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mercredi 3 novembre 2021

La fusion entre le CSA et la Hadopi donne naissance à l’Arcom


Selon la Hadopi, la hausse de la consommation de biens culturels dématérialisés s’est accélérée en 2020. Cette accélération a été favorisée par la crise sanitaire et la période de confinement qui ont entraîné la fermeture des lieux culturels (cinémas, théâtres, salles de spectacles). Constat positif mais également négatif puisqu’un quart des internautes français visiterait chaque mois des sites illicites de biens culturels. (1) Face à ce constat, le bilan de la Hadopi relatif à la lutte contre le piratage en ligne des oeuvres audiovisuelles est plus que mitigé, mais reflète cependant les limites de son champ d’action.

Une réforme était donc nécessaire pour tenter de lutter plus efficacement, et plus rapidement, contre les usages illicites sur internet. Celle-ci passe par la réforme, plus large, de l’audiovisuel qui se met enfin en place avec l’adoption, le 25 octobre 2021, de la loi relative à la régulation et à la protection de l’accès aux oeuvres culturelles à l’ère numérique. (2) Cette réforme, annoncée depuis deux ans, consacre la création de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique - Arcom, une nouvelle autorité administrative, née de la fusion du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) et de la Haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur internet (Hadopi). L’Arcom entrera en activité au 1er janvier 2022.

Cette nouvelle autorité interviendra sur un champ de compétences élargi, avec des agents disposant de pouvoirs d’investigation pour des actions de lutte, on l’espère, plus efficaces contre les sites illicites.


1. Un champ des compétences élargi

L’Arcom disposera d’un champ de compétences élargi par rapport aux missions combinées du CSA et de la Hadopi, consacrant enfin la convergence des technologies de communication avec l’interaction grandissante entre l’audiovisuel traditionnel et internet.

En effet, les compétences attribuées à l’Arcom couvrent les domaines allant de la création des oeuvres jusqu’à la protection du droit d’auteur. Les activités de l’Arcom s’articuleront ainsi autour de plusieurs axes, avec notamment un premier axe sur la lutte contre le piratage des oeuvres protégées, un deuxième axe sur une mission pédagogique et de régulation, et un troisième axe de régulation du secteur audiovisuel.

    1.1 La focalisation sur la lutte contre le piratage des oeuvres protégées

Le premier axe, concernant principalement la communication en ligne portera sur les actions suivantes (3) :

    - La lutte contre le piratage des oeuvres protégées par le droit d’auteur, un droit voisin ou un droit d’exploitation audiovisuelle. L’Arcom pourra ainsi créer une “liste noire” des sites exploitant, de façon massive, des contenus contrefaisant ;

    - La lutte contre les sites sportifs illicites. Considérant que l’accès aux chaînes de sports est généralement trop cher, nombre d’internautes choisissent de visionner les événements sportifs en ligne, sur des sites de streaming sportif illicites. Cette pratique a des conséquences économiques et financières très lourdes pour les diffuseurs et les clubs sportifs. Or, jusqu’ici il était très difficile pour les titulaires des droits de diffusion de lutter contre ces sites, notamment du fait des délais de procédure pour obtenir une décision de blocage. La loi d’octobre 2021 tente de remédier à ce problème en créant une procédure spécifique de référé pouvant être intentée par les titulaires de droits de diffusion d’événements sportifs contre les sites illicites et les sites miroirs ;

    - La lutte contre la désinformation sur internet (lutte contre les “fake news” en application de la loi du 22 décembre 2018) (4) et contre les contenus haineux ;

    - La régulation des plateformes de vidéo par abonnement (SVoD).

    1.2 Une mission pédagogique

A l’instar des actions menées par la CNIL depuis plusieurs années, la loi du 25 octobre 2021 inscrit, parmi les missions de l’Arcom, des actions pédagogiques et de régulation par la création de “soft law”, comprenant :

    - Des actions de sensibilisation et de prévention, notamment auprès des jeunes. Concernant la protection des mineurs, ces actions de prévention concernent non seulement les contenus piratés, mais également les contenus illicites, violents, haineux, ou pornographiques ;

    - Une mission d’encouragement au développement de l’offre légale ;

    - Une mission de régulation et de veille relative aux mesures techniques de protection et d’identification des oeuvres et objets protégés par le droit d’auteur, avec la publication de recommandations, guides de bonne pratiques, modèles de clauses types et codes de conduite. Ces outils auront pour objet d’informer et de former le public.

    - L’Arcom pourra en outre favoriser la signature d’accords volontaires avec les professionnels pour les inciter à mettre en oeuvre des politiques de lutte contre le contrefaçon et le piratage plus efficaces.

    1.3 La régulation du secteur audiovisuel

Enfin, l’Arcom sera en charge de la régulation du secteur audiovisuel. Cette mission de régulation, héritée du CSA, comprend notamment la gestion des fréquences, les conditions de création de nouvelles chaînes de radio et de télévision et le suivi de leurs engagements, la garantie du respect de la liberté d’expression et des droits et libertés fondamentaux sur les chaînes de radio et de télévision, etc.

L’Arcom sera également en charge de garantir le pluralisme de l’offre dans le secteur audiovisuel et des sources d’information. Ce domaine est d’autant plus d’actualité avec, par exemple, le projet de fusion annoncé en mai 2021 entre les groupes TF1 et M6.


2. Des agents publics disposant de réels pouvoirs d’investigation

La direction de l’Arcom sera constituée de 9 membres, dont huit membres choisis en raison de leurs compétences économiques, juridiques ou techniques, nommés par décret, et le président de l’Autorité nommé par le Président de la République. Les membres sont nommés pour un mandat de 6 ans, non renouvelable. L’équilibre hommes/femmes doit être respecté au moment de leur nomination.

L’Arcom disposera par ailleurs d’un “bataillon” d’agents publics assermentés, habilités par décret. Dans le cadre de leurs investigations, les agents de l’Arcom pourront notamment :

    - recevoir des opérateurs de communications électroniques les coordonnées (identité, adresse postale, email, numéro de téléphone) des personnes dont l’accès aux services a été utilisé pour diffuser des oeuvres non autorisées ;

    - mais également constater les faits susceptibles de constituer les infractions lorsqu’ils sont commis en ligne, et “sans en être tenus pénalement responsables :
1° Participer sous un pseudonyme à des échanges électroniques susceptibles de se rapporter à ces infractions ;
2° Reproduire des œuvres ou des objets protégés sur les services de communication au public en ligne ;
3° Extraire, acquérir ou conserver par ce moyen des éléments de preuve sur ces services aux fins de la caractérisation des faits susceptibles de constituer des infractions ;
4° Acquérir et étudier les matériels et les logiciels propres à faciliter la commission d'actes de contrefaçon.
” (5)
Toutefois, ces actes ne pourront inciter autrui à commettre une infraction. Les informations recueillies font l’objet d’un procès-verbal pouvant ensuite être utilisé en cas de poursuites judiciaires.


3. Des pouvoirs plus efficaces ?

Regroupant les domaines de la communication audiovisuelle et par internet, l’Arcom devrait pouvoir intervenir sur un champ de compétences élargi. En effet, la convergence des technologies de l’audiovisuel et de l’internet entraîne la disparition de la frontière entre ces deux domaines.

La division des compétences sur des agences séparées n’avait plus de sens. D’une part, le champ d’action de la Hadopi se limitait au téléchargement illicite d’oeuvres en peer-to-peer. Or, cette pratique ne concernerait plus que 25% de la consommation illicite de biens audiovisuels. Depuis plusieurs années la technologie et les pratiques des internautes ont en effet évolué pour accéder aux oeuvres en streaming ou via des sites ou serveurs temporaires ou miroirs. D’autre part, grâce à la technologie de diffusion des oeuvres audiovisuelles en ligne, le rôle du CSA s’est naturellement élargi au domaine de l’internet, avec la multiplication des web radio et web TV, la télévision connectée, les services audiovisuels à la demande (SMAD / SVoD), …

La création de l’Arcom consacre donc la fin d’une frontière devenue artificielle entre les différents modes de diffusion des oeuvres audiovisuelles. L’Arcom a ainsi pour objectif d’améliorer l’efficacité de la lutte contre les différentes formes de piratage audiovisuel : téléchargement en P-to-P, streaming, IPTV, lutte contre les sites sportifs illicites.


