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mardi 8 janvier 2013

Marques de vins et alcools : ne pas négliger les règles relatives à la publicité

Le choix, par un producteur, négociant ou commerçant, d'une marque désignant une boisson alcoolique, est soumis à plusieurs conditions relatives au droit des marques et aux règles applicables aux appellations d'origine, notamment prévues par le Code de la propriété intellectuelle. Ainsi, pour être valable, la marque choisie pour identifier un vin ou un alcool doit être distinctive, non trompeuse, disponible et ne pas porter atteinte aux appellations d'origine. (1)

En sus de ces conditions, les marques désignant des vins et alcools doivent respecter des règles particulières en matière de publicité, définies au Code de la santé publique. Ces règles, qui viennent d'être rappelées par la Cour de cassation, doivent être prises en compte avant d’entreprendre la procédure de dépôt d'une marque désignant des vins et alcools.


1. Rappel des règles en matière de publicité désignant des vins et alcools

Le droit des marques est régi par le principe de spécialité, en vertu duquel une marque n'est protégée que pour les produits ou services désignés. Deux marques identiques peuvent donc coexister à condition qu'elles désignent des produits ou services différents et qu’elles ne créent pas de confusion dans l’esprit du public.

Ce principe de spécialité connaît une exception en matière de marque de vins et d'alcools. Ainsi, le dépôt d’une marque désignant un vin ou alcool, postérieurement à une marque identique désignant un autre produit, est considéré comme portant atteinte au droit d’exploitation du titulaire antérieur, dans la mesure où les règles applicables à la marque pour la boisson alcoolique vont limiter le champ d’exploitation de la marque antérieure.

En effet, la publicité directe ou indirecte en faveur des boissons alcooliques fait l'objet d'une réglementation très stricte. Ce type de publicité est généralement prohibé, sauf dans les cas expressément autorisés par l'article L.3323-2 du Code de la santé publique (CSP). (2)

Lorsque la publicité est autorisée (selon le type de média, les créneaux horaires, etc.), les éléments composant cette publicité sont limitativement définis à l’article L.3323-4 du CSP et comprennent l’indication du degré volumique d'alcool, de l'origine, de la composition du produit, du nom du fabricant, du mode d'élaboration, des modalités de vente et du mode de consommation du produit, des références relatives aux terroirs de production, d'un message sanitaire précisant que “l'abus d'alcool est dangereux pour la santé”, etc.

Aux termes de l’article L.3323-3 al.1 du CSP, la publicité indirecte consiste notamment en toute publicité en faveur d'un produit ou d'un article autre qu'une boisson alcoolique qui, par l'utilisation  d'une marque, d'un emblème publicitaire ou d'un autre signe distinctif, rappelle une boisson alcoolique. (3)

Ces dispositions interdisent donc ou restreignent automatiquement toute publicité pour des produits couverts par le même signe qu'une marque d'alcool. Elles limitent ainsi les possibilités d'exploitation d'une marque antérieure désignant des produits autres que des alcools, dès lors qu'un signe identique est déposé ultérieurement pour désigner des boissons alcooliques.

C'est sur ce fondement que la Cour de cassation vient de confirmer l’annulation d'une marque désignant des boissons alcooliques.


2. La récente confirmation de l’annulation de la marque DIPTYQUE déposée par la société Hennessy

La société Diptyque, ayant pour activité la fabrication et la commercialisation de bougies parfumées et d'eaux de toilette, avait déposé la marque DIPTYQUE pour désigner des produits et services en lien avec son activité commerciale. Postérieurement à ce dépôt, la société Hennessy a déposé une marque identique pour désigner un cognac. La société Hennessy, refusant de procéder au retrait de sa marque et de retirer du marché les cognacs qu'elle commercialisait sous cette dénomination, a été assignée par la société Diptyque sur le fondement du droit des marques et des règles relatives à la publicité.

