la profession de pharmacien (profession réglementée), et à la vente de médicaments (produits particuliers), le site de e-pharmacie doit respecter certaines obligations de nature technique et interdictions, en sus des règles généralement applicables à la création et à l’exploitation d’un site de commerce électronique.

- L’exploitation du site de e-pharmacie : l’ordonnance de décembre 2012 réserve l’exploitation des sites de e-pharmacie aux pharmaciens titulaires d’une officine. La création du site est soumise au dépôt d’une demande d’autorisation auprès du directeur général de l’Agence Régionale de Santé (DGARS) ainsi que l’information du Conseil de l’Ordre des pharmaciens. (5)

L’arrêté de juin 2013 fixe des règles supplémentaires devant être respectées par le pharmacien souhaitant se lancer dans le commerce de médicaments en ligne.

L’exploitation d’un site de e-pharmacie est soumise à certaines interdictions justifiées par le souci de préserver l’indépendance professionnelle du pharmacien, le secret professionnel,  la communication d’informations neutres et objectives, conformément aux règles de déontologie décrites dans le Code de la santé publique.

Il est interdit au e-pharmacien :
    - de faire financer la création et l'exploitation du site par une entreprise produisant ou commercialisant des produits de santé (laboratoire pharmaceutique),
    - de sous-traiter à un tiers l'activité de vente par internet, à l'exception de la conception et de la maintenance techniques du site,
    - de recourir à des techniques de référencement payant via des moteurs de recherche ou des comparateurs de prix.

Enfin, sont interdits les liens hypertextes vers les sites des entreprises pharmaceutiques et les forums de discussion.

- Le choix du nom de domaine
: le e-pharmacien n’a pas une liberté totale de choix du nom de domaine pour sa pharmacie en ligne. L’arrêté “recommande” que l'adresse du site internet comprenne le nom du pharmacien, éventuellement accolé à celui de l'officine. Ainsi, le nom de domaine ne doit pas être fantaisiste, ni tromper le patient sur le contenu du site, ou avoir un objectif promotionnel.

En outre, le nom de domaine doit évidemment respecter la réglementation en vigueur et notamment les dispositions du Code des postes et communications électroniques.

- Les mentions légales obligatoires : le site de e-pharmacie doit comporter des informations relatives à l’identification de l’exploitant du site conformément aux règles énoncées dans la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN du 21 juin 2004), complétées par les informations spécifiques telles que le numéro Répertoire Partagé des Professionnels de Santé du pharmacien, le numéro de licence de la pharmacie. Le site doit également intégrer des liens hypertextes vers les sites internet de l'Ordre national des pharmaciens et du Ministère chargé de la santé (qui tiennent à jour une liste des sites internet de pharmacies autorisés) et celui de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé.

- Le contenu du site de e-pharmacie
: Le site n’est pas limité à la seule vente de médicaments. Le e-pharmacien pourra ainsi proposer à la vente en ligne toutes les autres gammes de produits vendues dans son officine, notamment les produits de para-pharmacie, de soin ou vétérinaires par exemple.

Le site devra cependant comporter un onglet spécifique à la vente de médicaments, afin de distinguer clairement les médicaments des autres produits vendus par le e-pharmacien.

Un espace privé pour chaque client-patient doit pouvoir être créé. Ce compte personnel du client récapitulera l’intégralité des commandes et des échanges avec le pharmacien.


2. L’exercice de l'activité d’e-pharmacien

L’activité de e-pharmacien s’exerce dans le prolongement de celle de pharmacien. Ainsi, comme mentionné ci-dessus, le pharmacien qui exploite un site de vente en ligne reste soumis à la réglementation prévue au Code de la santé publique, qui vient s’ajouter à celle relative au commerce électronique.

L’arrêté de juin 2013 prévoit plusieurs obligations spécifiques à la charge du e-pharmacien.

- La prolongation de l’obligation d’information et de conseil du patient, en ligne : la vente de médicaments en ligne est soumise à la possibilité d’établir un échange interactif et personnalisé entre le pharmacien et le patient avant la validation de la commande. Les réponses automatisées aux questions des patients ne permettent pas d’assurer une information pertinente et un conseil adapté aux besoins du patient.

Le e-pharmacien doit s'assurer de l'adéquation de la commande à l'état de santé du patient.  Pour ce faire, le site de e-pharmacie doit intégrer les éléments suivants : 
    - un questionnaire à remplir obligatoirement par le patient avant la validation de sa première commande en ligne. Ce questionnaire, dans lequel le patient renseigne son âge, son poids, etc. est validé par le e-pharmacien avant la validation de la commande ;
    - un dispositif technique, sécurisé et assurant la confidentialité des échanges, permettant le dialogue entre le pharmacien et le patient, par email ou tchat.

Outre le conseil et l'information au stade de la commande, le patient doit pouvoir poser des questions complémentaires au e-pharmacien, qui a l'obligation d'y répondre, via email ou tchat. Tous les échanges entre le e-pharmacien et le patient sont tracés, chiffrés et archivés.

- Le contrôle pharmaceutique
: le contrôle de la quantité de médicaments à délivrer au patient est réalisé par le pharmacien. Un dispositif de blocage des commandes doit être mis en place sur le site pour éviter le dépassement de la quantité maximale autorisée. Une quantité minimale d'achat ne peut être exigée et le patient doit pouvoir ne commander qu'une seule boîte d'un médicament. Le e-pharmacien assure personnellement la délivrance et contrôle que le médicament qu'il délivre est bien celui commandé.

- La protection des données personnelles des patients : les données de santé sont des données considérées comme sensibles, faisant l'objet d'une protection renforcée. En qualité de responsable du traitement, le e-pharmacien est soumis aux dispositions de la loi Informatique et Libertés du 6 janvier 1978.


3. Les conditions de vente en ligne des médicaments

Hormis les règles généralement applicables à la vente en ligne, l’arrêté prévoit des conditions spécifiques additionnelles pour la vente de médicaments en ligne.

- Catégorie de médicaments autorisés à la vente en ligne
: l’arrêté du juin 2013 confirme la catégorie de médicaments pouvant être vendus sur internet, à savoir les médicaments “de médication officinale qui peuvent être présentés en accès direct au public en officine, ayant obtenu l'autorisation de mise sur le marché (…)”. Les médicaments soumis à prescription obligatoire restent exclus de la vente sur internet.