    L’Arcom a pour ambition de se positionner comme le moteur d’un nouveau modèle de régulation audiovisuelle, “à l’écoute des publics et de leurs préoccupations, (…) résolument engagée dans la défense des libertés d’expression, d’information et de création.” (6) Cette nouvelle autorité devra toutefois surmonter plusieurs défis : intégrer des personnels venant de deux mondes jusqu’ici distincts, le monde de l’audiovisuel, et le monde d’internet, et démontrer l’efficacité de ses actions, particulièrement dans la lutte contre le piratage.

* * * * * * * * * * *


(1) Etude Hadopi du 6 mai 2021 “12,7 millions d’internautes ont visité en moyenne chaque mois des sites illicites de biens culturels dématérialisés en 2020, soit 24 % des internautes français”

(2) Loi n°2021-1382 du 25 octobre 2021 relative à la régulation et à la protection de l’accès aux oeuvres culturelles à l’ère numérique, modifiant le code de la propriété intellectuelle et la loi n°86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication.

(3) Art. L.331-12 et s. du Code de la propriété intellectuelle

(4) Loi n°2018-1202 du 22 décembre 2018 relative à la lutte contre la manipulation de l’information

(5) Art. L.331-14 du Code de la propriété intellectuelle

(6) Communiqué de presse conjoint du CSA et de la Hadopi sur la création de l’Arcom, 26 octobre 2021


Bénédicte DELEPORTE
Avocat

Deleporte Wentz Avocat
www.dwavocat.com


Novembre 2021

jeudi 9 avril 2015

Open Data : pour la CADA, les codes sources des logiciels développés par l’Etat sont librement accessibles



Le 8 janvier 2015, la CADA (commission d’accès aux documents administratifs) a émis un avis favorable à la communication du code source d’un logiciel développé par l’Etat, à une personne qui en avait fait la demande. (1)

Un chercheur avait demandé à la Direction générale des finances publiques (DGFiP) d’avoir accès aux codes sources d’un logiciel de calcul de simulation de l’impôt sur le revenu des personnes physiques, pour les réutiliser dans le cadre de travaux de recherche universitaire. Le directeur général des finances publiques avait opposé un refus, invoquant la lourdeur du traitement pour rendre ces fichiers exploitables. Suite à ce refus, le demandeur a donc saisi la CADA pour que celle-ci émette un avis.

La CADA a estimé que le code source développé par l’Etat devait être traité comme un document administratif au sens de la loi du 17 juillet 1978, et qu’à ce titre le demandeur pouvait y avoir accès, dans les conditions définies par la loi. (2)

Cet avis doit néanmoins être nuancé, dans la mesure où plusieurs exceptions au principe d’accessibilité doivent être pris en compte.


1. L’avis de la CADA : Open data et Open source

    1.1 Rappel de la définition de document administratif et du principe de liberté d’accès à ces documents

La loi du 17 juillet 1978 pose le principe de la liberté d’accès aux documents administratifs.

L’article 1er de la loi de 1978 définit les documents administratifs comme des documents produits ou reçus, “dans le cadre de leur mission de service public, par l'Etat, les collectivités territoriales ainsi que par les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées d'une telle mission”, et ce “quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support”.

Le texte énonce ensuite les catégories de documents pouvant entrer dans cette définition, cette liste n’étant pas exhaustive : les dossiers, rapports, études, comptes-rendus, procès-verbaux, statistiques, directives, instructions, circulaires, notes et réponses ministérielles, correspondances, avis, prévisions et décisions. On notera que ce texte, dans sa version modifiée par une ordonnance du 29 avril 2009, ne vise pas expressément les logiciels.

En vertu de l’article 4 de la loi de 1978, l’accès aux documents administratifs s’exerce, au choix du demandeur, et dans la limite des possibilités techniques de l’administration, soit par consultation gratuite sur place, soit par la délivrance d’une copie sur un support identique à celui utilisé par l’administration ou compatible avec celui-ci, et aux frais du demandeur, soit enfin par courrier électronique et sans frais.

    1.2 L’interprétation de la CADA concernant le code source

Dans son avis du 8 janvier dernier, la commission, appliquant les dispositions de la loi du 17 juillet 1978, en a conclu que le code source d’un logiciel développé par ou pour l’Etat entrait dans le cadre de la définition des documents administratifs, et qu’à ce titre, il était librement accessible par le demandeur.

Ainsi, selon la CADA, “les fichiers informatiques constituant le code source sollicité, produits par l’administration générale des finances publiques dans le cadre de sa mission de service public, revêtent le caractère de documents administratifs, au sens de l’article 1er de la loi du 17 juillet 1978.

Le code source doit donc être accessible et être communiqué dans l’un des formats prévus à l’article 4 de la loi, au choix du demandeur et dans la limite des possibilités techniques de l’administration. En l’espèce, pour s’opposer à la communication du code source, le directeur général des finances publiques avait soutenu que l’application en cause “se composait de nombreux fichiers nécessitant un lourd traitement pour être rendus exploitables, de sorte que le document sollicité devait être regardé comme inexistant, en l’absence de traitement automatisé d’usage courant susceptible d’en produire une version compréhensible.”

Or, selon la commission, la loi du 17 juillet 1978 n’oblige pas l’administration à créer un nouveau document pour permettre la réutilisation des données qu’il comporte. Celle-ci n’est tenue qu’à communiquer le document “dans le format le plus propre à cette réutilisation lorsque l’administration le détient dans différents formats, ou peut obtenir par un traitement automatisé d’usage courant le format souhaité”. Si le document n’existe pas en l’état pour être communiqué, et ne peut être obtenu que par une opération excédant un simple traitement automatisé d’usage courant, l’administration n’est alors pas tenue d’élaborer un nouveau document.

Cependant, l’administration ne peut simplement se retrancher derrière des difficultés techniques ou une impossibilité matérielle pour refuser l’accès au document sollicité. En tout état de cause, la CADA estime que l’administration est tenue, a minima, de communiquer le document dans l’état où elle le détient.

Le code source pourra ensuite être réutilisé, sauf à des fins de mission de service public.

Dans son avis du 8 janvier 2015, la commission ne précise pas les conditions d’utilisation des codes sources communiqués. Ces conditions peuvent néanmoins se déduire des conditions de réutilisation figurant aux articles 10 et suivants de la loi de 1978, même si celles-ci ont été pensées pour des documents tels que les rapports, études statistiques, etc. Ainsi, les codes sources (informations publiques) ne peuvent être altérés et leur sens ne doit pas être dénaturé. L’utilisateur est tenu de mentionner les sources et la date de dernière mise à jour.

La CADA confirme ainsi, par son avis du 8 janvier 2015, que les codes sources de l’administration sont libres, et inscrit les logiciels développés par l’administration dans la logique de l’Open source et de l’Open data.

Il convient cependant de noter qu’il s’agit d’un avis, susceptible d’un recours devant les tribunaux administratifs en cas de désaccord de l’une des parties.


2. Les exceptions au principe d’accessibilité aux documents administratifs


Plusieurs exceptions existent cependant concernant l’accès aux documents administratifs, et donc aux codes sources des logiciels développés par ou pour l’administration.

La première exception notable, et légitime, concerne les documents couverts par des droits de propriété intellectuelle, et notamment les logiciels sous licence propriétaire. En effet, ce n’est pas parce qu’une administration va utiliser des logiciels sous licence, que les droits de propriété intellectuelle de leurs auteurs disparaissent et que les sources deviennent librement accessibles par toute personne qui en ferait la demande.

Outre l’exception relative aux droits de propriété intellectuelle, il existe plusieurs autres limites au principe de la liberté d’accès aux documents administratifs.

L’article 6 de la loi dispose que ne sont pas communicables, notamment, les documents administratifs dont la consultation ou la communication porterait atteinte au secret de la défense nationale, à la conduite de la politique extérieure de la France, à la sûreté de l’Etat, à la sécurité publique ou la sécurité des personnes, à la monnaie, à la recherche des infractions fiscales ou douanières (ce qui n’était pas le cas pour le logiciel de calcul de simulation de l’impôt sur le revenu, dont l’accès aux sources était sollicité).

Enfin, la communication des documents comportant des données à caractère personnel, des données médicales ou des secrets commerciaux ou industriels est en principe limitée aux personnes intéressées. 

Les conditions de réutilisation prévues dans la loi du 17 juillet 1978 sont plus particulièrement adaptées pour les documents “classiques” listés à l’article 1er de la loi (dossiers, rapports, études statistiques, etc.). Afin de clarifier les conditions d’utilisation des logiciels communiqués dans le cadre d’une demande d’accès en vertu de la loi de 1978, il est recommandé de prévoir les conditions de licence libre qui seront applicables à ce logiciel.

