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vendredi 25 septembre 2015

Utilisation de bases de données par un métamoteur de recherche externe : les conditions de licéité rappelées par la CJUE

Dans une décision du 19 décembre 2013, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a rappelé les conditions d’utilisation d’un métamoteur de recherche dédié pour que celui-ci ne soit pas considéré comme enfreignant les droits des exploitants des bases de données. (1)

Le litige opposait deux sociétés néerlandaises : la société Innoweb, qui exploite un métamoteur de recherche dédié dans le domaine de la vente automobile (gaspedaal.nl), à la société Wegener, qui exploite un site web d’annonces de vente de voitures d’occasion (autotrack.nl).

La société Wegener, considérant qu’Innoweb portait atteinte à ses droits d’exploitant de base de données par la mise à disposition d’un métamoteur de recherche, a assigné cette dernière afin de mettre fin à l’atteinte à ses droits. Wegener a obtenu gain de cause pour la plupart de ses demandes en première instance. La société Innoweb a fait appel. La cour a alors décidé de poser une série de questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne portant sur l’étendue de la protection des bases de données dans le cadre d’une utilisation par un métamoteur de recherche dédié.

Après avoir rappelé les conditions de la protection juridique d’une base de données, nous verrons comment ces conditions ont été appliquées à l’utilisation d’un métamoteur de recherche dédié.


1. Les sites de petites annonces protégés par le droit des bases de données

Les sites de petites annonces constituent des bases de données, protégées juridiquement.

- La protection juridique des bases de données : un droit sui generis
La directive européenne du 11 mars 1996 a consacré un droit sui generis de la protection des bases des données, indépendant de la protection par le droit d’auteur, et essentiellement axé sur la protection des droits patrimoniaux du fabricant, ou producteur, de bases de données.

Considérant en effet que le développement d’une base de données implique généralement un investissement humain et financier conséquent, sa protection juridique permet au fabricant de limiter ou d’interdire toute extraction ou réutilisation non autorisée des données. L’utilisation de la base dans sa totalité ou une partie substantielle, ou de manière répétée et systématique (par exemple, liste d’abonnés aux pages jaunes, catalogue de produits d’un site de e-commerce ou liste de petites annonces), est soumise à l’autorisation (contrat de licence) de l’ayant-droit, accordée en principe contre rémunération.

En revanche, toutes les bases de données ne sont pas automatiquement protégées. Seules les bases de données dont la collecte de données, leur vérification ou la présentation du contenu attestent un investissement, qualitatif ou quantitatif, substantiel sont protégées juridiquement.

- Les notions d’extraction et de réutilisation des données

Concernant les bases de données protégées, la directive définit les notions d’extraction et de réutilisation comme suit :

“extraction” signifie “le transfert permanent ou temporaire de la totalité ou d'une partie substantielle du contenu d'une base de données sur un autre support par quelque moyen ou sous quelque forme que ce soit” ;

“réutilisation” signifie “toute forme de mise à la disposition du public de la totalité ou d'une partie substantielle du contenu de la base par distribution de copies, par location, par transmission en ligne ou sous d'autres formes (…)

La directive précise ensuite que “l'extraction et/ou la réutilisation répétées et systématiques de parties non substantielles du contenu de la base de données qui supposeraient des actes contraires à une exploitation normale de cette base, ou qui causeraient un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du fabricant de la base, ne sont pas autorisées.” (3)

A contrario, l’utilisation d’une base de donnés par un tiers à des fins de consultation ponctuelle par exemple, n’est pas considérée comme portant atteinte aux droits du producteur.


2. Les conditions d'une utilisation licite des bases de données par un métamoteur de recherche

- Les questions posées à la CJUE

Un site web proposant un métamoteur de recherche peut-il être utilisé, sans l’accord des fabricants des bases de données référencées, pour réutiliser du contenu d’une base de données accessible en ligne en procédant, en temps réel, à des recherches dans la totalité ou une partie substantielle du contenu de ces bases de données tierces ?

Si le métamoteur de recherche ne renvoie aux utilisateurs qu’une partie minime du contenu de la base de données tierce, ou la fait apparaître sur son site web selon sa propre présentation et que les actes de recherche sont répétés en permanence, une telle utilisation du métamoteur correspond-elle alors à une réutilisation répétée et systématique de parties non substantielles du contenu de la base de données, contraire aux intérêts du fabricant de la base ?

