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lundi 20 avril 2015

L’allègement de la réglementation des loteries commerciales à l’égard des consommateurs

Jusqu’à récemment, l’organisation de loteries commerciales était très encadrée, malgré quelques évolutions jurisprudentielles et réglementaires intervenues ces dernières années. (1) En vertu de la loi du 21 mai 1836, les loteries étaient en effet réputées illicites dès lors qu’elles remplissaient quatre conditions cumulatives (à savoir : une offre au public, l’espérance d’un gain, déterminé par le hasard, en contrepartie d’un sacrifice pécuniaire de la part du participant). Si la loterie ne remplissait pas l’une de ces conditions, alors elle était considérée licite, mais restait soumise à des conditions de forme strictes.

La loi de simplification de la vie des entreprises du 20 décembre 2014 a profondément allégé ces contraintes, (2) mettant le droit français en conformité avec la directive européenne de 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales. (3) Les loteries publicitaires peuvent désormais être organisées plus facilement. Cependant, leur encadrement juridique est plus incertain, les loteries pouvant être sanctionnées pour pratique commerciale déloyale ou trompeuse. 


1. La levée des contraintes applicables à l’organisation des loteries commerciales

    - L’allègement de la réglementation

La loterie commerciale est définie comme un jeu dont les gagnants sont désignés au sort.

Désormais, les loteries commerciales sont réputées licites.

Ce principe est énoncé à l’article L.121-36 du code de la consommation qui dispose, dans sa nouvelle rédaction, que “Les pratiques commerciales mises en œuvre par les professionnels à l'égard des consommateurs, sous la forme d'opérations promotionnelles tendant à l'attribution d'un gain ou d'un avantage de toute nature par la voie d'un tirage au sort, quelles qu'en soient les modalités, ou par l'intervention d'un élément aléatoire, sont licites dès lors qu'elles ne sont pas déloyales au sens de l’article L.120-1”.

Cet article définit les seules conditions applicables aux loteries commerciales. Ainsi, les anciennes exigences de forme disparaissent, notamment les mentions obligatoires, l’obligation de rembourser les frais de participation, la participation au jeu sans obligation d’achat, le dépôt du règlement du jeu chez un huissier, etc.

    - Le champ d’application de la nouvelle réglementation

La nouvelle réglementation s’applique aux loteries commerciales (ou publicitaires) à destination des consommateurs. Elle concerne les jeux de type loterie avec tirage au sort, ou comprenant un élément aléatoire.

La loi ne distingue pas suivant la manière dont le jeu est organisé : en magasin, par voie d’imprimés adressés par la poste, par internet ou par SMS.

Il convient de noter que les concours, qui n’étaient pas illicites sous le régime précédent, ne sont pas concernés par ces nouvelles règles. Pour rappel, le concours est défini comme le jeu qui récompense les personnes qui ont subi avec succès une épreuve mettant en oeuvre leurs connaissances, leur sagacité ou toute autre aptitude. Les gagnants sont sélectionnés en fonction de la qualité des réponses aux questions du jeu et non par tirage au sort. Cependant, un concours qui intégrerait un élément aléatoire (question relevant du hasard, ou tirage au sort pour départager les gagnants) relève de la loterie.


2. La contrepartie d’une plus grande liberté d’organisation : un encadrement juridique plus incertain

Toutes les loteries publicitaires ne seront cependant pas considérées comme étant de facto licites. Ainsi, les loteries considérées comme relevant de pratiques commerciales déloyales pourront être sanctionnées.

    - La définition des pratiques commerciales déloyales


Les pratiques déloyales consistent en des pratiques “contraires aux exigences de la diligence professionnelle”. Une pratique commerciale déloyale “altère, ou est susceptible d'altérer de manière substantielle, le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, à l'égard d'un bien ou d'un service.” (article L.120-1 du code de la consommation).

En effet, en vertu du nouveau régime applicable aux loteries publicitaires, les loteries trompeuses, au sens de l’article L.121-1 du code de la consommation et les loteries considérées comme agressives, au sens de l’article L.122-11 relèvent des pratiques commerciales déloyales.

