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jeudi 9 mai 2019

Noms de domaine : le cybersquatting en hausse selon l’OMPI

De nombreuses entreprises sont victimes chaque année de cybersquatting (ou cybersquattage), en particulier dans les domaines du commerce de détail, de la mode et du luxe ou de la finance. Pour se défendre, les victimes peuvent soit engager une action en justice, soit lancer une procédure extrajudiciaire.

Dans un communiqué de presse publié le 15 mars 2019, l’OMPI (Organisation mondiale de la Propriété intellectuelle) a annoncé que son Centre d’arbitrage et de médiation avait reçu 3.447 plaintes relatives aux noms de domaine en 2018. Ces plaintes, déposées en vertu des Principes UDRP par des titulaires de marques, sont en hausse de 12% par rapport à l’année précédente. (1)


1. Le rôle du Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI dans le règlement extrajudiciaire des litiges sur les noms de domaines (principes UDRP)

Le Centre d’arbitrage et de médiation est un organisme relevant de l’OMPI, dont le siège est situé à Genève, avec un bureau à Singapour. L’objet du Centre d’arbitrage est de proposer des services de règlement extrajudiciaires des litiges (médiation et arbitrage) dans les domaines de la propriété intellectuelle, des technologies et des noms de domaines, en particulier de nature internationale. (2)

Les procédures concernent tant des litiges contractuels (exécution de licences de brevets et de logiciels, contrats de coexistence de marques, contrats de recherche et de développement) que des litiges non-contractuels (tels que des litiges de contrefaçon ou le cybersqatting). Les litiges relatifs aux noms de domaines sont, de loin, les plus nombreux.

Les litiges relatifs aux noms de domaine sont traités par le Centre d’arbitrage et de médiation en vertu des Principes directeurs concernant le règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (principes UDRP - Uniform Dispute Resolution Policy). (3) Cette procédure ne s’applique qu’aux litiges entre noms de domaine et marques.

Concernant les noms de domaine, seuls les litiges portant sur des noms de domaine enregistrés dans les domaines génériques de premier niveau (gTLD), tels que les domaines en .com, .org, .net, et les nouveaux gTLD en .online, .info., .app par exemple, sont pris en compte. Il convient d’ajouter plusieurs domaines de pays de premier niveau (ccTLD), notamment plusieurs extensions “exotiques” pouvant être utilisées à des fins frauduleuses, tels que les domaines en .ag (Antigua-et-Barbuda), .bm (Bermudes), .bs (Bahamas), .tv (Tuvalu), mais également le .fr, ou le .eu. (4) On notera toutefois que les noms de domaine en .com représentent encore plus de 70% des litiges traités par le Centre.

Pour être recevable, la demande du requérant doit remplir trois conditions cumulatives :
    i) le nom de domaine litigieux doit être identique ou similaire à une marque sur laquelle le requérant détient des droits, et prêter à confusion dans l’esprit du public ;
    ii) le détenteur du nom de domaine litigieux n’a aucun droit sur le nom de domaine, ni aucun intérêt légitime qui s’y attache ; et
    iii) le nom de domaine litigieux a été enregistré et utilisé de mauvaise foi. (5)

Enfin, l’entrée en application du RGPD permet désormais de masquer les coordonnées des titulaires de noms de domaines sur les bases de données Whois, rendant l’accès à l’information plus difficile en cas de litige. Le Centre d’arbitrage a publié des conseils “informels” afin de permettre aux ayants droit de s’assurer de la recevabilité des leurs plaintes. (6)


2. La hausse des plaintes relatives aux noms de domaine

Les plaintes concernant le cybersquatting sont en hausse. Ainsi, le nombre de plaintes déposées en vertu des principes UDRP par les ayants droit de marques dans des litiges relatifs à des noms de domaine s’est élevé à 3.447 en 2018 et a porté sur un total de 5.655 noms de domaine, en hausse de 12% par rapport à 2017. 

Les sites utilisant des noms de domaines litigieux sont généralement liés à des activités frauduleuses, telles que la vente de contrefaçons, le phishing (hameçonnage), l’atteinte au droit des marques par exemple, ou encore le développement d’une activité parasitaire.

En 2018, les parties aux litiges administrés par l’OMPI en vertu des principes UDRP venaient de 109 pays. 976 plaintes concernent les États-Unis, suivis par la France (553 plaintes), le Royaume-Uni (305 plaintes) et l’Allemagne (244 plaintes).

Les trois principaux domaines d’activité des plaignants sont la banque et la finance (12%), la biotechnologie et les produits pharmaceutiques (11%) et internet et les technologies de l’information (11%).


    Les noms de domaine font partie des actifs majeurs de la plupart des entreprises, qu'elles aient une activité commerciale en ligne ou un simple site "vitrine". Le cybersquatting porte une atteinte manifeste non seulement à l’image des titulaires de marques mais également à la concurrence. Il est donc nécessaire de mettre en place une stratégie de défense comprenant d’une part l’enregistrement de noms de domaines dans les extensions les plus courantes quand cela est possible, et avec des dérivés orthographiques, et d’autre part organiser une veille internet régulière pour détecter les fraudes éventuelles.

Le recours aux services d’arbitrage et de médiation de l’OMPI permet notamment aux ayants droit de récupérer un nom de domaine enregistré de mauvaise foi par un tiers, en évitant des procédures judiciaires longues et coûteuses, et le plus souvent internationales. Cette procédure simple, rapide et peu coûteuse (mais entièrement à la charge du requérant), n’exclut cependant pas la possibilité pour l’une ou l’autre des parties de porter le litige devant les tribunaux.


                                                                   * * * * * * * * * *

(1) « Nouveau record de plaintes pour cybersquattage (+12%) déposées auprès de l’OMPI en 2018 », Communiqué de presse du 15 mars 2019, OMPI

(2) Site de l’OMPI

(3) La procédure UDRP (Uniform Dispute Resolution Policy) et les Principes directeurs et les règles d’application éditées le 24 octobre 1999, sont accessibles sur le site du Centre d’arbitrage de l’OMPI
 
(4) Il existe deux types de procédures similaires - la procédure Syreli (Système de règlement des litiges) et la procédure PARL Expert (Procédures alternatives de résolution de litiges) administrées par l’Afnic pour l’extension en .fr et les extensions gérées gérées par l’Afnic 

(5) Pour les conditions de recours à la procédure UDRP, voir notre précédent article sur le sujet “Conflit entre une marque et un nom de domaine : le choix du recours à la procédure extrajudiciaire

(6) Voir la page “Impact of Changes to Availability of WhoIs Data on the UDRP: WIPO Center Informal Q&A



Bénédicte DELEPORTE
Avocat

Deleporte Wentz Avocat
www.dwavocat.com

Mai 2019

jeudi 18 février 2016

Drones et concurrence déloyale : illustration d’un conflit entre un nom commercial, des noms de domaine et une marque

Dans un jugement du 13 novembre 2015, le Tribunal de grande instance de Paris s’est prononcé sur une affaire opposant deux sociétés concurrentes sur le marché des drones civils. Le litige portait sur l’utilisation du terme « Droneshop ».

1. Le contexte

Dans cette affaire, un professionnel avait enregistré le nom de domaine Vizionair.fr en mai 2010, puis avait lancé son site e-commerce en octobre 2010, proposant à la vente des drones professionnels sous le nom commercial « Droneshop ». L’exploitant du site web avait ensuite déposé le nom de domaine Ladroneshop.com en octobre 2012, et avait fait immatriculer sa société sous la dénomination Vizion’Air en janvier 2013.

Parallèlement, un autre professionnel avait enregistré les noms de domaine Droneshop.fr et Droneshop.com en 2011. Le site e-commerce Droneshop.com proposait notamment à la vente des drones professionnels et de loisirs. Le professionnel a ensuite fait immatriculer sa société sous la dénomination Minigroup en octobre 2012, puis a enregistré deux marques composées du terme Droneshop en juillet et novembre 2013.

La première société, Vizion’Air, a alors pris la décision d’engager une action en justice à l’encontre de la société Minigroup, sur le fondement de la concurrence déloyale. Elle estimait, en effet, que son concurrent avait usurpé le nom commercial Droneshop, qui était utilisé par la demanderesse depuis 2010, soit antérieurement au dépôt et à l’enregistrement des noms de domaine et des marques Droneshop par la société Minigroup.