C’est en substance la problématique soulevée par la cour d’appel néerlandaise à la CJUE dans l’affaire opposant la société Innoweb à Wegener.

- Définition d’un métamoteur de recherche dédié

Dans un premier temps, la Cour définit en quoi consiste un métamoteur de recherche dédié, puis applique les critères établis par la directive afin de déterminer si l’utilisation des bases de données par ce type de métamoteur enfreint les droits des fabricants.

La Cour distingue entre les moteurs de recherche fonctionnant sur des algorithmes, tels que Google ou Yahoo et les métamoteurs de recherche dédiés. Concernant ce type de métamoteur, l’exploitant du service ne dispose pas d’un moteur de recherche propre mais a recours aux moteurs de recherche utilisés par les sites tiers, couverts par le service de recherche.

Le qualificatif “dédié” signifie que le métamoteur est spécialisé dans les recherches sur un ou plusieurs domaines déterminés (en l’espèce, la vente de voitures d’occasion), permettant, par une seule requête, d’étendre la recherche sur plusieurs sites tiers d’annonces. Le métamoteur de recherche dédié traduit “en temps réel” les requêtes des utilisateurs dans les différents moteurs de recherche des sites tiers, permettant de balayer les données de ces bases.

En l’espèce, le métamoteur du site gaspedaal.nl permet de procéder à des recherches dans les bases de données de vente de voitures selon plusieurs critères (marque, modèle, kilométrage, année et prix notamment). Les résultats obtenus sont agrégés, le site du métamoteur affichant les liens vers les annonces correspondant à la requête. En l’espèce, les données n’étaient pas extraites des bases couvertes par le métamoteur.

- Notion de réutilisation des contenus de la base de données
La Cour analyse ensuite la notion de réutilisation, au regard de la finalité définie dans la directive, en l’appliquant au métamoteur de recherche dédié.

Selon la Cour, la notion de réutilisation au sens de l’article 7 de la directive, “doit être interprétée comme se référant à tout acte consistant à mettre à la disposition du public, sans le consentement de la personne qui a constitué la base de données, les résultats de son investissement, privant ainsi cette dernière de revenus censés lui permettre d’amortir le coût de cet investissement”, peu importe la nature ou la forme du procédé utilisé.

L’activité de l’exploitant d’un métamoteur de recherche a pour objet de fournir aux internautes un dispositif permettant d’explorer toutes les données figurant dans des bases de données protégées, en accédant à l’intégralité du contenu des bases par d’autres voies que celles prévues par les fabricants de ces bases de données. Cette activité a notamment des conséquences financières pour les exploitants des bases de données. En effet, les internautes n’ont plus besoin de se rendre sur leurs sites pour faire leurs recherches, ni même pour accéder aux annonces (ou au moins, sans passer par la page d’accueil du site de petites annonces). Les revenus publicitaires des sites de petites annonces sont alors potentiellement affectés.

La Cour en conclut que l’exploitant d’un métamoteur de recherche dédié procède effectivement à une réutilisation du contenu d’une base de données, au sens de la directive. Cette réutilisation porte sur une partie substantielle, voire même sur la totalité, du contenu de la base concernée, dès lors que le métamoteur : i) fournit à l’utilisateur final un formulaire de recherche offrant les mêmes fonctionnalités que le formulaire de la base de données ; ii) traduit en temps réel les requêtes des utilisateurs finaux dans le moteur de recherche de la base de données, permettant ainsi d’explorer toutes les données de la base ; et iii) présente à l’utilisateur final les résultats sous l’apparence extérieure de son site internet en réunissant les doublons en un seul élément, mais dans un ordre fondé sur des critères comparables à ceux utilisés par le moteur de la base de données pour présenter ses résultats.


