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jeudi 31 mai 2012

Les contours de la protection des logiciels par le droit d’auteur précisés par la CJUE

Par un arrêt du 2 mai 2012, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a rappelé les contours de la protection des logiciels par le droit d’auteur, en application des directives du 14 mai 1991 concernant la protection juridique des programmes d’ordinateur et du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information.(1 et 2)

En l’espèce, la société SAS Institute Inc. est éditeur de progiciels analytiques permettant le traitement et l’analyse de données, notamment, les analyses statistiques. Ces progiciels (le système SAS) permettent aux utilisateurs d’écrire leurs propres programmes applicatifs (les scripts), dans un langage propre au système SAS, aux fins d’adapter le système SAS pour le traitement de leurs données. La société World Programming Ltd (“WPL”) a développé un logiciel de substitution, dénommé “World Programming System”, dont l’objet est d’exécuter les scripts écrits dans le langage SAS pour émuler les fonctionnalités des composants SAS. Les utilisateurs du système SAS pouvaient donc, grâce au logiciel World Programming System, utiliser les scripts développés pour être utilisés avec le système SAS, sans avoir à les réécrire.

SAS Institute a assigné WPL en contrefaçon de ses droits de propriété intellectuelle devant les tribunaux britanniques.

La High Court of Justice (England and Wales), Chancery Division, a posé plusieurs questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) en interprétation des directives du 14 mai 1991 et du 22 mai 2001. Ces questions portaient principalement sur l’interprétation des dispositions de la directive de 1991, sur les composants du logiciel pouvant bénéficier de la protection juridique et sur le droit pour l’utilisateur d’observer, étudier ou tester le fonctionnement du logiciel.(3)

Dans l’arrêt du 2 mai 2012, la CJUE a ainsi été amenée à préciser les conditions et le champ d’application de la protection juridique des logiciels par le droit d’auteur.


1. Rappel du principe et des conditions de protection du logiciel par le droit d’auteur

La directive européenne du 14 mai 1991 sur la protection juridique des programmes d’ordinateur a consacré le principe de la protection des logiciels par le droit d’auteur. Cependant, le logiciel ne comprend pas que du code. Le logiciel est composé de plusieurs éléments, au titre desquels on retiendra notamment : les documents de conception, le langage de programmation, le code objet, le code source, les fonctionnalités, les interfaces, etc.

Dans l’affaire opposant SAS Institute à WPL, cette dernière avait régulièrement obtenu un exemplaire du logiciel SAS, dans sa version “learning edition” (version apprentissage). Le logiciel était soumis aux conditions de licence standard de SAS Institute. WPL n’a pas eu accès aux codes sources des composants, et n’a copié ni le code, ni tout ou partie des éléments de conception structurelle du code. SAS Institute reprochait à WPL (i) d’avoir indirectement copié les logiciels comprenant les composants SAS en violation de ses droits d’auteur sur ces composants, (ii) d’avoir utilisé une version du système SAS (la version apprentissage) en violation des conditions de la licence d’utilisation applicable et des droits d’auteur de SAS Institute, (iii) d’avoir copié les manuels du système SAS pour créer son propre manuel d’utilisation du logiciel World Programming System, sans autorisation de SAS Institute et en violation de ses droits.

    1.1 Les éléments du logiciel protégés par le droit d’auteur
La directive du 14 mai 1991 a consacré le principe de la protection du logiciel par le droit d’auteur, en tant qu’oeuvre littéraire. Comme pour toute autre oeuvre littéraire, la protection juridique du logiciel est acquise, sous réserve que celui-ci soit original.

La directive définit le terme “programme d’ordinateur” (ou logiciel) comme “les programmes sous quelque forme que ce soit, y compris ceux qui sont incorporés au matériel (…), les travaux préparatoires de conception aboutissant au développement d’un programme, à condition qu’ils soient de nature à permettre la réalisation d’un programme d’ordinateur à un stade ultérieur”.

En application des principes du droit d’auteur, la directive rappelle que seule “l’expression” du programme est protégée par le droit d’auteur, à l’exclusion des idées et principes qui sont à la base de la logique, des algorithmes et des langages de programmation. Ainsi, hormis les travaux préparatoires de conception, le code objet (ou programme exécutable) et le code source sont considérés comme étant l’expression du programme et bénéficient donc de la protection juridique.