- La présentation des produits en ligne
: les conditions de présentation des médicaments sont strictement encadrées, de manière à rester neutres, claires, non trompeuses et informatives. L’arrêté précise ainsi les informations devant figurer sur les fiches produits,  telles que les dénominations de fantaisie et commune du médicament, les indications thérapeutiques de l'autorisation de mise sur le marché, etc. ainsi que la manière de classer les médicaments (par catégorie générale d'indication - douleurs, fièvre, nausées, toux… - puis de substances actives).

- Les prix : l'affichage du prix doit être visuellement identique pour chaque médicament afin d'éviter toute promotion ou mise en avant d'un médicament par rapport à un autre. Les frais de livraison sont en sus et précisés au moment de la commande.

- Les conditions de vente des médicaments : la vente de médicaments est soumise à des conditions spécifiques.

    - L’âge minimum du client : la vente de médicaments en ligne est réservée aux personnes ayant au moins 16 ans.

    - Les conditions générales de vente : la vente des médicaments en ligne est soumise à des conditions générales de vente (CGV). Les CGV doivent avoir été effectivement acceptées par le client-patient avant la conclusion de la commande, ou au plus tard avant le paiement. Ces conditions sont clairement présentées et facilement accessibles pour le patient.

Il est à préciser que le consommateur qui achète des médicaments en ligne ne bénéficie pas du droit de rétractation. L'absence du droit de rétractation doit être indiquée de manière claire dans les CGV et rappelée avant la validation de la commande.

    - La préparation de la commande et la livraison : les délais de traitement de la commande et de livraison sont précisés au patient. La préparation des commandes ne peut se faire qu'au sein de l'officine, dans un espace adapté à cet effet.

Le médicament est envoyé dans un paquet scellé par l'officine de pharmacie, sous la responsabilité du pharmacien. Le patient peut également se déplacer à l'officine pour prendre livraison de la commande.

    - Les réclamations : en cas d'erreur de délivrance (erreur de produit ou produit détérioré), le e-pharmacien doit rembourser le patient selon les modalités décrites dans les CGV.


Ainsi, les sites de e-pharmacie peuvent proposer à la vente, non seulement les médicaments non soumis à ordonnance, mais également les autres produits proposés dans l’officine. Le site internet de e-pharmacie devient ainsi le prolongement virtuel d’une officine de pharmacie.

La e-pharmacie est cependant très encadrée depuis la conception du site web jusqu’aux conditions de vente. Aussi, avant de se lancer dans la vente de médicaments en ligne, il est recommandé aux e-pharmaciens de s’assurer de la conformité du site et des modalités de vente aux règles mentionnées ci-dessus ainsi qu’aux règles propres au commerce électronique, sans oublier les règles professionnelles et déontologiques inscrites dans le Code de la santé publique.
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(1) Ordonnance n°2012-1427 du 19 décembre 2012 relative au renforcement de la sécurité de la chaîne d'approvisionnement des médicaments, à l'encadrement de la vente de médicaments sur internet et à la lutte contre la falsification de médicaments ; Décret n°2012-1562 du 31 décembre 2012 relatif au renforcement de la sécurité de la chaîne d’approvisionnement des médicaments et à l’encadrement de la vente de médicaments sur internet. Articles L.4211-1, L.5122-6-1, L.5125-33 et s., R.5125-26 et R.5125-70 et s. CSP.

(2) Arrêté n°AFSP1313848A du 20 juin 2013 relatif aux bonnes pratiques de dispensation des médicaments par voie électronique.

(3) Ordonnance du Conseil d’Etat n°365459 du 14 février 2013

(4) Avis de l’Autorité de la concurrence n°13-A-12 du 10 avril 2013 relatif à un projet d’arrêté de la ministre des affaires sociales et de la santé relatif aux bonnes pratiques de dispensation des médicaments par voie électronique

(5) Voir notre article “La nouvelle réglementation française sur la vente de médicaments sur internet”, publié sur notre Blog le 14 janvier 2013 (http://dwavocat.blogspot.fr/2013/01/la-nouvelle-reglementation-francaise.html).





Article publié sur le Journal du Net le 3/07/2013


Bénédicte DELEPORTE – Avocat
Betty SFEZ – Avocat

Deleporte Wentz Avocat
www.dwavocat.com
Juillet 2013

lundi 14 janvier 2013

La nouvelle réglementation française sur la vente de médicaments sur internet

Bien que jusqu'à présent le Code de la santé publique (CSP) n’interdisait pas expressément la vente de médicaments en ligne, ce mode de distribution n’était pas pour autant autorisé dans la mesure où les dispositions légales ne permettaient pas en pratique d’utiliser ce canal de vente en France.

Suite à l'adoption de la directive européenne du 8 juin 2011 autorisant la vente de médicaments sur internet, la plupart des pays voisins de la France avaient adopté une législation en la matière, autorisant la vente de médicaments sans et/ou avec prescription, et s'appuyant ou non sur une officine physique.

La vente de médicaments sur internet est désormais prévue par la loi depuis fin décembre 2012, avec la publication de l’ordonnance du 19 décembre 2012 et du décret du 31 décembre.


1. Le cheminement vers l'adoption d'un cadre légal, sous la pression de l'Union européenne

L’encadrement de la vente de médicaments par internet est l’aboutissement d’un long processus, démarré avec l’arrêt DocMorris de la CJCE en 2003 pour arriver à la Directive du 8 juin 2011.

    1.1 La reconnaissance de la validité de la vente des médicaments sur internet : l’arrêt DocMorris
Le 11 décembre 2003, la Cour de Justice des Communautés européennes (CJCE) a rendu une décision reconnaissant le droit de vendre des médicaments sur internet. (1) Cette affaire opposait une association allemande (DAV) ayant pour but la défense des intérêts de la profession de pharmacien, à la société néerlandaise DocMorris qui pratiquait la vente de médicaments en officine traditionnelle aux Pays-Bas mais également sur internet. Le site internet était traduit en allemand et offrait la possibilité d'être livré en médicaments, soumis ou non à prescription médicale, en Allemagne. Or, la législation allemande interdisait la vente à distance de médicaments, dont la délivrance était réservée exclusivement aux pharmaciens, et qualifiait d'illégale toute publicité pour la vente de médicaments par correspondance.