    En conséquence, un site qui mettrait à la disposition des internautes un métamoteur de recherche dédié, sans avoir au préalable obtenu l’accord des exploitants des sites couverts par ce métamoteur (et quelque soit le domaine couvert par le métamoteur) doit respecter les critères suivants pour ne pas enfreindre les droits des fabricants des bases de données concernées :
    - fournir un formulaire de recherche comprenant des fonctionnalités différentes de celles proposées par les formulaires des bases de données couvertes ;
    - ne pas traduire en temps réel les requêtes des utilisateurs dans le moteur de recherche de la base de données afin de ne pas explorer toutes les données de cette base ; et
    - ne pas présenter à l’utilisateur les résultats de recherche sous l’apparence extérieure de son site internet, en réunissant les doublons en un seul élément et dans un ordre fondé sur des critères comparables à ceux utilisés par le moteur de la base de données pour présenter ses résultats.

Ainsi, l’exploitant d’un métamoteur de recherche a deux solutions pour ne pas enfreindre les droits des fabricants des bases de données des sites couverts : soit obtenir l’accord de ces sites tiers pour interroger leurs bases de données et proposer les résultats obtenus en temps réel, selon un format similaire à celui utilisé par le/les sites d’annonces, soit exploiter le métamoteur sans l’accord des sites tiers, mais en respectant les critères définis par la CJUE, en acceptant le fait que ces contraintes techniques donneront des résultats certainement moins pertinents pour les utilisateurs.

                                                            * * * * * * * * * * *

(1) CJUE, 5ème chambre, décision du 19 décembre 2013, Innoweb BV, Wegener ICT Media BV, Wegener Mediaventions BV

(2) Directive 96/9/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 1996 concernant la protection juridique des bases de données, transposée en droit français aux articles L.341-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle

(3) Article 7.2 et 7.3 de la directive



Bénédicte DELEPORTE
Avocat

Deleporte Wentz Avocat
www.dwavocat.com

Septembre 2015

mercredi 16 septembre 2015

Quel cadre légal pour le traitement des données personnelles des mineurs sur internet ?


Selon une étude Ipsos Connect menée en 2014, en France, les enfants de 7 à 12 ans passent en moyenne 5 heures par semaine sur internet, cette durée dépassant 11 heures par semaine pour les adolescents de 13 à 19 ans. (1) Pour autant, les enfants ne connaissent pas les règles de protection de la vie privée et peuvent être amenés à s’inscrire sur des sites et à communiquer des données sans comprendre les conséquences de tels actes.

En mai 2015, 29 autorités nationales de protection des données, regroupées au sein du GPEN (Global Privacy Enforcement Network), ont réalisé une opération d’audit en ligne conjointe sur près de 1.500 services web destinés aux mineurs (sites de jeux, réseaux sociaux et services éducatifs ou de soutien scolaire).

L’objectif de ces audits était de vérifier si les sites et applications internet consultés par les enfants et adolescents respectaient les règles de protection de la vie privée. Les points de contrôle portaient sur le type de données collectées, le niveau d’information et son adaptation aux jeunes utilisateurs ainsi que l’existence de mesures particulières de vigilance ou de contrôle parental pour les plus jeunes.

Les résultats de cette opération, dénommée “Internet Sweep Day”, viennent d’être publiés par la CNIL. (2) Selon ces autorités de protection des données, la protection de la vie privée des mineurs, sur les différents services examinés, est globalement insuffisante.

Après avoir brièvement rappelé le cadre légal de la protection des données personnelles, nous examinons ci-après les initiatives en cours vers un renforcement de la protection de la vie privée des mineurs et les règles de traitement qui devront être déployées par les exploitants de services numériques à destination des mineurs.


1. Le cadre légal de la protection des données personnelles : des règles générales qui s’appliquent à tous, sans distinction d’âge

La loi Informatique et Libertés du 6 janvier 1978 a été modifiée en 2004 pour transposer la directive européenne sur la protection des données personnelles du 24 octobre 1995. (3) Ces textes ne contiennent pas de dispositions relatives aux données personnelles des mineurs. Les dispositions légales s’appliquent donc à tous (adultes et enfants), sans distinction d’âge.

