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mardi 28 juin 2011

Vente en ligne, CGV et clauses abusives


L’examen de sites de vente aux consommateurs (B-to-C) fait apparaître de manière récurrente des clauses contractuelles dans les conditions générales de vente (CGV) et des pratiques réputées abusives, sinon illicites.

Nombre de cyber-marchands, y compris des sites notoires, négligent la rédaction de leurs CGV, méconnaissent les obligations légales liées au traitement des données à caractère personnel, ou mettent en oeuvre des pratiques envers leurs utilisateurs pouvant être annulées en cas de contentieux.

Qu’entend-on par “clause abusive” et quelles sont les clauses et pratiques que l’on retrouve dans le commerce en ligne ? Comment les tribunaux sanctionnent-ils ces clauses ?


1. Clauses abusives et vente sur internet

            1.1 La notion de clause abusive

Pour rétablir un certain équilibre dans les relations contractuelles existant entre le professionnel et le consommateur, la loi a prévu un dispositif de protection des consommateurs contre les clauses abusives. Face au professionnel, le consommateur bénéficie de règles de protection renforcées car il ne dispose ni des compétences techniques, ni du pouvoir économique d’un professionnel.

Une clause est réputée “abusive” lorsqu'elle crée, au détriment du consommateur (ou du non-professionnel), un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. (1) Le caractère abusif d’une clause contractuelle ne pourra être invoqué que dans les rapports entre un consommateur (ou un non-professionnel) et un professionnel, et non dans les rapports entre professionnels ou entre consommateurs.

            - La réglementation sur les clauses abusives est applicable aux contrats conclus entre professionnels et consommateurs
Le “consommateur” est défini comme celui qui acquiert un objet corporel ou un service pour un usage étranger à son activité professionnelle. En d’autres termes, il s’agit d’une personne physique qui contracte pour ses besoins personnels ou familiaux. Les personnes morales sont exclues de cette catégorie.

Le professionnel, qu’il soit vendeur ou acheteur, ne bénéficie pas du même niveau de protection car il est présumé compétent et a en principe le pouvoir d’imposer ses conditions, ou au moins de négocier.

Le “professionnel” est la personne physique ou morale qui contracte dans l'exercice d'une activité à caractère professionnel (commerciale, artisanale, libérale, etc.). Lorsqu'un contrat a été conclu entre deux commerçants dans le cadre de leurs relations professionnelles habituelles, le co-contractant ne peut invoquer la nullité d'une clause comme étant abusive. (2)

La réglementation contre les clauses abusives peut également bénéficier aux “non-professionnels”. Cependant, cette notion de non-professionnels, qui à l’origine pouvait s’appliquer aux professionnels lorsqu’ils agissaient en dehors de leur domaine de compétence, est interprétée de manière de plus en plus restrictive par les tribunaux. Ainsi, les juges tendent désormais à exclure de la protection contre les clauses abusives les contrats de fourniture de biens ou de services qui ont un rapport direct avec l’activité professionnelle exercée par le cocontractant, même en dehors de sa spécialité.

            - La réglementation sur les clauses abusives est applicable quels que soient la nature du contrat, les produits concernés, la forme et le support du contrat
A ce titre, la Commission des clauses abusives a adopté des recommandations concernant un nombre très varié de contrats relatifs soit aux biens (vente mobilière, immobilière, prêt, etc), soit aux services (mandat, assurance, dépôt, etc). Ces recommandations tendent à la suppression ou la modification des clauses présentant un caractère abusif.

            - Une liste de clauses abusives
Le Code de la consommation prévoit une liste de clauses abusives. (3) En application des articles R.132-1 et R.132-2 du Code de la consommation, deux types de clauses abusives peuvent ainsi être distinguées :

- Douze “clauses noires”, interdites : ces clauses sont considérées, de manière irréfragable, comme abusives eu égard à la gravité des atteintes qu’elles portent à l’équilibre du contrat conclu entre le vendeur professionnel et ses clients, consommateurs. Ces clauses sont automatiquement réputées non écrites, et donc, inapplicables. Par exemple, sont réputées abusives les clauses ayant pour objet ou pour effet de réserver au professionnel le droit de modifier unilatéralement les clauses du contrat relatives à sa durée, aux caractéristiques ou au prix du bien à livrer ou du service à rendre, et les clauses ayant pour objet ou pour effet d’exclure ou de limiter le droit à réparation du consommateur en cas de préjudice subi du fait du manquement, par le professionnel, à l'une quelconque de ses obligations (art. R132-1 C. conso).

- Dix “clauses grises”, présumées abusives : en cas de litige, le professionnel devra démontrer que la clause n'est pas abusive. Par exemple, sont présumées abusives les clauses ayant pour objet ou pour effet d’imposer au consommateur qui n'exécute pas ses obligations, une indemnité d'un montant manifestement disproportionné par rapport à son achat ou à la prestation en cause (art. R132-2 C. conso).