Dans un arrêt du 26 octobre 2011, la Cour d'appel de Paris avait prononcé la nullité de la marque DIPTYQUE désignant des boissons alcooliques, au motif que le titulaire de la marque antérieure  DIPTYQUE, désignant des produits cosmétiques et luminaires, ne pouvait plus promouvoir librement ses propres produits et exercer pleinement son droit de propriété sur sa marque. Selon la Cour d’appel, cette situation portait atteinte aux droits dont jouissait la société Diptyque avant le dépôt de la marque litigieuse, justifiant l'annulation de cette dernière.

La société Hennessy s’est alors pourvue en cassation afin de faire casser l’arrêt déclarant la nullité de sa marque DIPTYQUE et l’interdiction de commercialiser des boissons alcooliques sous cette dénomination.

La société Hennessy reprochait à la Cour d’appel d'avoir appliqué un raisonnement trop théorique et de ne pas avoir analysé les faits de l'espèce, à savoir les marchés visés par ces produits et l’absence de confusion.

Plusieurs raisons étaient avancées par Hennessy :

    - La publicité faite par la société Diptyque pour ses produits ne s'apparente pas à de la publicité indirecte en faveur de boissons alcoolisées au sens de l'article L.3323-3 CSP. Selon la société Hennessy, la nature des produits en cause, les clientèles et les réseaux de distribution des produits sont si distincts que la publicité faite pas la société Diptyque ne saurait "rappeler les boissons alcooliques" de la société Hennessy. Il ne peut y avoir de confusion entre les bougies et eaux de toilette dont la promotion est assurée essentiellement dans des magazines de mode et décoration et le cognac commercialisé sous la marque DIPTYQUE ;

    - Quand bien même cette publicité serait qualifiée de publicité indirecte en faveur des boissons alcoolisées, au sens de l'article L.3323-3 CSP, cette forme de publicité est autorisée dans la presse écrite (sauf publications destinées à la jeunesse) par l'article L.3323-2 du même code. Or, en l'espèce, la société Diptyque fait de la publicité pour ses produits dans des magazines de mode et décoration. Aussi, la société Hennessy estime que le dépôt de la marque DIPTYQUE pour désigner des boissons alcoolisées et l'usage de cette marque ne peut entraîner une quelconque entrave à la publicité des produits de la société Diptyque dans la presse écrite correspondant aux consommateurs de ces produits (magazines de mode ou de décoration).

Dans un arrêt du 20 novembre 2012, la Cour de cassation rejette ces arguments, en faveur d'une interprétation stricte des règles en matière de publicité. (4)

La Cour considère que la publicité faite par la société Diptyque pour ses produits constitue une publicité indirecte en faveur de boissons alcooliques et rappelle à ce titre qu'en vertu de l'article L3323-3 CSP, est "considérée comme publicité indirecte en faveur d'une boisson alcoolique et comme telle, soumise aux restrictions prévues à l'article L.3323-2 (CSP), la publicité en faveur d'un produit autre qu'une boisson alcoolique qui par l'utilisation d'une marque, rappelle une telle boisson".

La Cour constate que la société Diptyque avait, depuis le 1er janvier 1990, mis sur le marché sous sa marque DIPTYQUE divers produits autres que des boissons alcooliques, et que la société Hennessy faisait usage d'une marque identique pour commercialiser des boissons alcooliques. Elle conclut alors que la "Cour d'appel, en a exactement déduit, sans avoir à faire d'autres recherches, que le dépôt de la marque DIPTYQUE par la société Hennessy et la commercialisation de produits sous celle-ci créaient une entrave à la libre utilisation de la marque première". La Cour a donc rejeté le pourvoi formé par la société Hennessy et confirmé la décision de la Cour d’appel de Paris, à savoir, l’annulation de la marque DIPTYQUE déposée par la société Hennessy.


En conséquence, compte tenu de la réglementation et de son application jurisprudentielle, il est vivement recommandé aux producteurs, négociants ou distributeurs souhaitant déposer une marque pour promouvoir des boissons alcooliques, de sélectionner la marque avec une attention toute particulière. Il conviendra ainsi de s'assurer au préalable qu’une marque identique ou similaire n’est pas déjà enregistrée, non seulement dans les classes considérées pour les boissons alcooliques, mais dans toutes autres classes de produits et services. Comme rappelé plus haut, la validité de la marque pour une boisson alcoolique sera analysée non seulement au regard des critères habituels (caractère distinctif, non trompeur, disponible) mais également au regard des règles relatives à la publicité des alcools, telles que définies au Code de la santé publique.