Les principales règles en matière de collecte et de traitement de données à caractère personnelle peuvent être résumées ainsi :

- Une collecte de données loyale et licite ;
- Une obligation de déclaration à la CNIL préalablement à la mise en oeuvre du traitement, ou éventuellement l’obligation de faire une demande d’autorisation pour certains types de traitements ;
- Un traitement de données conforme à la finalité déclarée (ou autorisée) ;
- Le consentement de la personne concernée à la collecte de ses données, accompagné d’une obligation d’information de la personne sur ses droits d’accès, de correction et d’opposition (désinscription / suppression) ;
- La conservation des données pour une durée raisonnable. A l’expiration du délai nécessaire au traitement, y compris les obligations légales de conservation (durées de prescription légale), les données doivent être supprimées ;
- Une obligation de sécurité des données. Le responsable de traitement doit mettre en oeuvre des mesures de sécurité physiques et techniques afin d’éviter tout accès non autorisé aux serveurs d’hébergement afin que les données ne soient modifiées, effacées, voire divulguées au public.

Les sanctions encourues en cas de non-respect à la loi Informatique et Libertés sont sévères : amendes administratives prononcées par la CNIL d'un montant maximum de 300.000€, et condamnations pénales allant jusqu’à 5 ans d’emprisonnement et 300.000€ d’amende.


2. Vers la reconnaissance d’une protection renforcée de la vie privée des mineurs

En Europe, l’absence de régime spécifique aux mineurs ne signifie pas que les organismes, publics ou privés, ne réfléchissent pas à cette problématique, et ce depuis une dizaine d’années. De plus en plus de personnalités, issues tant du monde politique et réglementaire que du monde du numérique et des médias, reconnaissent le besoin de faire évoluer la réglementation sur la protection de la vie privée des mineurs. En effet, les éditeurs de sites pour enfants et adolescents sont aujourd’hui fortement incités à faire preuve d’une vigilance accrue dès lors qu’ils traitent des informations sur leurs jeunes utilisateurs et clients.

Des initiatives publiques et privées
De nombreux textes, recommandations, avis, chartes, définissant les mesures à déployer pour assurer un niveau de protection renforcée aux données des mineurs, ont été adoptés par des organismes publics et privés.

On citera par exemple les recommandations et actions de sensibilisation de la CNIL (rapport "Internet et la collecte de données personnelles auprès de mineurs”, site Jeunes.cnil.fr, organisation du Safer Internet Day en France, animation du collectif pour l’éducation au numérique, etc.), ou encore les avis publiés par le Groupe de l’article 29 (ou “G29”), réunissant les autorités européennes de contrôle de la protection des données (avis portant sur "la protection des données à caractère personnel de l'enfant" et "les réseaux sociaux en ligne”). (4)

Plusieurs organisations professionnelles ont également souhaité apporter des garanties de protection renforcée aux mineurs. Ces initiatives figurent dans les chartes et codes édités par l'Union Française du Marketing Direct (UFMD), l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) ou la Chambre de commerce internationale (ICC) par exemple. (5)

Même si ces textes doivent être interprétés comme de la “soft law”, et ne sont pas obligatoires, ils servent néanmoins de repères et permettent de faire évoluer le droit. Ces recommandations et engagements divers peuvent être mis en oeuvre par les acteurs du numérique afin de démontrer leur engagement citoyen pour une meilleure protection de la vie privée des jeunes.

Le futur règlement européen sur la protection des données personnelles
En janvier 2012, le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne ont publié une proposition de règlement visant à réformer le cadre juridique de la protection des données personnelles dans l’Union européenne. (6) Ce texte, qui devrait en principe être adopté fin 2015/début 2016, a fait l'objet de nombreux débats. Ce règlement européen, une fois le texte définitif adopté, sera d’application immédiate et uniforme dans l’ensemble de l’Union européenne et viendra remplacer la Directive de 1995 et les différentes lois nationales de protection des données personnelles, y compris la loi Informatique et Libertés de 1978.

La proposition de règlement européen sur la protection des données à caractère personnel marque une évolution importante concernant la protection de la vie privée des enfants. Plusieurs dispositions spécifiques les concernent.

Le règlement proposé définit expressément l'enfant comme une personne de moins de 18 ans, même si une distinction est parfois faite entre les enfants de moins de 13 ans et les adolescents entre 13 et 18 ans.