                                                          * * * * * * * * * * *

(1) Commission d’accès aux documents administratifs, avis n°20144578 du 8 janvier 2015, M. X c/ Direction générale des finances publiques (DGFiP)

(2) Loi n°78-753 du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d’amélioration des relations entre l’administration et le public



Bénédicte DELEPORTE
Avocat

Deleporte Wentz Avocat
www.dwavocat.com

Avril 2015

mardi 24 septembre 2013

Open data : un nouvel élan pour la politique d’ouverture des données publiques

La Charte pour l’ouverture des données publiques (ou open data) signée par les chefs d’état des pays du G8 lors du sommet des 17 et 18 juin 2013 en Irlande du Nord, associée à la directive du 26 juin 2013 concernant la réutilisation des informations du secteur public démontrent l’intérêt des politiques pour la promotion d’un réel essor dans ce domaine. (1)

Bien que le droit français dispose d’un cadre réglementaire relatif aux données publiques depuis 1978, avec la loi CADA, les initiatives et projets autour de la réutilisation de ces données restent encore en deçà des attentes. (2) C’est pourquoi il est intéressant de constater que les pays industrialisés (G8 et Etats-membres de l’Union européenne) ont réaffirmé leur engagement pour la promotion de la réutilisation des données publiques par ces deux textes, adoptés au mois de juin dernier.

L’étude de ces textes fait ressortir les principes fondamentaux communs à l’Open Data et à la réutilisation de ces données publiques. Si le premier principe d’ouverture par défaut est une réelle avancée pour affirmer l’importance de l’Open Data, toutes ces données n’ont cependant pas vocation à être librement accessibles et réutilisables. Les droits des personnes (protection des données personnelles et droit d’auteur) sont préservés et certaines catégories de données liées à la sûreté de l’Etat et à la sécurité publique ainsi que les informations commerciales sont exclues de ces dispositifs, comme elles l’étaient déjà de la loi CADA.


1. Charte du G8 et directive Open Data : des principes communs pour une politique de réutilisation des données publiques

La Charte du G8 pour l’ouverture des données publiques repose sur cinq principes, dont l’objet est de faciliter, de manière effective, la réutilisation des données publiques. (3)

    1.1 Les cinq principes de la Charte du G8

La Charte pose les cinq principes suivants : l’ouverture des données publiques par défaut ; des données publiques de qualité, en quantité, accessibles et réutilisables ; une ouverture des données pour améliorer la gouvernance et encourager l’innovation.

Principe n°1 : données ouvertes par défaut
Les données des organismes publics doivent être considérées comme étant, par défaut, des données ouvertes, pouvant être réutilisées. Leur accès doit être libre et leur réutilisation, en principe (mais pas obligatoirement), gratuit. Ce premier principe d’ouverture et de réutilisation est considéré comme étant d’importance majeure pour la société et l’économie.

Principe n°2 : de qualité et en quantité
Les données concernées doivent être “de qualité”, c’est-à-dire, à jour, complètes et exactes. En outre, ces données doivent être mises à disposition dans des délais raisonnables après leur production. Les organismes publics doivent utiliser et mettre à disposition des métadonnées fiables, dans un format uniforme pour faciliter la réutilisation des données, notamment transfrontières.

Principe n°3 : accessibles et réutilisables par tous
L’un des objectifs mis en avant par le G8 est le principe de la gratuité et la diffusion des données en formats ouverts afin que ces données soient lisibles, quels que soient le système d’exploitation, la plateforme ou le logiciel de lecture. Comme on le verra plus loin, le principe de gratuité des données publiques n’est pas une obligation. Les administrations peuvent demander le règlement d’une redevance pour couvrir le coût de mise à disposition des données, voire même d’une redevance d’utilisation des données.

Principe n°4 : ouvrir les données pour améliorer la gouvernance
Un autre objectif de l’open data souligné par le G8 est de favoriser l’exercice de la démocratie. En permettant un accès systématique aux données publiques, les organismes publics s’engagent pour plus de transparence sur les méthodes de collecte des données, sur les normes appliquées et sur les mécanismes de publication.

Principe n°5 : ouvrir les données pour encourager l’innovation
La Charte reconnaît que l’ouverture des données publiques pour leur réutilisation inclut les usages à des fins commerciales et non commerciales.

L’accès à ces données par les entreprises doit permettre le développement de produits et services innovants, et ainsi contribuer au développement économique. Les données peuvent être diffusées libres de droits ou sous licence, de préférence ouverte. (4)

    1.2 La directive du 26 juin 2013

La directive européenne, publiée dans la lignée de la Charte du G8, vient modifier la directive de 2003 concernant la réutilisation des informations du secteur public. L’objet de cette modification est triple : (i) prendre en compte les évolutions technologiques intervenues depuis dix ans, (ii) réduire les disparités des règles en vigueur entre les différents Etats-membres en matière de politique Open Data afin de lever les obstacles aux offres transfrontalières de produits et services basés sur des données publiques, en imposant un degré minimal d’harmonisation communautaire, et (iii) imposer le principe de l’ouverture des données publiques et le droit de réutilisation, ce droit n’existant pas dans la directive de 2003. On remarquera donc que la plupart des dispositions de la directive de juin 2013 figurent déjà dans la loi française.

Principe des données ouvertes par défaut 
Comme la Charte du G8, la directive - version 2013 -, impose le principe des données ouvertes par défaut. Ces données doivent donc pouvoir être librement réutilisables, sous réserve des règles nationales applicables.

Le refus opposé à un demandeur pour accéder à des données doit être justifié. En cas de refus d’accès aux données, l’organisme public doit en communiquer les raisons au demandeur.

Par ailleurs, la directive précise l’extension de son champ d’application aux bibliothèques, bibliothèques universitaires, musées et archives, sous réserve du respect du droit d’auteur notamment (voir les exceptions ci-après).

Formats de fichiers ouverts et structurés 
La qualité des données publiques est rappelée par le biais de l’obligation de fournir les données en formats ouverts, lisibles par la machine, permettant l’interopérabilité, et comprenant une présentation précise des métadonnées.

Gratuité ou redevance 
La directive ne pose pas la gratuité comme un principe. En effet, les opérations de collecte, de production, de reproduction et de diffusion de ces données ont un coût pour les organismes publics. L’accès aux données publiques peut donc être payant, si possible limité à une redevance couvrant uniquement les coûts marginaux de la diffusion des données.

Toutefois, certains organismes publics doivent générer des recettes. La redevance applicable à leurs données pourra donc être supérieure aux coûts marginaux, sous réserve qu’elle soit fixée selon des critères objectifs, transparents et vérifiables.

Conditions de réutilisation  
La réutilisation des données peut être libre ou soumise à des conditions de licence, si possible ouverte.

La directive permet aux organismes publics d’accorder des droits d’exclusivité de réutilisation à des partenaires privés, notamment pour leur permettre d’amortir les investissements réalisés. Cependant, les accords d’exclusivité de réutilisation doivent rester limités, respecter les principes du droit de la concurrence, et être soumis à un réexamen régulier.

La directive du 26 juin 2013 doit être transposée dans les droits nationaux des Etats membres dans un délai de deux ans, à savoir avant le 18 juillet 2015.


2. Toutes les données ne sont cependant pas librement réutilisables


L’affirmation du principe des données ouvertes par défaut, par la Charte du G8 et la directive de juin 2013, ne signifie pas pour autant que toutes les données sont libres d’accès. Les droits des personnes sont notamment reconnus et justifient certaines exceptions au principe de l’Open Data.

Plusieurs catégories de données sont ainsi exclues de l’Open Data, justifiant le refus de communication par les organismes publics. Il s’agit de certaines données soumises à des droits spécifiques (propriété intellectuelle ou données personnelles), relatives à la sûreté de l’Etat et à la sécurité ou encore aux données protégées par la confidentialité. Ces données ne peuvent donc être librement réutilisées.

Les données protégées par le droit de la propriété intellectuelle  
Les données protégées par des droits de propriété intellectuelle ne sont pas libres, même si elles sont détenues par des administrations, collectivités ou autres organismes publics. Ces données ne sont donc pas réutilisables, sauf accord de leur titulaire.

Les données à caractère personnel
Dans le respect des dispositions de la loi Informatique et Libertés, les informations publiques comportant des données personnelles restent protégées. La loi française étend l’exception aux données couvertes par le secret médical. Ces données peuvent néanmoins être communiquées à l’intéressé à sa demande dans les conditions fixées par la loi. (5)

Les données relatives à la protection de la sécurité nationale, de la défense et de la sécurité publique 
Ces données sont exclues des informations publiques et ne peuvent être communiquées.