La société Vizion’Air estimait en outre que l’exploitation du site Droneshop.com, par la société Minigroup, était de nature à générer un risque de confusion dans l’esprit du public, dès lors que les consommateurs pouvaient croire que les produits étaient vendus par la même société, les activités des sociétés Vizion’Air et Minigroup étant similaires.

A ce titre, la société Vizion’Air réclamait le paiement de 100.000€ de dommages et intérêts pour préjudice d’image ; l’interdiction faite à la société Minigroup - sous astreinte – d’utiliser de quelque manière que ce soit le terme droneshop et d’exploiter le nom de domaine Droneshop.com ; l’annulation des marques Droneshop et enfin, le transfert du nom de domaine Droneshop.com à son profit.

2. Le jugement du Tribunal de grande instance de Paris

Le TGI de Paris a débouté la société Vizion’Air de toutes ses demandes.

Dans un premier temps, la juridiction a rappelé que « les signes distinctifs d’une société (une raison sociale ou un nom commercial) autres que ceux auxquels sont attachés des droits de propriété intellectuelle (ex : une marque), constituent des antériorités opposables à ceux, identiques ou similaires, déposés postérieurement pour des produits identiques ou similaires, qui génèrent un risque de confusion dans l’esprit du public ».

Dès lors, selon les juges, l’absence d’enregistrement d’une marque par la société Vizion’Air (contrairement à son concurrent) ne pose pas a priori de difficulté si elle peut démontrer l’antériorité de l’utilisation de son nom commercial Droneshop.

Or, le Tribunal a constaté que la société Vizion’Air utilisait de manière effective, pour les besoins de son activité, le nom commercial Droneshop et ce depuis octobre 2010. Ainsi, la société Vizion’Air semblait légitime à s’opposer à l’usage des noms de domaine Droneshop.fr et Droneshop.com, déposés postérieurement à l’utilisation de son nom commercial. De même, elle semblait légitime à s’opposer à l’usage des marques Droneshop, enregistrées postérieurement à son nom commercial Droneshop et son nom de domaine Ladroneshop.com.

Toutefois, le Tribunal ne fera pas droit aux demandes de la société Vizion’Air. En effet, les juges rappellent que les signes distinctifs d’une société, en l’espèce le nom commercial et le nom de domaine de la société Vizion’Air, doivent pour constituer une antériorité opposable, être distinctifs à l’égard des produits et services exploités.

Le caractère distinctif signifie que le signe doit être arbitraire et indépendant des produits ou services qu’il représente, et non descriptif. Par exemple, sont dépourvus de caractère distinctif : les signes ou dénominations qui, dans le langage courant, sont exclusivement la désignation nécessaire, générique ou usuelle du produit ou du service.

Selon le Tribunal, le signe litigieux (Droneshop) est constitué de deux termes accolés : “drone” qui désigne en français, un petit aéronef sans pilote, télécommandé ou pourvu d’un pilotage automatique, et “shop” signifiant magasin en anglais, terme largement compris par le consommateur français. Le premier terme désigne ainsi la nature des produits offerts à la vente, et le second fait référence au lieu de commercialisation. Aussi, « bien que n’étant pas un mot usuel ou générique, puisque composé d’un mot français et d’un mot anglais, la juxtaposition de ces deux termes est purement descriptive de l’activité exploitée et ne permet pas une identification de l’entreprise concernée afin de la distinguer des autres entreprises du même secteur ». Il en va de même du nom de domaine Ladroneshop.com.

Le Tribunal en conclut que ces deux signes ne constituent pas des antériorités opposables ; ils ne peuvent ainsi faire l’objet d’une quelconque appropriation et donc d’aucune revendication de la part de la société Vizion’Air.

En conclusion, cette décision rappelle que même sans titre de propriété intellectuelle (telle qu’une marque enregistrée), une entreprise a la possibilité de revendiquer des droits sur un signe distinctif (ex : dénomination ou nom commercial). Toutefois, il ne suffit pas de prouver l’antériorité de ce signe, il convient également de démontrer son caractère distinctif.

                                                     * * * * * * * * * * *

(1) Tribunal de grande instance de Paris, 3ème chambre, 3ème section, 13 novembre 2015, Société Vizion’Air c/ Société Minigroup.


Betty SFEZ 

Avocat

Deleporte Wentz Avocat
http://www.deleporte-wentz-avocat.com

Février 2016

vendredi 10 janvier 2014

Conflit entre une marque et un nom de domaine : le choix du recours à la procédure extrajudiciaire

Le cybersquatting ou enregistrement abusif de nom de domaine, consiste à enregistrer comme noms de domaine des marques sur lesquelles cette personne ne détient aucun droit. Le cybersquatteur exploite le principe du “premier arrivé, premier servi”, sur lequel repose le système d’enregistrement des noms de domaine. L’objectif est généralement de revendre le nom de domaine au titulaire de la marque concernée ou d’attirer des internautes sur un site web proposant des produits concurrents, voire contrefaits, ou des offres commerciales sans aucun rapport avec ladite marque.

De nombreuses entreprises sont victimes chaque année de ce type de pratique, en particulier celles ayant pour activité le commerce de détail, la mode ou la banque et la finance. Pour se défendre, les entreprises ont deux possibilités : engager une action en justice ou lancer une procédure extrajudiciaire.

Parce qu’elles présentent de nombreux avantages, les procédures administratives connaissent un certain succès. Ainsi, en 2012 les titulaires de marques ont déposé 2884 plaintes pour cybersquatting de 5084 noms de domaine, auprès du Centre de l’OMPI et 91% de ces plaintes ont abouti, les titulaires de marque obtenant le transfert ou la radiation du nom de domaine litigieux. (1)

Parmi les procédures de règlement alternatif des litiges, la procédure UDRP (ou Uniform Dispute Resolution Policy) a été instaurée par l’ICANN (autorité de régulation de l’internet) en octobre 1999. (2) Voici en quelques lignes ce qu’il faut retenir.


1. Les conditions d’accès à la procédure extrajudiciaire UDRP

Les litiges visés : cette procédure ne s’applique qu’aux litiges relatifs à l’enregistrement abusif d’un nom de domaine portant atteinte à une marque.

Les noms de domaines concernés : la procédure UDRP s’applique pour l’extension en .com ainsi que pour d’autres extensions relevant des domaines génériques de premier niveau (gtlD) telles que les extensions en .org, .gov, .net par exemple et quelques extensions nationales. (3)

Les demandeurs : toute personne physique ou morale, quelle que soit sa nationalité ou sa situation géographique, peut déposer une plainte administrative UDRP relative à un nom de domaine litigieux.

Les centres arbitraux compétents : le requérant, titulaire d’une marque, a la possibilité de déposer sa plainte auprès de l’un des Centres agréés par l’ICANN. Ces centres sont notamment situés en Europe à Genève (Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI) et à Prague (Cour d’arbitrage tchèque) ; aux Etats-Unis (National Arbitration Forum ou NAF) et en Asie (Asian Domain Name Dispute Resolution Center ou ADNDRC).

Les exigences préalables : pour être recevable, la demande du requérant doit remplir trois conditions cumulatives : (a) le nom de domaine litigieux doit être identique ou similaire à une marque sur laquelle le requérant détient des droits, et prêter à confusion dans l’esprit du public ; (b) le détenteur du nom de domaine litigieux n’a aucun droit sur le nom de domaine, ni aucun intérêt légitime qui s’y attache ; et (c) le nom de domaine litigieux a été enregistré et utilisé de mauvaise foi.


2. Les points forts de la procédure administrative UDRP

Une procédure simple et rapide : elle s’étend en principe sur 60 jours et se réalise en 5 étapes :
    - dépôt de plainte du requérant,
    - présentation des observations du défendeur,
    - constitution d’une commission d’experts,
    - décision, et enfin
    - exécution de cette décision.

En principe, il n’y a qu’un seul échange d’argumentaire et de pièces pour les parties. Aucune audience en personne n’est prévue. Une fois la plainte et la réponse du défendeur déposées, le Centre désigne un ou plusieurs experts chargés d’examiner le dossier. La décision, écrite et motivée, est notifiée aux parties et au registrar concerné (bureau d’enregistrement du nom de domaine litigieux).

Le requérant débouté ou le défendeur condamné n’a comme seul moyen de recours, la saisine de juridictions nationales. Si le défendeur condamné ne saisit pas la justice dans un délai de 10 jours à compter de la notification de la décision, le registrar exécutera automatiquement la décision de transfert ou de radiation du nom de domaine.