    1.2 Les éléments exclus du champ de la protection par le droit d’auteur
L’arrêt SAS Institute permet de préciser les éléments du logiciel qui ne bénéficient pas de la protection juridique du droit d’auteur.

L’objet de la protection par le droit d’auteur est de réserver les droits sur les éléments d’expression  individuelle du logiciel ; l’originalité, condition de la protection, consiste en la personnalisation de l’oeuvre. En d’autres termes, la protection porte sur les éléments postérieurs au concept de départ, par lesquels l’auteur a matérialisé ou développé l’idée ou le concept, en le personnalisant (étape de mise en oeuvre du concept).

En revanche, les éléments à la base de l’oeuvre et de sa logique ne sont pas protégés par le droit d’auteur. En effet, le champ d’application du droit d’auteur permet à tous tiers, en partant d’une idée ou d’un concept, de le mettre en oeuvre en développant un logiciel similaire, voire identique, sous réserve de s’abstenir de copier le logiciel existant.

La Cour rappelle ainsi que les algorithmes, les procédures et méthodes de fonctionnement, le langage de programmation, mais également, les interfaces graphiques et les fichiers de données, dans la mesure où ces éléments ne permettent pas de reproduire le programme, ne constituent pas une forme d’expression du programme et ne sont pas protégés en tant que tels par le droit d’auteur.

De même, les fonctionnalités, le langage de programmation et le format de fichiers de données utilisés dans le cadre du programme pour exploiter certaines de ses fonctions ne constituent pas une forme d’expression du programme.

Plus précisément, le format de fichiers utilisés par un logiciel pour interpréter et exécuter les scripts des utilisateurs et pour lire et écrire des données dans un format de fichier de données spécifique constitue des éléments du programme au moyen desquels les utilisateurs ne font qu’exploiter certaines fonctionnalités du logiciel.

Ainsi, la Cour en conclut que le concept à la base d’un logiciel, les algorithmes, procédures et méthodes de fonctionnement, le langage de programmation, les interfaces graphiques et fichiers de données ne sont pas protégés par le droit d’auteur, en vertu de la directive de 1991.


2. L’exercice par l’auteur de ses droits exclusifs et ses limites

La protection du logiciel par le droit d’auteur signifie que le titulaire des droits dispose de droits exclusifs sur l’oeuvre, tels que visés aux articles 2 et 4 de la directive de 1991. Cependant, l’utilisateur légitime du logiciel dispose également de droits qui ne peuvent lui être refusés par le titulaire. Le litige opposant SAS Institute à WPL portait notamment sur les conditions d’exercice de ces droits.

    2.1 Les droits exclusifs de l’auteur et l’importance du contrat de licence
La directive de 1991, dans son article 4, réserve des droits exclusifs au bénéfice du titulaire des droits sur le logiciel, qui peut faire et autoriser (et a contrario, ne pas autoriser) (i) la reproduction permanente ou provisoire du programme d’ordinateur, (ii) la traduction, l’adaptation, l’arrangement et toute autre transformation du logiciel, ainsi que (iii) toute forme de distribution, y compris la location (la concession de licences d’utilisation) du logiciel.

Ces droits exclusifs appartenant au titulaire des droits peuvent ensuite être gérés contractuellement, dans la licence et/ou le contrat de maintenance, d’où l’importance du contrat de licence, de ses conditions et limitations.

    2.2 Les droits de l’utilisateur légitime du logiciel
En l’absence d’autorisation (contractuelle), l’utilisateur légitime d’un logiciel bénéficie néanmoins de droits dits résiduels, prévus aux articles 5 et 6 de la directive de 1991.

Les droits de l’utilisateur légitime comprennent :
    (i) le droit d’utiliser le logiciel d’une manière conforme à sa destination, y compris pour corriger les erreurs (au cas où aucun contrat de maintenance corrective ne serait prévu). Ce droit comprend la possibilité de reproduire le logiciel dans les limites techniquement nécessaires. Ainsi, le contrat de licence ne peut interdire les opérations de chargement et de déroulement nécessaires à l’utilisation du logiciel par son utilisateur légitime ;
    (ii) le droit de réaliser une copie de sauvegarde du logiciel ;
    (iii) la possibilité d’observer, d’étudier ou de tester le fonctionnement du logiciel, à condition que ces actes ne portent pas atteinte aux droits de l’auteur ;
    et enfin, (iv) le droit de décompiler le logiciel (que l’on désigne également ingéniérie inverse) pour obtenir les informations nécessaires à son interopérabilité. Ce dernier droit est cependant soumis aux conditions et limitations décrites à l’article 6 de la directive.

