Le logiciel est protégé par le droit d’auteur, ainsi qu’en dispose l’article L.112-2 (13°) du Code de la propriété intellectuelle (CPI).
Cependant, comme pour toute oeuvre de l’esprit, la protection n’est pas automatique. L’oeuvre doit en effet être originale, au sens du droit de la propriété intellectuelle. Dans la lignée de l’arrêt Babolat c/ Pachot de 1986, les juges de la cour de cassation viennent de rappeler les critères à retenir pour évaluer l’originalité du logiciel. (1)
1. La protection du logiciel par le droit d’auteur n’est pas automatique
Dans un arrêt du 17 octobre 2012, la Cour de cassation rappelle que la notion d’originalité doit être appréciée selon des critères bien précis. (2)
En résumé, la société Compagnie de distribution informatique expert (Codix) avait accordé une licence d’utilisation de logiciel à la société Alix services et développement. Cette dernière avait continué à utiliser le logiciel après l’expiration de la licence d’utilisation. La société Codix a donc assigné la société Alix en contrefaçon de ses droits, aux côtés d’une société d’huissiers de justice, liée par un contrat de prestations informatiques à la société Alix. En effet, toute utilisation d’un logiciel en violation des droits de l’auteur, tels que définis à l’article L.122-6 du CPI est considérée comme un délit de contrefaçon, tel que rappelé à l’article L.335-3 du même code.
Or, en cas d'action en contrefaçon, le caractère original de l’oeuvre doit pouvoir être démontré par son titulaire. Ce critère est soumis à l’appréciation des juges, qui doivent confirmer le caractère original du logiciel litigieux, avant de faire droit à la demande en contrefaçon. (3) Ainsi, une fois le caractère original reconnu, le titulaire des droits sur le logiciel protégé pourra poursuivre la démonstration de l’atteinte à ses droits et demander réparation pour l’utilisation contrefaisante.
En l’espèce, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence avait considéré que le logiciel était original car “apportant une solution particulière à la gestion des études d’huissiers de justice.”
En outre, l’éditeur du logiciel avait conclu une licence d’utilisation de ce logiciel, définissant l’étendue et la durée des droits d’utilisation concédés. Enfin, une copie du logiciel avait été déposée sous séquestre auprès de l’Agence pour la protection des programmes.
Cependant, la conclusion d’un contrat de licence et le dépôt des logiciels ne sont pas des éléments suffisants pour justifier de la protection de l’oeuvre par le droit d’auteur.
2. Rappel des critères à retenir pour qualifier la notion d’originalité
Dans l’arrêt du 17 octobre 2012, la Cour de cassation a considéré que le critère retenu par la Cour d’appel pour qualifier l’originalité et pour justifier sa décision, à savoir, que le logiciel apportait une solution particulière à la gestion des études d’huissiers de justice, manquait de base légale.
Les magistrats rappellent ainsi que seuls les critères d’un apport intellectuel propre et d’un effort personnalisé de celui qui a élaboré le logiciel litigieux sont de nature à lui conférer le caractère d’une oeuvre originale protégée par le droit d’auteur.
En conclusion, faute de démontrer en quoi les choix opérés par l’auteur résulteraient d’un effort créatif, portant l’empreinte de sa personnalité ou la marque d’un apport intellectuel propre de l’auteur, l’originalité ne pourra être démontrée et le logiciel ne pourra alors bénéficier de la protection par le droit de la propriété intellectuelle.
* * * * * * * * * * * *
(1) Cass. Ass.plén., 7 mars 1986, Babolat c/ Pachot , n°83-10477
(2) Cass. civ., 17 octobre 2012, Codix c/ Alix
(3) Cass. crim., 27 mai 2008, n°07-87253
Bénédicte DELEPORTE
Avocat
Deleporte Wentz Avocat
www.dwavocat.com
Décembre 2012
DELEPORTE WENTZ AVOCAT est une société d’avocats spécialisée en droit des technologies de l’information - informatique, internet, données personnelles, inscrite au Barreau de Paris. Nous publions régulièrement des articles concernant des thématiques juridiques diverses relevant du domaine des technologies : actualité juridique, présentation d'une nouvelle loi ou analyse d'une jurisprudence récente. Pour consulter notre site web: www.dwavocat.com
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mercredi 26 décembre 2012
dimanche 23 décembre 2012
Retard de paiement et procédures d’acceptation : les modifications de l’article L.441-6 du code de commerce applicables au 1er janvier 2013
La loi du 22 mars 2012 relative à la simplification du droit, qui transpose en droit français la directive du 16 février 2011 concernant la lutte contre le retard de paiement, modifie entre autres, certaines dispositions du code du commerce qui devront obligatoirement figurer dans les conditions générales de vente entre professionnels. (1) Ces modifications entrent en vigueur le 1er janvier 2013. Il convient donc, pour les professionnels, de modifier leurs CGV afin de se mettre en conformité avec ces nouvelles obligations.
L’article L.441-6 du code de commerce donne obligation aux vendeurs professionnels de communiquer à leurs clients professionnels leurs conditions générales de vente, constitutives du “socle de la négociation commerciale”. Les CGV comprennent a minima les conditions de vente, le barème des prix, les éventuelles réductions de prix, les conditions de règlement. Cet article fixe également les délais de paiement.
Cet article L.441-6 a été considérablement modifié pour intégrer notamment deux dispositions que nous analysons dans cet article : celle relative à la lutte contre le retard de paiement, et un nouveau paragraphe relatif aux délais d’acceptation des marchandises et prestations.
1. Les nouvelles dispositions relatives aux intérêts de retard et aux frais de recouvrement
Afin de lutter contre les délais de paiement excessifs imposés par certains clients à leurs fournisseurs, l’article L.441-6 I al.9 du code de commerce dispose que les délais de paiement ne peuvent dépasser 45 jours fin de mois ou 60 jours à compter de la date d’émission de la facture.
L'article L.441-6 al.12 du code de commerce disposait jusqu’ici que les conditions de règlement des vendeurs professionnels devaient obligatoirement préciser “les conditions d’application et le taux d’intérêt des pénalités de retard exigibles le jour suivant la date de règlement figurant sur la facture dans le cas où les sommes dues sont réglées après cette date.”
Le taux pour calculer les pénalités de retard pouvant être fixé par les parties est défini à cet article comme pouvant s’élever au minimum à trois fois le taux d’intérêt légal ou le taux d’intérêt appliqué par la Banque centrale européenne à son opération de refinancement la plus récente majoré de 10 points de pourcentage.
La directive du 16 février 2011 a pour ambition de protéger les PME en durcissant les conditions applicables aux retards de paiement. Ces règles ont été transposées par la loi du 22 mars 2012, modifiant l’article L.441-6 du code de commerce. La nouvelle version de cet article entre en vigueur le 1er janvier 2013.
Désormais, les CGV des vendeurs professionnels devront préciser, outre les conditions d’application et le taux d’intérêt de retard, le montant de l’indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement due par l’acheteur qui ne règle pas dans les délais.
Cette indemnité forfaitaire de recouvrement, qui est distincte des pénalités de retard, est due de plein droit par le débiteur. Le montant de cette indemnité a été fixé par décret à 40€. (2) Le créancier peut cependant demander une indemnisation complémentaire, sur justification, lorsque les frais de recouvrement sont supérieurs à ce montant.
Par ailleurs, le taux d’intérêt de la BCE à retenir a été précisé. Il s’agira du taux en vigueur au 1er janvier de l’année pour le taux applicable pendant le premier semestre, et le taux en vigueur au 1er juillet pour le taux applicable pendant le second semestre.
Les mentions relatives aux délais de paiement, aux taux d’intérêt de retard et à l’indemnité forfaitaire de recouvrement doivent obligatoirement figurer aux CGV et aux factures des vendeurs professionnels. Toute non conformité aux dispositions du nouvel alinéa 12 est passible d’une amende de 15.000 euros.
Il est donc impératif de mettre ses CGV à jour.
2. Les conditions relatives aux délais d’acceptation des marchandises et prestations de services
Les délais d'acceptation ou de vérification de conformité des marchandises ou des prestations de services (ou procédures de réception) relevaient, jusqu’à présent, de la liberté contractuelle entre les parties, celles-ci étant éventuellement sanctionnées par les juges en cas de pratique abusive, notamment pour rétablir l’équilibre entre les parties au contrat.
L’article L.441-6 comprend un nouveau paragraphe IV qui dispose : “Sous réserve de dispositions spécifiques plus favorables au créancier, lorsqu'une procédure d'acceptation ou de vérification permettant de certifier la conformité des marchandises ou des services au contrat est prévue, la durée de cette procédure est fixée conformément aux bonnes pratiques et usages commerciaux et, en tout état de cause, n'excède pas trente jours à compter de la date de réception des marchandises ou de réalisation de la prestation des services, à moins qu'il n'en soit expressément stipulé autrement par contrat et pourvu que cela ne constitue pas une clause ou pratique abusive au sens de l’article L.442-6.”
Cette rédaction peut surprendre. En effet, d’une part, le délai pour accepter ou recetter, et donc pour valider la conformité des biens ou des prestations à la commande ou au cahier des charges, ne peut dépasser 30 jours à compter de la date de réception de la marchandise ou de l’achèvement des prestations. D’autre part, ce paragraphe poursuit en indiquant que les parties peuvent en disposer autrement par contrat. Il est donc possible de convenir des délais de recette plus longs. Cette stipulation ne doit cependant pas constituer une clause ou pratique abusive, par un délai de recette excessivement long par exemple, rallongeant d’autant le délai de paiement au vendeur ou prestataire.
En tout état de cause, il est recommandé d’intégrer aux contrats une clause d’acceptation ou de recette des biens ou des prestations, détaillant la procédure et les délais, dans le cadre des nouvelles dispositions de l’article L.441-6 IV.
Bénédicte DELEPORTE
Avocat
décembre 2012
* * * * * * * * * * * *
(1) Loi No2012-387 du 22 mars 2012 relative à la simplification du droit et à l’allègement des démarches administratives et Directive 2011/7/UE du 16 février 2011 concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales.
(2) Décret No2012-1115 du 2 octobre 2012 fixant le montant de l’indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement dans les transactions commerciales prévues à l’article L.441-6 du code de commerce ; et voir l’article D.441-5 du code de commerce
L’article L.441-6 du code de commerce donne obligation aux vendeurs professionnels de communiquer à leurs clients professionnels leurs conditions générales de vente, constitutives du “socle de la négociation commerciale”. Les CGV comprennent a minima les conditions de vente, le barème des prix, les éventuelles réductions de prix, les conditions de règlement. Cet article fixe également les délais de paiement.
Cet article L.441-6 a été considérablement modifié pour intégrer notamment deux dispositions que nous analysons dans cet article : celle relative à la lutte contre le retard de paiement, et un nouveau paragraphe relatif aux délais d’acceptation des marchandises et prestations.
1. Les nouvelles dispositions relatives aux intérêts de retard et aux frais de recouvrement
Afin de lutter contre les délais de paiement excessifs imposés par certains clients à leurs fournisseurs, l’article L.441-6 I al.9 du code de commerce dispose que les délais de paiement ne peuvent dépasser 45 jours fin de mois ou 60 jours à compter de la date d’émission de la facture.
L'article L.441-6 al.12 du code de commerce disposait jusqu’ici que les conditions de règlement des vendeurs professionnels devaient obligatoirement préciser “les conditions d’application et le taux d’intérêt des pénalités de retard exigibles le jour suivant la date de règlement figurant sur la facture dans le cas où les sommes dues sont réglées après cette date.”
Le taux pour calculer les pénalités de retard pouvant être fixé par les parties est défini à cet article comme pouvant s’élever au minimum à trois fois le taux d’intérêt légal ou le taux d’intérêt appliqué par la Banque centrale européenne à son opération de refinancement la plus récente majoré de 10 points de pourcentage.
La directive du 16 février 2011 a pour ambition de protéger les PME en durcissant les conditions applicables aux retards de paiement. Ces règles ont été transposées par la loi du 22 mars 2012, modifiant l’article L.441-6 du code de commerce. La nouvelle version de cet article entre en vigueur le 1er janvier 2013.
Désormais, les CGV des vendeurs professionnels devront préciser, outre les conditions d’application et le taux d’intérêt de retard, le montant de l’indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement due par l’acheteur qui ne règle pas dans les délais.
Cette indemnité forfaitaire de recouvrement, qui est distincte des pénalités de retard, est due de plein droit par le débiteur. Le montant de cette indemnité a été fixé par décret à 40€. (2) Le créancier peut cependant demander une indemnisation complémentaire, sur justification, lorsque les frais de recouvrement sont supérieurs à ce montant.
Par ailleurs, le taux d’intérêt de la BCE à retenir a été précisé. Il s’agira du taux en vigueur au 1er janvier de l’année pour le taux applicable pendant le premier semestre, et le taux en vigueur au 1er juillet pour le taux applicable pendant le second semestre.
Les mentions relatives aux délais de paiement, aux taux d’intérêt de retard et à l’indemnité forfaitaire de recouvrement doivent obligatoirement figurer aux CGV et aux factures des vendeurs professionnels. Toute non conformité aux dispositions du nouvel alinéa 12 est passible d’une amende de 15.000 euros.
Il est donc impératif de mettre ses CGV à jour.
2. Les conditions relatives aux délais d’acceptation des marchandises et prestations de services
Les délais d'acceptation ou de vérification de conformité des marchandises ou des prestations de services (ou procédures de réception) relevaient, jusqu’à présent, de la liberté contractuelle entre les parties, celles-ci étant éventuellement sanctionnées par les juges en cas de pratique abusive, notamment pour rétablir l’équilibre entre les parties au contrat.
L’article L.441-6 comprend un nouveau paragraphe IV qui dispose : “Sous réserve de dispositions spécifiques plus favorables au créancier, lorsqu'une procédure d'acceptation ou de vérification permettant de certifier la conformité des marchandises ou des services au contrat est prévue, la durée de cette procédure est fixée conformément aux bonnes pratiques et usages commerciaux et, en tout état de cause, n'excède pas trente jours à compter de la date de réception des marchandises ou de réalisation de la prestation des services, à moins qu'il n'en soit expressément stipulé autrement par contrat et pourvu que cela ne constitue pas une clause ou pratique abusive au sens de l’article L.442-6.”
Cette rédaction peut surprendre. En effet, d’une part, le délai pour accepter ou recetter, et donc pour valider la conformité des biens ou des prestations à la commande ou au cahier des charges, ne peut dépasser 30 jours à compter de la date de réception de la marchandise ou de l’achèvement des prestations. D’autre part, ce paragraphe poursuit en indiquant que les parties peuvent en disposer autrement par contrat. Il est donc possible de convenir des délais de recette plus longs. Cette stipulation ne doit cependant pas constituer une clause ou pratique abusive, par un délai de recette excessivement long par exemple, rallongeant d’autant le délai de paiement au vendeur ou prestataire.
En tout état de cause, il est recommandé d’intégrer aux contrats une clause d’acceptation ou de recette des biens ou des prestations, détaillant la procédure et les délais, dans le cadre des nouvelles dispositions de l’article L.441-6 IV.
Bénédicte DELEPORTE
Avocat
décembre 2012
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(1) Loi No2012-387 du 22 mars 2012 relative à la simplification du droit et à l’allègement des démarches administratives et Directive 2011/7/UE du 16 février 2011 concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales.
(2) Décret No2012-1115 du 2 octobre 2012 fixant le montant de l’indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement dans les transactions commerciales prévues à l’article L.441-6 du code de commerce ; et voir l’article D.441-5 du code de commerce
dimanche 2 décembre 2012
Les nouvelles règles de la DME2 relatives aux établissements de monnaie électronique bientôt transposées en droit français
La monnaie électronique, équivalent numérique de l'argent liquide, se définit comme une valeur monétaire stockée sous forme électronique, y compris magnétique, tel le porte-monnaie électronique de type Monéo.
Le statut d'établissement de monnaie électronique ("EME") a été clarifié par la Directive du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 (dite "DME2"). Cette directive abroge la directive du 18 septembre 2000 ("DME1"), qui aurait freiné le développement du marché de la monnaie électronique en posant des exigences en capital minimum particulièrement élevées, en interdisant aux EME d’exercer d'autres activités commerciales et en imposant des règles prudentielles relativement lourdes. (1)
Bien qu'elle ait instauré un régime juridique plus attractif pour les EME, la directive de 2009 n'a toujours pas été transposée par la France. Aussi, sous la pression de la Commission européenne, la France a entamé les travaux de transposition. Un projet de loi est actuellement en cours de discussion devant le Parlement. Ce projet fixe de nouvelles règles juridiques concernant l'accès à l'activité des établissements de monnaie électronique et son exercice.
Nous étudions ci-après les principales dispositions de la Directive DME2 puis celles du projet de loi français.
1. Un nouveau régime juridique européen pour les EME qui tarde à être transposé en droit français
La directive DME2 a pour objectifs de promouvoir la mise en place d'un véritable marché unique des services de monnaie électronique en Europe, de permettre à des services de monnaie électronique innovants de voir le jour et à de nouvelles sociétés d'accéder au marché et enfin de favoriser une concurrence effective entre tous les acteurs de ce marché. (2) En dépit des assouplissements apportés au régime juridique des EME par cette Directive, la France tarde à transposer ce texte en droit interne.
1.1 Les principales dispositions de la directive DME2 du 16 septembre 2009
Le changement majeur instauré par la directive DME2 est la création d'un régime juridique spécifique pour les établissements de monnaie électronique. Le régime prudentiel des EME sera désormais plus proche de celui des établissements de paiement que des établissements de crédit. Les principales dispositions de la directive à retenir portent sur les points suivants :
- La nécessité d'un agrément : l'établissement de monnaie électronique est une personne morale dont l’activité est soumise à l’obtention d’un agrément de l’autorité compétente de l’Etat membre l'autorisant à émettre de la monnaie électronique.
- La réduction du capital initial minimal : l'exigence d'un capital initial d'un million d'euros pour les EME, sous le régime de la Directive DME1, a été abandonnée. Désormais, les établissements de monnaie électronique doivent détenir, au moment de l’agrément, un capital initial minimal de 350.000€.
- Les fonds propres à détenir : les EME ont l'obligation de satisfaire à tout moment à une exigence minimale de fonds propres prudentiels. Ces fonds ne peuvent être inférieurs au plus élevé des montants suivants : le montant du capital initial minimal, soit 350.000€, ou le montant imposé par la directive 2007/64/CE sur les services de paiements (déterminé selon un calcul complexe) (3). En outre, l’EME doit disposer à tout moment de fonds propres prudentiels d’un montant au moins égal à 2% de la moyenne de la monnaie électronique en circulation.