Le texte affirme ainsi que :
- “les données à caractère personnel relatives aux enfants nécessitent une protection spécifique car ceux-ci peuvent être moins conscients des risques, des conséquences, des garanties et de leurs droits en matière de traitement des données” ;
- Les enfants seraient exclus des opérations de profilage par traitement automatisé ;
- Des formulaires types relatifs au traitement de données à caractère personnel des enfants seraient définis par la Commission pour garantir des conditions uniformes de mise en oeuvre du règlement à travers l’Union ;
- Enfin, les traitements de données personnelles des enfants de moins de 13 ans ne seraient licites que sous réserve que le consentement soit donné par un parent ou la personne qui en a la garde. (7)

Le montant des sanctions prévues en cas de non conformité aux obligations édictées par le règlement est particulièrement dissuasif : 500 000 euros ou, dans le cas d'une entreprise, 1% de son chiffre d’affaires annuel mondial. Bien que ces chiffres ne soient pas encore définitifs, les montants seront plus élevés que sous la législation actuelle.


3. Quelques recommandations et bonnes pratiques à adopter par les éditeurs de services web et mobiles pour mineurs


Bien qu’il n’existe pas encore en Europe d’obligation spécifique relative à la collecte et au traitement de données personnelles de mineurs, il est fortement recommandé aux services numériques destinés aux enfants, d’anticiper l’évolution de la réglementation.

Plusieurs séries de mesures peuvent d’ores et déjà être déployées ou planifiées, et ce même si le règlement européen n’entrera en vigueur que deux ans après son adoption.

Outre les obligations applicables à toute collecte de données à caractère personnel, les mesures suivantes peuvent ainsi être mises en place :

- Consentement parental : la proposition de règlement soumet le caractère licite des traitements de données personnelles des enfants de moins de 13 ans à l’autorisation des parents. Le consentement parental est incontournable en cas de collecte de données sensibles (données relatives à la santé, aux convictions religieuses ou à l’origine raciale), des photographies de mineur, et de cession des données à des tiers à des fins de prospection commerciale ;

- Mesures techniques : l’éditeur d’un service web ou mobile devra déployer des moyens techniques permettant de s'assurer de l'effectivité du consentement de l'enfant et de l'autorisation des parents, ainsi que des technologies protectrices de la vie privée, telles que des paramètres par défaut ;

- Information et transparence : l’exploitant d’un site ou d’une application mobile devra fournir des informations et communiquer dans des termes adaptés, facilement compréhensibles par un enfant ;

- Droit à l'oubli numérique : enfin, les mineurs devront pouvoir obtenir du responsable du traitement l’effacement et la cessation de la diffusion des données les concernant.


     Les résultats de l’Internet Sweep Day ont fait apparaître des niveaux de protection et d’information insuffisants sur les sites destinés aux jeunes : défaut de sensibilisation spécifique auprès des jeunes sur la collecte de leurs données, redirections vers des sites tiers (dont des sites marchands), dépôt de cookies sans information. Compte tenu de la volonté affirmée par les autorités européennes de renforcer les règles de protection de la vie privée des mineurs, il est recommandé aux éditeurs de services numériques à destination des jeunes de préparer la mise en conformité de leurs services.

On notera enfin que les Etats-Unis, qui ne disposent toujours pas de loi globale au niveau fédéral sur la protection des données personnelles, ont légiféré dès 1998 sur la protection des données des enfants collectées sur internet, avec la loi COPPA (Children’s Online Privacy Protection Act - 1998). (8) La loi COPPA ne s’applique cependant qu’aux données des enfants de moins de 13 ans collectées par des sites web qui leur sont destinés ou qui savent que des enfants utilisent leurs services. Cette loi s’applique aux sites américains, et aux sites étrangers qui ciblent le marché américain (sites de e-commerce, services en ligne ou réseaux sociaux non-américains utilisés par des jeunes américains).


                                                          * * * * * * * * * * *

(1) Voir citation sur le site de la CNIL à http://www.cnil.fr/les-themes/internet-telephonie/actualite/article/internet-sweep-day-les-sites-pour-enfants-sont-ils-respectueux-de-la-vie-privee/

(2) Communiqué CNIL du 2 septembre 2015, Vie privée des enfants : une protection insuffisante sur les sites Internet.

(3) Directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil, du 24 octobre 1995, relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données ; Loi n°78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, modifiée.