Cette liste n’est cependant pas exhaustive. Au-delà des clauses identifiées, la loi condamne toutes les clauses qui créent un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties, au détriment du consommateur.

            1.2 L’application à la vente en ligne

La réglementation sur les clauses abusives est applicable aux contrats de vente de biens ou de services par internet.

A ce titre, la Commission des clauses abusives a adopté une recommandation le 24 mai 2007. (4)

Les clauses déclarées abusives par la Commission concernent toutes les étapes du contrat entre le e-commerçant et le consommateur, de sa conclusion à sa rupture. Il s’agit notamment de clauses portant sur les conditions d’acceptation des CGV, l’exercice du droit de rétractation du consommateur, les modalités de livraison, l’utilisation des données personnelles du consommateur, les limitations de garantie ou de responsabilité, les conditions de résiliation ou encore les règles de compétence territoriale ou d’attribution de juridiction en cas de litige.

Par exemple, la Commission déclare abusives les clauses ayant pour objet ou pour effet de : (5)

            (i) laisser croire au consommateur que lui seraient opposables des modifications unilatérales des CGV intervenues postérieurement à la conclusion du contrat. En effet, les CGV doivent avoir été acceptées par l’acheteur, ainsi que toute modification ultérieure. Il n’est pas possible d’opposer des clauses contractuelles dont l’acheteur n’aurait pas été informé ;

            (ii) faire croire que l'exercice par le consommateur de son droit de rétractation prévu à l'article L.121-20 du Code de la consommation est subordonné à d'autres conditions que celles expressément prévues par la loi ;

            (iii) dispenser l’e-commerçant de son obligation de livraison d'un bien proposé à la vente, en raison de son indisponibilité lorsqu'il est par ailleurs prévu que le vendeur ne pourra en aucun cas voir sa responsabilité engagée à ce titre ;

            (iv) opérer une confusion apparente entre les garanties légale et conventionnelle, laissant croire aux consommateurs que la mise en jeu de la garantie légale serait subordonnée aux conditions du contrat. L’e-commerçant ne peut garantir contractuellement la chose à livrer (ou le service à rendre) sans mentionner que s'applique en tout état de cause la garantie légale contre les vices cachés  (art. R.211-4 C. conso.) ;

            (v) obtenir le consentement du consommateur pour la diffusion, à tout partenaire non identifié du vendeur, de ses données personnelles en vue de lui adresser une prospection directe par voie électronique, par la pratique de l’opt-out (options pré-cochées dans le formulaire d’inscription).(6)


2. La sanction des clauses et pratiques abusives dans la vente en ligne

            2.1 Des clauses déclarées nulles

            - L’appréciation souveraine des juges
Les consommateurs, souvent par l’intermédiaire des associations de consommateurs, saisissent régulièrement les tribunaux pour que soient sanctionnées les clauses abusives.

Pour apprécier le caractère abusif des clauses litigieuses, le juge se réfère aux lois et réglementations en vigueur, ainsi qu’aux recommandations de la Commission des clauses abusives, en dépit du caractère non contraignant de ces recommandations.

De plus, la Cour de cassation a reconnu au juge judiciaire le pouvoir de déclarer une clause abusive en dehors de toute référence à un texte réglementaire spécial.(7)

Ainsi, le caractère abusif d’une clause s’appréciera en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu’à toutes les autres clauses du contrat.

Dès lors, même une clause ne faisant pas partie des listes réglementaires peut désormais être déclarée abusive par le juge si cette clause ne fait pas partie de la liste noire ou grise des clauses abusives. La partie qui invoque le caractère abusif de cette clause devra alors démontrer le déséquilibre significatif (à savoir, excessif) entre les droits et les obligations du professionnel vis-à-vis du consommateur.

            - Les clauses abusives sont réputées non écrites (art. L. 132-1 al.6 et 8 C. conso.)
La clause, une fois considérée comme abusive, ne pourra produire aucun effet. Elle sera considérée comme nulle, le reste du contrat restant en principe valable, sauf si l’invalidité d’une clause entraîne la nullité de tout le contrat, s’il est démontré que cette clause est essentielle pour l’exécution du contrat.