- La diversité des activités autorisées : outre l’émission de monnaie électronique, les EME sont désormais habilités à fournir des services additionnels, tels que des services de paiement, des services connexes à l’émission de monnaie électronique ou aux services de paiement, des services de gestion de systèmes de paiement, mais également des activités commerciales autres que l’émission de monnaie électronique.
Le statut d'établissement de monnaie électronique ("EME") a été clarifié par la Directive du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 (dite "DME2"). Cette directive abroge la directive du 18 septembre 2000 ("DME1"), qui aurait freiné le développement du marché de la monnaie électronique en posant des exigences en capital minimum particulièrement élevées, en interdisant aux EME d’exercer d'autres activités commerciales et en imposant des règles prudentielles relativement lourdes. (1)
Bien qu'elle ait instauré un régime juridique plus attractif pour les EME, la directive de 2009 n'a toujours pas été transposée par la France. Aussi, sous la pression de la Commission européenne, la France a entamé les travaux de transposition. Un projet de loi est actuellement en cours de discussion devant le Parlement. Ce projet fixe de nouvelles règles juridiques concernant l'accès à l'activité des établissements de monnaie électronique et son exercice.
Nous étudions ci-après les principales dispositions de la Directive DME2 puis celles du projet de loi français.
1. Un nouveau régime juridique européen pour les EME qui tarde à être transposé en droit français
La directive DME2 a pour objectifs de promouvoir la mise en place d'un véritable marché unique des services de monnaie électronique en Europe, de permettre à des services de monnaie électronique innovants de voir le jour et à de nouvelles sociétés d'accéder au marché et enfin de favoriser une concurrence effective entre tous les acteurs de ce marché. (2) En dépit des assouplissements apportés au régime juridique des EME par cette Directive, la France tarde à transposer ce texte en droit interne.
1.1 Les principales dispositions de la directive DME2 du 16 septembre 2009
Le changement majeur instauré par la directive DME2 est la création d'un régime juridique spécifique pour les établissements de monnaie électronique. Le régime prudentiel des EME sera désormais plus proche de celui des établissements de paiement que des établissements de crédit. Les principales dispositions de la directive à retenir portent sur les points suivants :
- La nécessité d'un agrément : l'établissement de monnaie électronique est une personne morale dont l’activité est soumise à l’obtention d’un agrément de l’autorité compétente de l’Etat membre l'autorisant à émettre de la monnaie électronique.
- La réduction du capital initial minimal : l'exigence d'un capital initial d'un million d'euros pour les EME, sous le régime de la Directive DME1, a été abandonnée. Désormais, les établissements de monnaie électronique doivent détenir, au moment de l’agrément, un capital initial minimal de 350.000€.
- Les fonds propres à détenir : les EME ont l'obligation de satisfaire à tout moment à une exigence minimale de fonds propres prudentiels. Ces fonds ne peuvent être inférieurs au plus élevé des montants suivants : le montant du capital initial minimal, soit 350.000€, ou le montant imposé par la directive 2007/64/CE sur les services de paiements (déterminé selon un calcul complexe) (3). En outre, l’EME doit disposer à tout moment de fonds propres prudentiels d’un montant au moins égal à 2% de la moyenne de la monnaie électronique en circulation.
- La diversité des activités autorisées : outre l’émission de monnaie électronique, les EME sont désormais habilités à fournir des services additionnels, tels que des services de paiement, des services connexes à l’émission de monnaie électronique ou aux services de paiement, des services de gestion de systèmes de paiement, mais également des activités commerciales autres que l’émission de monnaie électronique.
- Les conditions de remboursement de la monnaie électronique : désormais, les émetteurs de monnaie électronique doivent rembourser la valeur monétaire de la monnaie électronique détenue, à la demande du détenteur de monnaie électronique, à tout moment et à sa valeur nominale. Le contrat conclu entre l’émetteur de monnaie électronique et le détenteur de monnaie électronique établit clairement et de façon visible les conditions de remboursement, y compris les frais éventuels y afférents. Le détenteur de monnaie électronique est informé de ces conditions préalablement à la conclusion du contrat.
- Le régime dérogatoire pour les petits EME (ou "PEME") : ces établissements peuvent être exemptés d'une partie des dispositions de la directive relatives aux règles prudentielles, au capital initial et aux fonds propres. Ils sont autorisés à être inscrits dans le registre des EME, sous réserve que :
a) leurs activités commerciales dans leur ensemble génèrent un montant moyen de monnaie électronique en circulation qui ne dépasse pas un plafond fixé par l’État membre mais qui, en tout état de cause, n’est pas supérieur à 5 millions d'euros; et
b) aucune des personnes physiques responsables de la gestion ou de l’exercice de l’activité n’a été condamnée pour des infractions liées au blanchiment de capitaux, au financement du terrorisme ou à d’autres délits financiers.
La directive DME2 étant d’harmonisation maximale (et non minimale comme la DME1), les Etats membres bénéficient d'une faible marge de manoeuvre dans sa transposition en droit interne. La France a donc l'obligation de reprendre en droit national les dispositions instaurées au niveau européen.
1.2 Une transposition tardive en droit français et ses conséquences
Les Etats membres avaient jusqu'au 30 avril 2011 pour transposer la Directive DME2 dans leur droit interne. Le gouvernement français a tenté, à trois reprises et en vain, de transposer la Directive par la voie d'ordonnance. Cette transposition en droit français a échoué pour diverses raisons : dépassement des délais, abandon d'habilitation en cours de débat puis censure du Conseil constitutionnel.
Ayant largement dépassé le délai maximal de transposition, la Commission européenne a ouvert, le 26 avril 2012, une procédure d'infraction à l'encontre de la France et des autres pays retardataires (la Belgique, Chypre, l'Espagne, la Pologne et le Portugal). Par un avis motivé, la Commission a "invité" la France à l'informer, dans un délai de deux mois, des mesures prises pour mettre sa législation nationale en conformité avec la Directive DME2. Passé ce délai, la Commission avait la possibilité de saisir la Cour de Justice de l'Union européenne et demander d'imposer des sanctions financières aux Etats membres. (4)
Suite aux pressions exercées par la Commission, c'est finalement par voie de projet de loi, déposé au Sénat le 1er août 2012, que la France a pris l'initiative de transposer la Directive. Ce projet est actuellement en cours de discussion au Parlement. La loi de transposition n’est toujours pas votée au 1er décembre 2012.
2. L'adoption du nouveau régime juridique pour les EME en débat au Parlement français
Actuellement, en France, les services de monnaie électronique ne peuvent être proposés que par des banques ou des établissements de crédit. Ainsi, les entreprises françaises souhaitant offrir ces services doivent aujourd'hui nécessairement obtenir un agrément en tant qu'établissement de crédit, nécessitant une mise en conformité avec un régime très strict. La transposition de la Directive DME2 en droit français, permettant un assouplissement du régime actuel, est donc attendue par des entrepreneurs n’appartenant pas au domaine bancaire, souhaitant se lancer dans l’activité de fourniture de service de monnaie électronique.
Le projet de loi a été adopté par le Sénat et présenté en première lecture à l'Assemblée Nationale, le 27 septembre 2012. (5) Ce projet comprend une trentaine d'articles relatifs à la monnaie électronique (Titre I du projet de loi) qui viendront compléter ou modifier les dispositions du Code monétaire et financier ("CMF").
Les dispositions essentielles du projet de loi concernent d’une part les conditions d’accès à l’activité d’EME, d’autre part les conditions d’exercice de cette activité.
2.1 Les conditions d'accès à l'activité d’EME
Le projet de loi prévoit que les établissements de monnaie électronique sont des personnes morales, autres que les établissements de crédit, qui émettent et gèrent à titre de profession habituelle de la monnaie électronique (nouvel article L. 526-1 et s. CMF).
- La nécessité d'un agrément : préalablement à l’émission et à la gestion de monnaie électronique, les EME doivent obtenir un agrément délivré par l’Autorité de contrôle prudentiel, ("ACP") après avis de la Banque de France. Pour délivrer l’agrément, l’ACP s’assure de l’aptitude de l’entreprise requérante à garantir une gestion saine et prudente de l’établissement de monnaie électronique et apprécie la qualité des actionnaires ou associés qui détiennent une participation qualifiée.
- Un capital minimum obligatoire : pour délivrer l’agrément à un établissement de monnaie électronique, l’ACP vérifie si celui-ci dispose, au moment de la délivrance de l’agrément, d’un capital libéré d’un montant au moins égal à une somme qui sera fixée par voie réglementaire, étant précisé que le montant de 350.000€ fixé par la Directive DME2 est un seuil minimal.
2.2 Les conditions d'exercice de l'activité d’EME
- Des dispositions prudentielles particulières : les EME sont tenus de respecter des normes de gestion destinées à garantir leur solvabilité ainsi que l’équilibre de leur structure financière. Ils disposent également d’un dispositif approprié de contrôle interne leur permettant notamment de mesurer les risques et la rentabilité de leurs activités. Ils respectent un niveau de fonds propres adéquat. Comme pour le capital initial, le montant minimum des fonds propres et les modalités de calcul y afférentes seront fixées par voie réglementaire.
- Un éventail d'activités autorisées : en sus de l’émission, la gestion et la mise à disposition de monnaie électronique, les EME peuvent : (i) fournir des services de paiement, (ii) fournir des services connexes à la prestation de services de paiement ou étroitement liés à l’émission et la gestion de monnaie électronique (ex: des services de change et de garde et l’enregistrement et le traitement des données), et (iii) exercer une activité commerciale autre que les activités mentionnées ci-dessus. Toutefois, ces activités commerciales ne doivent pas être incompatibles avec les exigences de la profession, notamment le maintien de la réputation de l’établissement de monnaie électronique, la primauté des intérêts des clients et le jeu de la concurrence sur le marché considéré.
- La protection du consommateur : le projet de loi prévoit des obligations contractuelles particulières relatives à l’information préalable du consommateur. Les conditions contractuelles doivent être communiquées dans des termes clairs et aisément compréhensibles au détenteur de monnaie électronique avant tout contrat ou offre liant les parties. Le remboursement des unités de monnaie électronique doit, sauf exceptions, être effectué sans frais pour le détenteur. Le contrat doit établir clairement les conditions et le délai de remboursement des unités de monnaie électronique. Le remboursement devra être effectué, au choix du détenteur de monnaie électronique, en pièces, en billets de banque ou par virement (nouveaux articles L.133-29. et s. L.315-5 et s. CMF).
- Un régime allégé pour les petits EME : Le projet de loi prévoit un régime allégé pour les petits EME. Ces établissements pourront être exemptés de l'essentiel du dispositif prudentiel, si leurs activités commerciales dans leur ensemble génèrent une moyenne de la monnaie électronique en circulation inférieure à un montant qui sera fixé par décret (nouvel article L.526-19 du CMF). Le montant de 5 millions d'euros prévu par la Directive est un seuil maximal.
2.3 Des sanctions lourdes en cas d’infraction à la loi
Le projet de loi prévoit plusieurs sanctions qui varient en fonction de la gravité de l'infraction. Ainsi, sont notamment punis de 3 ans d'emprisonnement et 375.000€ d'amende (1.875.000€ pour les personnes morales), toute personne ou entreprise, autre que les EME : (i) émettant et gérant de la monnaie électronique à titre de profession habituelle, ou (ii) utilisant une dénomination, une raison sociale, une publicité ou, d’une façon générale, des expressions faisant croire qu’elle est agréée en tant qu’établissement de monnaie électronique (nouvel article 572-13 et s. CMF).
Ces peines principales peuvent être accompagnées de peines complémentaires telles que : l'interdiction d'exercer l'activité professionnelle dans l'exercice ou à l'occasion de laquelle l'infraction a été commise, ou la fermeture des établissements de l’entreprise ayant servi à commettre les faits incriminés, pour une durée de 5 ans au plus.
La directive et la future loi française créent ainsi un véritable régime juridique autonome pour les établissements de monnaie électronique. Avec ce nouveau régime, le paysage de la réglementation financière devient plus complexe : il faudra distinguer entre les banques, les établissements financiers, les établissements de monnaie électronique et les prestataires de services de paiement.
Il conviendra de suivre avec attention les prochains débats parlementaires, certaines dispositions du projet de loi étant susceptibles d'évoluer d'ici l'adoption de la loi. En effet, bien que la DME2 impose une harmonisation maximale, certaines de ses dispositions fixent un seuil ou un montant minimum ou maximum, laissant une certaine marge à chaque Etat membre pour sa transposition.
En toute hypothèse, il appartient à la France de ne plus tarder à transposer cette directive si elle ne veut pas être soumise à des contraintes financières. La Commission européenne a ainsi demandé le 21 novembre dernier à la Cour de justice de l’Union européenne d’imposer une astreinte journalière d'environ 60.000€ à la Belgique, faute de transposition. Cette décision de la Commission est intervenue alors que le projet de loi de transposition est actuellement en cours de débat au Parlement belge.
* * * * * * * * * *
(1) Directive 2000/46/CE du Parlement européen et du Conseil 18 septembre 2000 concernant l'accès à l'activité des établissements de monnaie électronique et son exercice ainsi que la surveillance prudentielle de ces établissements (DME1).
(2) Directive 2009/110/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 concernant l’accès à l’activité des établissements de monnaie électronique et son exercice ainsi que la surveillance prudentielle de ces établissements, modifiant les directives 2005/60/CE et 2006/48/CE et abrogeant la directive 2000/46/CE (DME2)
(3) Directive 2007/64/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 novembre 2007 concernant les services de paiement dans le marché intérieur, modifiant les directives 97/7/CE, 2002/65/CE, 2005/60/CE ainsi que 2006/48/CE et abrogeant la directive 97/5/CE. Voir notamment l'article 8 décrivant les méthodes de calcul des fonds propres.
(4) Communiqué de presse de la Commission européenne du 26 avril 2012 "Marché intérieur: la Commission prend des mesures pour faire appliquer les règles européennes en matière de monnaie électronique", Référence: IP/12/418, accessible sur le site : http://europa.eu/.
(5) Projet de loi n°737 portant diverses dispositions d'adaptation de la législation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière, déposé le 1er août 2012 et Projet de loi n°232, adopté par le Sénat, portant diverses dispositions d'adaptation de la législation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière, déposé le 27 septembre 2012.
Betty SFEZ – Avocat
Deleporte Wentz Avocat
www.dwavocat.com
Décembre 2012
mercredi 21 novembre 2012
Quel(s) régime(s) de responsabilité pour les sites comparateurs de prix ?
Avec internet, il est devenu beaucoup plus aisé de comparer les offres de produits et de services en quelques clics. Les sites comparateurs de prix jouent ainsi un rôle significatif dans le processus d'achat des consommateurs.
Les sites comparateurs suscitent cependant de nombreuses questions en matière de transparence et de loyauté des informations, notamment quant au caractère fiable, exhaustif et à jour des informations fournies, la pertinence des critères de comparaison, leur mode de rémunération par les sites marchands référencés ou leur degré d’indépendance vis-à-vis des sites marchands.
Afin d’améliorer leur image et le niveau de confiance en leurs services, la Fevad et le Secrétariat d’Etat chargé de la prospective, de l’évaluation des politiques publiques et du développement de l’économie numérique ont adopté, le 11 juin 2008, une Charte des sites internet comparateurs. Cette charte, signée par les principaux sites comparateurs, comporte d’une part des recommandations relatives aux informations communiquées par les sites comparateurs aux utilisateurs, d’autre part des recommandations relatives aux relations entre les sites comparateurs et les sites marchands. (1)
Cependant, malgré l’adoption de la Charte des sites internet comparateurs, les sites Kelkoo et shopping.com ont été poursuivis pour pratiques trompeuses, pratique commerciale déloyale et contrefaçon de marque. La jurisprudence en résultant permet d’une part de clarifier la qualification juridique de l’activité de comparateur, d’autre part de rappeler leur responsabilité quant au contenu des annonces.
1. La qualification juridique de l’activité de comparateur de prix
S’ils proposent globalement le même type de services, les sites comparateurs ne fonctionnent pas tous sur un modèle unique.
1.1 Plusieurs modèles de fonctionnement co-existent
L’objet de tous les sites comparateurs de prix, qu’ils soient généralistes (biens de consommation) ou spécialisés (comparaison en matière de contrats d’assurance ou de voyages par exemple), est de référencer des offres de produits et de services de sites marchands. Le site comparateur permet alors aux internautes, grâce à un moteur de recherches, de rechercher et de comparer les offres de produits et de services des sites marchands référencés, puis d’accéder directement à l’offre de leur choix pour éventuellement commander le produit ou le service concerné sur un site marchand référencé. (2)
On peut distinguer deux modèles principaux de fonctionnement :
- Le référencement payant : le référencement des sites marchands sur la plupart des sites comparateurs de prix est régi par des accords commerciaux conclus entre le site comparateur et chaque site marchand. Le comparateur est généralement rémunéré soit au coût par clic (CPC), indépendamment de la transformation du clic sur la page d’annonce du marchand en achat, soit au coût par action ou par acquisition (CPA), si la vente a effectivement lieu.
- Le référencement gratuit : d’autres comparateurs (tel Google Shopping) proposent également, parallèlement au référencement payant, un référencement naturel des sites marchands, en “trackant” l’ensemble des offres disponibles en ligne, sous réserve de l'inscription du site marchand sur la plateforme du site comparateur.
Le comparateur joue un rôle d'intermédiaire entre les internautes et les sites marchands référencés sur sa plateforme. Toutefois, la multiplicité des services proposés et les différents modes de rémunération adoptés par ceux-ci soulèvent la question de la qualification juridique de l’activité de comparateur.
1.2 Le comparateur de prix : courtier ou site publicitaire ?
Les sites comparateurs de prix sont des opérateurs de commerce électronique. Cependant, le rôle joué par ces sites peut relever de la mise en relation entre le consommateur et le site marchand selon le mode du courtage, ou relever de l’activité publicitaire, tel qu’il ressort de l’affaire Kelkoo.
1.2.1 Opérateur de commerce électronique, courtier et site publicitaire
- L'opérateur de commerce électronique exerce une activité de commerce électronique, telle que définie à l'article 14 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique (LCEN), à savoir : "l'activité économique par laquelle une personne propose ou assure à distance et par voie électronique la fourniture de biens ou de services".