    2.3 L’exception d’observation, d’étude et de test du fonctionnement du logiciel
Le litige opposant SAS Institute à WPL portait notamment sur les conditions d’exercice de ces droits.

La High Court britannique a notamment demandé à la CJUE de se prononcer sur le fait de savoir si l’utilisateur légitime d’un logiciel pouvait utiliser le droit d’observer, d’étudier ou de tester le fonctionnement du logiciel dans un but dépassant le cadre du contrat de licence. SAS Institute soutenait en effet que WPL avait outrepassé ce droit dans la mesure où la licence applicable au logiciel SAS était accordée pour une utilisation non commerciale (version apprentissage ou formation). WPL aurait utilisé le logiciel à des fins sortant du champ de cette licence, l’exercice de son droit d’observer, d’étudier ou de tester le fonctionnement du logiciel portant atteinte aux droits du titulaire, SAS Institute.

La Cour rappelle que le titulaire des droits ne peut empêcher contractuellement que l’utilisateur légitime puisse déterminer les idées et les principes à la base des éléments du logiciel, lorsque cet utilisateur réalise les opérations autorisées en vertu de la licence, mais également les opérations de chargement et de déroulement nécessaires à l’utilisation du programme, sous réserve de ne pas porter atteinte aux droits de l’auteur.

En l’occurrence, pour la Cour, il n’y a pas d’atteinte aux droits de l’auteur lorsque l’utilisateur légitime n’a pas eu accès aux codes sources du logiciel, mais qu’il s’est limité à observer, étudier ou tester le logiciel. En l’espèce, WPL n’a pas eu accès au code source du logiciel SAS et n’a pas décompilé le code objet. WPL n’a fait que reproduire la fonctionnalité en utilisant le même langage de programmation et le même format de fichiers de données. En d’autres termes, WPL en qualité d’utilisateur légitime du logiciel SAS, a exercé son droit d’observation, d’étude et de test du logiciel et a développé un nouveau programme sur la base des mêmes idées et principes que le logiciel SAS, dans le cadre des droits accordés par la directive, sans porter atteinte aux droits de l’auteur.


En conclusion, on retiendra que l’arrêt SAS Institute est dans la lignée de la jurisprudence en matière de protection du logiciel par le droit d’auteur. Son intérêt réside dans la distinction entre les éléments du logiciel effectivement protégés par le droit d’auteur et les éléments non susceptibles de protection. A ce titre, la Cour a notamment déterminé que les fonctionnalités (dans la mesure où elles sont assimilables à une idée) et le langage de programmation n’étaient pas protégés par le droit d’auteur en vertu de la directive de 1991.

Le droit d’auteur ne s’oppose pas à la réexploitation d’une idée ou d’un concept par un tiers, sous réserve de ne pas reproduire l’oeuvre pré-existante. En conséquence, tout éditeur informatique peut développer un logiciel reprenant des fonctionnalités existantes dans des logiciels concurrents, dans le même langage de programmation, à condition de ne pas reproduire le code source (et le code objet) du premier logiciel. 

Il convient de noter cependant qu’un langage de programmation qui serait le résultat de la création intellectuelle de l’auteur est protégeable en vertu de la directive de 2001 sur la société de l’information (DADVSI).

Enfin, nous n’avons pas évoqué les questions relatives à la reproduction du manuel utilisateur par WPL, la Cour ayant là aussi appliqué les principes classiques du droit d’auteur. Le manuel utilisateur, dès lors qu’il s’agit d’une oeuvre originale, est protégé par le droit d’auteur et ne peut être librement reproduit par un tiers.

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(1) Directive 91/250/CEE du Conseil du 14 mai 1991 concernant la protection juridique des programmes d’ordinateur, transposée en droit français par la loi n°94-361 du 10 mai 1994 (voir articles L122-6 et s. du Code de la propriété intellectuelle) ; Directive du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, transposée en droit français par la loi n°2006-961 du 1er août 2006 (Loi DADVSI).