Les informations commerciales confidentielles (secrets d’affaires, secret professionnel)  
Les informations confidentielles échangées entre des entreprises privées et l’administration, par exemple dans le cadre d’appel d’offres et de l’exécution de marchés publics, restent couvertes par la confidentialité.

Les données statistiques confidentielles
Toutes les données statistiques ne sont pas des données publiques. Certaines statistiques peuvent en effet comprendre des données permettant d’identifier des personnes, directement ou indirectement ; d’autres peuvent être directement liées à la sécurité publique, etc.

La frontière entre données publiques et données protégées, et donc le droit de réutilisation, n’est pas toujours aisée à tracer. Il existe à ce sujet quelques décisions de justice venant préciser le contour de la protection de la vie privée ou des droits de propriété intellectuelle et du producteur de base de données. (6)


Que ces nouveaux textes soient un véritable pas en avant ou la réaffirmation de droits déjà définis dans la loi, peu importe. Il nous paraît que l’engagement des principaux pays industrialisés sur des principes communs à l’Open Data démontre une volonté réelle de participer à l’essor de la réutilisation de ces données par le secteur privé, que ce soit à des fins d’intérêt général ou commerciales.

Même si l’administration française est de plus en plus active dans ce domaine (voir le site www.data.gouv.fr qui affiche un accès à plus de 350 000 jeux de données publiques), sans oublier l’engagement de certaines collectivités locales et des organismes culturels (musées du Louvre ou du quai Branly par exemple), le domaine de la réutilisation des données publiques paraît bien encadré juridiquement, afin de permettre aux entrepreneurs de développer de nouveaux produits et services.

A cette fin, l’annexe à la charte du G8 liste utilement des catégories de données à forte valeur ajoutée. On retiendra par exemple les catégories suivantes : données d’environnement, données d’observation de la Terre et données géospatiales ; données d’éducation ; données relatives aux finances et aux marchés ; données de santé ; ou données dans les domaines de la science et de la recherche. On peut donc comprendre que l’Open Data n’est pas qu’un débat théorique. Si l’on considère ces données brutes comme une matière première à transformer, il existe de réelles opportunités en matière de développement de projets dans un environnement réglementaire qui tend à se préciser.

                                                            * * * * * * * * * * *

(1) Charte du G8 pour l’Ouverture des Données Publiques - 18 juin 2013, accessible sur le site etalab.gouv.fr ; Directive 2013/37/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 modifiant la directive 2003/98/CE concernant la réutilisation des informations du secteur public

(2) Loi n°78-753 du 17 juillet 1978, dite loi CADA, portant diverses mesures d'amélioration des relations entre l'administration et le public et diverses dispositions d'ordre administratif, social et fiscal. A noter que la loi CADA distingue entre “document administratif” et “information publique”, les documents administratifs étant définis à l’article 1er de la loi, et les informations publiques (à savoir, les données contenues dans les document administratifs, sous réserve d’exceptions) sont définies à l’article 10..

(3) Pour rappel, les pays du G8 sont l’Allemagne, le Canada, les Etats-Unis, la France, l’Italie, le Japon, le Royaume Uni et la Russie
 
(4) A ce titre, voir par exemple la licence ouverte (ou Open licence) publiée par Etalab en décembre 2011

(5) voir article 6 de la loi CADA du 17 juillet 1978

(6) Voir par exemple les précisions apportées par la jurisprudence “notrefamille.com” :
- Respect de la loi Informatique et Libertés du 6 janvier 1978 : C. Adm. d’Appel de Lyon du 4 juillet 2012, Département du Cantal c/ notrefamille.com
- Droit du producteur de base de données : Trib. Adm. de Poitiers du 31 janvier 2013, notrefamille.com c/ Département de la Vienne ; C. Adm. d’Appel de Nancy du 18 avril 2013, notrefamille.com c/ Conseil général de la Moselle



Bénédicte DELEPORTE - Avocat

Septembre 2013

dimanche 18 novembre 2012

Open Data culturel : le point sur le développement de la libre diffusion des données culturelles

A l'occasion de la création du nouveau Secrétariat général pour la modernisation de l'action publique, fin octobre 2012, le Gouvernement a confirmé sa volonté de poursuivre la politique de développement et de diffusion Open Data, consistant à faciliter la réutilisation des informations publiques produites par les administrations. (1)

En phase avec cette politique, les administrations sont de plus en plus nombreuses à mettre à disposition leurs données (données de transport, données cartographiques, statistiques, géographiques, sociologiques, données d’environnement, etc.) sous licence libre et dans des formats ouverts. Toutefois, la libéralisation de ces informations est loin d'être complètement acquise en France. (2)

Les données culturelles, occupant une place particulière parmi les données publiques, restent  encore en retrait de ce mouvement. Ces données sont en effet soumises à un régime juridique d’exception qui devrait cependant évoluer. Malgré ce cadre juridique spécifique, quelques projets d’Open Data culturel ont été lancés par des établissements culturels.


1. L'"exception culturelle" comme frein à la mise à disposition des données culturelles

Une grande partie du patrimoine culturel français (oeuvres d’art, oeuvres culturelles et littéraires et autres documents de nature culturelle), est aujourd’hui conservée et gérée par des établissements publics : musées, bibliothèques, instituts et centres culturels nationaux, mais aussi les archives. Ces établissements détiennent et produisent de plus en plus de documents et de données culturelles, par le biais de la numérisation d’œuvres (textes et images), de production de données de référencement (bases de données, métadonnées, notices descriptives, etc.), de données d’activités (horaires et programmations, statistiques de fréquentations, géolocalisation des sites, etc.) ou plus généralement de données administratives (budgets, organigrammes, etc.). (3)

Ces données culturelles sont soumises à un régime juridique différent du régime général applicable aux autres données publiques.

    1.1 Le régime juridique dérogatoire des données culturelles


Le cadre légal applicable aux données culturelles constitue une exception à la libre exploitation des données publiques. En effet, les données culturelles ne sont pas, par principe, libres de droits. Droit d’auteur, mais également règles de protection de la vie privée interfèrent avec la libre mise à disposition des données.

Les principes posés par la loi du 17 juillet 1978, dite loi CADA
La loi CADA a instauré le principe de libre diffusion et de réutilisation des informations publiques.(4) Cette loi prévoit ainsi le droit pour toute personne d’accéder aux documents administratifs et d’utiliser les informations y figurant. En outre, la loi impose aux administrations de communiquer ces documents à toute personne qui en fait la demande.

La loi CADA comprend également plusieurs dérogations au principe général de libre diffusion, notamment :

    - L’exception culturelle : l'article 11 de la loi offre aux établissements d'enseignement, de recherche et culturels la possibilité de fixer eux-mêmes les conditions dans lesquelles les informations qu'ils détiennent peuvent être réutilisées par des tiers.

Alors que les autres administrations ont l'obligation de permettre la réutilisation de leurs données, les établissements culturels peuvent choisir de se placer, ou non, sous le régime de droit commun de la loi de 1978. Ces établissements conservent une certaine latitude pour écarter ou limiter la réutilisation de leurs données culturelles en soumettant leur diffusion à des conditions tarifaires et/ou contractuelles spécifiques.

Cet article 11 a ainsi été invoqué à plusieurs reprises devant les tribunaux, notamment par des services d'archives départementales, pour refuser la mise à disposition des données leur appartenant.

    - Le respect des droits de propriété intellectuelle : les articles 9 et 10 de la loi CADA disposent que "les documents administratifs sont communiqués sous réserve des droits de propriété littéraire et artistique" ; "Ne sont pas considérées comme des informations publiques, (...) les informations (...) sur lesquelles des tiers détiennent des droits de propriété intellectuelle".

Les droits de propriété intellectuelle (droit d’auteur et droits voisins) confèrent à leurs titulaires un monopole d'exploitation permettant de contrôler la diffusion de leurs oeuvres, et ce pendant la durée de vie de l’auteur et 70 ans après sa mort (droits patrimoniaux).

Les établissements culturels peuvent être soit titulaires de droits sur les œuvres initiées et dirigées par l’établissement, soit cessionnaires pour toutes les autres œuvres cédées volontairement, dans le cadre d’un marché public par exemple, ou automatiquement, s’il s’agit d’une œuvre d’un agent de l’État, qui relèverait de l’article L.131-3-1 du Code de la propriété intellectuelle.