Ces services comprennent "(…) ceux consistant à fournir des informations en ligne, des communications commerciales et des outils de recherche, d'accès et de récupération de données, d'accès à un réseau de communication ou d'hébergement d'informations, y compris lorsqu'ils ne sont pas rémunérés par ceux qui les reçoivent. (...)".
Il ressort de la définition, très large, donnée par cet article que la plupart des sites web peuvent être considérés comme exerçant une activité de commerce électronique.
- Le courtier est un intermédiaire qui met en relation des personnes désireuses de traiter entre elles. Il existe une multitude de types de courtage, du courtier en marchandises (tels les courtiers en vins) aux courtiers en services divers (tels les courtiers en assurances). Le rôle du courtier se limite à rapprocher deux personnes pour qu’elles concluent un contrat entre elles. Le courtier est un commerçant qui agit en toute indépendance. (3)
La plupart des plateformes de mise en relation entre internautes et vendeurs de produits ou services agissent dans le cadre du courtage.
- L’activité est de nature publicitaire lorsqu’elle a pour objet de promouvoir des produits ou services. En matière de commerce électronique, l’article 20 de la LCEN dispose que la publicité doit pouvoir être clairement identifiée comme telle et doit rendre clairement identifiable la personne physique ou morale pour le compte de laquelle elle est réalisée.
Les dispositions de l'article L.121-1 du Code de la consommation relatives aux pratiques commerciales trompeuses sont applicables à la publicité en ligne. Sont notamment considérées comme pratiques commerciales trompeuses, les pratiques qui créent une confusion avec un autre bien ou service ou une marque, les pratiques reposant sur des présentations fausses ou de nature à induire en erreur, l’omission ou la dissimulation d’une information substantielle (telle que les caractéristiques principales du bien ou du service, l’adresse et l’identité du professionnel et le prix TTC et les frais de livraison à la charge de l’acheteur).
La qualification de l’activité du site est donc particulièrement importante compte tenu de l’incidence des obligations qui vont peser sur l’exploitant du service.
1.2.2 L’affaire Kelkoo : le site comparateur est un site publicitaire
Dans une affaire opposant la société Concurrence, exploitant un magasin de produits électroniques et audiovisuels, à la société Kelkoo, exploitant un site comparateur de prix, la Cour d’appel de Grenoble a jugé, en octobre 2010, que le comparateur n’exerçait pas une activité de courtier mais une activité publicitaire.
En l'espèce, les deux sociétés avaient signé un contrat de partenariat ayant pour objet de promouvoir le site de la société Concurrence à travers la mise en place de liens hypertextes, cliquables à partir du site kelkoo.fr vers le site concurrence.fr., Kelkoo étant rémunéré au clic (CPC). Ce contrat a été résilié, notamment pour non paiement de plusieurs factures à Kelkoo.
En appel, la société Concurrence, qui contestait devoir régler ces factures, invoquait notamment le fait que la société Kelkoo ne respectait pas les règles applicables à la publicité en ligne en ne s’identifiant pas comme site publicitaire et en affirmant que les publicités de la société Kelkoo étaient mensongères et de nature trompeuses.
Kelkoo soutenait pour sa part que l’activité du site relevait du courtage et non de la publicité et que sa responsabilité était limitée en tant que simple intermédiaire, soumis à une obligation de moyens. A ce titre, le marchand est responsable des informations communiquées au site comparateur relatives à ses offres.
La Cour a jugé que dans la mesure où la rémunération des marchands était réalisée au clic et non sur la base du coût par action/acquisition, le site comparateur n’intervenant pas en qualité d’intermédiaire entre les acheteurs et les vendeurs, la qualification de courtier ne pouvait être retenue. Cependant, en application des dispositions de l’article 14 de la LCEN, le site comparateur opère néanmoins une activité de commerce électronique. La Cour poursuit en qualifiant cette activité de publicitaire.
La Cour en conclut que la société Kelkoo, en qualité de site publicitaire, est tenue de respecter la réglementation en matière de publicité, telle que prévue à l'article 20 de la LCEN et au Code de la consommation. Constatant la non-conformité du site comparateur Kelkoo à la réglementation sur la publicité, la Cour a décidé que celle-ci suivait une pratique qualifiée de trompeuse au sens de l’article L.121-1 du Code de la consommation et qui constitue une pratique commerciale déloyale au sens des dispositions de l’article L.120-1 du même code en omettant de s’identifier comme site publicitaire, de mettre à jour les prix en temps réel, d’indiquer les périodes de validité des offres, d’indiquer les frais en sus du prix, etc. (4)
Dans un arrêt du 29 novembre 2011, la Cour de cassation a partiellement cassé la décision d’appel. Les juges ont en effet estimé que l'éditeur d'un site comparateur de prix, qui ne s'identifie pas comme site publicitaire, ne se rend pas automatiquement coupable de pratique trompeuse.
La Cour affirme que pour être qualifiés de déloyaux, les agissements d'un comparateur doivent avoir faussé le jeu de la concurrence sur le marché et donc altéré le comportement du consommateur. Selon la Cour, les juges d'appel auraient dû vérifier si les omissions reprochées au site internet étaient susceptibles d'altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur. En conséquence, la Cour affirme que pour être qualifiés de déloyaux les agissements d'un comparateur doivent avoir faussé le jeu de la concurrence sur le marché et donc altéré le comportement du consommateur. (5)
On constate donc que la qualification de l’activité des sites comparateurs et les contours de cette qualification sont loin d’être définitivement réglées. S’il ne fait pas de doute qu’un site comparateur exerce une activité de commerce électronique, il reste nécessaire d’analyser les modalités de mise en oeuvre du service par le site comparateur. La qualification de site publicitaire ne nous paraît pas devoir s’appliquer automatiquement à tous les sites comparateurs. Certains sites peuvent relever du courtage, et ce indépendamment du mode de rémunération du site comparateur.
2. Le régime de responsabilité applicable aux sites comparateurs
Quelle que soit la nature juridique de leur activité, restait encore à déterminer le régime de responsabilité applicable aux sites comparateurs de prix. En effet, concernant les contenus (annonces) accessibles en ligne à partir de leurs sites, les comparateurs sont susceptibles de relever soit du régime de l’hébergeur tel que défini à la LCEN, soit du régime de responsabilité de droit commun. Une illustration en a été donnée par le TGI de Paris dans une affaire opposant la société J.M. Weston à Shopping Epinions International.
2.1 Hébergement ou édition de contenu ?
Lorsque la responsabilité d'un exploitant de site internet est susceptible d'être engagée, il convient de déterminer si l'exploitant relève du régime du droit commun de l'éditeur ou au contraire, s'il peut bénéficier du régime de responsabilité des hébergeurs prévu à l’article 6.I.2 de la LCEN.
2.1.1 La distinction entre hébergeur et éditeur de contenu
- Les hébergeurs bénéficient d'un régime de responsabilité atténuée sur les contenus hébergés, fournis par des tiers au service. L’hébergeur technique n’est pas, en principe, responsable des contenus fournis par des tiers. Est considéré comme hébergeur, le prestataire technique qui fournit un service de stockage de contenus numériques (textes, photos, vidéos, musique, etc.).
Les hébergeurs ne sont pas soumis à une obligation générale de surveillance des contenus hébergés sur leurs serveurs. Leur responsabilité ne peut être engagée du fait des activités des titulaires des contenus ou des informations qu’ils stockent, sauf s’ils jouent un rôle actif sur ces contenus. En l’absence de connaissance, et donc de contrôle, des contenus (notamment via la modération du site), la responsabilité relevant du régime de l’hébergeur s’appliquera.
- Le régime de responsabilité de l’éditeur n'est pas spécifique à internet. Il s'agit du régime général applicable à l'édition et aux responsables de la publication, sur papier ou sous format électronique, en application notamment de la loi du 29 juillet 1881.
La responsabilité éditoriale signifie que l’exploitant d’un site internet est responsable, en qualité d'éditeur, de tout ou partie du contenu du site. En effet, l’éditeur maîtrise, ou contrôle, les contenus qu’il publie, il en est donc responsable. Sa responsabilité civile et pénale peut être engagée en cas de contenus erronés, diffamants, contrefaisants, contraires à la loi ou à l’ordre public, etc.
Par extension, ce régime de responsabilité éditoriale est appliqué aux exploitants de sites web, à chaque fois qu’ils interviennent sur des contenus fournis par des tiers, par la validation ou la modération des contenus par l’hébergeur, avant leur mise en ligne (ou publication).
2.1.2 Un site comparateur peut être éditeur du contenu
Dans une affaire opposant la société J.M. Weston, fabricant et distributeur de chaussures, à la société Shopping Epinions International, exploitant le site comparateur Shopping.com, le Tribunal de grande instance de Paris a considéré, dans un jugement du 15 décembre 2011, que le comparateur était un éditeur de contenu au sens de la loi. (6)
En l'espèce, la société Shopping Epinions International était poursuivie par la société J.M. Weston pour contrefaçon de la marque Weston.
La société Shopping Epinions International soutenait que son activité relevait du régime de l’hébergeur dans la mesure où elle exerçait une activité de stockage d’annonces fournies par des tiers, et qu’elle n’était donc pas responsable de ces contenus.
Le Tribunal, après une analyse des différentes activités du site shopping.com, relève que les opérations techniques de présentation et d’organisation des données, la mise à disposition d’outils de classification des contenus pour assurer une optimisation du site, la sélection des annonceurs, la référence de marchands avec lesquels elle n’avait pas d’accord commercial (référencement naturel) à côté des marchands sous contrat, la présence d’annonces publicitaires sur le site (générant des revenus), et le fait que la société pouvait ajouter ou supprimer certains mots-clés, ne permettaient pas de caractériser une action éditoriale, dans la mesure où des opérations techniques n’impliquent pas la connaissance ou le contrôle des contenus.
En revanche, le Tribunal retient que shopping.com opérait une sélection préalable sur les informations fournies par les sites marchands partenaires (les annonceurs) dans les fiches produits avant de les reproduire dans les annonces. En outre, les conditions générales du service entre la société et les annonceurs accordaient à shopping.com les droits de sélectionner, modifier et adapter le contenu fourni par les annonceurs.
Cette sélection et ce pouvoir d'intervention sur le contenu fourni par les annonceurs supposait une prise de connaissance et un contrôle préalable du contenu mis en ligne par shopping.com. Le site comparateur exerçait donc un rôle actif auprès des annonceurs afin d'optimiser leurs offres. Les juges en ont donc conclu que le site shopping.com relevait du régime de responsabilité de l’éditeur. A ce titre, la société Shopping Epinions a été reconnue comme ayant commis des actes de contrefaçon par reproduction des marques Weston, faisant apparaître sur les moteurs de recherche Google et Yahoo! des annonces publicitaires comportant le signe Weston associé à des chaussures d’autre marque et renvoyant vers le site shopping.com, laissant à penser que des offres de vente de chaussures de marque Weston étaient disponibles depuis le site shopping.com.
La portée de ce jugement est cependant relative. En l’espèce, shopping.com intervenait effectivement sur les contenus fournis par les sites marchands. Cependant, en cas de référencement automatique sur le site comparateur des annonces fournies par les marchands, sans intervention éditoriale du comparateur sur ces contenus, la qualification d’hébergeur aurait été retenue.
2.2 Le nécessaire respect des obligations applicables à l’activité commerciale
Que le site comparateur relève du régime de responsabilité de l’hébergeur technique ou de l’éditeur, sa responsabilité civile, voire pénale, pourra être engagée en cas de non-respect ou de non-conformité aux obligations dont relève son activité.
Les décisions de justice impliquant les sites Kelkoo et shopping.com respectivement ont retenu la responsabilité de ces sites pour manquement à la réglementation en matière de publicité et de propriété intellectuelle.
2.2.1 Le respect des règles applicables à la publicité
Comme nous l’avons évoqué plus haut, la Cour d’appel de Grenoble a qualifié l’activité de Kelkoo de publicitaire. Les parties se sont ensuite pourvues en cassation.
Par le biais de deux arrêts, rendus le 29 novembre 2011, la Cour de cassation a retenu :
- d’une part, que l'exploitant d'un site comparateur de prix, qui ne s'identifie pas comme un site publicitaire, n’est coupable de pratique trompeuse, au sens des dispositions de l'article L.121-1 du Code de la consommation que si les omissions reprochées au site internet étaient susceptibles d'altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur ;
- d’autre part, que l'article 20 de la LCEN dispose que toute publicité en ligne doit pouvoir être clairement identifiée en tant que telle. Or, le comparateur Kelkoo a manqué à son obligation de rendre facilement accessible la nature publicitaire de son site internet, le consommateur étant obligé d’ouvrir plusieurs fenêtres de Kelkoo.fr pour être informé du fait qu’il se trouvait sur un site publicitaire. La Cour considère que ce cheminement (ouverture de plusieurs pages successives pour accéder à l’information) est incompatible avec les dispositions de l'article 20 de la LCEN et déclare recevable la demande de la société Concurrence visant à mettre fin à ces pratiques illicites.
2.2.2 Le respect des règles de la propriété intellectuelle
Dans l'affaire opposant la société J.M. Weston (fabricant de chaussures) à la société Shopping Epinions International, exploitant le site shopping.com, le fabricant affirmait que le comparateur avait commis des actes de contrefaçon de ses marques.
- Au terme de l'analyse d'un premier procès-verbal de constat de 2009, le Tribunal a rejeté la contrefaçon au motif que la marque litigieuse n'apparaissait pas sur le site du comparateur mais que celle-ci était simplement stockée par le comparateur en tant que mot-clé pour provoquer l'apparition d'une annonce (sans reproduction de la marque dans le texte) qui redirigeait vers le site marchand de son annonceur. Conformément à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, le Tribunal en a conclu que le site comparateur ne faisant pas usage de la marque Weston dans le cadre de sa propre communication commerciale, mais permettant seulement à ses propres clients de faire usage d'un signe identique ou similaire à la marque du fabricant, ne commettait pas des actes de contrefaçon de marque.
- Par contre, au terme de l'analyse d'un second procès-verbal de constat de 2010, le Tribunal a jugé que le comparateur avait commis des actes de contrefaçon des marques du fabricant au motif que la page de résultat des moteurs de recherches Google et Yahoo! faisait apparaître des liens commerciaux ou sponsorisés comportant des annonces reprenant la marque Weston dans le titre ou dans le corps du message promotionnel, alors que le site shopping.com ne proposait pas de chaussures de cette marque. Le Tribunal en a conclu que l'édition d'un tel lien commercial, créant un risque de confusion dans l'esprit de l'internaute d'attention moyenne, constituait un acte de contrefaçon desdites marques par le site shopping.com.
L’activité des sites comparateurs est juridiquement complexe et sa qualification dépend des modalités de mise en oeuvre du service. Comme mentionné dans cet article, plusieurs modèles de sites comparateurs de prix co-existent, identifiés notamment dans l’Avis de l’Autorité de la concurrence du 18 septembre 2012, relatif au fonctionnement concurrentiel du commerce électronique. L’Autorité de la concurrence relève que l’adoption, par les sites comparateurs, de la Charte des sites internet comparateurs permet d’améliorer les conditions de transparence sur le fonctionnement du service, et donc le niveau de confiance des internautes, sachant que le respect de la Charte par les sites adhérents est soumis à des audits de conformité réguliers. L’Autorité émet par ailleurs des pistes d’amélioration en matière notamment d’affichage des prix (et de ce qui est compris dans le prix) et de classement des offres. (7)
PS: mise à jour du 26 décembre 2012:
La Cour de cassation vient de rendre une nouvelle décision relative à un site comparateur de prix le 4 décembre 2012. En l'occurrence, l'absence d'indication claire et facilement accessible à la dinstinction entre ces deux catégories d'annonces, et au fait que les annonces payantes étaient référencées en priorité, ont été considérées comme constitutives d’une pratique commerciale déloyale et trompeuse. La Cour de cassation a ainsi décidé que "l’absence d’identification claire du référencement prioritaire est susceptible d’altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur qui est orienté d’abord vers les produits et offres des e-marchands “payants” et ne dispose pas ainsi de critères objectifs de choix". (8)
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(1) Charte des sites Internet comparateurs, adoptée le 11 juin 2008 avec le soutient de la FEVAD et du Secrétariat d'Etat chargé de la prospective, de l'évaluation des politiques publiques et du développement de l'économie numérique. Les sites comparateurs signataires de la Charte Fevad sont : Easyvoyage, Kelkoo, Leguide.com, Pangora, Pricerunner, Shopping.com, VoyagerMoinsCher, Alibabuy, Anyresa, BilletMoinsCher.com, Sprice, Achetez Facile et AssureMieux.com.
(2) Voir la définition de site comparateur en annexe à la Charte des sites internet comparateurs du 11 juin 2008.
(3) Voir les articles L.131-1 et suivants du Code de commerce.
(4) CA Grenoble, ch.com. 21 octobre 2010, Concurrence / Kelkoo.com
(5) Cour cass. Ch. com., 29 novembre 2011, n°10-27.402 et n°09-13223, Kelkoo / Concurrence.
(6) TGI Paris, 3e ch., 4e section, 15 déc. 2011, J.M. Weston / Shopping Epinions International.
(7) Avis de l'Autorité de la concurrence n°12-A-20 du 18 septembre 2012 relatif au fonctionnement concurrentiel du commerce électronique (p. 33 à 36).
(8) Cass com., 4 décembre 2012, Leguide.com / Pewterpassion.com
Bénédicte DELEPORTE - Avocat
Betty SFEZ - Avocat
Deleporte Wentz Avocat
www.dwavocat.com
Novembre 2012
Les sites comparateurs suscitent cependant de nombreuses questions en matière de transparence et de loyauté des informations, notamment quant au caractère fiable, exhaustif et à jour des informations fournies, la pertinence des critères de comparaison, leur mode de rémunération par les sites marchands référencés ou leur degré d’indépendance vis-à-vis des sites marchands.
Afin d’améliorer leur image et le niveau de confiance en leurs services, la Fevad et le Secrétariat d’Etat chargé de la prospective, de l’évaluation des politiques publiques et du développement de l’économie numérique ont adopté, le 11 juin 2008, une Charte des sites internet comparateurs. Cette charte, signée par les principaux sites comparateurs, comporte d’une part des recommandations relatives aux informations communiquées par les sites comparateurs aux utilisateurs, d’autre part des recommandations relatives aux relations entre les sites comparateurs et les sites marchands. (1)
Cependant, malgré l’adoption de la Charte des sites internet comparateurs, les sites Kelkoo et shopping.com ont été poursuivis pour pratiques trompeuses, pratique commerciale déloyale et contrefaçon de marque. La jurisprudence en résultant permet d’une part de clarifier la qualification juridique de l’activité de comparateur, d’autre part de rappeler leur responsabilité quant au contenu des annonces.