(2) Voir arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 2 mai 2012, SAS Institute Inc. / World Programming Ltd

(3) Les questions préjudicielles concernent principalement l’interprétation à donner aux deux paragraphes suivants de la directive du 14 mai 1991: article 1er, 2é paragraphe “La protection prévue par la présente directive s'applique à toute forme d'expression d'un programme d'ordinateur. Les idées et principes qui sont à la base de quelque élément que ce soit d'un programme d'ordinateur, y compris ceux qui sont à la base de ses interfaces, ne sont pas protégés par le droit d'auteur en vertu de la présente directive” ; article 5, 3é paragraphe “La personne habilitée à utiliser une copie d'un programme d'ordinateur peut, sans l'autorisation du titulaire du droit, observer, étudier ou tester le fonctionnement de ce programme afin de déterminer les idées et les principes qui sont à la base de n'importe quel élément du programme, lorsqu'elle effectue toute opération de chargement, d'affichage, de passage, de transmission ou de stockage du programme d'ordinateur qu'elle est en droit d'effectuer.



Bénédicte DELEPORTE
Avocat

Deleporte Wentz Avocat
www.dwavocat.com

mai 2012

jeudi 24 mai 2012

Internet et handicap : les règles applicables face à la réalité du net

Le 6e Forum Européen de l’Accessibilité Numérique s’est tenu à Paris au mois de mars 2012. Intitulé “Placer l’accessibilité numérique au coeur des systèmes d’information”, les thèmes abordés couvraient des questions telles que Les enjeux industriels de l’accessibilité numérique, Concevoir pour tous, ou l’Edition numérique. Bien que pouvoirs publics et industriels reconnaissent le caractère primordial de la problématique de l’accessibilité pour tous aux technologies de l’information, le constat sur l’état de l’accessibilité du net reste très contrasté. 

L’accessibilité numérique (ou “e-accessibilité”) peut se définir comme l’accessibilité pour tous, personnes valides et personnes souffrant d’un handicap, aux sites internet et à leurs contenus, et de manière plus générale, à toute information sous format numérique, quels que soient le moyen d’accès et le mode de consultation. L’accès à internet et aux contenus numériques font désormais partie intégrante de notre vie quotidienne et sont devenus un droit fondamental au titre du droit à l'information. Le fait de ne pouvoir accéder à internet, pour des raisons techniques, économiques, mais également pour des raisons de handicap est un facteur de discrimination et d’exclusion sociale et professionnelle.

Cependant, bien que la question de l’accessibilité numérique soit au cœur des préoccupations des pouvoirs publics, la réalité de la mise en œuvre de ces principes reste très en-deçà des souhaits et engagements exprimés.


1. L’accessibilité numérique : des actions visant à favoriser l’accès de tous à internet et aux contenus numériques

Des initiatives tant publiques que privées ont permis l’élaboration de normes internationales dont le législateur français s’est inspiré pour instaurer une réglementation spécifique à l’accessibilité numérique.

    1.1 L’e-accessibilité : une volonté des instances internationales et européennes

Les standards internationaux  -  Fondé en 1994 avec le soutien de la Commission européenne, le consortium du World Wide Web (“W3C”) définit des spécifications communes pour l’internet et émet des recommandations ayant valeur de standards internationaux. Depuis 1997, un département du W3C, le WAI (Web Accessibility Initiative) travaille sur la question de l’accessibilité. Les recommandations du WAI, dénommées WCAG (ou Règles pour l’accessibilité des contenus Web), visent à assurer l’accessibilité des contenus web et proposent un ensemble de solutions permettant de développer des sites internet accessibles à tous. (1)

La Convention de l’ONU  -  La Convention de l'ONU du 13 décembre 2006 relative aux droits des personnes handicapées invite, dans son article 9 "Accessibilité", les Etats à prendre des mesures appropriées pour assurer et promouvoir l’accès des personnes handicapées aux systèmes et technologies de l’information et de la communication, y compris l’internet. (2)

Les publications des institutions européennes  -  Le Parlement, le Conseil, et la Commission ont publié entre 2002 et 2008 plusieurs résolutions, communications ou déclarations visant à (i) rendre obligatoire la mise en œuvre des mesure d'e-accessibilité aux sites web publics d’ici 2010, (ii) encourager les Etats membres à intensifier la promotion d’initiatives destinées à favoriser l’accès de tous aux technologies de l’information et des communications, en particulier les personnes handicapées et les personnes âgées et, (iii) adopter des normes européenne en matière d’e-accessibilité, sur la base des WCAG.