Interrogée sur la validité de la réglementation allemande, la CJCE a jugé qu'une telle interdiction constituait une restriction à la libre circulation des marchandises. Cependant, la Cour a distingué entre médicaments soumis à prescription médicale, considérant qu'une telle restriction de vente était justifiée par la nécessité de protéger la santé et la vie des personnes, et les médicaments non soumis à prescription médicale.

Concernant les médicaments non soumis à prescription médicale, la CJCE estime que l’interdiction de vente à distance n'est pas justifiée, dans la mesure où rien ne permet de considérer que les pharmacies virtuelles ne permettent pas de satisfaire aux obligations d'information et de conseil lors de l'achat de ces médicaments.

    1.2 La résolution du Conseil de l’Europe sur les bonnes pratiques à adopter en en matière de distribution de médicaments par correspondance
Partant du constat que de plus en plus d’États membres de l’Union européenne autorisaient la vente de médicaments à distance, et que les patients, désireux d’obtenir facilement et rapidement les médicaments dont ils ont besoin, devaient pouvoir le faire en toute confiance, le Conseil de l’Europe a adopté en 2007 une résolution recommandant aux Etats membres d'adopter des normes garantissant la sûreté de la vente de médicaments à distance, la sécurité du patient et la qualité des médicaments délivrés. (2)

    1.3 Dernière étape : la directive du 8 juin 2011 autorisant la vente de médicament sur Internet
La Directive du 8 juin 2011 impose aux Etats membres de permettre la vente à distance au public de médicaments, tout en leur laissant la possibilité d’interdire la vente à distance pour les médicaments soumis à prescription. (3) La Directive prévoit notamment que la vente de médicaments sur internet est réservée (i) aux personnes autorisées ou habilitées, en conformité avec la législation de l’Etat membre dans lequel elles sont établies, et (ii) aux médicaments respectant la législation nationale de l'Etat membre de destination.

En outre, pour aider le grand public à identifier les sites internet mettant légalement en vente des médicaments, la directive prévoit la création d’un logo commun à l’ensemble de l’Union européenne renseignant, en outre, sur l’Etat membre dans lequel est établi le pharmacien.

Enfin, les Etats membres doivent mettre en place un site internet comportant notamment la liste des pharmaciens et des sites web proposant des médicaments en ligne, et des informations générales sur les risques liés aux médicaments fournis illégalement au public.

La directive devait être transposée dans les droits des Etats membres avant le 2 janvier 2013. La France s’est mise en conformité en décembre 2012.


2. Le nouveau cadre juridique de la vente de médicaments par internet


Par ordonnance et décret publiés fin décembre 2012, modifiant le Code de la santé publique, le gouvernement vient d'encadrer la vente de médicaments en ligne. (4)

La vente de médicaments en ligne est ainsi soumise à des conditions spécifiques, édictées par la nouvelle réglementation applicable. S’agissant de vente à distance, les règles relatives au commerce électronique s’appliquent également à la vente de médicament sur internet.

    2.1 Les principales conditions de la vente en ligne de médicaments 
La vente en ligne de médicaments est soumise aux conditions suivantes :

- La création d'un site web destiné à la vente de médicaments est réservée aux pharmaciens titulaires d'une officine (et aux pharmaciens gérants de pharmacies mutualistes ou de secours minière). Les pharmaciens adjoints, ayant reçu délégation du pharmacien d'officine, peuvent participer à l'exploitation du site internet de l'officine de pharmacie. Enfin, les pharmaciens remplaçants de titulaires d'officine, ou gérants d'officine après décès du titulaire, peuvent poursuivre l’exploitation du site de l'officine, créé antérieurement.

- Seuls les médicaments pouvant être présentés "en accès direct" au public en officine (médicaments “OTC” ou “over the counter”) ayant obtenu une autorisation de mise sur le marché peuvent être proposés à la vente en ligne. A contrario, l’interdiction de vente en ligne est maintenue pour les médicaments délivrés sur ordonnance.

- La création d'un site internet est soumise au dépôt d’une demande d'autorisation auprès du directeur général de l'Agence Régionale de Santé (DGARS) dans le ressort duquel est située l'officine.

- Dans les 15 jours suivant la date d'autorisation du DGARS, le pharmacien doit informer le Conseil de l'Ordre dont il relève, de la création du site internet. L'Ordre national des pharmaciens tiendra à jour une liste des sites internet autorisés et la mettra à la disposition du public sur son site web.

- Dans un souci de sécurité et d’information du public, la nouvelle réglementation prévoit que le site internet doit intégrer les coordonnées de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM, successeur de l’Afssaps), un lien hypertexte vers le site de l'Ordre national des pharmaciens et du Ministère chargé de la santé, ainsi que le logo communautaire, qui devra être affiché sur chaque page du site internet.

- Enfin, la nouvelle réglementation prévoit que toute commande livrée en dehors de l'officine ne peut être remise qu'en paquet opaque et scellé portant le nom et l'adresse de l'acheteur, de telle sorte que le destinataire puisse s'assurer qu'il n'a pu être ouvert par un tiers. En outre, il incombe au pharmacien de veiller à ce que les conditions de transport soient compatibles avec la bonne conservation des médicaments et que toutes explications et recommandations soient mises à la disposition du patient.

    2.2 Le nécessaire respect des règles de la vente à distance

A ces règles spécifiques s’ajoutent les règles du commerce électronique, telles que prévues notamment par la Loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) du 21 juin 2004, les règles en matière de protection du consommateur et de la santé publique, ainsi que les règles relatives à la protection des données personnelles ou à la publicité.

- L’information du consommateur : ainsi, bien que non rappelé par la nouvelle réglementation, les sites de vente de médicaments devront contenir, outre les informations relatives aux mises en garde en matière de consommation de médicaments, les informations légales en matière de vente à distance aux consommateurs. Ces règles imposent notamment que l'exploitant d'un site internet s'identifie clairement auprès des internautes et que les caractéristiques essentielles des produits mis en vente, leur prix, leurs conditions de vente et de livraison soient précisés.