* * * * * * * * * * *

(1) Voir notre précédent article sur ce thème, publié sur ce blog intitulé "Les règles spécifiques applicables aux marques de vins et alcools" http://dwavocat.blogspot.fr/2012/02/les-marques-de-vins-et-alcools-des.html

(2) Article L.3323-2 CSP : La publicité, directe ou indirecte, en faveur des boissons alcooliques est autorisée exclusivement "1°) Dans la presse écrite à l'exclusion des publications destinées à la jeunesse ; 2°) Par voie de radiodiffusion sonore pour les catégories de radios et dans les tranches horaires déterminées par décret en Conseil d'Etat ; 3°) Sous forme d'affiches et d'enseignes ; d'affichettes et d'objets à l'intérieur des lieux de vente à caractère spécialisé, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat ; 4°) Sous forme d'envoi par les producteurs, les fabricants, les importateurs, les négociants, les concessionnaires ou les entrepositaires, de messages, de circulaires commerciales, de catalogues et de brochures ; 5°) Par inscription sur les véhicules utilisés pour les opérations normales de livraison des boissons, dès lors que cette inscription ne comporte que la désignation des produits ainsi que le nom et l'adresse du fabricant, des agents ou dépositaires, à l'exclusion de toute autre indication ; 6°) En faveur des fêtes et foires traditionnelles consacrées à des boissons alcooliques locales et à l'intérieur de celles-ci, dans des conditions définies par décret ; 7°) En faveur des musées, universités, confréries ou stages d'initiation oenologique à caractère traditionnel ainsi qu'en faveur de présentations et de dégustations, dans des conditions définies par décret ; 8°) Sous forme d'offre, à titre gratuit ou onéreux, d'objets strictement réservés à la consommation de boissons contenant de l'alcool, marqués à leurs noms, par les producteurs et les fabricants de ces boissons, à l'occasion de la vente directe de leurs produits aux consommateurs et aux distributeurs ou à l'occasion de la visite touristique des lieux de fabrication ; 9°) Sur les services de communications en ligne à l'exclusion de ceux qui, par leur caractère, leur présentation ou leur objet, apparaissent comme principalement destinés à la jeunesse, ainsi que ceux édités par des associations, sociétés et fédérations sportives ou des ligues professionnelles au sens du code du sport, sous réserve que la propagande ou la publicité ne soit ni intrusive ni interstitielle ".

(3) On se souviendra, par exemple, de l’annulation en France de la marque CHAMPAGNE, déposée par la société Yves Saint Laurent en 1993 pour désigner un parfum, par la Cour d’appel de Paris (arrêt du 15 décembre 1993) suite à l’action intentée par le CIVC (Comité interprofessionnel du vin de Champagne). Cette décision était cependant fondée sur la notion de concurrence parasitaire par rapport à la notoriété du vin de Champagne. L’application des règles énoncées au Code de la santé publique, aux articles L.721-1 du Code de la propriété intellectuelle et L.115-1 du Code de la consommation à cette affaire aurait très certainement abouti à la même décision.

(4) Cass. com., 20 novembre 2012, n°12-11753, société Diptyque c/ société JAS Hennessy

Betty SFEZ – Avocat

Deleporte Wentz Avocat
www.dwavocat.com

Janvier 2013

mercredi 8 février 2012

Les règles spécifiques applicables aux marques de vins et alcools

Le choix, par un producteur, négociant ou commerçant, d'une marque désignant une boisson alcoolique, est soumis à plusieurs conditions prévues par la loi. Ces conditions sont définies aux  articles L.711-1 et suivants du Code de la propriété intellectuelle (CPI), qui précisent notamment que pour constituer une marque valable, le signe choisi doit être distinctif, non trompeur et disponible. En sus de ces conditions, les marques désignant des vins et alcools ne doivent pas porter atteinte aux appellations d'origine et doivent respecter des règles particulières en matière de publicité.