Parmi ces publication, on peut citer la résolution du Parlement européen de 2002 sur la communication de la Commission "eEurope 2002 : Accessibilité des sites web publics et de leur contenu", la résolution du Conseil de 2003 relative à la promotion de l'emploi et de l'intégration sociale des personnes handicapées et les communications de la Commission européenne de 2005 et 2008, portant sur l’e-accessiblité et intitulées "Vers une société de l’information accessible". (3)

La certification  -  Sur le plan de la certification, le label européen Euracert (European eAccessibility Certification) est attribué aux sites web conformes aux recommandations WCAG du W3C/WAI. Le contrôle de conformité est réalisé à la demande des exploitants de sites web, par rapport à des documents de référence sur l’accessibilité numérique des sites. Le label Euracert est attribué après que le site web en cause ait été labellisé par l’organisme partenaire du label Euracert dans le pays de l’exploitant du site. En France, l’organisme de labellisation en matière d’accessibilité numérique, partenaire d’Euracert est l’association BrailleNet qui a créé le label AccessiWeb. La liste des sites web labellisés AccessiNet est publiée sur le site. (3)

    1.2 L’e-accessibilité : une obligation légale pour les sites web du secteur public français

Afin de répondre aux exigences communautaires, le législateur français a adopté une série de textes venant définir et encadrer l’accessibilité numérique.

La loi du 21 juin 2004  -  La loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) dispose sous le titre 1er “De la liberté de communication en ligne”, en son article 3 que “L'Etat, les collectivités territoriales, les établissements publics et les personnes privées chargées d'une mission de service public veillent à ce que l'accès et l'usage des nouvelles technologies de l'information permettent à leurs agents et personnels handicapés d'exercer leurs missions.”

La loi du 11 février 2005  -  L’obligation d’accessibilité numérique des services publics a été instaurée par la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. Cette loi dispose que les services de communication en ligne développés par l'Etat, les collectivités territoriales et les établissements publics qui en dépendent, doivent être accessibles aux personnes handicapées. L'accessibilité concerne l'accès à tout type d'information sous forme numérique quels que soient le moyen d'accès, les contenus et le mode de consultation et les recommandations internationales pour l'accessibilité de l'internet doivent être appliquées.

Le décret du 14 mai 2009  -  Le décret du 14 mai 2009 est venu fixer les règles relatives à l'accessibilité numérique, à savoir :
    - des règles techniques, sémantiques, organisationnelles et d'ergonomie à mettre en oeuvre par les services de communication publique en ligne des administrations, permettant aux personnes handicapées de réceptionner et comprendre les informations diffusées, d'utiliser ces services et, le cas échéant, d'interagir avec ces derniers. Ces règles constituent le "référentiel d'accessibilité". L’autorité administrative compétente doit attester, par le biais d’une déclaration de conformité, que ses services de communication en ligne sont conformes au référentiel d’accessibilité ;
    - une formation du personnel des administrations portant sur l’accessibilité numérique et sur la conformité aux règles et standards nationaux et internationaux ;
    - des délais de mise en conformité des sites existants de deux ans pour les services de l’Etat (et établissements publics qui en dépendent) et trois ans pour les collectivités territoriales (et établissements publics qui en dépendent), à compter de la publication du décret. A défaut de conformité dans les délais, le ministre chargé des personnes handicapées peut mettre en demeure l’autorité administrative compétente de se conformer au référentiel d’accessibilité dans un délai ne pouvant excéder six mois, au-delà duquel le service sera inscrit sur une liste de services non conformes.

L'arrêté du 21 octobre 2009  -  Cet arrêté, portant sur le référentiel général d’accessibilité pour les administrations (RGAA), précise les exigences techniques à respecter par les autorités administratives. Le RGAA est un recueil de règles et de bonnes pratiques qui visent à améliorer l’e-accessibilité des sites web des administrations. Il se fonde sur les normes et standards en vigueur, en particulier sur le standard international WCAG 2.0. (5)

Concrètement, l'e-accessibilitié consiste, pour un site web, à intégrer des fonctionnalités permettant notamment d'agrandir la taille des caractères des textes, ou la possibilité d'accéder à la version audio des contenus.