Une procédure peu coûteuse : le montant des taxes est fixé par chaque Centre de règlement selon un barème. Ce montant varie selon le nombre de noms de domaine concernés par la plainte et le nombre d’experts mandatés. Ainsi, une procédure devant le Centre de l’OMPI s’élève entre 1.500USD et 5.000USD (soit entre 1.100€ et 3.700€). Ces taxes sont entièrement à la charge du requérant, sauf si la désignation de plusieurs experts est à l’initiative du défendeur. Dans ce cas, ce dernier doit s’acquitter de la moitié du montant total de la taxe.

Une procédure n’excluant pas l’action en justice : cette procédure spécifique n’implique aucune renonciation aux droits des parties d’ester en justice. En effet, le titulaire de la marque, ou le détenteur du nom de domaine, a la possibilité de porter le litige devant les tribunaux, que ce soit avant ou après la procédure extra-judiciaire.


3. Illustration : l'affaire
Eleven c. Howword Flower rendue par le Centre de l’OMPI

Cette affaire opposait l’entreprise française Eleven à une société américaine, Howword Flower. (4) La société Eleven était titulaire de plusieurs marques françaises et internationales, enregistrées en 2011, et exploitait un site internet de vente en ligne de prêt-à-porter, à l’URL elevenparis.com.

La société Eleven a découvert que la société Howword Flower avait enregistré, en juillet 2013 – soit postérieurement à l’enregistrement de ses marques - le nom de domaine elevenparisfr.com. En outre, ce nom de domaine pointait vers un site web très similaire à celui exploité par la société Eleven et proposait à la vente des produits contrefaits de la société Eleven.

En août 2013, la société Eleven a décidé de déposer plainte auprès du Centre de l’OMPI afin d’obtenir le transfert du nom de domaine litigieux.

La commission d’experts désignés a relevé qu’en l’espèce les trois exigences, requises par le règlement UDRP, étaient effectivement remplies :
  - le nom de domaine litigieux elevenparisfr.com reproduisait à l’identique la marque du requérant et la confusion entre ces deux signes était d’autant plus flagrante que le nom de domaine litigieux comportait les lettres “fr”, correspondant à l’extension des noms de domaine français ;
  - la commission a ensuite relevé que la société Howword Flower n’avait aucun droit sur le nom de domaine, ni aucun intérêt légitime qui s’y attachait. Il ressort notamment des éléments du dossier que le défendeur n’était pas autorisé à utiliser la marque litigieuse, ne détenait pas de licence d’utilisation de cette marque et n’était pas connu du public sous le nom de domaine litigieux ;
  - enfin, les experts ont constaté que le nom de domaine elevenparisfr.com avait été enregistré et utilisé de mauvaise foi, résultant du fait que le requérant utilisait un nom de domaine, pointant vers un site internet qui proposait des produits contrefaits, sous la marque du requérant, sans le consentement de ce dernier.

Le 16 octobre 2013, la commission d’experts a rendu une décision ordonnant le transfert du nom de domaine litigieux au profit de la société Eleven.


   La procédure extrajudiciaire UDRP a le mérite de résoudre les conflits entre les marques et les noms de domaine dans des délais plus courts et pour un coût moindre que devant les juridictions nationales. Cette procédure, concernant souvent des litiges internationaux, permet également d’obtenir rapidement l’exécution d’une décision, et évite ainsi le recours à la procédure d’exequatur, procédure longue et complexe mais nécessaire pour donner force exécutoire à un jugement étranger sur le territoire national.

Toutefois, la procédure UDRP connaît quelques désavantages : elle ne permet que la transmission ou la suppression du nom de domaine, à l’exclusion de tous dommages et intérêts ; les taxes restent souvent à la charge du demandeur ; et les débats – uniquement par écrit – sont limités. En outre, il n’existe pas recours en appel devant ces Centres. En conséquence, il est possible qu’après deux mois de procédure extra-judiciaire, le requérant débouté doive repartir de zéro devant une juridiction nationale.

Dans la pratique, le choix entre l’action judiciaire et la procédure extrajudiciaire dépendra de la complexité de l’affaire, du préjudice subi par l’entreprise victime et de ce que cette dernière souhaite obtenir. Chaque situation doit donc être appréciée au cas par cas afin de déterminer la meilleure stratégie à adopter pour faire transférer ou radier un nom de domaine litigieux. Pour faire son choix, l’entreprise pourra s’appuyer sur les recommandations d’un Conseil spécialisé.


                                                    * * * * * * * * * * *

(1) “Activité du Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI en 2012”, communiqué du centre médias de l’OMPI du 28 mars 2013.

(2) La procédure UDRP (Uniform Dispute Resolution Policy) et les Principes directeurs et les règles d’application éditées le 24 octobre 1999, sont accessibles sur le site du Centre d’arbitrage de l’Ompi (http :// :arbiter.wipo.int).

(3) Il existe une procédure similaire - dite Syreli (Système de règlement des litiges) pour les extensions gérées par l’Afnic, dont le .fr.

(4) Décision arbitrale du centre de l’OMPI, Eleven vs. Howword Flower, case n°D2013-1423, du 16 octobre 2013.

 

Bénédicte DELEPORTE
Betty SFEZ
Avocats

Deleporte Wentz Avocat

www.dwavocat.com
Janvier 2014

vendredi 14 juin 2013

Conflit entre les noms de domaine e-obseques.fr et i-obseques-paris.fr : absence de concurrence déloyale

Le Tribunal de commerce de Paris a rendu le 24 mai 2013 une décision intéressante en matière de noms de domaine. (1) Dans cette décision, le Tribunal a rappelé que le titulaire d’un nom de domaine descriptif de l'objet même du site web auquel il renvoit ne peut se prévaloir d’une quelconque protection juridique. En conséquence, l’exploitation par un concurrent d’un nom de domaine similaire ne constitue pas une faute.


1. Le contexte

Cette affaire opposait la société Le Passage exploitant un site web proposant des services d'obsèques dans toute la France à l’URL e-obseques.fr, à la société Services Funéraires - Ville de Paris (SFVP) exploitant un site web fournissant des services funéraires, à Paris et en proche banlieue parisienne à l’URL i-obseques-paris.fr.

Les noms de domaine e-obseques.fr et i-obseques-paris.fr avaient été respectivement enregistrés  en août 2010 et en avril 2011.

La société Le Passage a assigné les SFVP au motif que l'utilisation d'un nom de domaine, proche du sien, créait une confusion avec son propre site web et qu'en faisant ce choix de nom de domaine les SFVP agissaient de façon déloyale. La société Le Passage prétendait ainsi que l'attitude des SFVP était constitutive d'actes de concurrence déloyale.


2. Le caractère générique du nom de domaine e-obseques.fr

    2.1 Les arguments du titulaire du nom de domaine i-obseques-paris.fr

Les SFVP ont rejeté les prétentions de la société Le Passage pour les raisons suivantes :

    - d’une part, le nom de domaine e-obseques.fr est descriptif et n'est pas similaire à i-obseques-paris.fr. En outre, l'analyse comparative des sites et des services fournis permet d'affirmer que les activités des deux sociétés ne sont pas identiques. Or, selon les SFVP, il ne peut exister de risque de confusion entre les activités des deux sociétés, dans la mesure où ni les noms de domaine, ni les sites web, ni les services proposés sont identiques ou similaires ;

    - d’autre part, les SFVP affirment ne pas avoir capté la clientèle de la société Le Passage et soulignent à ce titre, que cette dernière ne rapporte pas la preuve d'une quelconque baisse du nombre de visites sur son site, ni d'une baisse de chiffre d'affaires depuis le lancement du site i-obseques-paris.fr.

En conséquence, les SFVP soutenaient n'avoir commis aucune faute et donc aucun acte de concurrence déloyale.

    2.2 Seul un nom de domaine distinctif peut être protégé
Il est de jurisprudence constante que seul doit être protégé le nom de domaine distinctif. Les tribunaux rejettent ainsi l'idée d'une protection basée sur l'antériorité du dépôt d'un nom de domaine générique.