1. La qualification juridique de l’activité de comparateur de prix
S’ils proposent globalement le même type de services, les sites comparateurs ne fonctionnent pas tous sur un modèle unique.
1.1 Plusieurs modèles de fonctionnement co-existent
L’objet de tous les sites comparateurs de prix, qu’ils soient généralistes (biens de consommation) ou spécialisés (comparaison en matière de contrats d’assurance ou de voyages par exemple), est de référencer des offres de produits et de services de sites marchands. Le site comparateur permet alors aux internautes, grâce à un moteur de recherches, de rechercher et de comparer les offres de produits et de services des sites marchands référencés, puis d’accéder directement à l’offre de leur choix pour éventuellement commander le produit ou le service concerné sur un site marchand référencé. (2)
On peut distinguer deux modèles principaux de fonctionnement :
- Le référencement payant : le référencement des sites marchands sur la plupart des sites comparateurs de prix est régi par des accords commerciaux conclus entre le site comparateur et chaque site marchand. Le comparateur est généralement rémunéré soit au coût par clic (CPC), indépendamment de la transformation du clic sur la page d’annonce du marchand en achat, soit au coût par action ou par acquisition (CPA), si la vente a effectivement lieu.
- Le référencement gratuit : d’autres comparateurs (tel Google Shopping) proposent également, parallèlement au référencement payant, un référencement naturel des sites marchands, en “trackant” l’ensemble des offres disponibles en ligne, sous réserve de l'inscription du site marchand sur la plateforme du site comparateur.
Le comparateur joue un rôle d'intermédiaire entre les internautes et les sites marchands référencés sur sa plateforme. Toutefois, la multiplicité des services proposés et les différents modes de rémunération adoptés par ceux-ci soulèvent la question de la qualification juridique de l’activité de comparateur.
1.2 Le comparateur de prix : courtier ou site publicitaire ?
Les sites comparateurs de prix sont des opérateurs de commerce électronique. Cependant, le rôle joué par ces sites peut relever de la mise en relation entre le consommateur et le site marchand selon le mode du courtage, ou relever de l’activité publicitaire, tel qu’il ressort de l’affaire Kelkoo.
1.2.1 Opérateur de commerce électronique, courtier et site publicitaire
- L'opérateur de commerce électronique exerce une activité de commerce électronique, telle que définie à l'article 14 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique (LCEN), à savoir : "l'activité économique par laquelle une personne propose ou assure à distance et par voie électronique la fourniture de biens ou de services".
Ces services comprennent "(…) ceux consistant à fournir des informations en ligne, des communications commerciales et des outils de recherche, d'accès et de récupération de données, d'accès à un réseau de communication ou d'hébergement d'informations, y compris lorsqu'ils ne sont pas rémunérés par ceux qui les reçoivent. (...)".
Il ressort de la définition, très large, donnée par cet article que la plupart des sites web peuvent être considérés comme exerçant une activité de commerce électronique.
- Le courtier est un intermédiaire qui met en relation des personnes désireuses de traiter entre elles. Il existe une multitude de types de courtage, du courtier en marchandises (tels les courtiers en vins) aux courtiers en services divers (tels les courtiers en assurances). Le rôle du courtier se limite à rapprocher deux personnes pour qu’elles concluent un contrat entre elles. Le courtier est un commerçant qui agit en toute indépendance. (3)
La plupart des plateformes de mise en relation entre internautes et vendeurs de produits ou services agissent dans le cadre du courtage.
- L’activité est de nature publicitaire lorsqu’elle a pour objet de promouvoir des produits ou services. En matière de commerce électronique, l’article 20 de la LCEN dispose que la publicité doit pouvoir être clairement identifiée comme telle et doit rendre clairement identifiable la personne physique ou morale pour le compte de laquelle elle est réalisée.
Les dispositions de l'article L.121-1 du Code de la consommation relatives aux pratiques commerciales trompeuses sont applicables à la publicité en ligne. Sont notamment considérées comme pratiques commerciales trompeuses, les pratiques qui créent une confusion avec un autre bien ou service ou une marque, les pratiques reposant sur des présentations fausses ou de nature à induire en erreur, l’omission ou la dissimulation d’une information substantielle (telle que les caractéristiques principales du bien ou du service, l’adresse et l’identité du professionnel et le prix TTC et les frais de livraison à la charge de l’acheteur).
La qualification de l’activité du site est donc particulièrement importante compte tenu de l’incidence des obligations qui vont peser sur l’exploitant du service.
1.2.2 L’affaire Kelkoo : le site comparateur est un site publicitaire
Dans une affaire opposant la société Concurrence, exploitant un magasin de produits électroniques et audiovisuels, à la société Kelkoo, exploitant un site comparateur de prix, la Cour d’appel de Grenoble a jugé, en octobre 2010, que le comparateur n’exerçait pas une activité de courtier mais une activité publicitaire.
En l'espèce, les deux sociétés avaient signé un contrat de partenariat ayant pour objet de promouvoir le site de la société Concurrence à travers la mise en place de liens hypertextes, cliquables à partir du site kelkoo.fr vers le site concurrence.fr., Kelkoo étant rémunéré au clic (CPC). Ce contrat a été résilié, notamment pour non paiement de plusieurs factures à Kelkoo.
En appel, la société Concurrence, qui contestait devoir régler ces factures, invoquait notamment le fait que la société Kelkoo ne respectait pas les règles applicables à la publicité en ligne en ne s’identifiant pas comme site publicitaire et en affirmant que les publicités de la société Kelkoo étaient mensongères et de nature trompeuses.
Kelkoo soutenait pour sa part que l’activité du site relevait du courtage et non de la publicité et que sa responsabilité était limitée en tant que simple intermédiaire, soumis à une obligation de moyens. A ce titre, le marchand est responsable des informations communiquées au site comparateur relatives à ses offres.
La Cour a jugé que dans la mesure où la rémunération des marchands était réalisée au clic et non sur la base du coût par action/acquisition, le site comparateur n’intervenant pas en qualité d’intermédiaire entre les acheteurs et les vendeurs, la qualification de courtier ne pouvait être retenue. Cependant, en application des dispositions de l’article 14 de la LCEN, le site comparateur opère néanmoins une activité de commerce électronique. La Cour poursuit en qualifiant cette activité de publicitaire.
La Cour en conclut que la société Kelkoo, en qualité de site publicitaire, est tenue de respecter la réglementation en matière de publicité, telle que prévue à l'article 20 de la LCEN et au Code de la consommation. Constatant la non-conformité du site comparateur Kelkoo à la réglementation sur la publicité, la Cour a décidé que celle-ci suivait une pratique qualifiée de trompeuse au sens de l’article L.121-1 du Code de la consommation et qui constitue une pratique commerciale déloyale au sens des dispositions de l’article L.120-1 du même code en omettant de s’identifier comme site publicitaire, de mettre à jour les prix en temps réel, d’indiquer les périodes de validité des offres, d’indiquer les frais en sus du prix, etc. (4)
Dans un arrêt du 29 novembre 2011, la Cour de cassation a partiellement cassé la décision d’appel. Les juges ont en effet estimé que l'éditeur d'un site comparateur de prix, qui ne s'identifie pas comme site publicitaire, ne se rend pas automatiquement coupable de pratique trompeuse.
La Cour affirme que pour être qualifiés de déloyaux, les agissements d'un comparateur doivent avoir faussé le jeu de la concurrence sur le marché et donc altéré le comportement du consommateur. Selon la Cour, les juges d'appel auraient dû vérifier si les omissions reprochées au site internet étaient susceptibles d'altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur. En conséquence, la Cour affirme que pour être qualifiés de déloyaux les agissements d'un comparateur doivent avoir faussé le jeu de la concurrence sur le marché et donc altéré le comportement du consommateur. (5)
On constate donc que la qualification de l’activité des sites comparateurs et les contours de cette qualification sont loin d’être définitivement réglées. S’il ne fait pas de doute qu’un site comparateur exerce une activité de commerce électronique, il reste nécessaire d’analyser les modalités de mise en oeuvre du service par le site comparateur. La qualification de site publicitaire ne nous paraît pas devoir s’appliquer automatiquement à tous les sites comparateurs. Certains sites peuvent relever du courtage, et ce indépendamment du mode de rémunération du site comparateur.
2. Le régime de responsabilité applicable aux sites comparateurs
Quelle que soit la nature juridique de leur activité, restait encore à déterminer le régime de responsabilité applicable aux sites comparateurs de prix. En effet, concernant les contenus (annonces) accessibles en ligne à partir de leurs sites, les comparateurs sont susceptibles de relever soit du régime de l’hébergeur tel que défini à la LCEN, soit du régime de responsabilité de droit commun. Une illustration en a été donnée par le TGI de Paris dans une affaire opposant la société J.M. Weston à Shopping Epinions International.
2.1 Hébergement ou édition de contenu ?
Lorsque la responsabilité d'un exploitant de site internet est susceptible d'être engagée, il convient de déterminer si l'exploitant relève du régime du droit commun de l'éditeur ou au contraire, s'il peut bénéficier du régime de responsabilité des hébergeurs prévu à l’article 6.I.2 de la LCEN.
2.1.1 La distinction entre hébergeur et éditeur de contenu
- Les hébergeurs bénéficient d'un régime de responsabilité atténuée sur les contenus hébergés, fournis par des tiers au service. L’hébergeur technique n’est pas, en principe, responsable des contenus fournis par des tiers. Est considéré comme hébergeur, le prestataire technique qui fournit un service de stockage de contenus numériques (textes, photos, vidéos, musique, etc.).
Les hébergeurs ne sont pas soumis à une obligation générale de surveillance des contenus hébergés sur leurs serveurs. Leur responsabilité ne peut être engagée du fait des activités des titulaires des contenus ou des informations qu’ils stockent, sauf s’ils jouent un rôle actif sur ces contenus. En l’absence de connaissance, et donc de contrôle, des contenus (notamment via la modération du site), la responsabilité relevant du régime de l’hébergeur s’appliquera.
- Le régime de responsabilité de l’éditeur n'est pas spécifique à internet. Il s'agit du régime général applicable à l'édition et aux responsables de la publication, sur papier ou sous format électronique, en application notamment de la loi du 29 juillet 1881.
La responsabilité éditoriale signifie que l’exploitant d’un site internet est responsable, en qualité d'éditeur, de tout ou partie du contenu du site. En effet, l’éditeur maîtrise, ou contrôle, les contenus qu’il publie, il en est donc responsable. Sa responsabilité civile et pénale peut être engagée en cas de contenus erronés, diffamants, contrefaisants, contraires à la loi ou à l’ordre public, etc.
Par extension, ce régime de responsabilité éditoriale est appliqué aux exploitants de sites web, à chaque fois qu’ils interviennent sur des contenus fournis par des tiers, par la validation ou la modération des contenus par l’hébergeur, avant leur mise en ligne (ou publication).
2.1.2 Un site comparateur peut être éditeur du contenu
Dans une affaire opposant la société J.M. Weston, fabricant et distributeur de chaussures, à la société Shopping Epinions International, exploitant le site comparateur Shopping.com, le Tribunal de grande instance de Paris a considéré, dans un jugement du 15 décembre 2011, que le comparateur était un éditeur de contenu au sens de la loi. (6)
En l'espèce, la société Shopping Epinions International était poursuivie par la société J.M. Weston pour contrefaçon de la marque Weston.
La société Shopping Epinions International soutenait que son activité relevait du régime de l’hébergeur dans la mesure où elle exerçait une activité de stockage d’annonces fournies par des tiers, et qu’elle n’était donc pas responsable de ces contenus.
Le Tribunal, après une analyse des différentes activités du site shopping.com, relève que les opérations techniques de présentation et d’organisation des données, la mise à disposition d’outils de classification des contenus pour assurer une optimisation du site, la sélection des annonceurs, la référence de marchands avec lesquels elle n’avait pas d’accord commercial (référencement naturel) à côté des marchands sous contrat, la présence d’annonces publicitaires sur le site (générant des revenus), et le fait que la société pouvait ajouter ou supprimer certains mots-clés, ne permettaient pas de caractériser une action éditoriale, dans la mesure où des opérations techniques n’impliquent pas la connaissance ou le contrôle des contenus.
En revanche, le Tribunal retient que shopping.com opérait une sélection préalable sur les informations fournies par les sites marchands partenaires (les annonceurs) dans les fiches produits avant de les reproduire dans les annonces. En outre, les conditions générales du service entre la société et les annonceurs accordaient à shopping.com les droits de sélectionner, modifier et adapter le contenu fourni par les annonceurs.
Cette sélection et ce pouvoir d'intervention sur le contenu fourni par les annonceurs supposait une prise de connaissance et un contrôle préalable du contenu mis en ligne par shopping.com. Le site comparateur exerçait donc un rôle actif auprès des annonceurs afin d'optimiser leurs offres. Les juges en ont donc conclu que le site shopping.com relevait du régime de responsabilité de l’éditeur. A ce titre, la société Shopping Epinions a été reconnue comme ayant commis des actes de contrefaçon par reproduction des marques Weston, faisant apparaître sur les moteurs de recherche Google et Yahoo! des annonces publicitaires comportant le signe Weston associé à des chaussures d’autre marque et renvoyant vers le site shopping.com, laissant à penser que des offres de vente de chaussures de marque Weston étaient disponibles depuis le site shopping.com.
La portée de ce jugement est cependant relative. En l’espèce, shopping.com intervenait effectivement sur les contenus fournis par les sites marchands. Cependant, en cas de référencement automatique sur le site comparateur des annonces fournies par les marchands, sans intervention éditoriale du comparateur sur ces contenus, la qualification d’hébergeur aurait été retenue.
2.2 Le nécessaire respect des obligations applicables à l’activité commerciale
Que le site comparateur relève du régime de responsabilité de l’hébergeur technique ou de l’éditeur, sa responsabilité civile, voire pénale, pourra être engagée en cas de non-respect ou de non-conformité aux obligations dont relève son activité.
Les décisions de justice impliquant les sites Kelkoo et shopping.com respectivement ont retenu la responsabilité de ces sites pour manquement à la réglementation en matière de publicité et de propriété intellectuelle.
2.2.1 Le respect des règles applicables à la publicité
Comme nous l’avons évoqué plus haut, la Cour d’appel de Grenoble a qualifié l’activité de Kelkoo de publicitaire. Les parties se sont ensuite pourvues en cassation.
Par le biais de deux arrêts, rendus le 29 novembre 2011, la Cour de cassation a retenu :
- d’une part, que l'exploitant d'un site comparateur de prix, qui ne s'identifie pas comme un site publicitaire, n’est coupable de pratique trompeuse, au sens des dispositions de l'article L.121-1 du Code de la consommation que si les omissions reprochées au site internet étaient susceptibles d'altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur ;
- d’autre part, que l'article 20 de la LCEN dispose que toute publicité en ligne doit pouvoir être clairement identifiée en tant que telle. Or, le comparateur Kelkoo a manqué à son obligation de rendre facilement accessible la nature publicitaire de son site internet, le consommateur étant obligé d’ouvrir plusieurs fenêtres de Kelkoo.fr pour être informé du fait qu’il se trouvait sur un site publicitaire. La Cour considère que ce cheminement (ouverture de plusieurs pages successives pour accéder à l’information) est incompatible avec les dispositions de l'article 20 de la LCEN et déclare recevable la demande de la société Concurrence visant à mettre fin à ces pratiques illicites.
2.2.2 Le respect des règles de la propriété intellectuelle
Dans l'affaire opposant la société J.M. Weston (fabricant de chaussures) à la société Shopping Epinions International, exploitant le site shopping.com, le fabricant affirmait que le comparateur avait commis des actes de contrefaçon de ses marques.
- Au terme de l'analyse d'un premier procès-verbal de constat de 2009, le Tribunal a rejeté la contrefaçon au motif que la marque litigieuse n'apparaissait pas sur le site du comparateur mais que celle-ci était simplement stockée par le comparateur en tant que mot-clé pour provoquer l'apparition d'une annonce (sans reproduction de la marque dans le texte) qui redirigeait vers le site marchand de son annonceur. Conformément à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, le Tribunal en a conclu que le site comparateur ne faisant pas usage de la marque Weston dans le cadre de sa propre communication commerciale, mais permettant seulement à ses propres clients de faire usage d'un signe identique ou similaire à la marque du fabricant, ne commettait pas des actes de contrefaçon de marque.
- Par contre, au terme de l'analyse d'un second procès-verbal de constat de 2010, le Tribunal a jugé que le comparateur avait commis des actes de contrefaçon des marques du fabricant au motif que la page de résultat des moteurs de recherches Google et Yahoo! faisait apparaître des liens commerciaux ou sponsorisés comportant des annonces reprenant la marque Weston dans le titre ou dans le corps du message promotionnel, alors que le site shopping.com ne proposait pas de chaussures de cette marque. Le Tribunal en a conclu que l'édition d'un tel lien commercial, créant un risque de confusion dans l'esprit de l'internaute d'attention moyenne, constituait un acte de contrefaçon desdites marques par le site shopping.com.
L’activité des sites comparateurs est juridiquement complexe et sa qualification dépend des modalités de mise en oeuvre du service. Comme mentionné dans cet article, plusieurs modèles de sites comparateurs de prix co-existent, identifiés notamment dans l’Avis de l’Autorité de la concurrence du 18 septembre 2012, relatif au fonctionnement concurrentiel du commerce électronique. L’Autorité de la concurrence relève que l’adoption, par les sites comparateurs, de la Charte des sites internet comparateurs permet d’améliorer les conditions de transparence sur le fonctionnement du service, et donc le niveau de confiance des internautes, sachant que le respect de la Charte par les sites adhérents est soumis à des audits de conformité réguliers. L’Autorité émet par ailleurs des pistes d’amélioration en matière notamment d’affichage des prix (et de ce qui est compris dans le prix) et de classement des offres. (7)
PS: mise à jour du 26 décembre 2012:
La Cour de cassation vient de rendre une nouvelle décision relative à un site comparateur de prix le 4 décembre 2012. En l'occurrence, l'absence d'indication claire et facilement accessible à la dinstinction entre ces deux catégories d'annonces, et au fait que les annonces payantes étaient référencées en priorité, ont été considérées comme constitutives d’une pratique commerciale déloyale et trompeuse. La Cour de cassation a ainsi décidé que "l’absence d’identification claire du référencement prioritaire est susceptible d’altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur qui est orienté d’abord vers les produits et offres des e-marchands “payants” et ne dispose pas ainsi de critères objectifs de choix". (8)
* * * * * * * * * * *
(1) Charte des sites Internet comparateurs, adoptée le 11 juin 2008 avec le soutient de la FEVAD et du Secrétariat d'Etat chargé de la prospective, de l'évaluation des politiques publiques et du développement de l'économie numérique. Les sites comparateurs signataires de la Charte Fevad sont : Easyvoyage, Kelkoo, Leguide.com, Pangora, Pricerunner, Shopping.com, VoyagerMoinsCher, Alibabuy, Anyresa, BilletMoinsCher.com, Sprice, Achetez Facile et AssureMieux.com.