Ces conditions, que nous détaillons ci-après, doivent être prises en compte avant d’entreprendre la procédure de dépôt d'une marque désignant des vins et alcools.


1. Le caractère distinctif, non trompeur et disponible de la marque

Comme pour tous produits et services, la marque choisie pour identifier un vin ou un alcool doit être distinctive, non trompeuse et disponible.

    1.1 Une marque distinctive

La loi exige que la marque présente un caractère distinctif par rapport aux produits. Par distinctif, il faut comprendre un signe permettant au titulaire de la marque de distinguer ses produits de ceux des tiers. Ainsi, la marque ne doit être ni générique ou usuelle, ni descriptive, ni imposée par la fonction ou la nature du produit ou du service (art. L.711-2 CPI).

Par exemple, dans une affaire jugée par la Cour d'appel de Paris en 2007 impliquant le distributeur Nicolas, la marque "Petites récoltes" a été déclarée distinctive. Dans cette affaire, la société Nicolas, titulaire de la marque "Petites récoltes" pour désigner une gamme de vin, avait assigné une société en contrefaçon pour avoir enregistré la marque "La petite cueillette" pour désigner des produits identiques. Pour faire débouter la société Nicolas de ses demandes, la société attaquée invoquait le défaut de caractère distinctif de la marque "Petites récoltes", au motif que cette marque serait descriptive. Toutefois, la Cour a considéré que l'expression "petites récoltes" n’était pas utilisée dans le langage courant pour désigner exclusivement des vins de pays. La Cour a également retenu que l'élément distinctif prépondérant de cette marque était le terme "petite", ce mot se rapportant à deux registres : celui d'une origine moins noble du produit (un petit vin) mais aussi plus proche du public, le terme comportant une certaine connotation affective. Dès lors, la Cour a jugé que cette marque était suffisamment distinctive pour être valide.(1)

    1.2 Une marque non trompeuse

Une marque ne peut être constituée d'un signe déceptif, c'est-à-dire d'un signe de nature à tromper le public notamment sur la nature, la composition, la qualité, l'origine ou la provenance géographique du produit (art. L.711-3 CPI).

Les tribunaux ont, à plusieurs reprises, refusé l'enregistrement ou annulé des marques jugées trompeuses (2) :

- Les marques "Soviet champagne" et "Russian Champagne" : la Cour d'appel de Paris a jugé en 2007, que les marques "Soviet champagne" et "Russian Champagne" présentaient un caractère déceptif, de sorte que leur dépôt était illicite. Selon la Cour, ces signes ne pouvaient être enregistrés au motif qu'ils étaient de nature à tromper le public sur la nature, la qualité et la provenance géographique des produits désignés en laissant croire qu'il existait, à coté de l'appellation d'origine "Champagne", d'autres appellations bénéficiant à des vins issus d'un autre terroir mais bénéficiant néanmoins des qualités et caractéristiques spécifiques liées à un même savoir-faire.

- La marque “Château des Barrigards” : la Cour de cassation a annulé, en 2007, la marque "Château des Barrigards" pour tromperie. Selon la Cour, le nom d'une exploitation ne peut être déposé comme marque pour désigner un vin si les opérations de récolte et de vinification n'y sont pas réalisées. Tel était le cas en l'espèce, puisque ces opérations n'étaient pas réalisées sur le lieu-dit "Les Barrigards". 