Dans notre affaire, les SFVP considéraient que le nom de domaine e-obseques.fr était dénué de caractère distinctif, pour les raisons suivantes :

    - le nom de domaine e-obseques.fr correspond à la désignation du service fourni par la société Le Passage, à savoir un service d’obsèques proposé par voie électronique. En effet, le préfixe "e" désigne habituellement un service par voie électronique ; le terme "obseques" désigne le service fourni ;
    - les termes composant ce nom de domaine s'apparentent à des mots-clés, comme ceux utilisés pour effectuer une requête sur un moteur de recherche, pour naviguer sur internet ;
    - les termes composant ce nom de domaine ne permettent pas l'identification d'une entreprise particulière.

Dès lors, les SFVP considéraient que les termes composant le nom de domaine de la société Le Passage étaient purement descriptifs de son activité et que le nom de domaine e-obseques.fr était dépourvu de toute originalité et de caractère distinctif. Les SFVP concluaient que ce caractère descriptif privait la société Le Passage d'une quelconque exclusivité quant à l'utilisation des termes composant le nom de domaine e-obseques.fr.


3. Une décision en ligne avec la jurisprudence des noms de domaine

Le Tribunal a suivi les arguments des SFVP en relevant que :

    - l’adresse internet choisie par la société Le Passage pour exercer son activité est la simple juxtaposition du mot obsèques et de la lettre “e-” ;
    - dans l’environnement internet, la lettre “e-” associée au terme “commerce” évoque le commerce électronique ;
    - l’adresse «“e-obseques.fr” signifie donc “commerce électronique d’obsèques”, ce qui est l’exacte activité du site internet exploité par la société Le Passage.

Selon le Tribunal, en choisissant des termes intégralement descriptifs, la société Le Passage s’exposait à retrouver les mêmes termes dans des sites concurrents et notamment sur les moteurs de recherches, qui prennent en compte la requête “obsèques” pour délivrer leurs réponses.

Compte tenu de ce choix de nom de domaine, qui lui a évité les investissements indispensables pour donner une notoriété propre à une adresse internet non descriptive, le Tribunal a jugé que la société Le Passage ne pouvait revendiquer une protection qui aboutirait à lui reconnaître un monopole d’utilisation d’un terme descriptif.

Enfin, le Tribunal a constaté que la société Le Passage n'était pas en mesure d’établir  l'existence d'une confusion entre le graphisme de leur site et celui du site web des SFVP. Le Tribunal a donc jugé que les SFVP n'avaient commis aucune faute et a débouté la société Le Passage de toutes ses demandes.


Cette décision est conforme à la jurisprudence actuelle en matière de noms de domaine. Ainsi, dans un arrêt récent de la Cour d’appel de Bastia, les juges ont rendu une décision similaire concernant les noms de domaines "mariagesencorse.com" et "mariageencorse". (2)

Dans cette affaire, le titulaire du nom de domaine "mariagesencorse.com" avait assigné en concurrence déloyale, le titulaire du nom de domaine "mariageencorse", enregistré postérieurement. Le demandeur réclamait que la société concurrente soit condamnée (i) à ne plus utiliser le nom de domaine litigieux, (ii) à procéder aux formalités de transfert du nom de domaine au profit du demandeur et (iii) à payer des dommages et intérêts pour préjudice commercial et moral. Le demandeur a été débouté de ses demandes au motif que le nom de domaine litigieux était générique et descriptif de l’activité de la société. Son titulaire ne pouvait donc valablement se prévaloir de la protection d'un tel nom de domaine.


                                                    * * * * * * * * * * *

(1) Tribunal de commerce de Paris, 15e ch., 24 mai 2013, C. Davril, Le Passage / SFVP. Voir décision sur Légalis : http://www.legalis.net/spip.php?page=jurisprudence-decision&id_article=3764. A noter que dans cette affaire, les SFVP étaient représentés par le Cabinet Deleporte Wentz Avocat.


(2) CA Bastia, ch. civ. B, 20 mars 2013, Angela A. c/ Iris Média et autres.


Betty SFEZ
Avocat

Deleporte Wentz Avocat
www.dwavocat.com

Juin 2013

mercredi 12 septembre 2012

Droits et limites des collectivités territoriales sur leur nom enregistré comme marque ou nom de domaine

Le nouveau cadre juridique des noms de domaine est entré en vigueur il y a un peu plus d’un an,  le 1er juillet 2011. Jusqu'à cette date, les collectivités territoriales (communes, départements, régions, etc.), bénéficiaient d'un droit exclusif pour l'enregistrement de leur nom en .fr. Désormais, la possibilité de déposer un nom de domaine sur le nom d'une collectivité ne leur est plus réservé. (1)

Cette nouvelle réglementation a conduit de nombreuses collectivités territoriales à s'interroger sur la protection de leur nom, dont l'utilisation, permettant de promouvoir leur territoire et de faciliter le lien social avec leurs administrés, suscite beaucoup de convoitise auprès des tiers, entreprises du secteur privé ou associations. (2)

Ces interrogations nous donnent l'occasion de faire le point sur : (i) les droits dont bénéficient les collectivités sur leurs noms et les moyens d'action qui s'offrent à elles pour contester l'utilisation de leur nom, à titre de marque ou de nom de domaine, par un tiers, (ii) mais également les limites aux droits des collectivités sur leur nom.


1. Les moyens d'action contre l'utilisation du nom d'une collectivité, à titre de marque ou de nom de domaine

Les collectivités territoriales ne jouissent pas d'un droit spécifique sur leur nom ; elles sont cependant en droit de protéger leur nom contre une exploitation commerciale injustifiée.

L'utilisation abusive de leur dénomination par des tiers peut notamment être sanctionnée sur le terrain du droit des noms de domaine. En effet, la nouvelle réglementation, qui certes a supprimé l'exclusivité d'enregistrement au profit des collectivités, comporte néanmoins des dispositions visant à protéger l'usage de leur nom. A ce titre, les collectivités ont, sous certaines conditions, la possibilité de s'opposer à l'enregistrement ou au renouvellement d'un nom de domaine, ou de le faire supprimer, ou encore d'en demander le transfert, lorsque ce nom de domaine est identique ou apparenté à celui d'une collectivité territoriale ou porte atteinte à ses droits (articles L.45-2 et L.45-6 Code des Postes et des Communications Electroniques - CPCE).

Par ailleurs, et nous nous attarderons plus longuement sur ce point, l'utilisation abusive de la dénomination d'une collectivité par des tiers peut être sanctionnée sur le terrain du droit des marques, que la collectivité ait ou non déposé son nom à titre de marque.

    1.1 Une réglementation protectrice du nom des collectivités territoriales


Une collectivité peut engager une action judiciaire pour atteinte au nom. Cette action, envisageable que la collectivité ait ou non déposé son nom à titre de marque, est prévue par l'article L711-4 (h) CPI qui dispose : "ne peut être adopté comme marque, un signe portant atteinte à des droits antérieurs, et notamment : h) Au nom, à l'image ou à la renommée d'une collectivité territoriale." Cette action permet à une collectivité de s'opposer à l'utilisation de son nom comme marque lorsque son utilisation peut entraîner une confusion dans l'esprit du public avec une marque déposée par la commune, un site officiel de la commune (nom de domaine) ou une action mise en oeuvre par celle-ci.

A titre d'exemple, la ville de Paris a attaqué une personne physique ayant déposé la marque PARIS L’ETE au motif que ce dépôt portait atteinte aux droits que la commune détient sur son nom. En effet, la ville de Paris affirme communiquer et intervenir dans les domaines concernés par les produits et services désignés par la marque PARIS L’ETE.

Dans un arrêt du 12 décembre 2007, la Cour d’appel de Paris a fait droit à la demande de la ville de Paris, précisant qu’"une collectivité territoriale est en droit de protéger son nom contre toute exploitation commerciale injustifiée, notamment lorsqu’un tiers, en déposant une marque, sera susceptible de lui causer un préjudice soit en l’empêchant de tirer profit de la commercialisation de son nom, soit en nuisant à son identité, son prestige ou sa renommée”.

La Cour relève que la Ville de Paris organise de nombreuses manifestations, lors de la saison d’été, dans les domaines culturel, économique et touristique ; qu’elle fait connaître ces événements, qui lui permettent de développer sa renommée, par le biais de différents médias d’information ; et utilise, dans ce contexte, son nom associé au mot L’ETE. En outre, la Cour relève que les produits et services désignés par la marque PARIS L’ETE (services de diffusion de programmes de radio ou de télévision et des services de présentation au public d’œuvres plastiques, de littérature à but culturel ou éducatif) sont similaires à ceux que la ville de Paris fournit sous son nom à ses partenaires et plus largement, aux services offerts dans le cadre de ses missions de service public.