- La conclusion du contrat de vente en ligne : la loi ne prévoit pas de conditions spécifiques à la commande de médicaments sur internet. Il appartiendra cependant au pharmacien de respecter les règles relatives à la vente à distance prévues par le Code civil et le Code de la consommation. Ces règles prévoient notamment que pour passer commande, l'internaute doit avoir pris connaissance et effectivement accepté les conditions générales de vente.

- Les règles relatives à la publicité : en matière de vente de médicaments en ligne, il appartiendra aux pharmaciens d'être vigilants en matière de prospection commerciale et d'e-mailing. En effet,  conformément aux articles L.5125-25 et R.5125-28 CSP, il leur est interdit de solliciter des commandes auprès du public et d'avoir recours à des moyens de fidélisation de la clientèle.

- Le régime de responsabilité applicable au pharmacien en ligne : le pharmacien est responsable du contenu du site internet qu'il édite et des conditions dans lesquelles est exercée l'activité de commerce électronique de médicaments. En cas de manquement aux règles précitées et aux "bonnes pratiques de dispensation" définies par l'ANSM, le DGARS territorialement compétent peut mettre le pharmacien fautif en demeure de se conformer à ses prescriptions. A défaut de mise en conformité, le DGARS peut prononcer (i) la fermeture temporaire du site internet, pour une durée maximale de 5 mois et/ou (ii) une amende dont le montant ne peut être supérieur à 30% du chiffre d'affaires réalisé par la pharmacie dans le cadre de l'activité de commerce électronique, dans la limite d'un million d'euros.


La transposition des dispositions de la directive européenne en droit français fournit désormais un cadre légal à la vente de médicaments OTC en ligne. Cette nouvelle réglementation est cependant vivement critiquée par l'Ordre des pharmaciens qui s’est prononcé via un communiqué, dès le 20 décembre 2012.

Mettant en avant la priorité d’assurer la sécurité du patient, l’Ordre des pharmaciens rappelle notamment que le médicament n’est pas un bien de consommation ordinaire, rien ne pouvant remplacer les conseils dispensés en officine.

Cependant, d’une part, seuls les médicaments OTC peuvent être vendus en ligne. D’autre part, rien n’empêche le site d’intégrer un service de prise de contact avec un pharmacien pour se faire dispenser les conseils nécessaires.

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(1) CJCE, 11 décembre 2003, Aff. C-322/01, Deutscher Apothekerverband EV / 0800 DocMorris NV et Jacques Waterval.

(2) Résolution ResAP(2007)2 sur les bonnes pratiques en matière de distribution de médicaments par correspondance, visant à protéger la sécurité des patients et la qualité des médicaments délivrés.

(3) Directive n°2011/62/UE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2011 modifiant la directive n°2001/83/CE instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain, en ce qui concerne la prévention de l’introduction dans la chaîne d’approvisionnement légale de médicaments falsifiés

(4) Ordonnance n°2012-1427 du 19 décembre 2012 relative au renforcement de la sécurité de la chaîne d'approvisionnement des médicaments, à l'encadrement de la vente de médicaments sur internet et à la lutte contre la falsification de médicaments. Décret n°2012-1562 du 31 décembre 2012 relatif au renforcement de la sécurité de la chaîne d’approvisionnement des médicaments et à l’encadrement de la vente de médicaments sur internet. Articles L.4211-1, L.5122-6-1, L.5125-33 et s., R.5125-26 et R.5125-70 et s. CSP.



Bénédicte DELEPORTE – Avocat
Betty SFEZ – Avocat

Deleporte Wentz Avocat
www.dwavocat.com

Janvier 2013

mardi 8 janvier 2013

Marques de vins et alcools : ne pas négliger les règles relatives à la publicité

Le choix, par un producteur, négociant ou commerçant, d'une marque désignant une boisson alcoolique, est soumis à plusieurs conditions relatives au droit des marques et aux règles applicables aux appellations d'origine, notamment prévues par le Code de la propriété intellectuelle. Ainsi, pour être valable, la marque choisie pour identifier un vin ou un alcool doit être distinctive, non trompeuse, disponible et ne pas porter atteinte aux appellations d'origine. (1)

En sus de ces conditions, les marques désignant des vins et alcools doivent respecter des règles particulières en matière de publicité, définies au Code de la santé publique. Ces règles, qui viennent d'être rappelées par la Cour de cassation, doivent être prises en compte avant d’entreprendre la procédure de dépôt d'une marque désignant des vins et alcools.


1. Rappel des règles en matière de publicité désignant des vins et alcools

Le droit des marques est régi par le principe de spécialité, en vertu duquel une marque n'est protégée que pour les produits ou services désignés. Deux marques identiques peuvent donc coexister à condition qu'elles désignent des produits ou services différents et qu’elles ne créent pas de confusion dans l’esprit du public.

Ce principe de spécialité connaît une exception en matière de marque de vins et d'alcools. Ainsi, le dépôt d’une marque désignant un vin ou alcool, postérieurement à une marque identique désignant un autre produit, est considéré comme portant atteinte au droit d’exploitation du titulaire antérieur, dans la mesure où les règles applicables à la marque pour la boisson alcoolique vont limiter le champ d’exploitation de la marque antérieure.

En effet, la publicité directe ou indirecte en faveur des boissons alcooliques fait l'objet d'une réglementation très stricte. Ce type de publicité est généralement prohibé, sauf dans les cas expressément autorisés par l'article L.3323-2 du Code de la santé publique (CSP). (2)

Lorsque la publicité est autorisée (selon le type de média, les créneaux horaires, etc.), les éléments composant cette publicité sont limitativement définis à l’article L.3323-4 du CSP et comprennent l’indication du degré volumique d'alcool, de l'origine, de la composition du produit, du nom du fabricant, du mode d'élaboration, des modalités de vente et du mode de consommation du produit, des références relatives aux terroirs de production, d'un message sanitaire précisant que “l'abus d'alcool est dangereux pour la santé”, etc.