(4) Rapport CNIL intitulé "Internet et la collecte de données personnelles auprès de mineurs", publié le 12 juin 2001 ; Avis 2/2009 du G29 sur la protection des données à caractère personnel de l'enfant, adopté le 11 février 2009, WP160 et Avis 5/2009 sur les réseaux sociaux en ligne, adopté le 12 juin 2009, WP163.

(5) Voir la Charte de l’emailing adoptée par l’UFMD en mars 2005, la recommandation “Enfant” de l’ARPP de juin 2004 et le Code ICC consolidé sur les pratiques de publicité et de communication commerciale de 2006, révisé en avril 2015

(6) Proposition de Règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, COM(2012) 11 final, le 25 janvier 2012.

(7) Considérants 29, 58, et 130 et article 8 de la proposition de règlement.

(8) Children’s Online Privacy Protection Act - 1998 (COPPA). Voir par exemple les FAQs sur le site de la Federal Trade Commission https://www.ftc.gov/tips-advice/business-center/guidance/complying-coppa-frequently-asked-questions



Bénédicte DELEPORTE
Betty SFEZ
Avocats

Deleporte Wentz Avocat
www.dwavocat.com


Septembre 2015

vendredi 4 septembre 2015

Géolocalisation : quel cadre légal pour les véhicules des salariés ?


Face au développement du recours à la géolocalisation en entreprise, la Commission nationale de l’informatique et des libertés a publié, en juin dernier, une nouvelle délibération portant norme simplifiée. (1) Ce texte vise à préciser l’encadrement juridique de la mise en œuvre des dispositifs de géolocalisation sur les véhicules utilisés par les salariés. Il remplace une norme de 2006 qui, compte tenu de l’évolution des technologies et des usages, était devenue en partie inadaptée. (2) Nous faisons ci-après un bref rappel des règles applicables en la matière.


1. Les conditions d’installation à respecter par l’employeur

Le caractère particulièrement intrusif de la géolocalisation dans le cadre du travail a conduit la Cnil à définir plus en détail les conditions de recours à ce dispositif.

     - Les cas de recours autorisés à un dispositif de géolocalisation
 
L’utilisation d’un système de géolocalisation par GPS des véhicules mis à disposition des salariés est strictement limitée aux finalités suivantes :
(i) respecter une réglementation imposant l’installation d’un tel dispositif en raison du type de transport ou de la nature des biens transportés ;
(ii) besoins du suivi et de la facturation d’une prestation de transport de personnes ou de marchandises, ou d’une prestation de services liée à l’utilisation d’un véhicule et la justification d’une prestation auprès d’un client ou d’un donneur d’ordre ;
(iii) garantir la sûreté ou la sécurité des employés et/ou des marchandises transportées ;
(iv) améliorer l’allocation des moyens pour des prestations à accomplir dans des lieux éloignés (pour des interventions d’urgence par exemple) ;
(v) s’assurer du respect, par les salariés, des règles d’utilisation du véhicule prédéterminée par l’employeur.

Il est enfin précisé, à titre de finalité accessoire du traitement, que le dispositif peut être utilisé pour le suivi du temps de travail des salariés, sous réserve que ce suivi ne puisse être réalisé par un autre moyen, et uniquement pendant le temps de travail.

     - Les informations pouvant être collectées et traitées

Seules les données limitativement énumérées par la Commission peuvent faire l’objet d’un traitement, à savoir : les informations d’identification des salariés (nom, prénom, numéro de plaque d’immatriculation, etc.), aux déplacements des salariés (historique des déplacements effectués, etc.), à l’utilisation du véhicule (vitesse de circulation, nombre de kilomètre, temps de conduite, etc.), ainsi que les dates et heures d’activation / désactivation du dispositif.

     - Les points spécifiques à retenir
 
En toute hypothèse, la mise en œuvre d’un dispositif de géolocalisation ne peut induire la collecte et le traitement des données de localisation en dehors du temps de travail du conducteur, en particulier lors des trajets entre le domicile et le lieu de travail ou encore pendant les temps de pause. De même, le traitement de la vitesse maximale n’est pas autorisé, sauf disposition légale contraire ; seul celui de la vitesse moyenne est envisageable.