Dès lors, la Cour considère que le dépôt de la marque PARIS L’ETE, qui crée un monopole d’exploitation au profit d’un tiers, prive la ville de Paris de la possibilité d’exploiter son nom pour désigner ses propres activités et pour en contrôler l’usage. La Cour a donc prononcé l’annulation de la marque PARIS L’ETE. (3)

    1.2 Une réglementation protectrice des marques des collectivités territoriales

Conflit entre deux marques - Une collectivité territoriale peut, sous réserve qu'elle ait enregistré son nom à titre de marque, s'opposer à l'enregistrement d'une marque par un tiers par le biais d'une procédure alternative de règlement des litiges. Cette procédure permet à une collectivité d'empêcher l'enregistrement d'une marque nouvelle qui porterait atteinte à ses droits, à savoir notamment une marque qui reproduirait à l'identique ou imiterait sa marque, pour des produits et services identiques ou similaires. Cette démarche doit être engagée auprès de l'INPI et peut aboutir, si l'opposition est fondée, au rejet de la marque nouvelle. (articles L.712-4 et s. et R. 712-8 et s. du Code de la propriété intellectuelle - CPI)

Conflit entre deux marques ou entre une marque et un nom de domaine
- Par ailleurs, toujours sous réserve que la collectivité territoriale ait eu le réflexe de déposer son nom à titre de marque, celle-ci peut engager une action judiciaire en contrefaçon de marque contre un tiers qui voudrait déposer une nouvelle marque, sur le fondement de l'article L.713-3 CPI.

Ce texte dispose que, sauf autorisation du propriétaire, sont interdits la reproduction et l'imitation d'une marque ainsi que l'usage d'une marque reproduite ou imitée, pour des produits ou services similaires à ceux désignés dans l'enregistrement, s'il peut en résulter un risque de confusion dans l'esprit du public. Cette action peut être utilisée par une collectivité à l'encontre d'une marque ou d'un nom de domaine reprenant la marque déposée par la collectivité. La collectivité pourra obtenir du tribunal l'annulation de la marque ou du nom de domaine litigieux et/ou des dommages et intérêts.


2. Les limites à la protection du nom des collectivités territoriales posées par la jurisprudence

La protection accordée au nom des collectivités territoriales n'est cependant pas absolue et ne prohibe que les utilisations fautives. La jurisprudence a précisé les limites de cette prohibition, en affirmant que les collectivités ne disposent pas d'un droit exclusif leur permettant d'interdire a priori l'enregistrement de leur nom, à titre de marque ou de nom de domaine, par un tiers.

Les tribunaux exigent la preuve d'une faute, distincte du seul choix par un tiers d'un signe comprenant le nom d'une collectivité territoriale. Ainsi, dans l'hypothèse où une action judiciaire est engagée par une commune, il appartient à celle-ci de démontrer l’existence d’un risque de confusion avec ses propres attributions, ou un risque de nature à porter atteinte aux intérêts publics ou de nature à porter préjudice à la collectivité/ses administrés. Ce risque de confusion relève de l’appréciation souveraine des juges du fond.

Nous rappelons ci-après quelques décisions judiciaires illustrant les limites de la protection du nom des collectivités.

    2.1 Conflits entre un nom de collectivité et une marque et des noms de domaine appartenant à des tiers

Affaire ville de Paris c/ Association "Paris sans fil" : Dans une affaire opposant la ville de Paris à l'association Paris-sans fil, cette dernière avait déposé et exploitait la marque PARIS SANS FIL (notamment en classe 38: télécommunication, communication par réseaux de fibres optiques, etc.) et les noms de domaine paris-sans-fil, avec les extensions ".info", ".fr" et ".org", et paris-sansfil.com. La ville de Paris a assigné l’association au motif que ces dépôts et cette exploitation portaient atteinte "aux droits de la ville sur son nom, sa renommée et son image, (...) et constitueraient en outre un usage trompeur pour le public".

Dans un jugement du 6 juillet 2007, le TGI de Paris a fait droit à ces demandes. Le tribunal prononce la nullité de la marque sur le fondement des articles L.711-4 h) et L. 714 CPI et ordonne à l'association de modifier sa dénomination sociale et de procéder à la radiation des noms de domaine en cause sur le fondement de l'article 1382 du Code civil.

Pourquoi une telle décision ? La ville de Paris avait démontré qu'elle intervenait de façon active dans le domaine des nouvelles technologies de l'information et de la communication, et notamment dans le domaine du développement du haut débit et du système Wifi et que l'emploi par l'association d'une marque déposée pour désigner des services identiques et similaires entraînait un risque de confusion avec ses propres activités. (4)

Affaire ville de Paris c/ la société Studyrama : Dans une autre affaire, la ville de Paris a été déboutée par la même juridiction dans un dossier l'opposant à la société Studyrama.

En l'espèce, la société Studyrama, titulaire de la marque JEUNES A PARIS, exploitait un magazine du même nom destiné aux étudiants et comportant des rubriques relatives aux loisirs, restaurants, voyages, etc. La marque JEUNES A PARIS avait été déposée dans les classes de produits et services 16 (papier, carton et journal), 38 (télécommunication) et 41 (éducation, formation, divertissement) . La ville de Paris a demandé au TGI de Paris de prononcer la nullité de la marque JEUNES A PARIS, sur le fondement de l'article L.711-4 h) CPI.

Dans un jugement du 24 novembre 2004, le Tribunal a rappelé qu'il appartenait à la ville de Paris de prouver que "la dénomination critiquée est de nature à tromper le public quant à l'origine des produits ou à la garantie qu'il penserait être en droit d'attendre de la collectivité". Or, le tribunal a considéré que (i) les produits et services de la marque JEUNES A PARIS ne relevaient pas exclusivement des attributions municipales, de telle sorte que le public n’était pas nécessairement amené à penser que ces services étaient proposés par la ville de Paris, et (ii) qu'"un tel raisonnement conduirait à interdire toute marque comportant le nom Paris en association avec d'autres mots". A défaut de risque de confusion entre la marque JEUNES A PARIS et la ville de Paris, la demande en nullité a été rejetée.

Par ailleurs, le tribunal a fait droit à la demande de la société Studyrama en contrefaçon de la marque JEUNES A PARIS contre le nom de domaine www.jeunes-paris.fr, enregistré par la ville de Paris. Le tribunal a considéré, en effet, que ce nom de domaine constituait une imitation de la marque litigieuse : il reprenait les mêmes termes "jeunes" et "Paris" et l'utilisation de ce nom de domaine concernait le même service que celui désigné par la marque, à savoir la communication par terminaux d'ordinateurs (classe 38). Il en résultait donc un risque de confusion pour le public. Le tribunal a ainsi condamné la ville de Paris à ne plus utiliser l'expression "jeunes à paris" en tant que nom de domaine. (5)

    2.2 Conflit entre une marque et un nom de domaine appartenant à une collectivité et une marque et des noms de domaine appartenant à un tiers

Affaire ville d'Issy-les-Moulineaux c/ Association "Issy on line" : En l'espèce, la ville d'Issy-les-Moulineaux, titulaire de la marque ISSY et du nom de domaine issy.com, avait assigné l’association Issy on line. Cette association avait déposé la marque "Issy Tv" et enregistré les noms de domaine "Issy.net", "Issytv.com", "Issytv.org" et "Issy.info". La ville d'Issy-les-Moulineaux demandait la nullité de la marque, la cessation de toute utilisation par l'association du terme "Issy" et la cessation de l'utilisation des noms de domaine, sur le fondement des articles L.711-4, L.713-2 et suivants CPI et 1382 du Code civil.

Dans un arrêt du 13 septembre 2007, la Cour d'appel de Versailles a débouté la commune d'Issy-les-Moulineaux de ses demandes, relevant l'absence de contrefaçon de la marque ISSY et l'absence de faute dans l'enregistrement et l'utilisation des noms de domaines litigieux.

Pourquoi une telle décision ? La Cour a rappelé "qu'une commune peut déposer son nom de domaine en intégral ou en abrégé à titre de marque et l'enregistrer comme nom de domaine, mais elle ne peut interdire son utilisation par un tiers et doit la tolérer, dès lors que celui qui utilise dans la marque ou le nom de domaine tout ou partie du nom de la commune justifie d'un intérêt légitime à se prévaloir de ce nom, notamment pour y mentionner le lieu où il exerce effectivement son activité, et qu'il n'existe aucun risque de confusion avec la marque déposée ou le site officiel de la commune".