Aux termes de l’article L.3323-3 al.1 du CSP, la publicité indirecte consiste notamment en toute publicité en faveur d'un produit ou d'un article autre qu'une boisson alcoolique qui, par l'utilisation  d'une marque, d'un emblème publicitaire ou d'un autre signe distinctif, rappelle une boisson alcoolique. (3)

Ces dispositions interdisent donc ou restreignent automatiquement toute publicité pour des produits couverts par le même signe qu'une marque d'alcool. Elles limitent ainsi les possibilités d'exploitation d'une marque antérieure désignant des produits autres que des alcools, dès lors qu'un signe identique est déposé ultérieurement pour désigner des boissons alcooliques.

C'est sur ce fondement que la Cour de cassation vient de confirmer l’annulation d'une marque désignant des boissons alcooliques.


2. La récente confirmation de l’annulation de la marque DIPTYQUE déposée par la société Hennessy

La société Diptyque, ayant pour activité la fabrication et la commercialisation de bougies parfumées et d'eaux de toilette, avait déposé la marque DIPTYQUE pour désigner des produits et services en lien avec son activité commerciale. Postérieurement à ce dépôt, la société Hennessy a déposé une marque identique pour désigner un cognac. La société Hennessy, refusant de procéder au retrait de sa marque et de retirer du marché les cognacs qu'elle commercialisait sous cette dénomination, a été assignée par la société Diptyque sur le fondement du droit des marques et des règles relatives à la publicité.

Dans un arrêt du 26 octobre 2011, la Cour d'appel de Paris avait prononcé la nullité de la marque DIPTYQUE désignant des boissons alcooliques, au motif que le titulaire de la marque antérieure  DIPTYQUE, désignant des produits cosmétiques et luminaires, ne pouvait plus promouvoir librement ses propres produits et exercer pleinement son droit de propriété sur sa marque. Selon la Cour d’appel, cette situation portait atteinte aux droits dont jouissait la société Diptyque avant le dépôt de la marque litigieuse, justifiant l'annulation de cette dernière.

La société Hennessy s’est alors pourvue en cassation afin de faire casser l’arrêt déclarant la nullité de sa marque DIPTYQUE et l’interdiction de commercialiser des boissons alcooliques sous cette dénomination.

La société Hennessy reprochait à la Cour d’appel d'avoir appliqué un raisonnement trop théorique et de ne pas avoir analysé les faits de l'espèce, à savoir les marchés visés par ces produits et l’absence de confusion.

Plusieurs raisons étaient avancées par Hennessy :

    - La publicité faite par la société Diptyque pour ses produits ne s'apparente pas à de la publicité indirecte en faveur de boissons alcoolisées au sens de l'article L.3323-3 CSP. Selon la société Hennessy, la nature des produits en cause, les clientèles et les réseaux de distribution des produits sont si distincts que la publicité faite pas la société Diptyque ne saurait "rappeler les boissons alcooliques" de la société Hennessy. Il ne peut y avoir de confusion entre les bougies et eaux de toilette dont la promotion est assurée essentiellement dans des magazines de mode et décoration et le cognac commercialisé sous la marque DIPTYQUE ;

    - Quand bien même cette publicité serait qualifiée de publicité indirecte en faveur des boissons alcoolisées, au sens de l'article L.3323-3 CSP, cette forme de publicité est autorisée dans la presse écrite (sauf publications destinées à la jeunesse) par l'article L.3323-2 du même code. Or, en l'espèce, la société Diptyque fait de la publicité pour ses produits dans des magazines de mode et décoration. Aussi, la société Hennessy estime que le dépôt de la marque DIPTYQUE pour désigner des boissons alcoolisées et l'usage de cette marque ne peut entraîner une quelconque entrave à la publicité des produits de la société Diptyque dans la presse écrite correspondant aux consommateurs de ces produits (magazines de mode ou de décoration).

Dans un arrêt du 20 novembre 2012, la Cour de cassation rejette ces arguments, en faveur d'une interprétation stricte des règles en matière de publicité. (4)

La Cour considère que la publicité faite par la société Diptyque pour ses produits constitue une publicité indirecte en faveur de boissons alcooliques et rappelle à ce titre qu'en vertu de l'article L3323-3 CSP, est "considérée comme publicité indirecte en faveur d'une boisson alcoolique et comme telle, soumise aux restrictions prévues à l'article L.3323-2 (CSP), la publicité en faveur d'un produit autre qu'une boisson alcoolique qui par l'utilisation d'une marque, rappelle une telle boisson".

La Cour constate que la société Diptyque avait, depuis le 1er janvier 1990, mis sur le marché sous sa marque DIPTYQUE divers produits autres que des boissons alcooliques, et que la société Hennessy faisait usage d'une marque identique pour commercialiser des boissons alcooliques. Elle conclut alors que la "Cour d'appel, en a exactement déduit, sans avoir à faire d'autres recherches, que le dépôt de la marque DIPTYQUE par la société Hennessy et la commercialisation de produits sous celle-ci créaient une entrave à la libre utilisation de la marque première". La Cour a donc rejeté le pourvoi formé par la société Hennessy et confirmé la décision de la Cour d’appel de Paris, à savoir, l’annulation de la marque DIPTYQUE déposée par la société Hennessy.


En conséquence, compte tenu de la réglementation et de son application jurisprudentielle, il est vivement recommandé aux producteurs, négociants ou distributeurs souhaitant déposer une marque pour promouvoir des boissons alcooliques, de sélectionner la marque avec une attention toute particulière. Il conviendra ainsi de s'assurer au préalable qu’une marque identique ou similaire n’est pas déjà enregistrée, non seulement dans les classes considérées pour les boissons alcooliques, mais dans toutes autres classes de produits et services. Comme rappelé plus haut, la validité de la marque pour une boisson alcoolique sera analysée non seulement au regard des critères habituels (caractère distinctif, non trompeur, disponible) mais également au regard des règles relatives à la publicité des alcools, telles que définies au Code de la santé publique.