En dépit d’un tel dispositif légal, force est de constater que la mise en œuvre des standards de l’accessibilité numérique reste encore très limitée sur le web français.


2. L’accessibilité numérique pour tous : un constat mitigé


En France, l’accessibilité numérique peine à se développer et ce pour plusieurs raisons.

    2.1 La question de l’accessibilité des sites web du secteur privé
L’une des premières raisons de la lenteur des sites web français à déployer des techniques améliorant leur e-accessibilité tient au fait que la réglementation relative à l'obligation d'accessibilité numérique ne s'impose pas aux sites web du secteur privé. Les textes réglementaires cités plus haut concernent le secteur public.

L'obligation d’e-accessibilité pour les sites du secteur privé n’est mentionnée ni par les textes internationaux, ni par les textes européens. Les instances européennes, dans le cadre d’une résolution du Parlement de 2002 et d'une communication de la Commission de 2008, prévoient seulement, d’une part de parvenir à l’accessibilité des sites web privés, en commençant par les sites qui bénéficient d’un financement public, "dès que possible", et d’autre part d’encourager "les prestataires de services non publics, en particulier les propriétaires de sites web fournissant des services d'intérêt général et les fournisseurs de sites web commerciaux (…)" à améliorer l'accessibilité du web.

On peut regretter que les exploitants des sites web du secteur privé, notamment les grands sites de e-commerce, ne déploient pas les fonctionnalités améliorant l’accessibilité de leurs services en ligne. Ainsi, parmi les sites labellisés AccessiWeb, on ne trouve que quelques sites du secteur privé, tels que Carrefour, Axa ou Groupama par exemple.

    2.2 Les sites web du secteur public ne donnent pas l'exemple
Malgré la réglementation applicable en France, les sites du secteur public français ne donnent pas l’exemple de la mise en oeuvre de l’accessibilité numérique. Ainsi, le décret du 14 mai 2009 est entré en application depuis trois ans. Les délais de mise en conformité à l'accessibilité numérique des sites du secteur public sont arrivés à échéance depuis un an pour les services de communications en ligne de l’Etat ; le délai de trois ans pour les collectivités territoriales expirant ces jours-ci.

Bien que les délais de mise en conformité des sites web du secteur public aient expiré, plusieurs études montrent que la grande majorité de ces sites demeurent, en pratique, inaccessibles pour les handicapés. Ce constat est notamment dressé par le collectif citoyen "Article 47", qui a publié, le 1er février 2011, une Lettre ouverte pour l’accessibilité numérique des services publics adressée aux ministres concernés. Dans cette lettre, le collectif demandait l’application effective de l’article 47 de la loi du 11 février 2005, visant à rendre les sites web des services publics accessibles aux personnes handicapées.

Selon le collectif, les sites internet conformes au Référentiel général d’accessibilité pour les  administrations (RGAA) restent des exceptions dans le paysage web des services publics français. Seulement quelques éditeurs de sites publics se sont saisis de la question et ont mis les sites web en conformité avec les exigences du référentiel d’accessibilité.

Parmi les sites e-accessibles, on notera par exemple, au niveau des sites gouvernementaux le site service-public.fr (www.service-public.fr), pour les collectivités locales le site du Conseil général de Loire-Atlantique (www.loire-atlantique.fr) ou le site de la ville de Saint-Maur des Fossés (www.saint-maur.com), pour les entreprises publiques, le site TER SNCF (www.ter-sncf.com).

    2.3 Les freins au développement de l’e-accessibilité
Comment expliquer que les sites web conformes aux règles de l’e-accessibilité restent si peu nombreux en 2012 ? Quels sont les freins au développement de l’e-accessibilité ?

Les outils techniques  -  La technologie du logiciel a évolué ces dernières années et propose des outils permettant une utilisation différente de la technologie numérique. Outre la fonctionnalité permettant de modifier la taille des caractères des textes ou la taille de l’écran d’un site web, le marché du logiciel propose depuis plusieurs années des systèmes de reconnaissance vocale (intégré dans Windows Vista notamment) permettant d’utiliser un ordinateur sans contact tactile, ou de lecteur d’écran (par exemple VoiceOver dans MacOS et iOS) permettant aux malvoyants d’utiliser un ordinateur.