(2) Voir la définition de site comparateur en annexe à la Charte des sites internet comparateurs du 11 juin 2008.
(3) Voir les articles L.131-1 et suivants du Code de commerce.
(4) CA Grenoble, ch.com. 21 octobre 2010, Concurrence / Kelkoo.com
(5) Cour cass. Ch. com., 29 novembre 2011, n°10-27.402 et n°09-13223, Kelkoo / Concurrence.
(6) TGI Paris, 3e ch., 4e section, 15 déc. 2011, J.M. Weston / Shopping Epinions International.
(7) Avis de l'Autorité de la concurrence n°12-A-20 du 18 septembre 2012 relatif au fonctionnement concurrentiel du commerce électronique (p. 33 à 36).
(8) Cass com., 4 décembre 2012, Leguide.com / Pewterpassion.com
Bénédicte DELEPORTE - Avocat
Betty SFEZ - Avocat
Deleporte Wentz Avocat
www.dwavocat.com
Novembre 2012
dimanche 18 novembre 2012
Open Data culturel : le point sur le développement de la libre diffusion des données culturelles
A l'occasion de la création du nouveau Secrétariat général pour la modernisation de l'action publique, fin octobre 2012, le Gouvernement a confirmé sa volonté de poursuivre la politique de développement et de diffusion Open Data, consistant à faciliter la réutilisation des informations publiques produites par les administrations. (1)
En phase avec cette politique, les administrations sont de plus en plus nombreuses à mettre à disposition leurs données (données de transport, données cartographiques, statistiques, géographiques, sociologiques, données d’environnement, etc.) sous licence libre et dans des formats ouverts. Toutefois, la libéralisation de ces informations est loin d'être complètement acquise en France. (2)
Les données culturelles, occupant une place particulière parmi les données publiques, restent encore en retrait de ce mouvement. Ces données sont en effet soumises à un régime juridique d’exception qui devrait cependant évoluer. Malgré ce cadre juridique spécifique, quelques projets d’Open Data culturel ont été lancés par des établissements culturels.
1. L'"exception culturelle" comme frein à la mise à disposition des données culturelles
Une grande partie du patrimoine culturel français (oeuvres d’art, oeuvres culturelles et littéraires et autres documents de nature culturelle), est aujourd’hui conservée et gérée par des établissements publics : musées, bibliothèques, instituts et centres culturels nationaux, mais aussi les archives. Ces établissements détiennent et produisent de plus en plus de documents et de données culturelles, par le biais de la numérisation d’œuvres (textes et images), de production de données de référencement (bases de données, métadonnées, notices descriptives, etc.), de données d’activités (horaires et programmations, statistiques de fréquentations, géolocalisation des sites, etc.) ou plus généralement de données administratives (budgets, organigrammes, etc.). (3)
Ces données culturelles sont soumises à un régime juridique différent du régime général applicable aux autres données publiques.
1.1 Le régime juridique dérogatoire des données culturelles
Le cadre légal applicable aux données culturelles constitue une exception à la libre exploitation des données publiques. En effet, les données culturelles ne sont pas, par principe, libres de droits. Droit d’auteur, mais également règles de protection de la vie privée interfèrent avec la libre mise à disposition des données.
Les principes posés par la loi du 17 juillet 1978, dite loi CADA
La loi CADA a instauré le principe de libre diffusion et de réutilisation des informations publiques.(4) Cette loi prévoit ainsi le droit pour toute personne d’accéder aux documents administratifs et d’utiliser les informations y figurant. En outre, la loi impose aux administrations de communiquer ces documents à toute personne qui en fait la demande.
La loi CADA comprend également plusieurs dérogations au principe général de libre diffusion, notamment :
- L’exception culturelle : l'article 11 de la loi offre aux établissements d'enseignement, de recherche et culturels la possibilité de fixer eux-mêmes les conditions dans lesquelles les informations qu'ils détiennent peuvent être réutilisées par des tiers.
Alors que les autres administrations ont l'obligation de permettre la réutilisation de leurs données, les établissements culturels peuvent choisir de se placer, ou non, sous le régime de droit commun de la loi de 1978. Ces établissements conservent une certaine latitude pour écarter ou limiter la réutilisation de leurs données culturelles en soumettant leur diffusion à des conditions tarifaires et/ou contractuelles spécifiques.
Cet article 11 a ainsi été invoqué à plusieurs reprises devant les tribunaux, notamment par des services d'archives départementales, pour refuser la mise à disposition des données leur appartenant.
- Le respect des droits de propriété intellectuelle : les articles 9 et 10 de la loi CADA disposent que "les documents administratifs sont communiqués sous réserve des droits de propriété littéraire et artistique" ; "Ne sont pas considérées comme des informations publiques, (...) les informations (...) sur lesquelles des tiers détiennent des droits de propriété intellectuelle".
Les droits de propriété intellectuelle (droit d’auteur et droits voisins) confèrent à leurs titulaires un monopole d'exploitation permettant de contrôler la diffusion de leurs oeuvres, et ce pendant la durée de vie de l’auteur et 70 ans après sa mort (droits patrimoniaux).
Les établissements culturels peuvent être soit titulaires de droits sur les œuvres initiées et dirigées par l’établissement, soit cessionnaires pour toutes les autres œuvres cédées volontairement, dans le cadre d’un marché public par exemple, ou automatiquement, s’il s’agit d’une œuvre d’un agent de l’État, qui relèverait de l’article L.131-3-1 du Code de la propriété intellectuelle.
En qualité de titulaires de droits sur leurs oeuvres, les établissements culturels conservent une entière liberté pour entrer dans une démarche d’Open Data, sous réserve de ne pas avoir conclu de contrats exclusifs et/ou partenariats qui limiteraient par ailleurs cette faculté. En revanche, la qualité de cessionnaire de l’établissement culturel ne permettra d’entreprendre une telle démarche que si l'acte de cession autorise une diffusion et une réutilisation de l'oeuvre ou des données culturelles compatible avec le projet d'Open Data envisagé par l'établissement. (5)
- Le respect de la loi informatique et libertés : l'article 13 de la loi CADA dispose que "les informations publiques comportant des données à caractère personnel peuvent faire l'objet d'une réutilisation soit lorsque la personne intéressée y a consenti, soit si l'autorité détentrice est en mesure de les rendre anonymes ou, à défaut d'anonymisation, si une disposition législative ou réglementaire le permet. La réutilisation d'informations publiques comportant des données à caractère personnel est subordonnée au respect des dispositions de la loi informatique et libertés de 1978".
La loi informatique et libertés définit les règles de protection des données à caractère personnel, à savoir toute information permettant d'identifier une personne physique, directement ou indirectement (nom, prénom, adresses postale et électronique, etc.). (6) Les documents détenus par les services d'état civil et d'archives de l'Etat comprennent donc des données à caractère personnel au sens de la loi informatique et libertés.
La circulaire du 26 mai 2011
Cette circulaire porte sur la création du portail internet data.gouv.fr, lancé fin 2011 avec le soutien de la mission gouvernementale Etalab. Elle fixe le principe, pour les administrations, d’autoriser la réutilisation gratuite de leurs données ; les administrations ne pouvant imposer de redevances que si “des circonstances particulières le justifient” et par le biais d'une procédure relativement lourde instaurée par décret du Premier Ministre.
Néanmoins, s’inspirant de l’exception prévue à l’article 11 de la loi CADA, la circulaire prévoit une dérogation en faveur des établissements culturels qui peuvent décider “s’ils le souhaitent”, de mettre à disposition leurs données sur le portail data.gouv.fr. Cela explique en grande partie la faible part des données culturelles sur le portail.
En conséquence, le cadre législatif existant n'encourage pas l'ouverture des données culturelles pour une libre réutilisation. L'existence de cette exception culturelle est-elle pour autant justifiée ?
1.2 L'exclusion des données culturelles du domaine des données publiques est-elle justifiée ?
Les obstacles économiques à l'ouverture des données culturelles à l’Open Data
Pour certains, l’exception culturelle est justifiée compte tenu de la nature des données culturelles (nativement extra-numériques pour la plupart d’entre elles) et de leur diversité.
Dans le cadre d'un rapport remis au Ministre de la Culture au deuxième trimestre 2012, l'Inspection Générale des Affaires Culturelles (IGAC) a confirmé pour sa part que les données culturelles ne devaient pas être traitées comme des informations administratives ordinaires et qu'il convenait d'organiser un régime de réutilisation adapté à cette spécificité. (7)
Certains établissements, en faveur du maintien de l’exception, considèrent que l'ouverture de leurs données conduirait à des pertes financières, qu'ils souhaitent éviter tant le financement culturel reste fragile et périlleux. Les établissements culturels tirent notamment leurs revenus, outre des droits d’entrée des visiteurs, grâce à la revente des images de leurs collections à la presse et aux éditeurs. La mise à la disposition du public de tout ou partie de leurs données culturelles, à titre gratuit, pourrait donc mettre en danger une part non négligeable des sources de revenus de ces établissements.
Par ailleurs, le coût de la numérisation des données constitue, à lui seul, un frein majeur à leur mise à disposition gratuite.
Des opportunités à ne pas négliger
L’exception culturelle est cependant contestée par plusieurs groupes de travail et de réflexion en faveur d'un Open Data culturel (ex: groupe de travail Open GLAM). (8)
La mise en place de plateformes internet par les établissements culturels peut augmenter la visibilité des oeuvres et collections dont ils disposent, et ainsi fidéliser et diversifier leur public. L'ouverture des données peut également contribuer à valoriser les lieux culturels et entraîner une augmentation de leur fréquentation.
En outre, les données culturelles émanant du secteur public peuvent constituer un potentiel de croissance dans la mesure où d'autres acteurs (entreprises du secteur privé, associations) peuvent les réutiliser pour proposer des services et contenus enrichis, contribuant, d'une part au développement économique et d'autre part, à une meilleure visibilité du patrimoine, en particulier des sites et collections les moins connus.
Enfin, chaque année des appels à projets de numérisation sont lancés par le Ministère de la Culture. Ces projets s'adressent aux acteurs culturels, publics et privés à but non lucratif, et ont pour objectif de financer la numérisation de collections. Le dernier appel a été lancé le 5 octobre 2012. (9)
L'Open Data culturel permettrait ainsi de stimuler l'innovation technologique et par conséquent, de soutenir la croissance économique. Aussi, face à de telles opportunités, et dans un souci d'accès pour tous au patrimoine culturel, une évolution vers plus d’ouverture des données culturelles semble être en marche.
2. Un mouvement de libéralisation des données culturelles se dessine pourtant en France
L'Open Data culturel tend à devenir une réalité en France malgré le régime d’exception applicable à ces données et la réglementation protectrice de la propriété intellectuelle et de la vie privée. Quelques propositions pour faire évoluer le cadre juridique existant et diverses initiatives lancées dans le secteur culturel attestent de ce mouvement.
2.1 Vers une évolution du cadre juridique applicable aux données culturelles ?
Constatant la difficulté d’articuler les contraintes de la réglementation protectrice de la propriété intellectuelle et de la vie privée avec la loi CADA de 1978 et avec la politique numérique de promotion de l’Open Data, une évolution du cadre juridique applicable est souhaitée.
La proposition de directive communautaire de décembre 2011
Cette proposition de directive vise à réviser la directive de 2003 portant sur la réutilisation des informations du secteur public. La directive de 2003 exclut de son champ d'application les données détenues par les établissements d'enseignement, de recherche et les établissements culturels (musées, bibliothèques, archives, orchestres, opéras, ballets et théâtres).
La proposition de directive a pour but de promouvoir une véritable ouverture des données publiques en posant le principe selon lequel celles-ci seront automatiquement réutilisables. Cette proposition de directive étendrait son champ d'application aux données détenues par les bibliothèques, les musées et les archives, mais exclurait les autres institutions culturelles telles que les opéras, ballets ou théâtres et les archives détenues par ces établissements. Par contre, la réutilisation de ces données ne pourrait se faire que dans le respect des droits de propriété intellectuelle de leurs ayants droit. (10)
L’avis du Conseil National du Numérique de juin 2012 sur l’Open Data
Parmi les propositions émises par le CNNum dans l’avis précité figure la promotion de la réutilisation des données culturelles et leur réintégration dans le régime de droit commun. Selon le CNNum, le régime d'exception instauré par la loi CADA s'appliquant à tout le secteur culturel, sans distinction aucune, ne serait pas justifié et devrait être nettement plus nuancé.
En outre, le CNNum préconise la clarification des questions de propriété intellectuelle relatives à la réutilisation des oeuvres numérisées et des données soumises au droit d'auteur des agents publics.
2.2 Les initiatives lancées par les musées et bibliothèques
Plusieurs associations et établissements culturels travaillent sur des projets d'Open Data culturel. Parmi les initiatives les plus récentes, on peut citer :
Le projet de valorisation numérique du patrimoine de l’AGCCPF PACA
L’Association des Conservateurs des Collections Publiques de France (section fédérée PACA), mène depuis quelques années une réflexion sur la valorisation numérique du patrimoine et sur les nouvelles pratiques culturelles au cœur des cultures numériques.
L'Association a décidé d’axer son volet numérique 2012 sur le thème de l’ouverture et de la réutilisation des données culturelles. Le projet est réalisé en partenariat avec la Fondation Internet Nouvelle Génération (FING) et avec l’aide du Département des programmes numériques du Ministère de la Culture et de la Communication. Les objectifs de ce projet sont multiples, notamment disposer d’une cartographie générale de la connaissance des musées sur cette question et mettre à plat l’ensemble des questions que se posent les professionnels qui souhaiteraient diffuser leurs données en Open Data.
A cette fin, en avril 2012, l'Association a envoyé un questionnaire aux 180 musées du réseau et organisé des journées d’étude à la réutilisation des données publiques et à l’Open Data culturel, destinées aux conservateurs, développeurs, concepteurs de jeux vidéo, étudiants, data journalistes et responsables de collectivités territoriales.
La stratégie numérique de la RMN-Grand Palais
L'Etablissement public de la Réunion des musées nationaux et du Grand Palais des Champs-Élysées, fusion du Grand Palais avec la RMN, a été créé en janvier 2011. Le décret du 13 janvier 2011, définissant ses missions, prévoit que l’établissement doit constituer une photothèque universelle regroupant les reproductions photographiques des collections de l’Etat et en assurer la conservation, la valorisation et la diffusion numérique.
Afin de répondre à cette mission et dans le cadre d'une stratégie numérique globale, l'établissement a lancé le portail internet www.photo.rmn.fr, regroupant plus de 700.000 images photographiques d'oeuvres d'art. A noter que la réutilisation d'images du site photo.rmn.fr par les professionnels n'est pas gratuite, mais soumise au paiement de droits pour leur exploitation et, pour les photos qui ne sont pas encore tombées dans le domaine public, à l'accord des ayants droit. Par ailleurs, la RMN travaille actuellement sur le projet d'une plateforme regroupant de très nombreux jeux de données, devant être lancée courant 2013.
Le Centre Pompidou virtuel
En octobre 2011, le Centre Pompidou a lancé le "Centre Pompidou virtuel" (http://www.centrepompidou.fr/), une plateforme internet donnant accès à l’ensemble des contenus culturels produits par le Centre : images et dossiers des œuvres de la collection, dossiers pédagogiques, interviews vidéo d’artistes et de commissaires, captations de colloques et de conférences, archives, etc.
Les bibliothèques nationales
Plusieurs initiatives ont également été lancées par les bibliothèques.
Ainsi, en janvier 2012, la bibliothèque nationale universitaire de Strasbourg a décidé d'autoriser la libre réutilisation des fichiers images qu'elle produit, en les plaçant sous Licence Ouverte / Open Licence (http://www.bnu.fr/).
La Bibliothèque nationale de France (BNF) a lancé en juillet 2012 un nouveau site Internet (http://data.bnf.fr/) qui regroupe toutes les informations issues de ses différents catalogues ainsi que de sa bibliothèque numérique Gallica.
2.3 Les archives et données généalogiques
Les archives et données généalogiques sont également considérées par la loi comme des données culturelles. Ces données un peu particulières comprennent des données à caractère personnel. La CNIL a dû se prononcer sur leurs conditions de réutilisation, illustrées par une décision judiciaire récente.
La recommandation de la CNIL de décembre 2010
Régulièrement consultée par les services des archives, les élus, les associations ou les sociétés privées spécialisées dans la recherche généalogique, et donc souvent confrontée aux difficultés soulevées par l'articulation de la loi informatique et libertés avec la loi CADA et le code du patrimoine, la CNIL a publié une recommandation relative aux conditions de réutilisation des données publiques comportant des données personnelles. (11)
La CNIL précise les cas dans lesquels la réutilisation de données personnelles contenues dans des documents d’archives est à exclure ou, au contraire, possible moyennant certaines précautions. Ainsi, selon la CNIL, la réutilisation des données est possible dans le cas où la personne concernée a donné son accord exprès et a été informée de façon claire et complète sur les finalités, les données concernées, les destinataires des données, et leurs droits d’opposition, d’accès, de rectification, et de suppression.
L’arrêt Notrefamille.com et la réutilisation des données généalogiques détenues par le service des archives départementales
Un litige opposait le Conseil général du Cantal à la société Notrefamille.com, éditant le site internet genealogie.com. La société Notrefamille.com souhaitait réutiliser les archives des services départementaux à des fins commerciales et avait demandé, à plusieurs reprises et en vain, au président du Conseil général du Cantal de lui communiquer des cahiers de recensement des années 1831 à 1931 détenus par le service des archives. Face au refus persistant de la collectivité, la société Notrefamille.com a alors saisi le juge administratif. Dans un jugement du 13 juillet 2011, le Tribunal administratif de Clermont-Ferrand a enjoint la collectivité de communiquer les documents.
