Les méthodes Agiles, de plus en plus utilisées depuis le début des années 2000 pour gérer les projets informatiques, comportent de nombreux avantages, particulièrement en termes de flexibilité, mais peuvent également être source de litiges si le projet n’est pas géré de manière rigoureuse.
1. Bref rappel des méthodes Agiles
Les méthodes Agiles ont pris leur essor au début des années 2000, en réaction aux méthodes de développement classique en cascade ou en V.
Se voulant plus pragmatiques que les méthodes classiques de développement, leur objectif est de répondre au mieux aux besoins du client, sachant que ceux-ci ne sont pas nécessairement figés dès le début du projet. Les méthodes Agiles (Scrum, Extreme Programing, Lean Software Development, RAD, etc.) reposent sur des principes de souplesse, flexibilité en cours d’exécution du projet, collaboration soutenue entre les parties, requérant notamment une grande implication du client tout au long du projet, et rapidité d’exécution.
Ces pratiques de gestion de projets informatiques ont été conceptualisées en février 2001 dans le Manifeste Agile (The Agile Manifesto).(1) Elles reposent sur quatre valeurs fondamentales :
- la prise en compte des individus et leurs interactions plutôt que les processus et les outils,
- un logiciel qui fonctionne, plutôt qu’une documentation complète,
- la coopération avec le client plutôt que la négociation du contrat, et
- l’adaptation au changement plutôt que le suivi d’un plan.
Ces méthodes incluent les notions de développement itératif, d’intégration continue et des tests et réception à l’issue de chaque itération.
Même si l’expression des besoins du client n’est pas figée, et même si un projet Agile doit reposer sur la confiance entre les parties, il convient toutefois de rester vigilant sur la conduite du projet afin d’éviter déconvenues et dérapages. Le contrat reste un outil indispensable pour traduire les principes de collaboration entre les parties et d’adaptation au fur et à mesure des demandes du client, et fournir une grille de travail aux parties pour éviter les malentendus sur les processus qui seront appliqués. Le projet, non figé dès le départ, peut en principe être suspendu à tout moment.
Par ailleurs, les conditions financières d’un projet Agile doivent être transparentes et validées avant de débuter les prestations. Certains projets pourront être conclus intégralement en régie (facturation au temps ou au nombre de jours passés), d’autres pourront être conclus au forfait, pour chaque itération par exemple. Enfin, il est toujours possible de prévoir une partie du projet soumise au forfait et une autre en régie.
2. L’arrêt du 6 janvier 2023 - une nouvelle consécration du modèle Agile
Les tribunaux ont été amenés à juger quelques affaires dans lesquelles des projets informatiques avaient été menés en appliquant une méthode Agile. Ainsi, dans un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 6 janvier 2023, les juges ont confirmé les conséquences d’un contrat exécuté en application d’une méthode Agile. (2)
La société Oopet, une startup dans le domaine des services aux animaux de compagnie, avait commandé le développement de deux applications mobiles et d’un site web à la société Dual Media Communication, prestataire informatique.
Le client a par la suite reproché au prestataire d’avoir notamment manqué à son obligation de conseil pour ne pas lui avoir recommandé de réaliser un cahier des charges, et d’avoir livré des prestations défectueuses.
Les juges n’ont pourtant pas considéré que le prestataire avait manqué à son obligation de conseil et de mise en garde. Ils relèvent les “nombreux échanges de courriels (qui) montrent que le développement des applications mobiles et du site internet devait suivre les souhaits précis de la société Oopet exprimés au fur et à mesure de l’envoi par la société Dual Media Communication des maquettes fonctionnelles. Les courriers et textos ont été nombreux (…)” Toutefois “face à une communication compliquée avec son client et en difficulté pour stabiliser les demandes de ce dernier, la société Dual Media prouve par ses nombreuses réponses et sa réactivité avoir rempli son devoir de conseil, (…)”. La Cour ne retient aucun manquement à l’encontre du prestataire et confirme donc le jugement du 7 octobre 2020. (3)
Même en l’absence de cahier des charges exhaustif, le client doit pouvoir définir a minima la finalité du projet et ses attentes (exigences formelles par exemple) afin que le prestataire comprenne ses besoins. Les juges rappellent que si l’obligation de conseil à la charge du prestataire dépend des besoins et objectifs du client, ce dernier doit les exprimer précisément. Or, le prestataire ne pourra exécuter correctement son obligation si le client ne lui fournit pas les informations nécessaires afin de lui permettre de répondre au plus près à ses besoins.
On rappellera, en toute logique, que ce type de contrat est soumis à une obligation de moyens de la part du prestataire. Il revenait donc au client de rapporter la preuve de manquements du prestataires à ses obligations, ce en quoi la société Oopet a échoué en l’espèce. (4)
En conclusion, “agilité” n’est pas synonyme d’absence totale de formalisme. Au contraire, les parties se doivent d’être très impliquées dans le projet, de désigner des personnes aptes à conduire le projet et à prendre des décisions, côté prestataire mais aussi, côté client, et de suivre une méthodologie rigoureuse afin de garantir un résultat satisfaisant, tant pour le client (achèvement du projet) que pour le prestataire (recette des itérations et paiement des factures).
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(1) Voir https://agilemanifesto.org/
(2) CA Paris, Pôle 5, ch. 11, 6 janvier 2023, Oopet c/ Dual Media Communication
(3) T. com. Paris, 8é ch., jugement du 7 octobre 2020, Oopet c/ Dual Media Communication
(4) Sur l’obligation de moyens dans un contrat Agile, voir T. com. Nanterre, 4ème ch., jugement du 24 juin 2016, Macif c. IGA Assurances, et CA Pau 2e ch., 19 Novembre 2018, Axiome Solution c/ Hors Limites 64
Bénédicte DELEPORTE
Avocat
Deleporte Wentz Avocat
www.dwavocat.com
Mars 2023