La formation des développeurs web  -  Les programmes de formation au développement web n’intègrent pas systématiquement de module de formation technique à l’e-accessibilité des sites web. Les développeurs n’ont donc pas le réflexe, dès la conception des sites pour le secteur privé ou le secteur public, d’intégrer une approche d’e-accessibilité en proposant la modulation de la taille des textes, une version audio des contenus, etc.

Une réglementation peu claire  -  Le collectif du l’article 47 souligne que la réglementation “souffre d’un problème de lisibilité”, notamment concernant le périmètre de son application et des dérogations.

En outre, la certification des sites web est une procédure volontaire et non obligatoire. Il est même possible de s’auto-déclarer conforme aux recommandations, sans contrôle d’un organisme tiers.

L’ignorance ou la sous-estimation de l’importance de l’e-accessibilité  -  Enfin, la question de l’accessibilité numérique reste encore ignorée ou sous-estimée par un grand nombre d’entreprises qui ont encore du mal à percevoir que l'accessibilité et plus généralement, la prise en compte de la diversité, devraient constituer un élément important de leur stratégie commerciale. 


A une époque où les questions liées aux discriminations et à la protection des libertés fondamentales restent sensibles, la reconnaissance du droit des handicapés à l’accès aux technologies de l’information, mais également de toute personne physiquement diminuée par la maladie ou par l’âge, demeure un véritable enjeu de société.

Enfin, au-delà de la “simple” accessibilité à internet se pose la question de l’évolution des technologies de l’information. Qu’en est-il de la “mobile e-accessibilité” si l’on étend le périmètre d’application aux smartphones et aux tablettes ?

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(1) Le site web du consortium W3C est accessible à l’URL: http://www.w3.org/

(2) La Convention de l’ONU relative aux droits des personnes handicapées, adoptée le 13 décembre 2006 est entrée en vigueur le 3 mai 2008. L’article 9 “Accessibilité” dispose : “Afin de permettre aux personnes handicapées de vivre de façon indépendante et de participer pleinement à tous les aspects de la vie, les États Parties prennent des mesures appropriées pour leur assurer, sur la base de l’égalité avec les autres, l’accès (…) aux systèmes et technologies de l’information et de la communication. (…) Les États Parties prennent également des mesures appropriées pour : (…) Promouvoir l’accès des personnes handicapées aux nouveaux systèmes et technologies de l’information et de la communication, y compris l’internet;”.

(3) Résolution du Parlement européen du 13 juin 2002 sur la communication de la Commission « eEurope 2002 : Accessibilité des sites web publics et de leur contenu » (COM (2001)529-C-5-0074/2002-2002/2032(COS)) ; Résolution du Conseil du 15 juillet 2003 relative à la promotion de l'emploi et de l'intégration sociale des personnes handicapées (2003/C175/01) ; Communication de la Commission européenne, du 13 septembre 2005, sur « l’e-accessiblité » (COM (2005)425) ; Communiqué de presse du 12/06/2006 : « L’internet pour tous : les ministres européens s’engagent en faveur d’une société de l’information accessible fondée sur l’inclusion » : déclaration de Riga (Lettonie), dans laquelle les ministres européens fixent comme objectif une accessibilité totale des sites web publics en 2010 ; Communiqué de presse de la Commission européenne du 2 juillet 2008 informant du lancement d’une consultation publique portant sur les actions des Etats membres permettant d’améliorer l’accessibilité aux sites web ;  Communication de la Commission européenne du 1er déc. 2008 :”Vers une société de l’information accessible”, (COM (2008)804 final).

(4) Les sites Euracert et AccessiWeb sont accessibles à : http://www.euracert.org/fr/ et http://www.accessiweb.org/

(5) Voir Loi n°2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique ; Loi n°2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, notamment article 47 ; Décret n°2009-546 du 14 mai 2009 pris en application de l’article 47 de la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 sur l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées et créant un référentiel d'accessibilité des services de communication publique en ligne ; Arrêté du 21 octobre 2009 relatif au référentiel général d'accessibilité pour les administrations (RGAA) (NOR: BCFJ0917114A) et enfin, voir le site internet : www.references.modernisation.gouv.fr




Bénédicte DELEPORTE - Avocat
Betty SFEZ - Avocat

Deleporte Wentz Avocat
www.dwavocat.com

Mai 2012