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(1) Voir notre précédent article sur ce thème, publié sur ce blog intitulé "Les règles spécifiques applicables aux marques de vins et alcools" http://dwavocat.blogspot.fr/2012/02/les-marques-de-vins-et-alcools-des.html

(2) Article L.3323-2 CSP : La publicité, directe ou indirecte, en faveur des boissons alcooliques est autorisée exclusivement "1°) Dans la presse écrite à l'exclusion des publications destinées à la jeunesse ; 2°) Par voie de radiodiffusion sonore pour les catégories de radios et dans les tranches horaires déterminées par décret en Conseil d'Etat ; 3°) Sous forme d'affiches et d'enseignes ; d'affichettes et d'objets à l'intérieur des lieux de vente à caractère spécialisé, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat ; 4°) Sous forme d'envoi par les producteurs, les fabricants, les importateurs, les négociants, les concessionnaires ou les entrepositaires, de messages, de circulaires commerciales, de catalogues et de brochures ; 5°) Par inscription sur les véhicules utilisés pour les opérations normales de livraison des boissons, dès lors que cette inscription ne comporte que la désignation des produits ainsi que le nom et l'adresse du fabricant, des agents ou dépositaires, à l'exclusion de toute autre indication ; 6°) En faveur des fêtes et foires traditionnelles consacrées à des boissons alcooliques locales et à l'intérieur de celles-ci, dans des conditions définies par décret ; 7°) En faveur des musées, universités, confréries ou stages d'initiation oenologique à caractère traditionnel ainsi qu'en faveur de présentations et de dégustations, dans des conditions définies par décret ; 8°) Sous forme d'offre, à titre gratuit ou onéreux, d'objets strictement réservés à la consommation de boissons contenant de l'alcool, marqués à leurs noms, par les producteurs et les fabricants de ces boissons, à l'occasion de la vente directe de leurs produits aux consommateurs et aux distributeurs ou à l'occasion de la visite touristique des lieux de fabrication ; 9°) Sur les services de communications en ligne à l'exclusion de ceux qui, par leur caractère, leur présentation ou leur objet, apparaissent comme principalement destinés à la jeunesse, ainsi que ceux édités par des associations, sociétés et fédérations sportives ou des ligues professionnelles au sens du code du sport, sous réserve que la propagande ou la publicité ne soit ni intrusive ni interstitielle ".

(3) On se souviendra, par exemple, de l’annulation en France de la marque CHAMPAGNE, déposée par la société Yves Saint Laurent en 1993 pour désigner un parfum, par la Cour d’appel de Paris (arrêt du 15 décembre 1993) suite à l’action intentée par le CIVC (Comité interprofessionnel du vin de Champagne). Cette décision était cependant fondée sur la notion de concurrence parasitaire par rapport à la notoriété du vin de Champagne. L’application des règles énoncées au Code de la santé publique, aux articles L.721-1 du Code de la propriété intellectuelle et L.115-1 du Code de la consommation à cette affaire aurait très certainement abouti à la même décision.

(4) Cass. com., 20 novembre 2012, n°12-11753, société Diptyque c/ société JAS Hennessy

Betty SFEZ – Avocat

Deleporte Wentz Avocat
www.dwavocat.com

Janvier 2013

jeudi 24 mai 2012

Internet et handicap : les règles applicables face à la réalité du net

Le 6e Forum Européen de l’Accessibilité Numérique s’est tenu à Paris au mois de mars 2012. Intitulé “Placer l’accessibilité numérique au coeur des systèmes d’information”, les thèmes abordés couvraient des questions telles que Les enjeux industriels de l’accessibilité numérique, Concevoir pour tous, ou l’Edition numérique. Bien que pouvoirs publics et industriels reconnaissent le caractère primordial de la problématique de l’accessibilité pour tous aux technologies de l’information, le constat sur l’état de l’accessibilité du net reste très contrasté. 

L’accessibilité numérique (ou “e-accessibilité”) peut se définir comme l’accessibilité pour tous, personnes valides et personnes souffrant d’un handicap, aux sites internet et à leurs contenus, et de manière plus générale, à toute information sous format numérique, quels que soient le moyen d’accès et le mode de consultation. L’accès à internet et aux contenus numériques font désormais partie intégrante de notre vie quotidienne et sont devenus un droit fondamental au titre du droit à l'information. Le fait de ne pouvoir accéder à internet, pour des raisons techniques, économiques, mais également pour des raisons de handicap est un facteur de discrimination et d’exclusion sociale et professionnelle.

Cependant, bien que la question de l’accessibilité numérique soit au cœur des préoccupations des pouvoirs publics, la réalité de la mise en œuvre de ces principes reste très en-deçà des souhaits et engagements exprimés.


1. L’accessibilité numérique : des actions visant à favoriser l’accès de tous à internet et aux contenus numériques

Des initiatives tant publiques que privées ont permis l’élaboration de normes internationales dont le législateur français s’est inspiré pour instaurer une réglementation spécifique à l’accessibilité numérique.

    1.1 L’e-accessibilité : une volonté des instances internationales et européennes

Les standards internationaux  -  Fondé en 1994 avec le soutien de la Commission européenne, le consortium du World Wide Web (“W3C”) définit des spécifications communes pour l’internet et émet des recommandations ayant valeur de standards internationaux. Depuis 1997, un département du W3C, le WAI (Web Accessibility Initiative) travaille sur la question de l’accessibilité. Les recommandations du WAI, dénommées WCAG (ou Règles pour l’accessibilité des contenus Web), visent à assurer l’accessibilité des contenus web et proposent un ensemble de solutions permettant de développer des sites internet accessibles à tous. (1)

La Convention de l’ONU  -  La Convention de l'ONU du 13 décembre 2006 relative aux droits des personnes handicapées invite, dans son article 9 "Accessibilité", les Etats à prendre des mesures appropriées pour assurer et promouvoir l’accès des personnes handicapées aux systèmes et technologies de l’information et de la communication, y compris l’internet. (2)

Les publications des institutions européennes  -  Le Parlement, le Conseil, et la Commission ont publié entre 2002 et 2008 plusieurs résolutions, communications ou déclarations visant à (i) rendre obligatoire la mise en œuvre des mesure d'e-accessibilité aux sites web publics d’ici 2010, (ii) encourager les Etats membres à intensifier la promotion d’initiatives destinées à favoriser l’accès de tous aux technologies de l’information et des communications, en particulier les personnes handicapées et les personnes âgées et, (iii) adopter des normes européenne en matière d’e-accessibilité, sur la base des WCAG.