En qualité de titulaires de droits sur leurs oeuvres, les établissements culturels conservent une entière liberté pour entrer dans une démarche d’Open Data, sous réserve de ne pas avoir conclu de contrats exclusifs et/ou partenariats qui limiteraient par ailleurs cette faculté. En revanche, la qualité de cessionnaire de l’établissement culturel ne permettra d’entreprendre une telle démarche que si l'acte de cession autorise une diffusion et une réutilisation de l'oeuvre ou des données culturelles compatible avec le projet d'Open Data envisagé par l'établissement. (5)

    - Le respect de la loi informatique et libertés : l'article 13 de la loi CADA dispose que "les informations publiques comportant des données à caractère personnel peuvent faire l'objet d'une réutilisation soit lorsque la personne intéressée y a consenti, soit si l'autorité détentrice est en mesure de les rendre anonymes ou, à défaut d'anonymisation, si une disposition législative ou réglementaire le permet. La réutilisation d'informations publiques comportant des données à caractère personnel est subordonnée au respect des dispositions de la loi informatique et libertés de 1978".

La loi informatique et libertés définit les règles de protection des données à caractère personnel, à savoir toute information permettant d'identifier une personne physique, directement ou indirectement (nom, prénom, adresses postale et électronique, etc.). (6) Les documents détenus par les services d'état civil et d'archives de l'Etat comprennent donc des données à caractère personnel au sens de la loi informatique et libertés.

La circulaire du 26 mai 2011
Cette circulaire porte sur la création du portail internet data.gouv.fr, lancé fin 2011 avec le soutien de la mission gouvernementale Etalab. Elle fixe le principe, pour les administrations, d’autoriser la réutilisation gratuite de leurs données ; les administrations ne pouvant imposer de redevances que si “des circonstances particulières le justifient” et par le biais d'une procédure relativement lourde instaurée par décret du Premier Ministre.

Néanmoins, s’inspirant de l’exception prévue à l’article 11 de la loi CADA, la circulaire prévoit une dérogation en faveur des établissements culturels qui peuvent décider “s’ils le souhaitent”, de mettre à disposition leurs données sur le portail data.gouv.fr. Cela explique en grande partie la faible part des données culturelles sur le portail.

En conséquence, le cadre législatif existant n'encourage pas l'ouverture des données culturelles pour une libre réutilisation. L'existence de cette exception culturelle est-elle pour autant justifiée ?

    1.2 L'exclusion des données culturelles du domaine des données publiques est-elle justifiée ?


Les obstacles économiques à l'ouverture des données culturelles à l’Open Data
Pour certains, l’exception culturelle est justifiée compte tenu de la nature des données culturelles (nativement extra-numériques pour la plupart d’entre elles) et de leur diversité.

Dans le cadre d'un rapport remis au Ministre de la Culture au deuxième trimestre 2012, l'Inspection Générale des Affaires Culturelles (IGAC) a confirmé pour sa part que les données culturelles ne devaient pas être traitées comme des informations administratives ordinaires et qu'il convenait d'organiser un régime de réutilisation adapté à cette spécificité. (7)

Certains établissements, en faveur du maintien de l’exception, considèrent que l'ouverture de leurs données conduirait à des pertes financières, qu'ils souhaitent éviter tant le financement culturel reste fragile et périlleux. Les établissements culturels tirent notamment leurs revenus, outre des droits d’entrée des visiteurs, grâce à la revente des images de leurs collections à la presse et aux éditeurs. La mise à la disposition du public de tout ou partie de leurs données culturelles, à titre gratuit, pourrait donc mettre en danger une part non négligeable des sources de revenus de ces établissements.

Par ailleurs, le coût de la numérisation des données constitue, à lui seul, un frein majeur à leur mise à disposition gratuite.

Des opportunités à ne pas négliger
L’exception culturelle est cependant contestée par plusieurs groupes de travail et de réflexion en faveur d'un Open Data culturel (ex: groupe de travail Open GLAM). (8)

La mise en place de plateformes internet par les établissements culturels peut augmenter la visibilité des oeuvres et collections dont ils disposent, et ainsi fidéliser et diversifier leur public. L'ouverture des données peut également contribuer à valoriser les lieux culturels et entraîner une augmentation de leur fréquentation.

En outre, les données culturelles émanant du secteur public peuvent constituer un potentiel de croissance dans la mesure où d'autres acteurs (entreprises du secteur privé, associations) peuvent les réutiliser pour proposer des services et contenus enrichis, contribuant, d'une part au développement économique et d'autre part, à une meilleure visibilité du patrimoine, en particulier des sites et collections les moins connus.

Enfin, chaque année des appels à projets de numérisation sont lancés par le Ministère de la Culture. Ces projets s'adressent aux acteurs culturels, publics et privés à but non lucratif, et ont pour objectif de financer la numérisation de collections. Le dernier appel a été lancé le 5 octobre 2012. (9)

L'Open Data culturel permettrait ainsi de stimuler l'innovation technologique et par conséquent, de soutenir la croissance économique. Aussi, face à de telles opportunités, et dans un souci d'accès pour tous au patrimoine culturel, une évolution vers plus d’ouverture des données culturelles semble être en marche.


2. Un mouvement de libéralisation des données culturelles se dessine pourtant en France


L'Open Data culturel tend à devenir une réalité en France malgré le régime d’exception applicable à ces données et la réglementation protectrice de la propriété intellectuelle et de la vie privée. Quelques propositions pour faire évoluer le cadre juridique existant et diverses initiatives lancées dans le secteur culturel attestent de ce mouvement.

    2.1 Vers une évolution du cadre juridique applicable aux données culturelles ?


Constatant la difficulté d’articuler les contraintes de la réglementation protectrice de la propriété intellectuelle et de la vie privée avec la loi CADA de 1978 et avec la politique numérique de promotion de l’Open Data, une évolution du cadre juridique applicable est souhaitée.

La proposition de directive communautaire de décembre 2011
Cette proposition de directive vise à réviser la directive de 2003 portant sur la réutilisation des informations du secteur public. La directive de 2003 exclut de son champ d'application les données détenues par les établissements d'enseignement, de recherche et les établissements culturels (musées, bibliothèques, archives, orchestres, opéras, ballets et théâtres).

La proposition de directive a pour but de promouvoir une véritable ouverture des données publiques en posant le principe selon lequel celles-ci seront automatiquement réutilisables. Cette proposition de directive étendrait son champ d'application aux données détenues par les bibliothèques, les musées et les archives, mais exclurait les autres institutions culturelles telles que les opéras, ballets ou théâtres et les archives détenues par ces établissements. Par contre, la réutilisation de ces données ne pourrait se faire que dans le respect des droits de propriété intellectuelle de leurs ayants droit. (10)

L’avis du Conseil National du Numérique de juin 2012 sur l’Open Data
Parmi les propositions émises par le CNNum dans l’avis précité figure la promotion de la réutilisation des données culturelles et leur réintégration dans le régime de droit commun. Selon le CNNum, le régime d'exception instauré par la loi CADA s'appliquant à tout le secteur culturel, sans distinction aucune, ne serait pas justifié et devrait être nettement plus nuancé.

En outre, le CNNum préconise la clarification des questions de propriété intellectuelle relatives à la réutilisation des oeuvres numérisées et des données soumises au droit d'auteur des agents publics.

    2.2 Les initiatives lancées par les musées et bibliothèques

Plusieurs associations et établissements culturels travaillent sur des projets d'Open Data culturel. Parmi les initiatives les plus récentes, on peut citer :

Le projet de valorisation numérique du patrimoine de l’AGCCPF PACA
L’Association des Conservateurs des Collections Publiques de France (section fédérée PACA), mène depuis quelques années une réflexion sur la valorisation numérique du patrimoine et sur les nouvelles pratiques culturelles au cœur des cultures numériques.

L'Association a décidé d’axer son volet numérique 2012 sur le thème de l’ouverture et de la réutilisation des données culturelles. Le projet est réalisé en partenariat avec la Fondation Internet Nouvelle Génération (FING) et avec l’aide du Département des programmes numériques du Ministère de la Culture et de la Communication. Les objectifs de ce projet sont multiples, notamment disposer d’une cartographie générale de la connaissance des musées sur cette question et mettre à plat l’ensemble des questions que se posent les professionnels qui souhaiteraient diffuser leurs données en Open Data.