En outre, la Cour a rappelé que l'existence d'une contrefaçon éventuelle devait être appréciée au regard du contenu du site correspondant au nom de domaine litigieux. Or, dans le cas présent, la Cour a considéré (i) qu’il n’existait aucun risque de confusion entre la marque ISSY TV et la marque ISSY, déposée en classe 38 par la commune du même nom, “l’adjonction de l’abréviation "tv" au terme "Issy" présentant un caractère suffisamment distinctif” et (ii) que le contenu des sites en cause excluait tout risque de confusion, notamment parce que les services proposés par l'administré n'étaient ni professionnels ni officiels, et qu'il apparaissait clairement qu'il s'agissait d'un site géré par une personne privée et non par la municipalité. C'est ainsi qu’en raison de l'absence de risque de confusion, la commune d'Issy-les-Moulineaux a été déboutée de ses demandes. (6)

    2.3 Conflit entre un nom de domaine appartenant à une collectivité et un nom de domaine appartenant à un tiers

Affaire Commune de Levallois-Perret c/ un élu de la commune, Loic L : La commune de Levallois-Perret, titulaire du nom de domaine ville-levallois.tv, avait attaqué en référé l'exploitant titulaire du nom de domaine "levallois.tv", au motif que le site internet portait à confusion avec le site web officiel de la commune.

Le défendeur, conseiller municipal de Levallois-Perret, contestait l'existence d'un risque de confusion, en l'absence de reprise sur son site des couleurs, de la charte graphique, du logo et du nom officiel de la ville de Levallois-Perret. Le juge des référés a alors procédé à une analyse du site contesté pour déterminer si un internaute moyen pouvait penser qu’il s’agissait du site officiel de la ville. Pour le juge, le signe Levallois TV associé à la photographie du titulaire du site et à son adresse email, ainsi qu’une présentation graphique différente du site officiel, le distinguaient parfaitement des publications de la ville, de sorte qu’il n’existait pas de risque de confusion avec  le site de la commune. L'utilisation du terme "Levallois", seul point commun entre les deux sites, ne suffisait pas à caractériser un risque de confusion. Le juge des référés a donc débouté la ville de Levallois-Perret de sa demande d’interdire le site levallois.tv. (7)


Ainsi, il existe une réglementation protectrice du nom des collectivités territoriales, qui disposent de moyens d'action pour lutter contre l'utilisation abusive de leur nom par un tiers. Toutefois, cette réglementation n'a pas pour objet d'interdire aux tiers, de manière générale, de déposer en tant que marque ou nom de domaine, un signe identifiant une collectivité territoriale, mais seulement de réserver cette interdiction au cas où il résulterait de ce dépôt une atteinte aux intérêts publics.

Au regard de ces éléments, il est recommandé aux collectivités territoriales de définir leurs besoins en termes de marques et de noms de domaine et de faire procéder aux enregistrements nécessaires. Une protection efficace du nom des collectivités passe par la mise en place d'une stratégie commune entre la marque et le nom de domaine.

Quant aux personnes de droit privé (entreprises ou particuliers) souhaitant utiliser la dénomination d’une commune, d’un territoire ou d’une région dans une marque ou un nom de domaine, il conviendra de s’assurer que cette marque ou ce nom de domaine, non seulement ne crée pas de confusion dans l’esprit du public, mais également qu’ils ne portent pas atteinte aux intérêts publics.
* * * * * * * * * * * *

(1) Loi n°2004-669 du 9 juillet 2004 relative aux communications électroniques et décret d'application n°2007-162 du 6 février 2007 ; Loi n°2011-302 du 22 mars 2011 portant diverses dispositions d'adaptation de la législation au droit de l'Union européenne en matière de santé, de travail et de communications électroniques.
(2) A ce sujet, voir les réponses ministérielles (ministère chargé des collectivités territoriales) du 12 avril 2012, p. 913, n°21080 et du 29 mars 2012, p. 790, n°21079.
(3) CA Paris, 4e ch., section A, 12 décembre 2007, n°06/20595, Ville de Paris c/ M.Simon.
(4) TGI Paris,3e ch., 2e section, 6 juillet 2007, n°06/01925, Ville de Paris c/ Association Paris sans Fil.
(5) TGI Paris, 3e ch., 1re sect., 24 nov. 2004, Sarl Studyrama c/ Ville de Paris.
(6) CA Versailles, 12e ch. 2e sect., 13 sept. 2007, SA SEM Média c/ El Hadri, Juris-Data n° 2007-346646.
(7) TGI Nanterre, ord. réf., 30 janv. 2007, Cne Levallois-Perret c/ Loic L.


Betty SFEZ
Avocat

Deleporte Wentz Avocat
www.dwavocat.com

Septembre 2012

dimanche 4 mars 2012

Les atteintes à l’e-réputation de l'entreprise : comment défendre son image de marque sur internet

Les atteintes à l'e-réputation font régulièrement la une de la presse internet. En attestent par exemple, la condamnation de sites de réservation d'hôtels et de voyages en octobre 2011 pour avoir notamment publié de faux avis de consommateurs ou, plus récemment, la révélation des pratiques de la société Orangina qui aurait trafiqué sa page Facebook avec de faux profils pour animer sa propre "fan page".(1)

Avec le développement de l’internet participatif, et la possibilité pour tous de créer, publier et partager des contenus en ligne, mais également de commenter ou recommander des sites webs, produits ou services, la gestion et la maîtrise de sa réputation numérique sont devenues une préoccupation majeure pour les entreprises et leurs dirigeants.

Comment l'entreprise peut-elle éviter "le mauvais buzz", faire face aux critiques et défendre son image de marque sur internet ? L’objet du présent article est d’apporter quelques éléments de réponse.


1. Comment anticiper les risques d’atteinte à la réputation numérique de l'entreprise ?

L'e-réputation consiste en l’image d’une personne physique, d'une entreprise ou d’une marque, telle que perçue par les internautes. Les clients, utilisateurs, concurrents et salariés d'une entreprise peuvent contribuer à faire et à défaire sa réputation ou celle d’une ligne de produits ou de services. Il est donc conseillé de mettre en oeuvre des règles de gestion, ou bonnes pratiques, de l’image de marque de l’entreprise.

    1.1 Les pratiques portant atteinte à l'e-réputation de l’entreprise et/ou de ses dirigeants

Les atteintes à l’e-réputation d’une entreprise peuvent être de deux types : d’une part, l’entreprise qui tente de manipuler son image de marque en ligne par l’intermédiaire de faux avis de consommateurs par exemple, et dont les pratiques sont divulguées, portant ainsi atteinte à la crédibilité de sa communication vis-à-vis du public, d’autre part un utilisateur ou un groupe de consommateurs insatisfaits qui décident de cibler une entreprise et ses produits en publiant des commentaires et avis négatifs, plus ou moins fondés, l’objectif étant de porter atteinte à l’image de cette entreprise et/ou de ses produits.
Les pratiques résultant en une atteinte à l’e-réputation se déclinent de plusieurs manières :
- Les faux avis de consommateurs mis en ligne par une entreprise visant à manipuler sa réputation. Cette pratique peut dans certains cas être qualifiée de pratique commerciale trompeuse ;
- Les faux avis de consommateurs mis en ligne par une entreprise concurrente, et édités par ses salariés ou des entreprises spécialisées dans la rédaction de faux commentaires ;
- Les avis négatifs de consommateurs ciblant les produits et services d'une entreprise, postés sur des forums de discussion, des blogs, etc. ;
- Le dénigrement et la diffusion de fausses informations : le dénigrement consiste à jeter publiquement le discrédit sur un concurrent en répandant des informations erronées ou malveillantes sur sa personnalité ou ses produits, services, compétences et prix, afin de détourner sa clientèle ou d’en tirer un quelconque profit ;
- La divulgation d'informations personnelles sur les clients ou dirigeants de l'entreprise pouvant porter atteinte à leur vie privée ou au droit à l'image ou la divulgation d'informations confidentielles (secret d’affaires, secret de fabrication, savoir-faire, etc.).(2) L’accès aux informations confidentielles peut, par exemple, être dû au piratage du système d'information de l'entreprise en cause ;
- La diffamation et l’injure consistent, par exemple, en l'allégation d’un fait portant atteinte à l’honneur d'un dirigeant d'entreprise ou en l'utilisation d'une expression outrageante à son encontre ;
- Les atteintes à la marque et au nom de domaine : une marque ou un logo peuvent faire l'objet d'un détournement, d'une reproduction non autorisée ou d'une imitation servile. L’atteinte peut par exemple consister en l’apposition d’un terme péjoratif, dénigrant ou insultant au nom de l’entreprise ou à l’une de ses marques (tel que arnaque, escroquerie ou boycott). Les noms de domaine peuvent également être détournés par le "cybersquatting" ou le “typosquatting” ;
- L’usurpation d'identité : l'identité d'une entreprise peut être usurpée au moyen du "phishing", consistant pour les fraudeurs à tromper un internaute sur l'origine d'un message (provenant de sa banque par exemple) afin de lui soutirer des informations confidentielles telles que mots de passe ou numéro de carte bancaire.