Parmi ces publication, on peut citer la résolution du Parlement européen de 2002 sur la communication de la Commission "eEurope 2002 : Accessibilité des sites web publics et de leur contenu", la résolution du Conseil de 2003 relative à la promotion de l'emploi et de l'intégration sociale des personnes handicapées et les communications de la Commission européenne de 2005 et 2008, portant sur l’e-accessiblité et intitulées "Vers une société de l’information accessible". (3)

La certification  -  Sur le plan de la certification, le label européen Euracert (European eAccessibility Certification) est attribué aux sites web conformes aux recommandations WCAG du W3C/WAI. Le contrôle de conformité est réalisé à la demande des exploitants de sites web, par rapport à des documents de référence sur l’accessibilité numérique des sites. Le label Euracert est attribué après que le site web en cause ait été labellisé par l’organisme partenaire du label Euracert dans le pays de l’exploitant du site. En France, l’organisme de labellisation en matière d’accessibilité numérique, partenaire d’Euracert est l’association BrailleNet qui a créé le label AccessiWeb. La liste des sites web labellisés AccessiNet est publiée sur le site. (3)

    1.2 L’e-accessibilité : une obligation légale pour les sites web du secteur public français

Afin de répondre aux exigences communautaires, le législateur français a adopté une série de textes venant définir et encadrer l’accessibilité numérique.

La loi du 21 juin 2004  -  La loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) dispose sous le titre 1er “De la liberté de communication en ligne”, en son article 3 que “L'Etat, les collectivités territoriales, les établissements publics et les personnes privées chargées d'une mission de service public veillent à ce que l'accès et l'usage des nouvelles technologies de l'information permettent à leurs agents et personnels handicapés d'exercer leurs missions.”

La loi du 11 février 2005  -  L’obligation d’accessibilité numérique des services publics a été instaurée par la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. Cette loi dispose que les services de communication en ligne développés par l'Etat, les collectivités territoriales et les établissements publics qui en dépendent, doivent être accessibles aux personnes handicapées. L'accessibilité concerne l'accès à tout type d'information sous forme numérique quels que soient le moyen d'accès, les contenus et le mode de consultation et les recommandations internationales pour l'accessibilité de l'internet doivent être appliquées.

Le décret du 14 mai 2009  -  Le décret du 14 mai 2009 est venu fixer les règles relatives à l'accessibilité numérique, à savoir :
    - des règles techniques, sémantiques, organisationnelles et d'ergonomie à mettre en oeuvre par les services de communication publique en ligne des administrations, permettant aux personnes handicapées de réceptionner et comprendre les informations diffusées, d'utiliser ces services et, le cas échéant, d'interagir avec ces derniers. Ces règles constituent le "référentiel d'accessibilité". L’autorité administrative compétente doit attester, par le biais d’une déclaration de conformité, que ses services de communication en ligne sont conformes au référentiel d’accessibilité ;
    - une formation du personnel des administrations portant sur l’accessibilité numérique et sur la conformité aux règles et standards nationaux et internationaux ;
    - des délais de mise en conformité des sites existants de deux ans pour les services de l’Etat (et établissements publics qui en dépendent) et trois ans pour les collectivités territoriales (et établissements publics qui en dépendent), à compter de la publication du décret. A défaut de conformité dans les délais, le ministre chargé des personnes handicapées peut mettre en demeure l’autorité administrative compétente de se conformer au référentiel d’accessibilité dans un délai ne pouvant excéder six mois, au-delà duquel le service sera inscrit sur une liste de services non conformes.

L'arrêté du 21 octobre 2009  -  Cet arrêté, portant sur le référentiel général d’accessibilité pour les administrations (RGAA), précise les exigences techniques à respecter par les autorités administratives. Le RGAA est un recueil de règles et de bonnes pratiques qui visent à améliorer l’e-accessibilité des sites web des administrations. Il se fonde sur les normes et standards en vigueur, en particulier sur le standard international WCAG 2.0. (5)

Concrètement, l'e-accessibilitié consiste, pour un site web, à intégrer des fonctionnalités permettant notamment d'agrandir la taille des caractères des textes, ou la possibilité d'accéder à la version audio des contenus.

En dépit d’un tel dispositif légal, force est de constater que la mise en œuvre des standards de l’accessibilité numérique reste encore très limitée sur le web français.


2. L’accessibilité numérique pour tous : un constat mitigé


En France, l’accessibilité numérique peine à se développer et ce pour plusieurs raisons.

    2.1 La question de l’accessibilité des sites web du secteur privé
L’une des premières raisons de la lenteur des sites web français à déployer des techniques améliorant leur e-accessibilité tient au fait que la réglementation relative à l'obligation d'accessibilité numérique ne s'impose pas aux sites web du secteur privé. Les textes réglementaires cités plus haut concernent le secteur public.

L'obligation d’e-accessibilité pour les sites du secteur privé n’est mentionnée ni par les textes internationaux, ni par les textes européens. Les instances européennes, dans le cadre d’une résolution du Parlement de 2002 et d'une communication de la Commission de 2008, prévoient seulement, d’une part de parvenir à l’accessibilité des sites web privés, en commençant par les sites qui bénéficient d’un financement public, "dès que possible", et d’autre part d’encourager "les prestataires de services non publics, en particulier les propriétaires de sites web fournissant des services d'intérêt général et les fournisseurs de sites web commerciaux (…)" à améliorer l'accessibilité du web.

On peut regretter que les exploitants des sites web du secteur privé, notamment les grands sites de e-commerce, ne déploient pas les fonctionnalités améliorant l’accessibilité de leurs services en ligne. Ainsi, parmi les sites labellisés AccessiWeb, on ne trouve que quelques sites du secteur privé, tels que Carrefour, Axa ou Groupama par exemple.

    2.2 Les sites web du secteur public ne donnent pas l'exemple
Malgré la réglementation applicable en France, les sites du secteur public français ne donnent pas l’exemple de la mise en oeuvre de l’accessibilité numérique. Ainsi, le décret du 14 mai 2009 est entré en application depuis trois ans. Les délais de mise en conformité à l'accessibilité numérique des sites du secteur public sont arrivés à échéance depuis un an pour les services de communications en ligne de l’Etat ; le délai de trois ans pour les collectivités territoriales expirant ces jours-ci.