La collectivité a interjeté appel. Dans un arrêt du 4 juillet 2012, la Cour administrative d’appel de Lyon a jugé que les informations publiques, figurant dans les documents détenus par les services des archives publiques, relevaient de la liberté de réutilisation consacrée de façon générale par la loi CADA de 1978.
Toutefois, les magistrats lyonnais ont considéré qu’il appartenait à l’administration, saisie d’une demande de réutilisation de ces documents, de s’assurer que cette réutilisation satisfaisait aux exigences posées par la loi informatique et libertés. Or, la société Notrefamille.com prévoyait de transférer les données à Madagascar, et n'avait pas obtenu l'autorisation préalable de la CNIL prévue par loi. Selon la Cour, la collectivité était donc tenue de rejeter la demande de la société Notrefamille.com. En conséquence, les juges d’appel ont annulé le jugement du tribunal administratif de Clermont-Ferrand. (12)
Une société peut donc réutiliser, à des fins commerciales, les données contenues dans les actes conservés par les archives départementales, sous réserve d'être en conformité avec la loi informatique et libertés.
Considérant les données culturelles comme une catégorie à part, le législateur français a instauré un régime d’exception limitant leur accès et leur réutilisation. Toutefois, en dépit de ce régime juridique peu favorable et des débats provoqués par l'ouverture de ces données, il semble au regard des quelques projets déjà lancés, que leur libération devienne effective. Les initiatives se multiplient dans le secteur culturel et donnent ainsi naissance à un mouvement d’Open Data culturel.
Compte tenu des réticences et critiques que suscite ce mouvement sur le plan juridique mais également économique, la France va devoir aménager le cadre juridique existant. Il est à souhaiter que le nouveau cadre juridique détermine de façon claire et précise la notion de données culturelles, les établissements culturels concernés, les conditions d'accès et de réutilisation (avec ou sans redevance, sous quelle licence) et les conditions d'exploitation des données culturelles comportant des données personnelles ou sur lesquelles des tiers détiennent des droits de propriété intellectuelle.
Avec ou sans refonte du régime juridique applicable, une question reste cependant en suspend : la mise à disposition de ce patrimoine informationnel constitue-t-elle une réelle opportunité économique pour les établissements culturels et le secteur privé ? La mise en oeuvre de politiques Open Data et le lancement de projets y afférent, tel que dernièrement la publication de tous les contenus d'Europeana (portail culturel paneuropéen sous licence Creative Commons) permettent d'espérer que l’Open Data culturel devienne une réalité permettant à des entreprises du secteur numérique notamment, de développer des produits et services enrichis à partir de ces données. (13)
* * * * * * * * * *
(1) A noter que la mission Etalab, créée par le précédent Gouvernement en février 2011, a été dissoute. Les missions d’Etalab sont transférées au nouveau Secrétariat général pour la modernisation de l’action publique.
(2) A ce sujet, voir notre article “Open Data : un plus large accès aux données publiques permettra t-il un véritable essor de leur réutilisation ?” publié sur ce blog en novembre 2011
(3) Voir l'Avis n°12 du Conseil national du numérique (CNNum) du 5 juin 2012 relatif à l’ouverture des données publiques.
(4) Loi n°78-753 du 17 juillet 1978, dite loi CADA, portant diverses mesures d'amélioration des relations entre l'administration et le public et diverses dispositions d'ordre administratif, social et fiscal.
(5) Voir le Rapport "open GLAM", publié au deuxième trimestre 2012, intitulé "Recommandations pour l'ouverture des données et des contenus culturels".
(6) Loi n°78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, modifiée, dite Loi informatique et libertés.
(7) Voir l'interview de François Braize, Inspecteur général des affaires culturelles, Lettre du COEPIA N°4, 2e trim. 2012, accessible à www.gouvernement.fr.
(8) Quelques groupes de réflexion ont publié des rapports, tels que "Partager notre patrimoine culturel" (mai 2009), proposant la création d'une charte en faveur de la mise à disposition des contenus culturels numériques, ou le rapport du groupe de travail "open Glam" (2e trim. 2012), proposant plusieurs recommandations visant à simplifier le cadre juridique actuel et à mettre en place de bonnes pratiques d'accès et de réutilisation des données pour les établissements culturels.
(9) Communiqué du Ministère de la Culture et de la Communication du 25 octobre 2012, accessible à l’URL: www.culturecommunication.gouv.fr.
(10) Directive 2003/98/CE du Parlement européen et du Conseil du 17 novembre 2003 concernant la réutilisation des informations du secteur public ; Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 2003/98/CE concernant la réutilisation des informations du secteur public, du 12 décembre 2011.
(11) Délibération de la CNIL n°2010-460 du 9 décembre 2010 portant recommandation relative aux conditions de réutilisation des données à caractère personnel contenues dans des documents d'archives publiques ; Communiqué CNIL du 16 mai 2011 intitulé "Comment concilier la protection de la vie privée et la réutilisation des archives publiques sur internet ?".
(12) Cour administrative d'appel de Lyon, 4 juillet 2012, Département du Cantal c. SA NotreFamille.com, n°11LY02325.
(13) Europeana - portail culturel paneuropéen, contenant plus de 20 millions d'oeuvres, fournies par 2.200 institutions partenaires (http://www.europeana.eu/portal/).
Bénédicte DELEPORTE – Avocat
Betty SFEZ – Avocat
Deleporte Wentz Avocat
www.dwavocat.com
Novembre 2012
En phase avec cette politique, les administrations sont de plus en plus nombreuses à mettre à disposition leurs données (données de transport, données cartographiques, statistiques, géographiques, sociologiques, données d’environnement, etc.) sous licence libre et dans des formats ouverts. Toutefois, la libéralisation de ces informations est loin d'être complètement acquise en France. (2)
Les données culturelles, occupant une place particulière parmi les données publiques, restent encore en retrait de ce mouvement. Ces données sont en effet soumises à un régime juridique d’exception qui devrait cependant évoluer. Malgré ce cadre juridique spécifique, quelques projets d’Open Data culturel ont été lancés par des établissements culturels.
1. L'"exception culturelle" comme frein à la mise à disposition des données culturelles
Une grande partie du patrimoine culturel français (oeuvres d’art, oeuvres culturelles et littéraires et autres documents de nature culturelle), est aujourd’hui conservée et gérée par des établissements publics : musées, bibliothèques, instituts et centres culturels nationaux, mais aussi les archives. Ces établissements détiennent et produisent de plus en plus de documents et de données culturelles, par le biais de la numérisation d’œuvres (textes et images), de production de données de référencement (bases de données, métadonnées, notices descriptives, etc.), de données d’activités (horaires et programmations, statistiques de fréquentations, géolocalisation des sites, etc.) ou plus généralement de données administratives (budgets, organigrammes, etc.). (3)
Ces données culturelles sont soumises à un régime juridique différent du régime général applicable aux autres données publiques.
1.1 Le régime juridique dérogatoire des données culturelles
Le cadre légal applicable aux données culturelles constitue une exception à la libre exploitation des données publiques. En effet, les données culturelles ne sont pas, par principe, libres de droits. Droit d’auteur, mais également règles de protection de la vie privée interfèrent avec la libre mise à disposition des données.
Les principes posés par la loi du 17 juillet 1978, dite loi CADA
La loi CADA a instauré le principe de libre diffusion et de réutilisation des informations publiques.(4) Cette loi prévoit ainsi le droit pour toute personne d’accéder aux documents administratifs et d’utiliser les informations y figurant. En outre, la loi impose aux administrations de communiquer ces documents à toute personne qui en fait la demande.
La loi CADA comprend également plusieurs dérogations au principe général de libre diffusion, notamment :
- L’exception culturelle : l'article 11 de la loi offre aux établissements d'enseignement, de recherche et culturels la possibilité de fixer eux-mêmes les conditions dans lesquelles les informations qu'ils détiennent peuvent être réutilisées par des tiers.
Alors que les autres administrations ont l'obligation de permettre la réutilisation de leurs données, les établissements culturels peuvent choisir de se placer, ou non, sous le régime de droit commun de la loi de 1978. Ces établissements conservent une certaine latitude pour écarter ou limiter la réutilisation de leurs données culturelles en soumettant leur diffusion à des conditions tarifaires et/ou contractuelles spécifiques.
Cet article 11 a ainsi été invoqué à plusieurs reprises devant les tribunaux, notamment par des services d'archives départementales, pour refuser la mise à disposition des données leur appartenant.
- Le respect des droits de propriété intellectuelle : les articles 9 et 10 de la loi CADA disposent que "les documents administratifs sont communiqués sous réserve des droits de propriété littéraire et artistique" ; "Ne sont pas considérées comme des informations publiques, (...) les informations (...) sur lesquelles des tiers détiennent des droits de propriété intellectuelle".
Les droits de propriété intellectuelle (droit d’auteur et droits voisins) confèrent à leurs titulaires un monopole d'exploitation permettant de contrôler la diffusion de leurs oeuvres, et ce pendant la durée de vie de l’auteur et 70 ans après sa mort (droits patrimoniaux).
Les établissements culturels peuvent être soit titulaires de droits sur les œuvres initiées et dirigées par l’établissement, soit cessionnaires pour toutes les autres œuvres cédées volontairement, dans le cadre d’un marché public par exemple, ou automatiquement, s’il s’agit d’une œuvre d’un agent de l’État, qui relèverait de l’article L.131-3-1 du Code de la propriété intellectuelle.
En qualité de titulaires de droits sur leurs oeuvres, les établissements culturels conservent une entière liberté pour entrer dans une démarche d’Open Data, sous réserve de ne pas avoir conclu de contrats exclusifs et/ou partenariats qui limiteraient par ailleurs cette faculté. En revanche, la qualité de cessionnaire de l’établissement culturel ne permettra d’entreprendre une telle démarche que si l'acte de cession autorise une diffusion et une réutilisation de l'oeuvre ou des données culturelles compatible avec le projet d'Open Data envisagé par l'établissement. (5)
- Le respect de la loi informatique et libertés : l'article 13 de la loi CADA dispose que "les informations publiques comportant des données à caractère personnel peuvent faire l'objet d'une réutilisation soit lorsque la personne intéressée y a consenti, soit si l'autorité détentrice est en mesure de les rendre anonymes ou, à défaut d'anonymisation, si une disposition législative ou réglementaire le permet. La réutilisation d'informations publiques comportant des données à caractère personnel est subordonnée au respect des dispositions de la loi informatique et libertés de 1978".
La loi informatique et libertés définit les règles de protection des données à caractère personnel, à savoir toute information permettant d'identifier une personne physique, directement ou indirectement (nom, prénom, adresses postale et électronique, etc.). (6) Les documents détenus par les services d'état civil et d'archives de l'Etat comprennent donc des données à caractère personnel au sens de la loi informatique et libertés.
La circulaire du 26 mai 2011
Cette circulaire porte sur la création du portail internet data.gouv.fr, lancé fin 2011 avec le soutien de la mission gouvernementale Etalab. Elle fixe le principe, pour les administrations, d’autoriser la réutilisation gratuite de leurs données ; les administrations ne pouvant imposer de redevances que si “des circonstances particulières le justifient” et par le biais d'une procédure relativement lourde instaurée par décret du Premier Ministre.
Néanmoins, s’inspirant de l’exception prévue à l’article 11 de la loi CADA, la circulaire prévoit une dérogation en faveur des établissements culturels qui peuvent décider “s’ils le souhaitent”, de mettre à disposition leurs données sur le portail data.gouv.fr. Cela explique en grande partie la faible part des données culturelles sur le portail.
En conséquence, le cadre législatif existant n'encourage pas l'ouverture des données culturelles pour une libre réutilisation. L'existence de cette exception culturelle est-elle pour autant justifiée ?
1.2 L'exclusion des données culturelles du domaine des données publiques est-elle justifiée ?
Les obstacles économiques à l'ouverture des données culturelles à l’Open Data
Pour certains, l’exception culturelle est justifiée compte tenu de la nature des données culturelles (nativement extra-numériques pour la plupart d’entre elles) et de leur diversité.
Dans le cadre d'un rapport remis au Ministre de la Culture au deuxième trimestre 2012, l'Inspection Générale des Affaires Culturelles (IGAC) a confirmé pour sa part que les données culturelles ne devaient pas être traitées comme des informations administratives ordinaires et qu'il convenait d'organiser un régime de réutilisation adapté à cette spécificité. (7)
Certains établissements, en faveur du maintien de l’exception, considèrent que l'ouverture de leurs données conduirait à des pertes financières, qu'ils souhaitent éviter tant le financement culturel reste fragile et périlleux. Les établissements culturels tirent notamment leurs revenus, outre des droits d’entrée des visiteurs, grâce à la revente des images de leurs collections à la presse et aux éditeurs. La mise à la disposition du public de tout ou partie de leurs données culturelles, à titre gratuit, pourrait donc mettre en danger une part non négligeable des sources de revenus de ces établissements.
Par ailleurs, le coût de la numérisation des données constitue, à lui seul, un frein majeur à leur mise à disposition gratuite.
Des opportunités à ne pas négliger
L’exception culturelle est cependant contestée par plusieurs groupes de travail et de réflexion en faveur d'un Open Data culturel (ex: groupe de travail Open GLAM). (8)
La mise en place de plateformes internet par les établissements culturels peut augmenter la visibilité des oeuvres et collections dont ils disposent, et ainsi fidéliser et diversifier leur public. L'ouverture des données peut également contribuer à valoriser les lieux culturels et entraîner une augmentation de leur fréquentation.
En outre, les données culturelles émanant du secteur public peuvent constituer un potentiel de croissance dans la mesure où d'autres acteurs (entreprises du secteur privé, associations) peuvent les réutiliser pour proposer des services et contenus enrichis, contribuant, d'une part au développement économique et d'autre part, à une meilleure visibilité du patrimoine, en particulier des sites et collections les moins connus.
Enfin, chaque année des appels à projets de numérisation sont lancés par le Ministère de la Culture. Ces projets s'adressent aux acteurs culturels, publics et privés à but non lucratif, et ont pour objectif de financer la numérisation de collections. Le dernier appel a été lancé le 5 octobre 2012. (9)
L'Open Data culturel permettrait ainsi de stimuler l'innovation technologique et par conséquent, de soutenir la croissance économique. Aussi, face à de telles opportunités, et dans un souci d'accès pour tous au patrimoine culturel, une évolution vers plus d’ouverture des données culturelles semble être en marche.
2. Un mouvement de libéralisation des données culturelles se dessine pourtant en France
L'Open Data culturel tend à devenir une réalité en France malgré le régime d’exception applicable à ces données et la réglementation protectrice de la propriété intellectuelle et de la vie privée. Quelques propositions pour faire évoluer le cadre juridique existant et diverses initiatives lancées dans le secteur culturel attestent de ce mouvement.
2.1 Vers une évolution du cadre juridique applicable aux données culturelles ?
Constatant la difficulté d’articuler les contraintes de la réglementation protectrice de la propriété intellectuelle et de la vie privée avec la loi CADA de 1978 et avec la politique numérique de promotion de l’Open Data, une évolution du cadre juridique applicable est souhaitée.
La proposition de directive communautaire de décembre 2011
Cette proposition de directive vise à réviser la directive de 2003 portant sur la réutilisation des informations du secteur public. La directive de 2003 exclut de son champ d'application les données détenues par les établissements d'enseignement, de recherche et les établissements culturels (musées, bibliothèques, archives, orchestres, opéras, ballets et théâtres).
La proposition de directive a pour but de promouvoir une véritable ouverture des données publiques en posant le principe selon lequel celles-ci seront automatiquement réutilisables. Cette proposition de directive étendrait son champ d'application aux données détenues par les bibliothèques, les musées et les archives, mais exclurait les autres institutions culturelles telles que les opéras, ballets ou théâtres et les archives détenues par ces établissements. Par contre, la réutilisation de ces données ne pourrait se faire que dans le respect des droits de propriété intellectuelle de leurs ayants droit. (10)
L’avis du Conseil National du Numérique de juin 2012 sur l’Open Data
Parmi les propositions émises par le CNNum dans l’avis précité figure la promotion de la réutilisation des données culturelles et leur réintégration dans le régime de droit commun. Selon le CNNum, le régime d'exception instauré par la loi CADA s'appliquant à tout le secteur culturel, sans distinction aucune, ne serait pas justifié et devrait être nettement plus nuancé.
En outre, le CNNum préconise la clarification des questions de propriété intellectuelle relatives à la réutilisation des oeuvres numérisées et des données soumises au droit d'auteur des agents publics.
2.2 Les initiatives lancées par les musées et bibliothèques
Plusieurs associations et établissements culturels travaillent sur des projets d'Open Data culturel. Parmi les initiatives les plus récentes, on peut citer :
Le projet de valorisation numérique du patrimoine de l’AGCCPF PACA
L’Association des Conservateurs des Collections Publiques de France (section fédérée PACA), mène depuis quelques années une réflexion sur la valorisation numérique du patrimoine et sur les nouvelles pratiques culturelles au cœur des cultures numériques.
L'Association a décidé d’axer son volet numérique 2012 sur le thème de l’ouverture et de la réutilisation des données culturelles. Le projet est réalisé en partenariat avec la Fondation Internet Nouvelle Génération (FING) et avec l’aide du Département des programmes numériques du Ministère de la Culture et de la Communication. Les objectifs de ce projet sont multiples, notamment disposer d’une cartographie générale de la connaissance des musées sur cette question et mettre à plat l’ensemble des questions que se posent les professionnels qui souhaiteraient diffuser leurs données en Open Data.
A cette fin, en avril 2012, l'Association a envoyé un questionnaire aux 180 musées du réseau et organisé des journées d’étude à la réutilisation des données publiques et à l’Open Data culturel, destinées aux conservateurs, développeurs, concepteurs de jeux vidéo, étudiants, data journalistes et responsables de collectivités territoriales.
La stratégie numérique de la RMN-Grand Palais
L'Etablissement public de la Réunion des musées nationaux et du Grand Palais des Champs-Élysées, fusion du Grand Palais avec la RMN, a été créé en janvier 2011. Le décret du 13 janvier 2011, définissant ses missions, prévoit que l’établissement doit constituer une photothèque universelle regroupant les reproductions photographiques des collections de l’Etat et en assurer la conservation, la valorisation et la diffusion numérique.