Les conséquences d’une atteinte à l’e-réputation :
Ces différentes pratiques sont nuisibles à l'entreprise dans la mesure où celle-ci court le risque de voir sa marque associée à des valeurs non souhaitées ou à des comportements répréhensibles et où la divulgation d'information peut desservir les intérêts de ses clients, actionnaires, fournisseurs, distributeurs et autres partenaires commerciaux.

De nombreuses entreprises ont déjà fait les frais d'un "mauvais buzz", justifié ou non. On citera, par exemple, les sociétés Acadomia (constitution de fichiers nominatifs sans autorisation contenant des commentaires injurieux envers les enseignants et clients), Nestlé (pratiques contestables liées à l’utilisation de l'huile de palme et à la déforestation, dénoncées par Greenpeace) ou, plus récemment, Guerlain (propos racistes tenus par le fondateur).(3)

Les entreprises doivent se préparer à ces types d’atteinte à leur image et développer des règles de gestion de leur e-réputation. 

   1.2 La mise en oeuvre de bonnes pratiques en matière de gestion de l’image de marque de l’entreprise

Anticiper les risques d’atteinte à l’image est indispensable ; l'entreprise doit donc développer une véritable politique de gestion de sa réputation numérique et mettre en oeuvre des bonnes pratiques de gestion de son image de marque :

- La protection des marques et noms de domaine de l'entreprise : en premier lieu, il est recommandé à l'entreprise de protéger sa/ses marques par le droit de la propriété intellectuelle par leur enregistrement auprès de l’INPI, éventuellement sous plusieurs formes (verbale et figurative) et d’étendre la protection à plusieurs pays au cas où l’entreprise aurait une activité commerciale à l’international (marque communautaire ou internationale). Ce mode de protection permettra à l’entreprise de poursuivre en justice les tiers qui reproduiraient sa marque de manière non autorisée et/ou en cas de parasitisme ou de dénigrement.
- La sécurisation du système d'information de l'entreprise : afin d'éviter une fuite d'informations, l'entreprise devra sécuriser son système d'information en déployant : (i) des solutions techniques de sécurisation de ses équipements (pare-feu, antivirus, filtre anti-spam, utilisation de codage pour les données sensibles, y compris la mise à jour régulière de ces dispositifs de sécurité), et (ii) une communication pédagogique envers les salariés axée sur les risques technologiques, la nécessité de signaler les incidents de sécurité et de prendre les précautions nécessaires en matière de sécurisation de leurs équipements et comptes (ex: choix de mots de passe complexes).

- L’adoption d’une stratégie de communication et de veille de l'e-réputation : l'entreprise doit communiquer sur sa marque, ses produits et services de manière régulière et adaptée aux nouveaux usages d'internet, par exemple en animant une communauté d'internautes et en dialoguant avec ses clients via la plate-forme internet collaborative de la société, telle la SNCF avec sa rubrique débats (http://debats.sncf.com/), ou via une page entreprise sur Facebook par exemple. La gestion de l'e-réputation sera alors assurée : (i) par la désignation d'un community manager, ayant pour mission d'animer la marque de l'entreprise auprès des différentes communautés d'internautes, et de répondre aux questions, détecter les problèmes ou désamorcer les crises ; (ii) et si nécessaire, par la mise en ligne de conditions d'utilisation détaillant les conditions de modération applicables à la plate-forme collaborative utilisée par l'entreprise.

Par ailleurs, de nouveaux outils et services sont mis à la disposition des entreprises par des sociétés spécialisées dans la gestion de l'e-réputation : logiciels de mesure de visibilité sur les réseaux sociaux, plates-formes permettant aux professionnels de consulter en temps réel les avis, commentaires et notes donnés par les internautes, assurance spécifique contre les atteintes à l'e-réputation, etc. Il est cependant recommandé d'étudier avec attention les contrats proposés par ces prestataires, les services et les engagements étant variables selon les prestataires.(4)

- La sensibilisation des salariés de l'entreprise : les salariés tendent de plus en plus à s'exprimer sur internet à propos de leur employeur. Les entreprises doivent donc instaurer une politique de sensibilisation de leur personnel consistant, d’une part en formations ciblées sur les bonnes pratiques d'utilisation des outils de communication électronique (email, réseaux sociaux et le cas échéant réseau social de l’entreprise), l’exercice de la liberté d'expression et ses limites, d’autre part dans la mise en place d'une charte internet complète et à jour.(5)

- L’information des internautes : enfin, l'image de marque de l’entreprise passe par une information claire sur les caractéristiques essentielles de ses produits et services, ses conditions de vente et de livraison, ses conditions de fourniture de services, les prix pratiqués, la politique relative aux données personnelles, etc. A ce titre, il est recommandé de soigner la rédaction des conditions générales de vente/d'utilisation et mentions légales figurant sur le site web de l'entreprise.

Si, en dépit de ces précautions, l'entreprise est victime d'atteintes à sa réputation sur internet, plusieurs moyens d'action pourront être envisagés pour lutter contre de telles offenses.


2. Comment réagir et se défendre en cas d’atteinte à la réputation numérique de l'entreprise

    2.1 Une riposte graduée en fonction de la gravité de l'atteinte

En cas d'atteinte à son e-réputation, l'entreprise doit définir la stratégie qui sera la plus efficace pour y mettre fin et réagir sans délai afin de ne pas laisser une information nuisible se propager. Cependant, avant toute action, judiciaire ou extra-judiciaire, il sera primordial de conserver la preuve des éléments litigieux, notamment via un constat d’huissier. Plusieurs actions sont envisageables compte tenu du type et de la gravité de l’atteinte à son image. Il est recommandé de faire établir une analyse de la gravité de l’atteinte à l’image et de la stratégie de défense à mettre en oeuvre avec l’aide d’un avocat.

- "Noyer" ou "nettoyer" les contenus indésirables : l'entreprise peut tenter de "noyer" les contenus nuisibles en mettant en ligne de nouveaux contenus correctifs ou informatifs (mais ni erronés, ni trompeurs) sur ses produits et/ou services, les informations litigieuses redescendant dans les pages de résultats des moteurs de recherche.

En outre, bien qu'il ne soit pas toujours possible de faire totalement disparaître du web certaines informations, l'entreprise peut tenter de les faire supprimer, par des moyens techniques divers, tels l'utilisation de dispositifs d'alerte mis en place par la plupart des médias participatifs ou le recours à des sociétés spécialisées dans le "nettoyage" de l'e-réputation. Il est là aussi recommandé d'étudier avec attention les contrats proposés par ces prestataires avant d’avoir recours à ces services.(6)

- Instaurer un dialogue avec l'auteur du trouble : s'il est identifié, l'entreprise peut préférer se rapprocher du/des auteur(s) des contenus portant atteinte à son image de marque, et tenter de négocier le retrait des informations gênantes afin d'éviter ou de limiter tout déficit d'image. Le rôle du community manager peut être déterminant dans le désamorçage du problème.