A cette fin, en avril 2012, l'Association a envoyé un questionnaire aux 180 musées du réseau et organisé des journées d’étude à la réutilisation des données publiques et à l’Open Data culturel, destinées aux conservateurs, développeurs, concepteurs de jeux vidéo, étudiants, data journalistes et responsables de collectivités territoriales.

La stratégie numérique de la RMN-Grand Palais
L'Etablissement public de la Réunion des musées nationaux et du Grand Palais des Champs-Élysées, fusion du Grand Palais avec la RMN, a été créé en janvier 2011. Le décret du 13 janvier 2011, définissant ses missions, prévoit que l’établissement doit constituer une photothèque universelle regroupant les reproductions photographiques des collections de l’Etat et en assurer la conservation, la valorisation et la diffusion numérique.

Afin de répondre à cette mission et dans le cadre d'une stratégie numérique globale, l'établissement a lancé le portail internet www.photo.rmn.fr, regroupant plus de 700.000 images photographiques d'oeuvres d'art. A noter que la réutilisation d'images du site photo.rmn.fr par les professionnels n'est pas gratuite, mais soumise au paiement de droits pour leur exploitation et, pour les photos qui ne sont pas encore tombées dans le domaine public, à l'accord des ayants droit. Par ailleurs, la RMN travaille actuellement sur le projet d'une plateforme regroupant de très nombreux jeux de données, devant être lancée courant 2013.


Le Centre Pompidou virtuel 
En octobre 2011, le Centre Pompidou a lancé le "Centre Pompidou virtuel" (http://www.centrepompidou.fr/), une plateforme internet donnant accès à l’ensemble des contenus culturels produits par le Centre : images et dossiers des œuvres de la collection, dossiers pédagogiques, interviews vidéo d’artistes et de commissaires, captations de colloques et de conférences, archives, etc.

Les bibliothèques nationales
Plusieurs initiatives ont également été lancées par les bibliothèques.

Ainsi, en janvier 2012, la bibliothèque nationale universitaire de Strasbourg a décidé d'autoriser la libre réutilisation des fichiers images qu'elle produit, en les plaçant sous Licence Ouverte / Open Licence (http://www.bnu.fr/).

La Bibliothèque nationale de France (BNF) a lancé en juillet 2012 un nouveau site Internet (http://data.bnf.fr/) qui regroupe toutes les informations issues de ses différents catalogues ainsi que de sa bibliothèque numérique Gallica.

    2.3 Les archives et données généalogiques

Les archives et données généalogiques sont également considérées par la loi comme des données culturelles. Ces données un peu particulières comprennent des données à caractère personnel. La CNIL a dû se prononcer sur leurs conditions de réutilisation, illustrées par une décision judiciaire récente.

La recommandation de la CNIL de décembre 2010 
Régulièrement consultée par les services des archives, les élus, les associations ou les sociétés privées spécialisées dans la recherche généalogique, et donc souvent confrontée aux difficultés soulevées par l'articulation de la loi informatique et libertés avec la loi CADA et le code du patrimoine, la CNIL a publié une recommandation relative aux conditions de réutilisation des données publiques comportant des données personnelles. (11)

La CNIL précise les cas dans lesquels la réutilisation de données personnelles contenues dans des documents d’archives est à exclure ou, au contraire, possible moyennant certaines précautions. Ainsi, selon la CNIL, la réutilisation des données est possible dans le cas où la personne concernée a donné son accord exprès et a été informée de façon claire et complète sur les finalités, les données concernées, les destinataires des données, et leurs droits d’opposition, d’accès, de rectification, et de suppression.

L’arrêt Notrefamille.com et la réutilisation des données généalogiques détenues par le service des archives départementales
Un litige opposait le Conseil général du Cantal à la société Notrefamille.com, éditant le site internet genealogie.com. La société Notrefamille.com souhaitait réutiliser les archives des services départementaux à des fins commerciales et avait demandé, à plusieurs reprises et en vain, au président du Conseil général du Cantal de lui communiquer des cahiers de recensement des années 1831 à 1931 détenus par le service des archives. Face au refus persistant de la collectivité, la société Notrefamille.com a alors saisi le juge administratif. Dans un jugement du 13 juillet 2011, le Tribunal administratif de Clermont-Ferrand a enjoint la collectivité de communiquer les documents.

La collectivité a interjeté appel. Dans un arrêt du 4 juillet 2012, la Cour administrative d’appel de Lyon a jugé que les informations publiques, figurant dans les documents détenus par les services des archives publiques, relevaient de la liberté de réutilisation consacrée de façon générale par la loi CADA de 1978.

Toutefois, les magistrats lyonnais ont considéré qu’il appartenait à l’administration, saisie d’une demande de réutilisation de ces documents, de s’assurer que cette réutilisation satisfaisait aux exigences posées par la loi informatique et libertés. Or, la société Notrefamille.com prévoyait de transférer les données à Madagascar, et n'avait pas obtenu l'autorisation préalable de la CNIL prévue par loi. Selon la Cour, la collectivité était donc tenue de rejeter la demande de la société Notrefamille.com. En conséquence, les juges d’appel ont annulé le jugement du tribunal administratif de Clermont-Ferrand. (12)

Une société peut donc réutiliser, à des fins commerciales, les données contenues dans les actes conservés par les archives départementales, sous réserve d'être en conformité avec la loi informatique et libertés.


Considérant les données culturelles comme une catégorie à part, le législateur français a instauré un régime d’exception limitant leur accès et leur réutilisation. Toutefois, en dépit de ce régime juridique peu favorable et des débats provoqués par l'ouverture de ces données, il semble au regard des quelques projets déjà lancés, que leur libération devienne effective. Les initiatives se multiplient dans le secteur culturel et donnent ainsi naissance à un mouvement d’Open Data culturel.

Compte tenu des réticences et critiques que suscite ce mouvement sur le plan juridique mais également économique, la France va devoir aménager le cadre juridique existant. Il est à souhaiter que le nouveau cadre juridique détermine de façon claire et précise la notion de données culturelles, les établissements culturels concernés, les conditions d'accès et de réutilisation (avec ou sans redevance, sous quelle licence) et les conditions d'exploitation des données culturelles comportant des données personnelles ou sur lesquelles des tiers détiennent des droits de propriété intellectuelle.

Avec ou sans refonte du régime juridique applicable, une question reste cependant en suspend : la mise à disposition de ce patrimoine informationnel constitue-t-elle une réelle opportunité économique pour les établissements culturels et le secteur privé ? La mise en oeuvre de politiques Open Data et le lancement de projets y afférent, tel que dernièrement la publication de tous les contenus d'Europeana (portail culturel paneuropéen sous licence Creative Commons) permettent d'espérer que l’Open Data culturel devienne une réalité permettant à des entreprises du secteur numérique notamment, de développer des produits et services enrichis à partir de ces données.  (13)

* * * * * * * * * *

(1) A noter que la mission Etalab, créée par le précédent Gouvernement en février 2011, a été dissoute. Les missions d’Etalab sont transférées au nouveau Secrétariat général pour la modernisation de l’action publique.

(2) A ce sujet, voir notre article “Open Data : un plus large accès aux données publiques permettra t-il un véritable essor de leur réutilisation ?” publié sur ce blog en novembre 2011

(3) Voir l'Avis n°12 du Conseil national du numérique (CNNum) du 5 juin 2012 relatif à l’ouverture des données publiques.

(4) Loi n°78-753 du 17 juillet 1978, dite loi CADA, portant diverses mesures d'amélioration des relations entre l'administration et le public et diverses dispositions d'ordre administratif, social et fiscal.

(5) Voir le Rapport "open GLAM", publié au deuxième trimestre 2012, intitulé "Recommandations pour l'ouverture des données et des contenus culturels".

(6) Loi n°78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, modifiée, dite Loi informatique et libertés.

(7) Voir l'interview de François Braize, Inspecteur général des affaires culturelles, Lettre du COEPIA N°4, 2e trim. 2012, accessible à www.gouvernement.fr.

(8) Quelques groupes de réflexion ont publié des rapports, tels que "Partager notre patrimoine culturel" (mai 2009), proposant la création d'une charte en faveur de la mise à disposition des contenus culturels numériques, ou le rapport du groupe de travail "open Glam" (2e trim. 2012), proposant plusieurs recommandations visant à simplifier le cadre juridique actuel et à mettre en place de bonnes pratiques d'accès et de réutilisation des données pour les établissements culturels.

(9) Communiqué du Ministère de la Culture et de la Communication du 25 octobre 2012, accessible à l’URL: www.culturecommunication.gouv.fr.