    1.3 Une marque disponible

Enfin, pour constituer une marque valable, le signe doit être disponible, à savoir ne pas déjà être couvert par des droits antérieurs. Un signe est indisponible lorsqu'il a déjà été déposé par un tiers et enregistré comme marque pour désigner un produit ou un service identique ou similaire. A contrario, une personne ou une société peut déposer et enregistrer une marque identique à une marque déjà enregistrée, sous réserve que la nouvelle marque désigne des produits ou services  différents de ceux de la marque antérieure.(3)

Ainsi, en 2010, la Cour d'appel de Paris a rejeté la demande d'enregistrement formulée par une société pour la marque "Larme de Reine", désignée pour des boissons alcoolisées, au motif qu'il existait un risque de confusion dans l'esprit du public avec la marque antérieure "Larme du Duc", désignant également des boissons alcooliques. La Cour a considéré que sur les plans visuel et auditif, les deux marques présentaient une même structure reposant sur l'association d'un premier terme identique "larme", suivi d'une préposition “de”, “du” et de la désignation d'un titre nobiliaire "reine" ou "duc".(4)


2. Une marque désignant des vins et alcools ne doit pas porter atteinte aux appellations d'origine contrôlée

Une appellation d'origine se définit comme la dénomination d'un pays, d'une région ou d'une localité servant à désigner un produit qui en est originaire et dont la qualité ou les caractères sont dus au milieu géographique, comprenant des facteurs naturels et des facteurs humains (art. L.721-1 CPI et L.115-1 C. conso.).(5)

Une appellation d'origine ne peut être déposée en tant que telle à titre de marque pour désigner des vins bénéficiant de cette appellation d'origine.

- En effet, un producteur ou un commerçant ne peut choisir comme marque une dénomination constituant une appellation d'origine dès lors que ce choix serait de nature à donner un caractère générique à l'appellation ou à détourner ou affaiblir la notoriété de l'appellation (art. L.643-1 Code rural).

- En outre, l'appellation d'origine est un signe distinctif collectif dont l'usage appartient à tous les producteurs d'une région considérée et qui fait présumer certaines qualités liées à cette provenance géographique. Parce qu'il est un signe collectif, un producteur ou un commerçant ne peut s'en attribuer le monopole en le déposant comme marque.

- Enfin, une marque composée uniquement d'une appellation d'origine ne peut être enregistrée dans la mesure où cette marque serait descriptive ; cette marque comprenant la désignation du vin et la provenance géographique. Toutefois il est possible, pour désigner des vins et alcools bénéficiant de l'appellation d'origine, de déposer une marque complexe constituée de l'appellation d'origine et d'un élément complémentaire arbitraire, conférant à l'ensemble un caractère distinctif. La Cour de cassation a ainsi admis, en 2004, l'enregistrement d'une marque complexe incorporant l'appellation d'origine "Châteauneuf du Pape".(6)

Par ailleurs, la loi dispose qu'un signe portant atteinte à une appellation d'origine protégée ne peut être adopté comme marque (art. L.711-4 (d) CPI).

Une appellation d'origine ne peut être déposée à titre de marque pour désigner des vins ne bénéficiant pas de cette appellation d'origine car une telle marque serait alors trompeuse. C'est sur ce fondement que la Cour de cassation a prononcé la nullité de la marque "Cru du Fort Médoc" pour caractère déceptif. En effet, le vin commercialisé sous la marque "Cru du Fort Médoc", ne bénéficiant pas de l'appellation d'origine "Médoc", créait une confusion trompeuse dans l'esprit du public. En revanche, si le vin avait bénéficié de l’appellation d’origine Médoc, il est probable que la marque aurait été reconnue comme valable.(7)


3. Les règles spécifiques en matière de publicité désignant des vins et alcools

Le droit des marques est régi par le principe de spécialité, en vertu duquel une marque n'est protégée que pour les produits désignés. Deux marques identiques peuvent donc coexister à condition qu'elles désignent des produits ou services différents et qu’elles ne créent pas de confusion dans l’esprit du public.

Ce principe de spécialité connaît cependant une exception en matière de marque de vins et d'alcools, le dépôt d’une marque désignant un vin ou alcool postérieurement à une marque identique désignant un autre produit étant considéré porter atteinte au droit d’exploitation du titulaire antérieur.