L'entreprise ou ses dirigeants victimes peuvent également faire jouer leur droit de réponse en ligne, dont l'exercice est soumis, par la loi, à certaines conditions ou faire jouer leur droit d'opposition à la divulgation de données personnelles, permettant de demander la suppression de ces données, soit auprès du webmaster du site internet à l'origine de la publication litigieuse, soit à défaut de suppression dans un délai de deux mois, auprès de la CNIL qui enjoindra au responsable du site web de faire le nécessaire.(7)

- Mettre en oeuvre des procédures alternatives de règlement des litiges : en cas de tentative d’enregistrement d’une marque ou d’un nom de domaine potentiellement contrefaisant ou dénigrant, l'entreprise peut selon les cas, soit lancer une procédure d'opposition, permettant d'empêcher l'enregistrement d'une marque nouvelle qui porterait atteinte à ses droits, soit lancer une procédure de suppression ou de transfert à son profit d'un nom de domaine susceptible de porter atteinte à ses droits. Les conditions de mise en oeuvre de ces procédures varient selon le type de marque ou d'extension du nom de domaine et selon l'office d'enregistrement et de gestion concernés.(8)

- Engager une action judiciaire : enfin, l'entreprise ou son dirigeant peut décider d'agir en justice afin d'obtenir (i) l'identité de l'auteur des propos litigieux, si celui-ci n'est pas identifié, (ii) le retrait du contenu litigieux, ou la désindéxation des pages sur lesquelles ces contenus ont été diffusés, et (iii) la réparation du préjudice subi par la condamnation de l'auteur à des dommages et intérêts. Ces actions, en référé ou au fond, seront dirigées selon les cas, soit directement contre l'auteur des faits au cas où l’entreprise a pu l’identifier, soit contre l'hébergeur du site internet litigieux ou les FAI au cas où ceux-ci n’auraient pas fourni les informations permettant d’identifier l’auteur des contenus ou n’auraient pas retiré les contenus litigieux à la demande de l’entreprise.(9)

Si internet permet de s’exprimer librement, le web n'est pas pour autant une zone de non-droit. Certaines atteintes à la liberté d’expression et à l'e-réputation sont sévèrement réprimées par la loi.

    2.2 Les différents fondements pouvant être invoqués en cas d’action judiciaire contre les auteurs des troubles

Plusieurs fondements juridiques peuvent être invoqués suivant le type d'atteinte subie, en cas d’action judiciaire contre les auteurs des troubles :

- La diffamation et l'injure sont réprimées par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et sont notamment punies d'une amende de 12.000€. Les sanctions peuvent atteindre un an d'emprisonnement et 45.000€ d'amende en cas de diffamation à caractère racial. Il convient cependant de noter que ce type d’action est soumis à un délai de prescription court (trois mois).(10)

- Le dénigrement est sanctionné sur le fondement de l'action en concurrence déloyale en application de l'article 1382 du Code civil. Cette action vise à mettre en cause la responsabilité civile de l'auteur des propos litigieux et d'obtenir le versement de dommages et intérêts.(11)

- Le délit d'atteinte à la vie privée est prévu par le Code pénal qui punit d'un an d'emprisonnement et de 45.000€ d'amende, le fait de porter volontairement atteinte à l'intimité de la vie privée d'autrui. La loi réprime le fait d'enregistrer et/ou de diffuser des paroles prononcées à titre confidentiel ou l'image d'une personne se trouvant dans un lieu privé, sans le consentement de la personne concernée (articles 226-1 et 226-2 Code pénal).

- Le non-respect du droit d'opposition est réprimé par la loi Informatique et Libertés qui punit de cinq ans d'emprisonnement et 300.000€ d'amende le fait de procéder à un traitement de données à caractère personnel malgré l’opposition de la personne concernée, lorsque cette opposition est fondée sur des motifs légitimes (article 226-18-1 du Code pénal).

- Les pratiques commerciales trompeuses sont définies par le Code de la consommation et punies de deux ans d'emprisonnement et/ou 37.500€ d'amende (personnes morales : 187.500€ ou 50% des dépenses de publicité ou de la pratique constituant le délit). Ces pratiques consistent à tromper le consommateur et l’amener à prendre une décision commerciale qu’il n’aurait pas prise autrement.(12)

Les pratiques commerciales trompeuses visent ici les faux avis de consommateurs ou les commentaires positifs postés par l’entreprise elle-même, sous l’apparence d’un client satisfait. Ces pratiques font l’objet, depuis début 2011, d’enquêtes spécifiques diligentées par les agents de la DGCCRF. Par ailleurs, l’AFNOR est en train de travailler à un projet de norme visant à renforcer la fiabilité des commentaires déposés par les internautes sur les sites marchands.

- Les atteintes à la marque telles que la reproduction sans autorisation ou l'imitation servile sont sanctionnées au titre de la contrefaçon et punies de trois ans d’emprisonnement et de 300.000€ d’amende (article L.716-10 du Code de la propriété intellectuelle).

- Le délit d'usurpation d'identité numérique est défini par la LOPPSI 2 et passible d'un an d'emprisonnement et 15.000€ d’amende. Ce nouveau délit permet de sanctionner, par exemple, les actes de "phishing".(13)

Enfin, cet arsenal répressif pourrait bientôt se voir renforcé par l'instauration, (i) d'un droit à l'oubli numérique, facilitant la suppression des données publiées et prévu dans le projet de règlement communautaire sur les données personnelles et (ii) d'un délit d'atteinte au secret des affaires, punissant de trois ans d'emprisonnement et 375.000€ d'amende, la divulgation d'informations de nature commerciale, industrielle, scientifique, etc. compromettant gravement les intérêts d'une entreprise et prévu par une proposition de loi sur la protection des informations économiques.(14)


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(1) Condamnation des sociétés Expedia et autres, à payer près de 430.000€ de dommages et intérêts au Syndicat national des hôteliers, restaurateurs, cafetiers et traiteurs (Synhorcat) (Tribunal com. Paris, 15e ch., 4/10/2011) ; et voir l’article : "Orangina aurait trafiqué sa page Facebook avec de faux profils", Le Journal du Net (15/02/2012).
(2) L'article 9 al.1 du Code civil dispose que "Chacun a droit au respect à sa vie privée". Cette disposition permet à toute personne de s'opposer à la divulgation d'informations concernant, notamment, la vie conjugale, la vie familiale, la santé, la sexualité ou encore le patrimoine du dirigeant de l'entreprise. En vertu du droit au respect de la vie privée, la jurisprudence a créé le droit à l'image afin de permettre à une personne, célèbre ou non, de s'opposer à la captation, la fixation ou à la diffusion de son image, sans son autorisation expresse et préalable.
(3) Voir les articles publiés sur Le Journal du Net : "L'affaire Nestlé: autoritarisme, mépris, absence" et "Acadomia engage le dialogue....mais reste muette" (29/04/2011).
(4) Voir les articles publiés sur le site Les Echos entrepreneur : "Le nouveau filon de l'e-réputation" (18/02/2011) et sur le site Capital.fr : "De nouvelles assurances pour protéger votre e-réputation" (31/01/2012).
(5) Voir nos articles : "La charte technologique : un document essentiel pour la protection des réseaux et des données de l'entreprise" (09/2008) et "La charte informatique face à l'évolution des technologies : l'outil indispensable pour définir les règles du jeu" (12/2011) (accessible sur notre site web: www.dwavocat.com).
(6) Voir article publié sur le Blog de l'agence de communication digitale 50A (www.50a.fr) : "Nettoyeur pour 9,90€: une e-réputation au rabais?" (30/11/2011).
(7) Article 6-IV de la loi n°2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique (LCEN) et Décret n°2007-1527 du 24 octobre 2007 ; Loi n°78-17 du 6 janvier 1978, modifiée relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, et notamment article 38 ; Fiche pratique CNIL : "l'e-réputation en questions" (24/08/2011).
(8) Voir les articles L.45 et s. du Code des postes et des communications électroniques et la procédure "Syreli" devant l'AFNIC.
(9) Voir l'article 6 de la LCEN et le Décret n°2011-219 du 25 février 2011.
(10) Sur la diffamation, voir jugement du TGI de Nanterre du 6/01/2011 David Douillé c/ Bakchich et autres et jugement du TGI de Paris du 8/09/2010, M. X c/ Google inc., Eric S., et Google France
(11) Sur le dénigrement, voir jugement du TGI de Béthune du 14/12/2010 société Kemenn c/ Eric N.
(12) Voir les articles L.121-1, L.121-6 et L213-1 du Code de la consommation et l’art. 131-38 du Code pénal.
(13) Loi n°2011-267 du 14 mars 2011 d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, dite LOPPSI 2 (art. 2) et article 226-4-1 du Code pénal.
(14) Proposition de règlement du parlement européen et du conseil relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données du 25 janvier 2012 ; Proposition de loi relative à la protection des informations économiques du 13 janvier 2012.


Bénédicte DELEPORTE – Avocat
Betty SFEZ – Avocat

Deleporte Wentz Avocat
www.dwavocat.com

Mars 2012