Parmi les pratiques trompeuses décrites à l’article L.121-1 du code de la consommation, on relèvera celles pouvant s’appliquer plus particulièrement aux loteries commerciales, notamment les pratiques qui reposeraient sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur et portant sur la portée des engagements de l’annonceur ; la nature, le procédé ou le motif de la vente ou de la prestation de services ; l’identité, les qualités, les aptitudes et les droits du professionnel ; enfin, lorsque la personne pour le compte de laquelle la pratique commerciale est mise en oeuvre n'est pas clairement identifiable.

En outre, les pratiques suivantes sont considérées comme trompeuses :
    - l’allégation qu'un produit ou qu'un service augmente les chances de gagner aux jeux de hasard,
    - le fait d'affirmer qu'un concours est organisé ou qu'un prix peut être gagné sans attribuer les prix décrits ou un équivalent raisonnable,
    - le fait de décrire un produit ou un service comme étant "gratuit", "à titre gracieux", "sans frais" ou autres termes similaires, si le consommateur doit payer quoi que ce soit d'autre que les coûts inévitables liés à la réponse et au fait de prendre possession ou livraison de l'article. (4)

Les contraintes d’espace ont été prises en compte par la loi pour apprécier si des informations substantielles ont été omises, ainsi que des mesures prises par le professionnel “pour mettre ces informations à la disposition du consommateur par d'autres moyens.” Par exemple, une loterie commerciale qui serait diffusée par le biais d’une application mobile ou par SMS pourrait renvoyer via un hyperlien, vers une page descriptive du jeu et vers le règlement du jeu.

Les pratiques commerciales agressives sont définies comme le fait de solliciter de façon répétée et insistante ou d’utiliser une contrainte physique ou morale, ayant pour effet d’altérer de manière significative la liberté de choix, ou de vicier le consentement d'un consommateur. (5)

    - Les sanctions applicables aux pratiques commerciales déloyales

Les sanctions pour pratiques commerciales trompeuses ou agressives sont très lourdes.

Les pratiques commerciales trompeuses ou agressives sont punies d'un emprisonnement de deux ans et d'une amende d’un montant maximum de 300.000€ (portée à 1.500.000€ pour les personnes morales).

Le montant de l'amende peut être porté, de manière proportionnée aux avantages tirés du manquement, à 10% du chiffre d'affaires moyen annuel, calculé sur les trois derniers chiffres d'affaires annuels connus à la date des faits, ou pour les pratiques commerciales trompeuses, à 50% des dépenses engagées pour la réalisation de la publicité ou de la pratique constituant le délit (ou à 250% des dépenses engagées pour les personnes morales). (6)

    - La nécessité de présenter le jeu de manière claire et loyale

En cas de contentieux portant sur le caractère licite ou trompeur d’une loterie publicitaire, la licéité sera appréciée au cas par cas par les tribunaux.

Afin d’éviter qu’une loterie publicitaire soit sanctionnée pour pratique commerciale trompeuse ou agressive, il est donc nécessaire de prendre quelques précautions.

En effet, bien que le nouveau régime juridique applicable aux loteries publicitaires soit nettement allégé par rapport au régime précédent, les annonceurs qui souhaitent organiser des loteries doivent s’assurer que le message est clair, non ambigüe, loyal et non trompeur.

L’organisateur du jeu et le cas échéant l’annonceur doivent être clairement identifiés. Le mécanisme du jeu, les gains, les règles d’attribution des lots, les frais de participation et le cas échéant, les conditions de participation (âge minimum, durée du jeu, etc.) et l’obligation d’achat d’un produit ou d’un service devront être décrits de manière claire et facilement compréhensible par le consommateur.

Enfin, même si cette obligation ne figure pas dans la loi, il est recommandé de rédiger un règlement du jeu qui reprendra les éléments décrits ci-dessus. Si le jeu est complexe ou s’il est diffusé à un grand nombre de consommateurs, le dépôt chez un huissier permettra de limiter les risques de contestation.


                                                             * * * * * * * * * * *

(1) La loi du 21 mai 1836 portant prohibition des loteries avait ainsi été modifiée en 2004 (loi n°2004-204), en 2007 (loi n°2007-297), et en 2014 (loi n°2014-344).

(2) Article 54 de la loi n°2014-1545 du 20 décembre 2014 relative à la simplification de la vie des entreprises, codifié à l’article L.121-36 du code de la consommation.