Pour rappel, la publicité directe ou indirecte en faveur des boissons alcooliques fait l'objet d'une réglementation très stricte. Ce type de publicité est généralement prohibé, sauf dans les cas expressément autorisés par la loi. Lorsque la publicité est autorisée (selon le type de média, les créneaux horaires, etc.), les éléments composant cette publicité sont limitativement définis à l’article L.3323-4 du Code de la santé publique (CSP).

Aux termes de l’article L.3323-3 al.1 du CSP, la publicité indirecte consiste dans toute publicité “(…) en faveur d'un organisme, d'un service, d'une activité, d'un produit ou d'un article autre qu'une boisson alcoolique qui, par son graphisme, sa présentation, l'utilisation d'une dénomination, d'une marque, d'un emblème publicitaire ou d'un autre signe distinctif, rappelle une boisson alcoolique.”(8)

En conséquence, ces dispositions interdisent automatiquement toute publicité pour des produits couverts par le même signe qu'une marque d'alcool. Elles limitent ainsi les possibilités d'exploitation d'une marque antérieure désignant des produits autres que des alcools, dès lors qu'un signe identique est déposé ultérieurement pour désigner des boissons alcooliques. Un tel dépôt plus récent s'avère donc préjudiciable pour le titulaire de la marque antérieure.

C'est sur ce fondement que des marques désignant des boissons alcooliques ont été invalidées(9) :

- La marque "Victoria's Secret" : la Cour d'appel de Paris a prononcé, en 2000, la nullité de la marque "Victoria's Secret", désignant des boissons alcooliques (et notamment du Cognac), au motif que le titulaire de la marque antérieure, déposée pour désigner notamment des catalogues et services de vente par correspondance de vêtements féminins, ne pouvait plus exploiter librement sa marque.

- La marque "Diptyque" : en 2011, la Cour d'appel de Paris a prononcé la nullité de la marque "Diptyque" désignant des boissons alcooliques, au motif que le titulaire de la marque antérieure "Diptyque", désignant des produits cosmétiques et luminaires, ne pouvait plus promouvoir librement ses propres produits et donc exercer pleinement son droit de propriété. Selon la Cour, cette situation portait atteinte aux droits dont jouissait la société Diptyque avant le dépôt de la marque litigieuse, justifiant l'annulation de cette dernière.


Que l’on soit producteur, négociant ou distributeur, il est donc vivement recommandé de sélectionner une marque pour promouvoir ses produits alcooliques ou services de vente de ces produits avec une attention toute particulière, compte tenu des règles généralement applicables à la validité d’une marque, mais aussi des règles spécifiques en matière d’alcool. Il sera également prudent d’appliquer par extension les mêmes règles de sélection de la marque avant son dépôt pour les marques désignant des services de vente de vins et alcools, y compris sur internet.

* * * * * * * * * * *

(1) Cass. com., 6 mars 2007, n°05-13.705.
(2) CA Paris, 4e ch., section A, 25 avril 2007, n°06/03001 ; CA Bordeaux, 1ère ch. Civ., sect. A, 3 janvier 2011, n°RG 09/02994 et Cass. com., 30 mai 2007, n°05-21.798, Château des Barrigards et a. c/ Lobreau et a.
(3) C'est ce que l'on appelle la règle de spécialité en droit des marques. Cette règle ne saurait cependant être appliquée sans discernement et la jurisprudence condamne le choix des signes créant des confusions avec d'autres marques. L'appréciation du risque de confusion entre deux marques désignant des produits ou services identiques ou similaires est fondée sur une impression d'ensemble en tenant compte des éléments distinctifs et dominants des signes en cause et s'attache aux éléments visuels, phonétiques et intellectuels des signes considérés.
(4) CA Paris, pôle 5, ch. 2, 3 septembre 2010, n°10/00644 et CA Bordeaux, 19 février 2007, n°06/005300.
(5) L'indication de provenance a seulement pour objet de désigner le lieu de préparation ou de fabrication du produit. Elle se distingue de l'appellation d'origine car elle ne garantit aucune qualité particulière tenant au terrain (climat, sol, faune, flore) et aux modes de production ou de fabrication.Des spécificités existent également concernant les indications géographiques, elles ne sont pas abordées dans le présent article.
(6)Cass. com., 21 sept. 2004, n°02-15.435, Châteauneuf du Pape.
(7) Cass. com., 9 nov. 1981 : Bull. civ. IV, n°386).
(8) Cette disposition ne s’applique pas à la publicité pour un produit, autre qu’une boisson alcoolique, mis sur le marché avant le 1er janvier 1990 par une entreprise juridiquement ou financièrement distincte de toute entreprise qui fabrique, importe ou commercialise une boisson alcoolique.
(9) CA Paris, Pôle 5-chambre 1, 26 oct. 2011, n°09/23375, société Diptyque c/ société JAS Hennessy et CA Paris, 4e ch. sect. A, 20 sept. 2000, n° RG : 98/14609, Sté Roullet Fransac Sarl c/ Sté V Secret catalogue Inc.