Afin de répondre à cette mission et dans le cadre d'une stratégie numérique globale, l'établissement a lancé le portail internet www.photo.rmn.fr, regroupant plus de 700.000 images photographiques d'oeuvres d'art. A noter que la réutilisation d'images du site photo.rmn.fr par les professionnels n'est pas gratuite, mais soumise au paiement de droits pour leur exploitation et, pour les photos qui ne sont pas encore tombées dans le domaine public, à l'accord des ayants droit. Par ailleurs, la RMN travaille actuellement sur le projet d'une plateforme regroupant de très nombreux jeux de données, devant être lancée courant 2013.
Le Centre Pompidou virtuel
En octobre 2011, le Centre Pompidou a lancé le "Centre Pompidou virtuel" (http://www.centrepompidou.fr/), une plateforme internet donnant accès à l’ensemble des contenus culturels produits par le Centre : images et dossiers des œuvres de la collection, dossiers pédagogiques, interviews vidéo d’artistes et de commissaires, captations de colloques et de conférences, archives, etc.
Les bibliothèques nationales
Plusieurs initiatives ont également été lancées par les bibliothèques.
Ainsi, en janvier 2012, la bibliothèque nationale universitaire de Strasbourg a décidé d'autoriser la libre réutilisation des fichiers images qu'elle produit, en les plaçant sous Licence Ouverte / Open Licence (http://www.bnu.fr/).
La Bibliothèque nationale de France (BNF) a lancé en juillet 2012 un nouveau site Internet (http://data.bnf.fr/) qui regroupe toutes les informations issues de ses différents catalogues ainsi que de sa bibliothèque numérique Gallica.
2.3 Les archives et données généalogiques
Les archives et données généalogiques sont également considérées par la loi comme des données culturelles. Ces données un peu particulières comprennent des données à caractère personnel. La CNIL a dû se prononcer sur leurs conditions de réutilisation, illustrées par une décision judiciaire récente.
La recommandation de la CNIL de décembre 2010
Régulièrement consultée par les services des archives, les élus, les associations ou les sociétés privées spécialisées dans la recherche généalogique, et donc souvent confrontée aux difficultés soulevées par l'articulation de la loi informatique et libertés avec la loi CADA et le code du patrimoine, la CNIL a publié une recommandation relative aux conditions de réutilisation des données publiques comportant des données personnelles. (11)
La CNIL précise les cas dans lesquels la réutilisation de données personnelles contenues dans des documents d’archives est à exclure ou, au contraire, possible moyennant certaines précautions. Ainsi, selon la CNIL, la réutilisation des données est possible dans le cas où la personne concernée a donné son accord exprès et a été informée de façon claire et complète sur les finalités, les données concernées, les destinataires des données, et leurs droits d’opposition, d’accès, de rectification, et de suppression.
L’arrêt Notrefamille.com et la réutilisation des données généalogiques détenues par le service des archives départementales
Un litige opposait le Conseil général du Cantal à la société Notrefamille.com, éditant le site internet genealogie.com. La société Notrefamille.com souhaitait réutiliser les archives des services départementaux à des fins commerciales et avait demandé, à plusieurs reprises et en vain, au président du Conseil général du Cantal de lui communiquer des cahiers de recensement des années 1831 à 1931 détenus par le service des archives. Face au refus persistant de la collectivité, la société Notrefamille.com a alors saisi le juge administratif. Dans un jugement du 13 juillet 2011, le Tribunal administratif de Clermont-Ferrand a enjoint la collectivité de communiquer les documents.
La collectivité a interjeté appel. Dans un arrêt du 4 juillet 2012, la Cour administrative d’appel de Lyon a jugé que les informations publiques, figurant dans les documents détenus par les services des archives publiques, relevaient de la liberté de réutilisation consacrée de façon générale par la loi CADA de 1978.
Toutefois, les magistrats lyonnais ont considéré qu’il appartenait à l’administration, saisie d’une demande de réutilisation de ces documents, de s’assurer que cette réutilisation satisfaisait aux exigences posées par la loi informatique et libertés. Or, la société Notrefamille.com prévoyait de transférer les données à Madagascar, et n'avait pas obtenu l'autorisation préalable de la CNIL prévue par loi. Selon la Cour, la collectivité était donc tenue de rejeter la demande de la société Notrefamille.com. En conséquence, les juges d’appel ont annulé le jugement du tribunal administratif de Clermont-Ferrand. (12)
Une société peut donc réutiliser, à des fins commerciales, les données contenues dans les actes conservés par les archives départementales, sous réserve d'être en conformité avec la loi informatique et libertés.
Considérant les données culturelles comme une catégorie à part, le législateur français a instauré un régime d’exception limitant leur accès et leur réutilisation. Toutefois, en dépit de ce régime juridique peu favorable et des débats provoqués par l'ouverture de ces données, il semble au regard des quelques projets déjà lancés, que leur libération devienne effective. Les initiatives se multiplient dans le secteur culturel et donnent ainsi naissance à un mouvement d’Open Data culturel.
Compte tenu des réticences et critiques que suscite ce mouvement sur le plan juridique mais également économique, la France va devoir aménager le cadre juridique existant. Il est à souhaiter que le nouveau cadre juridique détermine de façon claire et précise la notion de données culturelles, les établissements culturels concernés, les conditions d'accès et de réutilisation (avec ou sans redevance, sous quelle licence) et les conditions d'exploitation des données culturelles comportant des données personnelles ou sur lesquelles des tiers détiennent des droits de propriété intellectuelle.
Avec ou sans refonte du régime juridique applicable, une question reste cependant en suspend : la mise à disposition de ce patrimoine informationnel constitue-t-elle une réelle opportunité économique pour les établissements culturels et le secteur privé ? La mise en oeuvre de politiques Open Data et le lancement de projets y afférent, tel que dernièrement la publication de tous les contenus d'Europeana (portail culturel paneuropéen sous licence Creative Commons) permettent d'espérer que l’Open Data culturel devienne une réalité permettant à des entreprises du secteur numérique notamment, de développer des produits et services enrichis à partir de ces données. (13)
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(1) A noter que la mission Etalab, créée par le précédent Gouvernement en février 2011, a été dissoute. Les missions d’Etalab sont transférées au nouveau Secrétariat général pour la modernisation de l’action publique.
(2) A ce sujet, voir notre article “Open Data : un plus large accès aux données publiques permettra t-il un véritable essor de leur réutilisation ?” publié sur ce blog en novembre 2011
(3) Voir l'Avis n°12 du Conseil national du numérique (CNNum) du 5 juin 2012 relatif à l’ouverture des données publiques.
(4) Loi n°78-753 du 17 juillet 1978, dite loi CADA, portant diverses mesures d'amélioration des relations entre l'administration et le public et diverses dispositions d'ordre administratif, social et fiscal.
(5) Voir le Rapport "open GLAM", publié au deuxième trimestre 2012, intitulé "Recommandations pour l'ouverture des données et des contenus culturels".
(6) Loi n°78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, modifiée, dite Loi informatique et libertés.
(7) Voir l'interview de François Braize, Inspecteur général des affaires culturelles, Lettre du COEPIA N°4, 2e trim. 2012, accessible à www.gouvernement.fr.
(8) Quelques groupes de réflexion ont publié des rapports, tels que "Partager notre patrimoine culturel" (mai 2009), proposant la création d'une charte en faveur de la mise à disposition des contenus culturels numériques, ou le rapport du groupe de travail "open Glam" (2e trim. 2012), proposant plusieurs recommandations visant à simplifier le cadre juridique actuel et à mettre en place de bonnes pratiques d'accès et de réutilisation des données pour les établissements culturels.
(9) Communiqué du Ministère de la Culture et de la Communication du 25 octobre 2012, accessible à l’URL: www.culturecommunication.gouv.fr.
(10) Directive 2003/98/CE du Parlement européen et du Conseil du 17 novembre 2003 concernant la réutilisation des informations du secteur public ; Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 2003/98/CE concernant la réutilisation des informations du secteur public, du 12 décembre 2011.
(11) Délibération de la CNIL n°2010-460 du 9 décembre 2010 portant recommandation relative aux conditions de réutilisation des données à caractère personnel contenues dans des documents d'archives publiques ; Communiqué CNIL du 16 mai 2011 intitulé "Comment concilier la protection de la vie privée et la réutilisation des archives publiques sur internet ?".
(12) Cour administrative d'appel de Lyon, 4 juillet 2012, Département du Cantal c. SA NotreFamille.com, n°11LY02325.
(13) Europeana - portail culturel paneuropéen, contenant plus de 20 millions d'oeuvres, fournies par 2.200 institutions partenaires (http://www.europeana.eu/portal/).
Bénédicte DELEPORTE – Avocat
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Novembre 2012
vendredi 5 octobre 2012
E-commerce : les conditions de validité et d’opposabilité des contrats de vente en ligne B-to-C
Sur un site marchand, l’achat d’un produit ou d’un service, et donc la contractualisation de l’acte d’achat est réglementée et passe par plusieurs étapes que l’on peut résumer comme suit : la consultation du site web et de l'offre par l'internaute, suivie de la sélection du/des produits ou services, la vérification puis la confirmation de la commande, le paiement, puis côté marchand, la confirmation de la commande par le e-commerçant et enfin la livraison du produit ou du service commandé.
Cette succession d’étapes nous conduit à revenir sur les conditions de formation et de validité du contrat de vente en ligne : à quel moment et à quelles conditions le contrat de vente est-il considéré comme conclu ? Comment s’assurer que les conditions de vente sont effectivement acceptées et opposables aux acheteurs ?
Nous rappelons ci-après les règles applicables aux contrats conclus en ligne, dans une relation B-to-C et plus particulièrement la procédure de contractualisation et les conditions d’opposabilité du contrat aux parties.
1. La conclusion du contrat de vente en ligne
1.1 L'offre de vente et l’information sur les produits ou services
Sur un site marchand, la description des produits n’est pas considérée comme une “simple” publicité, ni comme la “simple” fourniture d’informations. La description des produits proposés à la vente est considérée juridiquement comme une offre de contracter qui engage le e-commerçant. A ce titre, la description doit être complète, loyale (ne pas induire le consommateur en erreur) et à jour (les produits doivent être disponibles).
Un e-commerçant pourrait par exemple voir sa responsabilité engagée si la description des produits (couleur, taille, origine, composition, etc.) n’était pas conforme à la réalité.
Ainsi, l'offre de vente doit notamment préciser les caractéristiques essentielles (qualitatives et quantitatives) des produits, le prix en euros TTC et s’il y a lieu, les frais qui viendront s’ajouter au prix de vente (frais de livraison, le cas échéant, droits de douane). L’offre doit en outre mentionner, de manière claire et compréhensible, un certain nombre d’éléments relatifs à l’exécution de la vente : modalités de paiement, date limite de livraison, existence ou non du droit de rétractation, etc. (1)
1.2 La contractualisation en ligne
Le processus de contractualisation comprend deux étapes : la vérification de la commande puis sa confirmation par l’acheteur (procédure du "double-clic").
Dans un premier temps, pour que la commande soit valablement conclue, l'acheteur doit avoir pu la vérifier (détail de la commande et prix total, y compris les frais de livraison et autres frais annexes éventuels). Dans un second temps, le contrat est finalement conclu lorsque, après avoir pu vérifier le détail de sa commande, l'acheteur confirme la commande. Le e-commerçant doit alors sans délai, accuser réception de celle-ci par voie électronique, généralement par l’émission automatique d’un accusé de réception. Cet accusé de réception ne constitue qu'une information indiquant au client que sa commande a été prise en compte par le e-commerçant, et n’a pas de valeur contractuelle en soi.
Pour rappel, les pratiques ou les clauses contractuelles qui permettraient à l'e-commerçant de modifier de façon unilatérale le prix, d'ajouter unilatéralement le coût de la livraison qui n'aurait pas été contractuellement fixé (et non agréé par le client) ou de rajouter des produits ou services (extension de garantie ou assurance par exemple) dans le panier de l'acheteur, en pré-cochant des cases, sont prohibées.
Au cas où l’un des éléments relatifs à l’exécution de la commande (tels les frais de livraison) ne serait pas renseigné au moment de la passation de la commande, le contrat ne sera pas considéré comme conclu. Si le bien vendu doit être livré, et que la livraison est payante, le contrat à distance ne sera réputé conclu qu’après que l’acheteur ait reçu les informations relatives à la livraison (frais de livraison, délais et conditions) et ait confirmé son acceptation de la commande.
Une fois le contrat valablement conclu, le marchand est tenu de l’exécuter dans les termes agréés. Le e-commerçant est responsable de plein droit de la bonne fin de la vente jusqu’à la livraison du produit à l’acheteur et ce, que l’intégralité des obligations contractuelles soient exécutées par lui-même ou non (sous-traitance de la logistique, du transport, etc.).
2. L’opposabilité, à l’acheteur, du contrat conclu en ligne
2.1 L'acceptation effective des conditions générales de vente (CGV)
En application de l’article 1369-4 du code civil “Quiconque propose, à titre professionnel, par voie électronique, la fourniture de biens ou la prestation de services, met à disposition les conditions contractuelles applicables d'une manière qui permette leur conservation et leur reproduction. (…)”
Tout e-commerçant doit donc mettre ses CGV à disposition, en ligne. Les CGV, si elles sont correctement rédigées, auront l'avantage de regrouper en un seul document l'ensemble des informations contractuelles requises par la loi, devant être fournies à l'acheteur.
L'article L.121-19 du Code de la consommation prévoit en outre que l'acheteur doit recevoir par écrit ("ou sur un autre support durable à sa disposition"), en temps utile et au plus tard au moment de la livraison, certaines informations telles que : la confirmation des informations mentionnées dans l'offre de vente, les conditions et les modalités d'exercice du droit de rétractation, l'adresse de l'e-commerçant où l'acheteur peut présenter ses réclamations, etc.
Toutefois, la simple mise en ligne des CGV sur le site web, la simple mention d'application des CGV à la commande ou encore l’indication que le e-commerçant se réserve le droit de modifier les CGV à tout moment, sans qu’une procédure d’acceptation des CGV n’ait été mise en place, ne suffisent pas à prouver que le e-commerçant a rempli son obligation d'information contractuelle et que le consommateur a effectivement accepté les CGV du marchand.
A défaut de procédure d'acceptation effective des CGV, ou de leur version modifiée, celles-ci pourront être déclarées inopposables à l'acheteur en cas de contentieux. Dans ce cas, le juge appliquera les conditions issues de la loi, de la jurisprudence et de l'équité, ce qui créera un degré d’incertitude pour le commerçant, qui risquera de se voir opposer des conditions différentes et/ou moins favorables que prévues aux CGV.
Afin de s’assurer que ses CGV seront opposables aux acheteurs, le e-commerçant doit prévoir une procédure d'acceptation effective des CGV, à renouveler lors de leur modification (ou au moment de la passation d’une nouvelle commande, postérieurement à la modification des CGV).
Par ailleurs, de très nombreux sites marchands font accepter leurs conditions contractuelles en faisant cocher une case avec une mention du type "J'ai lu et j'accepte les CGV", avec un lien hypertexte renvoyant vers la page des CGV sur le site.
Cette pratique, qui était juridiquement acceptée jusqu’à maintenant, vient d’être invalidée par la Cour de Justice de l’Union européenne dans un arrêt de juillet 2012, qui l’estime contraire à l'article 5 §1 de la directive 97/7 concernant la protection des consommateurs en matière de contrats à distance (transposé à l'article L.121-19 du code de la consommation mentionné ci-dessus). Dans cet arrêt, la Cour rappelle, que “(…) le consommateur doit recevoir, par écrit ou sur un autre support durable à sa disposition et auquel il a accès, confirmation des informations mentionnées à l’article 4 par.1(…), en temps utile lors de l’exécution du contrat et au plus tard au moment de la livraison (…), à moins que ces informations n’aient déjà été fournies au consommateur préalablement à la conclusion du contrat par écrit ou sur un autre support durable à sa disposition et auquel il a accès.(…)”.
La Cour considère que lorsque les informations contenues dans les CGV ne sont accessibles que via un lien communiqué au consommateur, ces informations (i) ne sont ni "fournies" au consommateur, ni "reçues" par celui-ci et (ii) ne peuvent être considérées comme fournies sur "un support durable" au sens de la directive. (2)
Les conditions d’acceptation des CGV ont ainsi été renforcées par une interprétation stricte des dispositions de la directive de 1997 par les juges européens. Il est donc recommandé de revoir les conditions d’acceptations des CGV en ligne afin d’éviter les procédures en inopposabilité de ces CGV.
2.2 Le délai de prescription, l’archivage du contrat et l’opposabilité dans le temps
La question de l’opposabilité des CGV aux acheteurs ne se pose pas uniquement pendant l’exécution du contrat de vente, mais jusqu’à l’expiration du délai de prescription des actions en responsabilité.
Même si le contrat de vente en ligne expire après exécution de la livraison (étendue à la durée de la garantie légale, et éventuellement d’une garantie contractuelle plus longue), l’acheteur conserve la possibilité d’intenter une action en responsabilité à l’encontre du vendeur pendant un délai de plusieurs années après l’expiration du contrat.
Le droit de la prescription civile a été modifié avec la loi du 17 août 2008. Le délai de prescription de droit commun est ainsi passé de 30 ans à 5 ans. (3) Ce délai de 5 ans concerne les contrats conclus en ligne avec les consommateurs.
Ce délai de droit commun comporte cependant de nombreuses exceptions.
Outre, ce délai de prescription, tout e-commerçant a l’obligation, pour les contrats d’un montant supérieur à 120€ TTC, de conserver le contrat et de le tenir à la disposition du consommateur pendant une durée de 10 ans à compter de sa conclusion. (4) Le e-commerçant est donc dans l’obligation de conserver et d’archiver les CGV applicables au moment de la conclusion de la vente, ainsi que les éléments contractuels (commande, description du bien ou du service). La conservation de ces documents est nécessaire pour que les parties puissent faire valoir leurs droits en cas de contestation future, pendant la période non-prescrite.
Cet archivage électronique devra être réalisé de manière à ce que le e-commerçant puisse à tout moment produire le contrat à la demande de l’acheteur, de l’administration (en cas de contrôle fiscal par exemple) et en cas de litige avec un acheteur, pendant la période non-prescrite. La norme d’archivage de référence est la norme AFNOR Z42-013 / ISO 14641-1. Bien que cette norme ne soit pas impérative, elle constitue néanmoins le référentiel en matière d’archivage électronique.
Il est donc recommandé aux e-commerçants de s’assurer de la conformité à la loi de leur procédure de contractualisation en ligne et de conservation des documents contractuels et, à défaut, de prendre toutes mesures nécessaires de mise en conformité pour s’assurer notamment que leurs conditions de vente sont effectivement opposables aux acheteurs, non seulement au moment de la conclusion de la vente, mais pendant toute la durée de conservation, jusqu’à l’expiration des délais de prescription.