Enfin, toute clause qui serait rédigée différemment de la clause abusive d’origine, mais dont l’objectif serait de produire les mêmes effets que la clause abusive d’origine, sera elle-même considérée comme abusive, la clause abusive étant réputée comme n’ayant pas été supprimée. (8)

            2.2 L’application par les tribunaux

La multiplication des clauses abusives dans les CGV a donné lieu à plusieurs décisions judiciaires à l’encontre des fournisseurs d’accès et des sites marchands, notamment. Deux jugements de 2008 concernant des sites marchands illustrent bien la problématique :
Dans un jugement du TGI de Bordeaux, le tribunal a ordonné au cyber-marchand poursuivi la suppression de 13 clauses des CGV. Il est à noter que le juge a suivi la recommandation de la Commission des clauses abusives relative aux contrats de vente conclus par internet. (6) Trois types de clauses ont été jugées illicites ou abusives par le tribunal :

- les clauses relatives au délai de livraison (clause faisant référence à des délais moyens et non à une date limite de livraison) ;
- les clauses relatives au droit de rétractation, et notamment celles imposant des modalités d’exercice contraignantes, et limitant l’étendue du droit de rétractation de l’acheteur ;
- les clauses relatives à la garantie et à la responsabilité du vendeur (notamment, clause limitant la garantie contre les vices cachés, en imposant à l’acheteur une expertise préalable à toute réclamation).

Le cyber-marchand a été condamné à supprimer ces clauses de ses CGV dans un délai d’un mois sous peine d’une astreinte de 1.000 euros par jour de retard et par clause, à verser 20.000 euros de dommages-intérêts à l’association de consommateurs, ainsi qu’à faire publier le jugement dans  trois quotidiens nationaux. (9)

Dans une affaire contre un autre site de e-commerce, le TGI de Paris a ordonné la suppression de 18 clauses qualifiées d’abusives ou d'illicites, présentes dans les conditions générales de vente et d’utilisation du cyber-marchand, et notamment :

- la clause qui prévoyait l’exonération de responsabilité du cyber-marchand pour tous les dommages indirects ;
- la clause qui emportait cession des droits d’auteur au profit du cyber-marchand ;
- la clause qui prévoyait la seule responsabilité du consommateur en cas d’action d’un tiers en raison d’un contenu ;
- la clause autorisant automatiquement l’usage par le cyber-marchand des données personnelles des consommateurs pour tout partenariat ou au profit d’autres sociétés pour des offres promotionnelles.

Le cyber-marchand a été condamné à modifier ses CGV, à verser 30.000 euros de dommages-intérêts à l’association de consommateurs, ainsi qu’à faire publier un communiqué dans trois quotidiens nationaux et sur sa page d’accueil. (10)


Le législateur n’ayant de cesse de prendre des mesures pour renforcer la protection du consommateur, a fortiori dans les contrats conclus à distance (LCEN, Loi Chatel, LME, sans oublier le projet de nouvelle directive e-commerce), il appartient aux professionnels de la vente en ligne de ne pas négliger la rédaction de leurs documents contractuels, CGV ou CGU et de ne pas oublier de les mettre à jour de temps à autre compte tenu des évolutions réglementaires et jurisprudentielles. Il convient notamment de porter une attention particulière à la procédure d’acceptation des CGV et de leurs nouvelles versions, ainsi qu’aux clauses telles que le droit de rétractation, les délais de livraison, les conditions de responsabilité, les conditions d’annulation de commande et/ou de résiliation du contrat.

Des conditions contractuelles personnalisées au modèle commercial du site, et conformes aux lois en vigueur, permettront au cyber-marchand d’encadrer valablement les relations contractuelles avec les acheteurs-consommateurs, et s’avéreront utiles pour faire prévaloir les règles contractuelles applicables en cas de litige.


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(1) Les clauses abusives sont définies et réglementées par les articles L.132-1 et s. et R.132-1 et s. du Code de la consommation.
(2) Cass. com., 23 nov. 1999, no 96-21.869, Bull. civ. IV, no 210.
(3) Décret n°2009-302 du 18 mars 2009 pris en application de la loi n°2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie.
(4) Recommandation de la Commission des clauses abusives n°07-02 relative aux contrats de vente mobilière conclus par internet du 24 mai 2007.
(5) Recommandation de la Commission des clauses abusives n°07-02, et particulièrement les points 1 al. 2, point 8, point 2, point 13 et point 16.
(6) Article 34-5 et R. 10-10 du Code des Postes et des Communications Electroniques, article L. 120-20-5 du Code de la consommation, article 22 LCEN et article 11 de la Loi informatique et libertés.
(7) TGI Bobigny, 8e ch., 26 sept. 2007, UFC Que Choisir c/ Sté Voyage sur mesure (http://www.legalis.net/spip.php?page=jurisprudence-decision&id_article=2044).
(8) Cass. civ. 1re, 14 mai 1991, n° 89-20.999, Bull. civ. I, n°153.
(9) TGI Bordeaux, 11 mars 2008, UFC Que choisir c/ CDiscount (http://www.legalis.net/spip.php?page=jurisprudence-decision&id_article=2262).
(10) TGI Paris, 1re ch., sect. soc., 28 oct. 2008, UFC Que Choisir c/ Amazon.com et autres (http://www.legalis.net/spip.php?page=jurisprudence-decision&id_article=2473).


Bénédicte DELEPORTE – Avocat
Betty SFEZ – Avocat
Deleporte Wentz Avocat

juin 2011