Bénédicte DELEPORTE – Avocat
Betty SFEZ – Avocat

www.dwavocat.com

Février 2012

vendredi 16 septembre 2011

La vente de vins sur internet : une vente à emporter réglementée

La vente de vins et alcools est encadrée par des règles strictes, relatives à la protection de la santé publique et de la jeunesse. Ces règles, énoncées au Code de la santé publique, ont été modifiées et complétées à plusieurs reprises ces deux dernières années avec la loi Hôpital, patients, santé, territoires (loi “Bachelot”) du 21 juillet 2009, et plus récemment avec la loi du 22 mars 2011 et le décret du 22 juillet 2011.(1)

Il existe deux types de commerces de vente de vins et alcools : la vente avec consommation sur place et la vente à emporter. La vente de vins et alcools en ligne, est considérée comme une vente à emporter. Elle est soumise à la réglementation sur la vente d’alcool.

Parmi les obligations incombant aux personnes (producteurs, commerçants) vendant du vin sur internet, il convient de rappeler les obligations suivantes : être titulaire d’un permis d’exploitation, obtenir une licence “à emporter” et respecter la réglementation en matière de protection de la santé publique et de la jeunesse.

1. Le permis d’exploitation

Toute personne souhaitant vendre du vin, y compris en ligne, a l’obligation de suivre une formation dispensée par des organismes agréés par arrêté du ministre de l'Intérieur.(2) 
 
Cette formation, qui comprend plusieurs heures d'enseignement, vise à sensibiliser les professionnels sur les droits et obligations attachés à l'exploitation d'un “débit de boissons à emporter”. Les professionnels doivent ainsi acquérir des connaissances relatives à la législation et à la réglementation applicables aux obligations en matière de santé publique et d'ordre public, au commerce de détail, à la vente à emporter et à la vente à distance.
 
Cette formation donne lieu à la délivrance d’un permis d’exploitation, valable 10 ans. À l'issue de cette période, la participation à une formation de mise à jour des connaissances permettra de prolonger la validité du permis.

2. La licence “à emporter”
 
Il existe deux types de licences à emporter suivant les catégories de boissons pouvant être commercialisées. L’obtention d’une licence à emporter est soumise à déclaration.
 
Cinq catégories de boissons. La loi classe les boissons selon cinq catégories : 1°) les boissons sans alcool ; 2°) les boissons fermentées non distillées (vin, bière, cidre, etc) ; 3°) les vins doux naturels, vins de liqueur, apéritifs, etc ; 4°) les rhums, alcools provenant de la distillation des vins, cidres, poirés ou fruits, etc. et 5°) toutes les autres boissons alcooliques.
 