(3) Voir la directive 2005/29 du 11 mai 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales. A noter que dans une décision de la Cour de justice de l’Union européenne du 14 janvier 2010 (CJUE, affaire C-304/08), les juges ont considéré que les loteries constituent une pratique commerciale, et qu’à ce titre, elles entrent dans le champ d’application de la directive de 2005. Dans la mesure où les loteries commerciales, notamment avec obligation d’achat, ne font pas partie de la liste des pratiques commerciales  déloyales interdites par la directive européenne, les Etats-membres ne peuvent les interdire.

(4) Article L.121-1-1 du code de la consommation

(5) Article L.122-11 du code de la consommation

(6) Articles L.121-6 et L.122-12 du code de la consommation


Bénédicte DELEPORTE
Avocat

Deleporte Wentz Avocat
www.dwavocat.com

Avril 2015


jeudi 9 avril 2015

Open Data : pour la CADA, les codes sources des logiciels développés par l’Etat sont librement accessibles



Le 8 janvier 2015, la CADA (commission d’accès aux documents administratifs) a émis un avis favorable à la communication du code source d’un logiciel développé par l’Etat, à une personne qui en avait fait la demande. (1)

Un chercheur avait demandé à la Direction générale des finances publiques (DGFiP) d’avoir accès aux codes sources d’un logiciel de calcul de simulation de l’impôt sur le revenu des personnes physiques, pour les réutiliser dans le cadre de travaux de recherche universitaire. Le directeur général des finances publiques avait opposé un refus, invoquant la lourdeur du traitement pour rendre ces fichiers exploitables. Suite à ce refus, le demandeur a donc saisi la CADA pour que celle-ci émette un avis.

La CADA a estimé que le code source développé par l’Etat devait être traité comme un document administratif au sens de la loi du 17 juillet 1978, et qu’à ce titre le demandeur pouvait y avoir accès, dans les conditions définies par la loi. (2)

Cet avis doit néanmoins être nuancé, dans la mesure où plusieurs exceptions au principe d’accessibilité doivent être pris en compte.


1. L’avis de la CADA : Open data et Open source

    1.1 Rappel de la définition de document administratif et du principe de liberté d’accès à ces documents

La loi du 17 juillet 1978 pose le principe de la liberté d’accès aux documents administratifs.

L’article 1er de la loi de 1978 définit les documents administratifs comme des documents produits ou reçus, “dans le cadre de leur mission de service public, par l'Etat, les collectivités territoriales ainsi que par les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées d'une telle mission”, et ce “quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support”.

Le texte énonce ensuite les catégories de documents pouvant entrer dans cette définition, cette liste n’étant pas exhaustive : les dossiers, rapports, études, comptes-rendus, procès-verbaux, statistiques, directives, instructions, circulaires, notes et réponses ministérielles, correspondances, avis, prévisions et décisions. On notera que ce texte, dans sa version modifiée par une ordonnance du 29 avril 2009, ne vise pas expressément les logiciels.

En vertu de l’article 4 de la loi de 1978, l’accès aux documents administratifs s’exerce, au choix du demandeur, et dans la limite des possibilités techniques de l’administration, soit par consultation gratuite sur place, soit par la délivrance d’une copie sur un support identique à celui utilisé par l’administration ou compatible avec celui-ci, et aux frais du demandeur, soit enfin par courrier électronique et sans frais.

    1.2 L’interprétation de la CADA concernant le code source

Dans son avis du 8 janvier dernier, la commission, appliquant les dispositions de la loi du 17 juillet 1978, en a conclu que le code source d’un logiciel développé par ou pour l’Etat entrait dans le cadre de la définition des documents administratifs, et qu’à ce titre, il était librement accessible par le demandeur.

Ainsi, selon la CADA, “les fichiers informatiques constituant le code source sollicité, produits par l’administration générale des finances publiques dans le cadre de sa mission de service public, revêtent le caractère de documents administratifs, au sens de l’article 1er de la loi du 17 juillet 1978.

Le code source doit donc être accessible et être communiqué dans l’un des formats prévus à l’article 4 de la loi, au choix du demandeur et dans la limite des possibilités techniques de l’administration. En l’espèce, pour s’opposer à la communication du code source, le directeur général des finances publiques avait soutenu que l’application en cause “se composait de nombreux fichiers nécessitant un lourd traitement pour être rendus exploitables, de sorte que le document sollicité devait être regardé comme inexistant, en l’absence de traitement automatisé d’usage courant susceptible d’en produire une version compréhensible.”