Par ailleurs, il ressort de la délibération Cnil que le salarié doit pouvoir désactiver le système GPS, l’employeur pouvant demander des explications en cas de désactivations répétées ou d’une durée excessive. Enfin, les salariés investis d’un mandat électif ou syndical ne doivent en aucun cas faire l’objet d’une opération de géolocalisation lorsqu’ils se déplacent dans le cadre de l’exercice de leur mandat.


2. Les obligations inhérentes à la mise en oeuvre d’un dispositif de géolocalisation

L’installation d’un système de géolocalisation implique pour l’employeur le respect de plusieurs obligations légales.

     - Les formalités préalables auprès de la Cnil

 
Un dispositif de géolocalisation installé dans les véhicules mis à disposition des salariés doit faire l’objet d’une déclaration à la Cnil préalablement à sa mise en oeuvre, au moyen d’une déclaration simplifiée de conformité.

Les entreprises ayant déjà effectué une déclaration simplifiée en référence à la norme de 2006 ont jusqu’au 17 juin 2016 pour se mettre en conformité avec les nouvelles conditions posées par la Cnil. Seuls peuvent bénéficier de cette procédure les traitements de géolocalisation des véhicules répondant exactement aux conditions définies par la Cnil. Si l’un des critères n’est pas rempli, d’autres formalités préalables seront requises.

     - La consultation et l’information des représentants du personnel et des salariés

 
La mise en œuvre d’un dispositif de géolocalisation sur les véhicules utilisés par les employés implique l’information et la consultation préalable des représentants du personnel.

Par ailleurs, le salarié concerné doit également être informé, individuellement et préalablement à la mise en œuvre du traitement. Les mentions devant être portées à sa connaissance sont notamment les finalités poursuivies, les données traitées, la durée de conservation, etc. (3)

     - Les obligations relatives au traitement des données
 
Comme pour tout traitement de données personnelles, le responsable de traitement doit respecter des obligations quant à la durée de conservation des données et à leur sécurité mais également concernant l’information et les droits des salariés concernés (droit d’accès, de rectification, d’opposition, etc.).

Les données de localisation doivent ainsi être conservées uniquement pour une durée dite « pertinente » au regard de l’objectif du traitement. Une durée de deux mois est considérée adéquate par la Cnil.

Toutefois, la délibération Cnil mentionne plusieurs cas dans lesquels la durée de conservation peut aller au-delà de deux mois, notamment si la conservation de l’historique des déplacements a pour but l’optimisation des tournées.

Quant à la sécurité des données, l’employeur est tenu de prendre toutes les précautions nécessaires (mise en place de mesures à la fois physique et technique). A ce titre, la Cnil recommande notamment la réalisation d’une étude des risques, la mise en place d’un mécanisme de gestion des habilitations régulièrement mis à jour, le chiffrement des données, etc.


   A défaut, pour l’employeur de respecter la réglementation précitée, le dispositif de géolocalisation mis en oeuvre au sein de l’entreprise sera jugé illégal et ne pourrait être opposé aux salariés, notamment à des fins disciplinaires ou pour justifier un licenciement. En outre, le manquement aux obligations légales est puni de sévères sanctions financières et pénales. Dans ce contexte, il est recommandé aux entreprises de s’assurer, au moyen d’un audit par exemple, de la conformité de leur dispositif de géolocalisation à ces nouvelles règles et à défaut, de prendre toutes mesures nécessaires de mise en conformité.


                                                          * * * * * * * * * * *

(1) Délibération n°2015-165 du 4 juin 2015 portant adoption d’une norme simplifiée concernant les traitements automatisés de données à caractère personnel mis en œuvre par les organismes publics ou privés destinés à géolocaliser les véhicules utilisés par leurs employés (norme simplifiée n°51). Cette délibération vient remplacer la précédente recommandation CNIL sur le même sujet en date du 16 mai 2015.

(2) A noter que cette délibération ne concerne pas les dispositifs de contrôle des transports routiers (chronotachygraphes), dispensés de déclaration à la Cnil - voir délibération Cnil n°2014-235 du 27 mai 2014.

(3) Voir notamment les articles L.1121-1, L.1222-3, L.1222-4 et L.2323-32 du Code du travail.


Betty SFEZ 
Avocat
 
Deleporte Wentz Avocat
www.dwavocat.com

Septembre 2015