Deux licences. L’exploitant d’un site web de vente de vins et d’alcool peut obtenir deux types de licences : la "petite licence à emporter" qui permet de vendre des boissons de 2e catégorie et la "licence à emporter", autorisant la vente de toutes les boissons, quelle que soit leur catégorie.(3)
 
Conditions d’obtention de la licence. Une nouvelle législation, entrée en vigueur le 1er juin 2011, a modifié les conditions d’obtention de la licence. Auparavant, les exploitants de débit de boissons à emporter devaient effectuer une déclaration fiscale, dite "déclaration de profession", auprès des services des douanes. Désormais, la déclaration fiscale est supprimée et remplacée par une déclaration administrative en Mairie ou, pour Paris, à la Préfecture de police. Cette déclaration doit être faite par écrit, au moins 15 jours avant le début de l’activité.(4) 
 
3. La protection de la santé publique et de la jeunesse
 
L’exploitant d’un site web de vente de vins et alcools doit en outre respecter certaines règles relatives à la protection de la santé publique et des mineurs.(5)

Message à caractère sanitaire. L’exploitant doit afficher, de manière visible, sur son site web un message sanitaire obligatoire indiquant que "l'abus d'alcool est dangereux pour la santé".

Protection des mineurs. La vente des boissons alcooliques à des mineurs est interdite ; cette interdiction s'applique aux ventes en ligne. A ce titre, l’exploitant d’un site web de vente de vins doit signaler, de manière visible sur le site, l’interdiction de vente aux mineurs (par exemple en bas de page, avec un rappel sur le formulaire de commande).

En outre, l’exploitant peut exiger des acheteurs qu'ils déclarent être majeurs au moyen d’une déclaration faite en ligne, par exemple soit en demandant à l'acheteur de renseigner sa date de naissance, soit en demandant, au moment de l'achat, qu'il déclare sur l'honneur avoir plus de 18 ans.


4. Quelles sanctions en cas de non-respect de la réglementation ?

En cas d'infraction aux règles précitées, l'exploitant du site web encourt des peines d'amende, d'interdiction d'exercer et /ou de fermeture du site web. 


Les montants des amendes varient selon les manquements constatés : 3.750€ en cas d'exploitation d'un site web sans être titulaire de la licence "à emporter" ; 75.000€ en cas d'infraction à la réglementation relative à la protection de la santé publique ; et 7.500€ en cas de non-respect de la réglementation relative à la protection des mineurs. 


Quant à la durée de l'interdiction de vendre des boissons alcooliques ou de la fermeture du site web, elle varie également selon de la gravité de l'infraction commise. L'interdiction ou la fermeture peut être temporaire, voire définitive.
(6)


Outre ces règles spécifiques à la vente de vins et alcools, l’exploitant du site web de vente de vins devra respecter les règles propres au commerce électronique, telles que figurant notamment dans la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN), complétées par les règles relatives à la protection du consommateur, au traitement des données à caractère personnel (loi Informatique et Libertés), et d’une manière générale, les règles applicables au contrat de vente figurant au Code civil.


* * * * * * * * * * *


(1) Loi N°2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, dite "Loi Bachelot" ou "Loi Hôpital, patients, santé, territoires" et articles L. 3331-1 et s. et L. 3332-1 et s. du Code de la santé publique.
(2) Articles L.3332-1-1, L.3331-4 al.2 et R.3332-4 et s. du Code de la santé publique et Décret n° 2011-869 du 22 juillet 2011 relatif aux formations délivrées pour l’exploitation d’un débit de boissons à consommer sur place et pour la vente entre 22 heures et 8 heures de boissons alcooliques à emporter.
(3) Articles L.3331-3 et L.3321-1 du Code de la santé publique.
(4) Loi n°2010-1658 du 29 décembre 2010 de finances rectificatives pour 2010 ; Loi n° 2011-302 du 22 mars 2011 portant diverses dispositions d’adaptation de la législation au droit de l’Union européenne en matière de santé, de travail et de communications électroniques (voir notamment article 1er) ; Circulaire n° DGS/DLPAJ/2011/205 du 31 mai 2011 relative à la déclaration des débits de boissons et article L.3332-1-1 et s. du Code de la santé publique.
(5) Articles L3323-4 et L3342-1 du Code de la santé publique.

(6) voir notamment les articles L.3352-4-1, L.3351-7, L.3353-3, L. 3355-4 et L. 3355-6 du Code de la santé publique.


Bénédicte DELEPORTE - Avocat
Betty SFEZ - Avocat

Deleporte Wentz Avocat
www.dwavocat.com


Septembre 2011