Bien que les délais de mise en conformité des sites web du secteur public aient expiré, plusieurs études montrent que la grande majorité de ces sites demeurent, en pratique, inaccessibles pour les handicapés. Ce constat est notamment dressé par le collectif citoyen "Article 47", qui a publié, le 1er février 2011, une Lettre ouverte pour l’accessibilité numérique des services publics adressée aux ministres concernés. Dans cette lettre, le collectif demandait l’application effective de l’article 47 de la loi du 11 février 2005, visant à rendre les sites web des services publics accessibles aux personnes handicapées.

Selon le collectif, les sites internet conformes au Référentiel général d’accessibilité pour les  administrations (RGAA) restent des exceptions dans le paysage web des services publics français. Seulement quelques éditeurs de sites publics se sont saisis de la question et ont mis les sites web en conformité avec les exigences du référentiel d’accessibilité.

Parmi les sites e-accessibles, on notera par exemple, au niveau des sites gouvernementaux le site service-public.fr (www.service-public.fr), pour les collectivités locales le site du Conseil général de Loire-Atlantique (www.loire-atlantique.fr) ou le site de la ville de Saint-Maur des Fossés (www.saint-maur.com), pour les entreprises publiques, le site TER SNCF (www.ter-sncf.com).

    2.3 Les freins au développement de l’e-accessibilité
Comment expliquer que les sites web conformes aux règles de l’e-accessibilité restent si peu nombreux en 2012 ? Quels sont les freins au développement de l’e-accessibilité ?

Les outils techniques  -  La technologie du logiciel a évolué ces dernières années et propose des outils permettant une utilisation différente de la technologie numérique. Outre la fonctionnalité permettant de modifier la taille des caractères des textes ou la taille de l’écran d’un site web, le marché du logiciel propose depuis plusieurs années des systèmes de reconnaissance vocale (intégré dans Windows Vista notamment) permettant d’utiliser un ordinateur sans contact tactile, ou de lecteur d’écran (par exemple VoiceOver dans MacOS et iOS) permettant aux malvoyants d’utiliser un ordinateur.

La formation des développeurs web  -  Les programmes de formation au développement web n’intègrent pas systématiquement de module de formation technique à l’e-accessibilité des sites web. Les développeurs n’ont donc pas le réflexe, dès la conception des sites pour le secteur privé ou le secteur public, d’intégrer une approche d’e-accessibilité en proposant la modulation de la taille des textes, une version audio des contenus, etc.

Une réglementation peu claire  -  Le collectif du l’article 47 souligne que la réglementation “souffre d’un problème de lisibilité”, notamment concernant le périmètre de son application et des dérogations.

En outre, la certification des sites web est une procédure volontaire et non obligatoire. Il est même possible de s’auto-déclarer conforme aux recommandations, sans contrôle d’un organisme tiers.

L’ignorance ou la sous-estimation de l’importance de l’e-accessibilité  -  Enfin, la question de l’accessibilité numérique reste encore ignorée ou sous-estimée par un grand nombre d’entreprises qui ont encore du mal à percevoir que l'accessibilité et plus généralement, la prise en compte de la diversité, devraient constituer un élément important de leur stratégie commerciale. 


A une époque où les questions liées aux discriminations et à la protection des libertés fondamentales restent sensibles, la reconnaissance du droit des handicapés à l’accès aux technologies de l’information, mais également de toute personne physiquement diminuée par la maladie ou par l’âge, demeure un véritable enjeu de société.

Enfin, au-delà de la “simple” accessibilité à internet se pose la question de l’évolution des technologies de l’information. Qu’en est-il de la “mobile e-accessibilité” si l’on étend le périmètre d’application aux smartphones et aux tablettes ?

* * * * * * * * * * *

(1) Le site web du consortium W3C est accessible à l’URL: http://www.w3.org/

(2) La Convention de l’ONU relative aux droits des personnes handicapées, adoptée le 13 décembre 2006 est entrée en vigueur le 3 mai 2008. L’article 9 “Accessibilité” dispose : “Afin de permettre aux personnes handicapées de vivre de façon indépendante et de participer pleinement à tous les aspects de la vie, les États Parties prennent des mesures appropriées pour leur assurer, sur la base de l’égalité avec les autres, l’accès (…) aux systèmes et technologies de l’information et de la communication. (…) Les États Parties prennent également des mesures appropriées pour : (…) Promouvoir l’accès des personnes handicapées aux nouveaux systèmes et technologies de l’information et de la communication, y compris l’internet;”.

(3) Résolution du Parlement européen du 13 juin 2002 sur la communication de la Commission « eEurope 2002 : Accessibilité des sites web publics et de leur contenu » (COM (2001)529-C-5-0074/2002-2002/2032(COS)) ; Résolution du Conseil du 15 juillet 2003 relative à la promotion de l'emploi et de l'intégration sociale des personnes handicapées (2003/C175/01) ; Communication de la Commission européenne, du 13 septembre 2005, sur « l’e-accessiblité » (COM (2005)425) ; Communiqué de presse du 12/06/2006 : « L’internet pour tous : les ministres européens s’engagent en faveur d’une société de l’information accessible fondée sur l’inclusion » : déclaration de Riga (Lettonie), dans laquelle les ministres européens fixent comme objectif une accessibilité totale des sites web publics en 2010 ; Communiqué de presse de la Commission européenne du 2 juillet 2008 informant du lancement d’une consultation publique portant sur les actions des Etats membres permettant d’améliorer l’accessibilité aux sites web ;  Communication de la Commission européenne du 1er déc. 2008 :”Vers une société de l’information accessible”, (COM (2008)804 final).

(4) Les sites Euracert et AccessiWeb sont accessibles à : http://www.euracert.org/fr/ et http://www.accessiweb.org/

(5) Voir Loi n°2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique ; Loi n°2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, notamment article 47 ; Décret n°2009-546 du 14 mai 2009 pris en application de l’article 47 de la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 sur l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées et créant un référentiel d'accessibilité des services de communication publique en ligne ; Arrêté du 21 octobre 2009 relatif au référentiel général d'accessibilité pour les administrations (RGAA) (NOR: BCFJ0917114A) et enfin, voir le site internet : www.references.modernisation.gouv.fr




Bénédicte DELEPORTE - Avocat
Betty SFEZ - Avocat

Deleporte Wentz Avocat
www.dwavocat.com

Mai 2012