(10) Directive 2003/98/CE du Parlement européen et du Conseil du 17 novembre 2003 concernant la réutilisation des informations du secteur public ; Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 2003/98/CE concernant la réutilisation des informations du secteur public, du 12 décembre 2011.

(11) Délibération de la CNIL n°2010-460 du 9 décembre 2010 portant recommandation relative aux conditions de réutilisation des données à caractère personnel contenues dans des documents d'archives publiques ; Communiqué CNIL du 16 mai 2011 intitulé "Comment concilier la protection de la vie privée et la réutilisation des archives publiques sur internet ?".

(12) Cour administrative d'appel de Lyon, 4 juillet 2012, Département du Cantal c. SA NotreFamille.com, n°11LY02325.

(13) Europeana - portail culturel paneuropéen, contenant plus de 20 millions d'oeuvres, fournies par 2.200 institutions partenaires (http://www.europeana.eu/portal/).



Bénédicte DELEPORTE – Avocat
Betty SFEZ – Avocat


Deleporte Wentz Avocat
www.dwavocat.com

Novembre 2012

jeudi 24 mai 2012

Internet et handicap : les règles applicables face à la réalité du net

Le 6e Forum Européen de l’Accessibilité Numérique s’est tenu à Paris au mois de mars 2012. Intitulé “Placer l’accessibilité numérique au coeur des systèmes d’information”, les thèmes abordés couvraient des questions telles que Les enjeux industriels de l’accessibilité numérique, Concevoir pour tous, ou l’Edition numérique. Bien que pouvoirs publics et industriels reconnaissent le caractère primordial de la problématique de l’accessibilité pour tous aux technologies de l’information, le constat sur l’état de l’accessibilité du net reste très contrasté. 

L’accessibilité numérique (ou “e-accessibilité”) peut se définir comme l’accessibilité pour tous, personnes valides et personnes souffrant d’un handicap, aux sites internet et à leurs contenus, et de manière plus générale, à toute information sous format numérique, quels que soient le moyen d’accès et le mode de consultation. L’accès à internet et aux contenus numériques font désormais partie intégrante de notre vie quotidienne et sont devenus un droit fondamental au titre du droit à l'information. Le fait de ne pouvoir accéder à internet, pour des raisons techniques, économiques, mais également pour des raisons de handicap est un facteur de discrimination et d’exclusion sociale et professionnelle.

Cependant, bien que la question de l’accessibilité numérique soit au cœur des préoccupations des pouvoirs publics, la réalité de la mise en œuvre de ces principes reste très en-deçà des souhaits et engagements exprimés.


1. L’accessibilité numérique : des actions visant à favoriser l’accès de tous à internet et aux contenus numériques

Des initiatives tant publiques que privées ont permis l’élaboration de normes internationales dont le législateur français s’est inspiré pour instaurer une réglementation spécifique à l’accessibilité numérique.

    1.1 L’e-accessibilité : une volonté des instances internationales et européennes

Les standards internationaux  -  Fondé en 1994 avec le soutien de la Commission européenne, le consortium du World Wide Web (“W3C”) définit des spécifications communes pour l’internet et émet des recommandations ayant valeur de standards internationaux. Depuis 1997, un département du W3C, le WAI (Web Accessibility Initiative) travaille sur la question de l’accessibilité. Les recommandations du WAI, dénommées WCAG (ou Règles pour l’accessibilité des contenus Web), visent à assurer l’accessibilité des contenus web et proposent un ensemble de solutions permettant de développer des sites internet accessibles à tous. (1)

La Convention de l’ONU  -  La Convention de l'ONU du 13 décembre 2006 relative aux droits des personnes handicapées invite, dans son article 9 "Accessibilité", les Etats à prendre des mesures appropriées pour assurer et promouvoir l’accès des personnes handicapées aux systèmes et technologies de l’information et de la communication, y compris l’internet. (2)

Les publications des institutions européennes  -  Le Parlement, le Conseil, et la Commission ont publié entre 2002 et 2008 plusieurs résolutions, communications ou déclarations visant à (i) rendre obligatoire la mise en œuvre des mesure d'e-accessibilité aux sites web publics d’ici 2010, (ii) encourager les Etats membres à intensifier la promotion d’initiatives destinées à favoriser l’accès de tous aux technologies de l’information et des communications, en particulier les personnes handicapées et les personnes âgées et, (iii) adopter des normes européenne en matière d’e-accessibilité, sur la base des WCAG.

Parmi ces publication, on peut citer la résolution du Parlement européen de 2002 sur la communication de la Commission "eEurope 2002 : Accessibilité des sites web publics et de leur contenu", la résolution du Conseil de 2003 relative à la promotion de l'emploi et de l'intégration sociale des personnes handicapées et les communications de la Commission européenne de 2005 et 2008, portant sur l’e-accessiblité et intitulées "Vers une société de l’information accessible". (3)

La certification  -  Sur le plan de la certification, le label européen Euracert (European eAccessibility Certification) est attribué aux sites web conformes aux recommandations WCAG du W3C/WAI. Le contrôle de conformité est réalisé à la demande des exploitants de sites web, par rapport à des documents de référence sur l’accessibilité numérique des sites. Le label Euracert est attribué après que le site web en cause ait été labellisé par l’organisme partenaire du label Euracert dans le pays de l’exploitant du site. En France, l’organisme de labellisation en matière d’accessibilité numérique, partenaire d’Euracert est l’association BrailleNet qui a créé le label AccessiWeb. La liste des sites web labellisés AccessiNet est publiée sur le site. (3)

    1.2 L’e-accessibilité : une obligation légale pour les sites web du secteur public français

Afin de répondre aux exigences communautaires, le législateur français a adopté une série de textes venant définir et encadrer l’accessibilité numérique.

La loi du 21 juin 2004  -  La loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) dispose sous le titre 1er “De la liberté de communication en ligne”, en son article 3 que “L'Etat, les collectivités territoriales, les établissements publics et les personnes privées chargées d'une mission de service public veillent à ce que l'accès et l'usage des nouvelles technologies de l'information permettent à leurs agents et personnels handicapés d'exercer leurs missions.”

La loi du 11 février 2005  -  L’obligation d’accessibilité numérique des services publics a été instaurée par la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. Cette loi dispose que les services de communication en ligne développés par l'Etat, les collectivités territoriales et les établissements publics qui en dépendent, doivent être accessibles aux personnes handicapées. L'accessibilité concerne l'accès à tout type d'information sous forme numérique quels que soient le moyen d'accès, les contenus et le mode de consultation et les recommandations internationales pour l'accessibilité de l'internet doivent être appliquées.

Le décret du 14 mai 2009  -  Le décret du 14 mai 2009 est venu fixer les règles relatives à l'accessibilité numérique, à savoir :
    - des règles techniques, sémantiques, organisationnelles et d'ergonomie à mettre en oeuvre par les services de communication publique en ligne des administrations, permettant aux personnes handicapées de réceptionner et comprendre les informations diffusées, d'utiliser ces services et, le cas échéant, d'interagir avec ces derniers. Ces règles constituent le "référentiel d'accessibilité". L’autorité administrative compétente doit attester, par le biais d’une déclaration de conformité, que ses services de communication en ligne sont conformes au référentiel d’accessibilité ;
    - une formation du personnel des administrations portant sur l’accessibilité numérique et sur la conformité aux règles et standards nationaux et internationaux ;
    - des délais de mise en conformité des sites existants de deux ans pour les services de l’Etat (et établissements publics qui en dépendent) et trois ans pour les collectivités territoriales (et établissements publics qui en dépendent), à compter de la publication du décret. A défaut de conformité dans les délais, le ministre chargé des personnes handicapées peut mettre en demeure l’autorité administrative compétente de se conformer au référentiel d’accessibilité dans un délai ne pouvant excéder six mois, au-delà duquel le service sera inscrit sur une liste de services non conformes.

L'arrêté du 21 octobre 2009  -  Cet arrêté, portant sur le référentiel général d’accessibilité pour les administrations (RGAA), précise les exigences techniques à respecter par les autorités administratives. Le RGAA est un recueil de règles et de bonnes pratiques qui visent à améliorer l’e-accessibilité des sites web des administrations. Il se fonde sur les normes et standards en vigueur, en particulier sur le standard international WCAG 2.0. (5)

Concrètement, l'e-accessibilitié consiste, pour un site web, à intégrer des fonctionnalités permettant notamment d'agrandir la taille des caractères des textes, ou la possibilité d'accéder à la version audio des contenus.