Or, selon la commission, la loi du 17 juillet 1978 n’oblige pas l’administration à créer un nouveau document pour permettre la réutilisation des données qu’il comporte. Celle-ci n’est tenue qu’à communiquer le document “dans le format le plus propre à cette réutilisation lorsque l’administration le détient dans différents formats, ou peut obtenir par un traitement automatisé d’usage courant le format souhaité”. Si le document n’existe pas en l’état pour être communiqué, et ne peut être obtenu que par une opération excédant un simple traitement automatisé d’usage courant, l’administration n’est alors pas tenue d’élaborer un nouveau document.

Cependant, l’administration ne peut simplement se retrancher derrière des difficultés techniques ou une impossibilité matérielle pour refuser l’accès au document sollicité. En tout état de cause, la CADA estime que l’administration est tenue, a minima, de communiquer le document dans l’état où elle le détient.

Le code source pourra ensuite être réutilisé, sauf à des fins de mission de service public.

Dans son avis du 8 janvier 2015, la commission ne précise pas les conditions d’utilisation des codes sources communiqués. Ces conditions peuvent néanmoins se déduire des conditions de réutilisation figurant aux articles 10 et suivants de la loi de 1978, même si celles-ci ont été pensées pour des documents tels que les rapports, études statistiques, etc. Ainsi, les codes sources (informations publiques) ne peuvent être altérés et leur sens ne doit pas être dénaturé. L’utilisateur est tenu de mentionner les sources et la date de dernière mise à jour.

La CADA confirme ainsi, par son avis du 8 janvier 2015, que les codes sources de l’administration sont libres, et inscrit les logiciels développés par l’administration dans la logique de l’Open source et de l’Open data.

Il convient cependant de noter qu’il s’agit d’un avis, susceptible d’un recours devant les tribunaux administratifs en cas de désaccord de l’une des parties.


2. Les exceptions au principe d’accessibilité aux documents administratifs


Plusieurs exceptions existent cependant concernant l’accès aux documents administratifs, et donc aux codes sources des logiciels développés par ou pour l’administration.

La première exception notable, et légitime, concerne les documents couverts par des droits de propriété intellectuelle, et notamment les logiciels sous licence propriétaire. En effet, ce n’est pas parce qu’une administration va utiliser des logiciels sous licence, que les droits de propriété intellectuelle de leurs auteurs disparaissent et que les sources deviennent librement accessibles par toute personne qui en ferait la demande.

Outre l’exception relative aux droits de propriété intellectuelle, il existe plusieurs autres limites au principe de la liberté d’accès aux documents administratifs.

L’article 6 de la loi dispose que ne sont pas communicables, notamment, les documents administratifs dont la consultation ou la communication porterait atteinte au secret de la défense nationale, à la conduite de la politique extérieure de la France, à la sûreté de l’Etat, à la sécurité publique ou la sécurité des personnes, à la monnaie, à la recherche des infractions fiscales ou douanières (ce qui n’était pas le cas pour le logiciel de calcul de simulation de l’impôt sur le revenu, dont l’accès aux sources était sollicité).

Enfin, la communication des documents comportant des données à caractère personnel, des données médicales ou des secrets commerciaux ou industriels est en principe limitée aux personnes intéressées. 

Les conditions de réutilisation prévues dans la loi du 17 juillet 1978 sont plus particulièrement adaptées pour les documents “classiques” listés à l’article 1er de la loi (dossiers, rapports, études statistiques, etc.). Afin de clarifier les conditions d’utilisation des logiciels communiqués dans le cadre d’une demande d’accès en vertu de la loi de 1978, il est recommandé de prévoir les conditions de licence libre qui seront applicables à ce logiciel.

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(1) Commission d’accès aux documents administratifs, avis n°20144578 du 8 janvier 2015, M. X c/ Direction générale des finances publiques (DGFiP)

(2) Loi n°78-753 du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d’amélioration des relations entre l’administration et le public



Bénédicte DELEPORTE
Avocat

Deleporte Wentz Avocat
www.dwavocat.com

Avril 2015