En dépit d’un tel dispositif légal, force est de constater que la mise en œuvre des standards de l’accessibilité numérique reste encore très limitée sur le web français.


2. L’accessibilité numérique pour tous : un constat mitigé


En France, l’accessibilité numérique peine à se développer et ce pour plusieurs raisons.

    2.1 La question de l’accessibilité des sites web du secteur privé
L’une des premières raisons de la lenteur des sites web français à déployer des techniques améliorant leur e-accessibilité tient au fait que la réglementation relative à l'obligation d'accessibilité numérique ne s'impose pas aux sites web du secteur privé. Les textes réglementaires cités plus haut concernent le secteur public.

L'obligation d’e-accessibilité pour les sites du secteur privé n’est mentionnée ni par les textes internationaux, ni par les textes européens. Les instances européennes, dans le cadre d’une résolution du Parlement de 2002 et d'une communication de la Commission de 2008, prévoient seulement, d’une part de parvenir à l’accessibilité des sites web privés, en commençant par les sites qui bénéficient d’un financement public, "dès que possible", et d’autre part d’encourager "les prestataires de services non publics, en particulier les propriétaires de sites web fournissant des services d'intérêt général et les fournisseurs de sites web commerciaux (…)" à améliorer l'accessibilité du web.

On peut regretter que les exploitants des sites web du secteur privé, notamment les grands sites de e-commerce, ne déploient pas les fonctionnalités améliorant l’accessibilité de leurs services en ligne. Ainsi, parmi les sites labellisés AccessiWeb, on ne trouve que quelques sites du secteur privé, tels que Carrefour, Axa ou Groupama par exemple.

    2.2 Les sites web du secteur public ne donnent pas l'exemple
Malgré la réglementation applicable en France, les sites du secteur public français ne donnent pas l’exemple de la mise en oeuvre de l’accessibilité numérique. Ainsi, le décret du 14 mai 2009 est entré en application depuis trois ans. Les délais de mise en conformité à l'accessibilité numérique des sites du secteur public sont arrivés à échéance depuis un an pour les services de communications en ligne de l’Etat ; le délai de trois ans pour les collectivités territoriales expirant ces jours-ci.

Bien que les délais de mise en conformité des sites web du secteur public aient expiré, plusieurs études montrent que la grande majorité de ces sites demeurent, en pratique, inaccessibles pour les handicapés. Ce constat est notamment dressé par le collectif citoyen "Article 47", qui a publié, le 1er février 2011, une Lettre ouverte pour l’accessibilité numérique des services publics adressée aux ministres concernés. Dans cette lettre, le collectif demandait l’application effective de l’article 47 de la loi du 11 février 2005, visant à rendre les sites web des services publics accessibles aux personnes handicapées.

Selon le collectif, les sites internet conformes au Référentiel général d’accessibilité pour les  administrations (RGAA) restent des exceptions dans le paysage web des services publics français. Seulement quelques éditeurs de sites publics se sont saisis de la question et ont mis les sites web en conformité avec les exigences du référentiel d’accessibilité.

Parmi les sites e-accessibles, on notera par exemple, au niveau des sites gouvernementaux le site service-public.fr (www.service-public.fr), pour les collectivités locales le site du Conseil général de Loire-Atlantique (www.loire-atlantique.fr) ou le site de la ville de Saint-Maur des Fossés (www.saint-maur.com), pour les entreprises publiques, le site TER SNCF (www.ter-sncf.com).

    2.3 Les freins au développement de l’e-accessibilité
Comment expliquer que les sites web conformes aux règles de l’e-accessibilité restent si peu nombreux en 2012 ? Quels sont les freins au développement de l’e-accessibilité ?

Les outils techniques  -  La technologie du logiciel a évolué ces dernières années et propose des outils permettant une utilisation différente de la technologie numérique. Outre la fonctionnalité permettant de modifier la taille des caractères des textes ou la taille de l’écran d’un site web, le marché du logiciel propose depuis plusieurs années des systèmes de reconnaissance vocale (intégré dans Windows Vista notamment) permettant d’utiliser un ordinateur sans contact tactile, ou de lecteur d’écran (par exemple VoiceOver dans MacOS et iOS) permettant aux malvoyants d’utiliser un ordinateur.

La formation des développeurs web  -  Les programmes de formation au développement web n’intègrent pas systématiquement de module de formation technique à l’e-accessibilité des sites web. Les développeurs n’ont donc pas le réflexe, dès la conception des sites pour le secteur privé ou le secteur public, d’intégrer une approche d’e-accessibilité en proposant la modulation de la taille des textes, une version audio des contenus, etc.

Une réglementation peu claire  -  Le collectif du l’article 47 souligne que la réglementation “souffre d’un problème de lisibilité”, notamment concernant le périmètre de son application et des dérogations.

En outre, la certification des sites web est une procédure volontaire et non obligatoire. Il est même possible de s’auto-déclarer conforme aux recommandations, sans contrôle d’un organisme tiers.

L’ignorance ou la sous-estimation de l’importance de l’e-accessibilité  -  Enfin, la question de l’accessibilité numérique reste encore ignorée ou sous-estimée par un grand nombre d’entreprises qui ont encore du mal à percevoir que l'accessibilité et plus généralement, la prise en compte de la diversité, devraient constituer un élément important de leur stratégie commerciale. 


A une époque où les questions liées aux discriminations et à la protection des libertés fondamentales restent sensibles, la reconnaissance du droit des handicapés à l’accès aux technologies de l’information, mais également de toute personne physiquement diminuée par la maladie ou par l’âge, demeure un véritable enjeu de société.

Enfin, au-delà de la “simple” accessibilité à internet se pose la question de l’évolution des technologies de l’information. Qu’en est-il de la “mobile e-accessibilité” si l’on étend le périmètre d’application aux smartphones et aux tablettes ?

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(1) Le site web du consortium W3C est accessible à l’URL: http://www.w3.org/

(2) La Convention de l’ONU relative aux droits des personnes handicapées, adoptée le 13 décembre 2006 est entrée en vigueur le 3 mai 2008. L’article 9 “Accessibilité” dispose : “Afin de permettre aux personnes handicapées de vivre de façon indépendante et de participer pleinement à tous les aspects de la vie, les États Parties prennent des mesures appropriées pour leur assurer, sur la base de l’égalité avec les autres, l’accès (…) aux systèmes et technologies de l’information et de la communication. (…) Les États Parties prennent également des mesures appropriées pour : (…) Promouvoir l’accès des personnes handicapées aux nouveaux systèmes et technologies de l’information et de la communication, y compris l’internet;”.

(3) Résolution du Parlement européen du 13 juin 2002 sur la communication de la Commission « eEurope 2002 : Accessibilité des sites web publics et de leur contenu » (COM (2001)529-C-5-0074/2002-2002/2032(COS)) ; Résolution du Conseil du 15 juillet 2003 relative à la promotion de l'emploi et de l'intégration sociale des personnes handicapées (2003/C175/01) ; Communication de la Commission européenne, du 13 septembre 2005, sur « l’e-accessiblité » (COM (2005)425) ; Communiqué de presse du 12/06/2006 : « L’internet pour tous : les ministres européens s’engagent en faveur d’une société de l’information accessible fondée sur l’inclusion » : déclaration de Riga (Lettonie), dans laquelle les ministres européens fixent comme objectif une accessibilité totale des sites web publics en 2010 ; Communiqué de presse de la Commission européenne du 2 juillet 2008 informant du lancement d’une consultation publique portant sur les actions des Etats membres permettant d’améliorer l’accessibilité aux sites web ;  Communication de la Commission européenne du 1er déc. 2008 :”Vers une société de l’information accessible”, (COM (2008)804 final).

(4) Les sites Euracert et AccessiWeb sont accessibles à : http://www.euracert.org/fr/ et http://www.accessiweb.org/

(5) Voir Loi n°2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique ; Loi n°2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, notamment article 47 ; Décret n°2009-546 du 14 mai 2009 pris en application de l’article 47 de la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 sur l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées et créant un référentiel d'accessibilité des services de communication publique en ligne ; Arrêté du 21 octobre 2009 relatif au référentiel général d'accessibilité pour les administrations (RGAA) (NOR: BCFJ0917114A) et enfin, voir le site internet : www.references.modernisation.gouv.fr




Bénédicte DELEPORTE - Avocat
Betty SFEZ - Avocat

Deleporte Wentz Avocat
www.dwavocat.com

Mai 2012