Le non-respect de certaines des obligations mentionnées dans notre article est sanctionné pénalement par une contravention de 5e classe, soit, pour les personnes morales, un montant maximum de 7.500€, pouvant être porté à 15.000€ en cas de récidive.
* * * * * * * * * * *
(1) Voir les art. L.111-1 et s., L.113-1 et s., et L.121-18 et s., R.121-1 et s. du Code de la consommation ; art. 1369-4 du Code civil.
(2) Voir l’arrêt CJUE 3é ch. du 5 juillet 2012, Content Services Ltd c/ Bundesarbeitskammer, aff. C-49/11 et notre article “Vente en ligne : les conditions d’opposabilité des informations contractuelles au consommateur précisées par la CJUE” publié sur ce blog en août 2012
(3) Loi 2008-561 portant réforme de la prescription en matière civile
(4) Voir Art. L.134-2 du Code de la consommation et le décret d’application n°2005-137 du 16 février 2005.
Bénédicte DELEPORTE - Avocat
Betty SFEZ - Avocat
Deleporte Wentz Avocat
www.dwavocat.com
Octobre 2012
Cette succession d’étapes nous conduit à revenir sur les conditions de formation et de validité du contrat de vente en ligne : à quel moment et à quelles conditions le contrat de vente est-il considéré comme conclu ? Comment s’assurer que les conditions de vente sont effectivement acceptées et opposables aux acheteurs ?
Nous rappelons ci-après les règles applicables aux contrats conclus en ligne, dans une relation B-to-C et plus particulièrement la procédure de contractualisation et les conditions d’opposabilité du contrat aux parties.
1. La conclusion du contrat de vente en ligne
1.1 L'offre de vente et l’information sur les produits ou services
Sur un site marchand, la description des produits n’est pas considérée comme une “simple” publicité, ni comme la “simple” fourniture d’informations. La description des produits proposés à la vente est considérée juridiquement comme une offre de contracter qui engage le e-commerçant. A ce titre, la description doit être complète, loyale (ne pas induire le consommateur en erreur) et à jour (les produits doivent être disponibles).
Un e-commerçant pourrait par exemple voir sa responsabilité engagée si la description des produits (couleur, taille, origine, composition, etc.) n’était pas conforme à la réalité.
Ainsi, l'offre de vente doit notamment préciser les caractéristiques essentielles (qualitatives et quantitatives) des produits, le prix en euros TTC et s’il y a lieu, les frais qui viendront s’ajouter au prix de vente (frais de livraison, le cas échéant, droits de douane). L’offre doit en outre mentionner, de manière claire et compréhensible, un certain nombre d’éléments relatifs à l’exécution de la vente : modalités de paiement, date limite de livraison, existence ou non du droit de rétractation, etc. (1)
1.2 La contractualisation en ligne
Le processus de contractualisation comprend deux étapes : la vérification de la commande puis sa confirmation par l’acheteur (procédure du "double-clic").
Dans un premier temps, pour que la commande soit valablement conclue, l'acheteur doit avoir pu la vérifier (détail de la commande et prix total, y compris les frais de livraison et autres frais annexes éventuels). Dans un second temps, le contrat est finalement conclu lorsque, après avoir pu vérifier le détail de sa commande, l'acheteur confirme la commande. Le e-commerçant doit alors sans délai, accuser réception de celle-ci par voie électronique, généralement par l’émission automatique d’un accusé de réception. Cet accusé de réception ne constitue qu'une information indiquant au client que sa commande a été prise en compte par le e-commerçant, et n’a pas de valeur contractuelle en soi.
Pour rappel, les pratiques ou les clauses contractuelles qui permettraient à l'e-commerçant de modifier de façon unilatérale le prix, d'ajouter unilatéralement le coût de la livraison qui n'aurait pas été contractuellement fixé (et non agréé par le client) ou de rajouter des produits ou services (extension de garantie ou assurance par exemple) dans le panier de l'acheteur, en pré-cochant des cases, sont prohibées.
Au cas où l’un des éléments relatifs à l’exécution de la commande (tels les frais de livraison) ne serait pas renseigné au moment de la passation de la commande, le contrat ne sera pas considéré comme conclu. Si le bien vendu doit être livré, et que la livraison est payante, le contrat à distance ne sera réputé conclu qu’après que l’acheteur ait reçu les informations relatives à la livraison (frais de livraison, délais et conditions) et ait confirmé son acceptation de la commande.
Une fois le contrat valablement conclu, le marchand est tenu de l’exécuter dans les termes agréés. Le e-commerçant est responsable de plein droit de la bonne fin de la vente jusqu’à la livraison du produit à l’acheteur et ce, que l’intégralité des obligations contractuelles soient exécutées par lui-même ou non (sous-traitance de la logistique, du transport, etc.).
2. L’opposabilité, à l’acheteur, du contrat conclu en ligne
2.1 L'acceptation effective des conditions générales de vente (CGV)
En application de l’article 1369-4 du code civil “Quiconque propose, à titre professionnel, par voie électronique, la fourniture de biens ou la prestation de services, met à disposition les conditions contractuelles applicables d'une manière qui permette leur conservation et leur reproduction. (…)”
Tout e-commerçant doit donc mettre ses CGV à disposition, en ligne. Les CGV, si elles sont correctement rédigées, auront l'avantage de regrouper en un seul document l'ensemble des informations contractuelles requises par la loi, devant être fournies à l'acheteur.
L'article L.121-19 du Code de la consommation prévoit en outre que l'acheteur doit recevoir par écrit ("ou sur un autre support durable à sa disposition"), en temps utile et au plus tard au moment de la livraison, certaines informations telles que : la confirmation des informations mentionnées dans l'offre de vente, les conditions et les modalités d'exercice du droit de rétractation, l'adresse de l'e-commerçant où l'acheteur peut présenter ses réclamations, etc.
Toutefois, la simple mise en ligne des CGV sur le site web, la simple mention d'application des CGV à la commande ou encore l’indication que le e-commerçant se réserve le droit de modifier les CGV à tout moment, sans qu’une procédure d’acceptation des CGV n’ait été mise en place, ne suffisent pas à prouver que le e-commerçant a rempli son obligation d'information contractuelle et que le consommateur a effectivement accepté les CGV du marchand.
A défaut de procédure d'acceptation effective des CGV, ou de leur version modifiée, celles-ci pourront être déclarées inopposables à l'acheteur en cas de contentieux. Dans ce cas, le juge appliquera les conditions issues de la loi, de la jurisprudence et de l'équité, ce qui créera un degré d’incertitude pour le commerçant, qui risquera de se voir opposer des conditions différentes et/ou moins favorables que prévues aux CGV.
Afin de s’assurer que ses CGV seront opposables aux acheteurs, le e-commerçant doit prévoir une procédure d'acceptation effective des CGV, à renouveler lors de leur modification (ou au moment de la passation d’une nouvelle commande, postérieurement à la modification des CGV).
Par ailleurs, de très nombreux sites marchands font accepter leurs conditions contractuelles en faisant cocher une case avec une mention du type "J'ai lu et j'accepte les CGV", avec un lien hypertexte renvoyant vers la page des CGV sur le site.
Cette pratique, qui était juridiquement acceptée jusqu’à maintenant, vient d’être invalidée par la Cour de Justice de l’Union européenne dans un arrêt de juillet 2012, qui l’estime contraire à l'article 5 §1 de la directive 97/7 concernant la protection des consommateurs en matière de contrats à distance (transposé à l'article L.121-19 du code de la consommation mentionné ci-dessus). Dans cet arrêt, la Cour rappelle, que “(…) le consommateur doit recevoir, par écrit ou sur un autre support durable à sa disposition et auquel il a accès, confirmation des informations mentionnées à l’article 4 par.1(…), en temps utile lors de l’exécution du contrat et au plus tard au moment de la livraison (…), à moins que ces informations n’aient déjà été fournies au consommateur préalablement à la conclusion du contrat par écrit ou sur un autre support durable à sa disposition et auquel il a accès.(…)”.
La Cour considère que lorsque les informations contenues dans les CGV ne sont accessibles que via un lien communiqué au consommateur, ces informations (i) ne sont ni "fournies" au consommateur, ni "reçues" par celui-ci et (ii) ne peuvent être considérées comme fournies sur "un support durable" au sens de la directive. (2)
Les conditions d’acceptation des CGV ont ainsi été renforcées par une interprétation stricte des dispositions de la directive de 1997 par les juges européens. Il est donc recommandé de revoir les conditions d’acceptations des CGV en ligne afin d’éviter les procédures en inopposabilité de ces CGV.
2.2 Le délai de prescription, l’archivage du contrat et l’opposabilité dans le temps
La question de l’opposabilité des CGV aux acheteurs ne se pose pas uniquement pendant l’exécution du contrat de vente, mais jusqu’à l’expiration du délai de prescription des actions en responsabilité.
Même si le contrat de vente en ligne expire après exécution de la livraison (étendue à la durée de la garantie légale, et éventuellement d’une garantie contractuelle plus longue), l’acheteur conserve la possibilité d’intenter une action en responsabilité à l’encontre du vendeur pendant un délai de plusieurs années après l’expiration du contrat.
Le droit de la prescription civile a été modifié avec la loi du 17 août 2008. Le délai de prescription de droit commun est ainsi passé de 30 ans à 5 ans. (3) Ce délai de 5 ans concerne les contrats conclus en ligne avec les consommateurs.
Ce délai de droit commun comporte cependant de nombreuses exceptions.
Outre, ce délai de prescription, tout e-commerçant a l’obligation, pour les contrats d’un montant supérieur à 120€ TTC, de conserver le contrat et de le tenir à la disposition du consommateur pendant une durée de 10 ans à compter de sa conclusion. (4) Le e-commerçant est donc dans l’obligation de conserver et d’archiver les CGV applicables au moment de la conclusion de la vente, ainsi que les éléments contractuels (commande, description du bien ou du service). La conservation de ces documents est nécessaire pour que les parties puissent faire valoir leurs droits en cas de contestation future, pendant la période non-prescrite.
Cet archivage électronique devra être réalisé de manière à ce que le e-commerçant puisse à tout moment produire le contrat à la demande de l’acheteur, de l’administration (en cas de contrôle fiscal par exemple) et en cas de litige avec un acheteur, pendant la période non-prescrite. La norme d’archivage de référence est la norme AFNOR Z42-013 / ISO 14641-1. Bien que cette norme ne soit pas impérative, elle constitue néanmoins le référentiel en matière d’archivage électronique.
Il est donc recommandé aux e-commerçants de s’assurer de la conformité à la loi de leur procédure de contractualisation en ligne et de conservation des documents contractuels et, à défaut, de prendre toutes mesures nécessaires de mise en conformité pour s’assurer notamment que leurs conditions de vente sont effectivement opposables aux acheteurs, non seulement au moment de la conclusion de la vente, mais pendant toute la durée de conservation, jusqu’à l’expiration des délais de prescription.
Le non-respect de certaines des obligations mentionnées dans notre article est sanctionné pénalement par une contravention de 5e classe, soit, pour les personnes morales, un montant maximum de 7.500€, pouvant être porté à 15.000€ en cas de récidive.
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(1) Voir les art. L.111-1 et s., L.113-1 et s., et L.121-18 et s., R.121-1 et s. du Code de la consommation ; art. 1369-4 du Code civil.
(2) Voir l’arrêt CJUE 3é ch. du 5 juillet 2012, Content Services Ltd c/ Bundesarbeitskammer, aff. C-49/11 et notre article “Vente en ligne : les conditions d’opposabilité des informations contractuelles au consommateur précisées par la CJUE” publié sur ce blog en août 2012
(3) Loi 2008-561 portant réforme de la prescription en matière civile
(4) Voir Art. L.134-2 du Code de la consommation et le décret d’application n°2005-137 du 16 février 2005.
Bénédicte DELEPORTE - Avocat
Betty SFEZ - Avocat
Deleporte Wentz Avocat
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Octobre 2012
mercredi 12 septembre 2012
Droits et limites des collectivités territoriales sur leur nom enregistré comme marque ou nom de domaine
Le nouveau cadre juridique des noms de domaine est entré en vigueur il y a un peu plus d’un an, le 1er juillet 2011. Jusqu'à cette date, les collectivités territoriales (communes, départements, régions, etc.), bénéficiaient d'un droit exclusif pour l'enregistrement de leur nom en .fr. Désormais, la possibilité de déposer un nom de domaine sur le nom d'une collectivité ne leur est plus réservé. (1)
Cette nouvelle réglementation a conduit de nombreuses collectivités territoriales à s'interroger sur la protection de leur nom, dont l'utilisation, permettant de promouvoir leur territoire et de faciliter le lien social avec leurs administrés, suscite beaucoup de convoitise auprès des tiers, entreprises du secteur privé ou associations. (2)
Ces interrogations nous donnent l'occasion de faire le point sur : (i) les droits dont bénéficient les collectivités sur leurs noms et les moyens d'action qui s'offrent à elles pour contester l'utilisation de leur nom, à titre de marque ou de nom de domaine, par un tiers, (ii) mais également les limites aux droits des collectivités sur leur nom.
1. Les moyens d'action contre l'utilisation du nom d'une collectivité, à titre de marque ou de nom de domaine
Les collectivités territoriales ne jouissent pas d'un droit spécifique sur leur nom ; elles sont cependant en droit de protéger leur nom contre une exploitation commerciale injustifiée.
L'utilisation abusive de leur dénomination par des tiers peut notamment être sanctionnée sur le terrain du droit des noms de domaine. En effet, la nouvelle réglementation, qui certes a supprimé l'exclusivité d'enregistrement au profit des collectivités, comporte néanmoins des dispositions visant à protéger l'usage de leur nom. A ce titre, les collectivités ont, sous certaines conditions, la possibilité de s'opposer à l'enregistrement ou au renouvellement d'un nom de domaine, ou de le faire supprimer, ou encore d'en demander le transfert, lorsque ce nom de domaine est identique ou apparenté à celui d'une collectivité territoriale ou porte atteinte à ses droits (articles L.45-2 et L.45-6 Code des Postes et des Communications Electroniques - CPCE).
Par ailleurs, et nous nous attarderons plus longuement sur ce point, l'utilisation abusive de la dénomination d'une collectivité par des tiers peut être sanctionnée sur le terrain du droit des marques, que la collectivité ait ou non déposé son nom à titre de marque.
1.1 Une réglementation protectrice du nom des collectivités territoriales
Une collectivité peut engager une action judiciaire pour atteinte au nom. Cette action, envisageable que la collectivité ait ou non déposé son nom à titre de marque, est prévue par l'article L711-4 (h) CPI qui dispose : "ne peut être adopté comme marque, un signe portant atteinte à des droits antérieurs, et notamment : h) Au nom, à l'image ou à la renommée d'une collectivité territoriale." Cette action permet à une collectivité de s'opposer à l'utilisation de son nom comme marque lorsque son utilisation peut entraîner une confusion dans l'esprit du public avec une marque déposée par la commune, un site officiel de la commune (nom de domaine) ou une action mise en oeuvre par celle-ci.
A titre d'exemple, la ville de Paris a attaqué une personne physique ayant déposé la marque PARIS L’ETE au motif que ce dépôt portait atteinte aux droits que la commune détient sur son nom. En effet, la ville de Paris affirme communiquer et intervenir dans les domaines concernés par les produits et services désignés par la marque PARIS L’ETE.
Dans un arrêt du 12 décembre 2007, la Cour d’appel de Paris a fait droit à la demande de la ville de Paris, précisant qu’"une collectivité territoriale est en droit de protéger son nom contre toute exploitation commerciale injustifiée, notamment lorsqu’un tiers, en déposant une marque, sera susceptible de lui causer un préjudice soit en l’empêchant de tirer profit de la commercialisation de son nom, soit en nuisant à son identité, son prestige ou sa renommée”.
La Cour relève que la Ville de Paris organise de nombreuses manifestations, lors de la saison d’été, dans les domaines culturel, économique et touristique ; qu’elle fait connaître ces événements, qui lui permettent de développer sa renommée, par le biais de différents médias d’information ; et utilise, dans ce contexte, son nom associé au mot L’ETE. En outre, la Cour relève que les produits et services désignés par la marque PARIS L’ETE (services de diffusion de programmes de radio ou de télévision et des services de présentation au public d’œuvres plastiques, de littérature à but culturel ou éducatif) sont similaires à ceux que la ville de Paris fournit sous son nom à ses partenaires et plus largement, aux services offerts dans le cadre de ses missions de service public.
Dès lors, la Cour considère que le dépôt de la marque PARIS L’ETE, qui crée un monopole d’exploitation au profit d’un tiers, prive la ville de Paris de la possibilité d’exploiter son nom pour désigner ses propres activités et pour en contrôler l’usage. La Cour a donc prononcé l’annulation de la marque PARIS L’ETE. (3)
1.2 Une réglementation protectrice des marques des collectivités territoriales
Conflit entre deux marques - Une collectivité territoriale peut, sous réserve qu'elle ait enregistré son nom à titre de marque, s'opposer à l'enregistrement d'une marque par un tiers par le biais d'une procédure alternative de règlement des litiges. Cette procédure permet à une collectivité d'empêcher l'enregistrement d'une marque nouvelle qui porterait atteinte à ses droits, à savoir notamment une marque qui reproduirait à l'identique ou imiterait sa marque, pour des produits et services identiques ou similaires. Cette démarche doit être engagée auprès de l'INPI et peut aboutir, si l'opposition est fondée, au rejet de la marque nouvelle. (articles L.712-4 et s. et R. 712-8 et s. du Code de la propriété intellectuelle - CPI)
Conflit entre deux marques ou entre une marque et un nom de domaine - Par ailleurs, toujours sous réserve que la collectivité territoriale ait eu le réflexe de déposer son nom à titre de marque, celle-ci peut engager une action judiciaire en contrefaçon de marque contre un tiers qui voudrait déposer une nouvelle marque, sur le fondement de l'article L.713-3 CPI.
Ce texte dispose que, sauf autorisation du propriétaire, sont interdits la reproduction et l'imitation d'une marque ainsi que l'usage d'une marque reproduite ou imitée, pour des produits ou services similaires à ceux désignés dans l'enregistrement, s'il peut en résulter un risque de confusion dans l'esprit du public. Cette action peut être utilisée par une collectivité à l'encontre d'une marque ou d'un nom de domaine reprenant la marque déposée par la collectivité. La collectivité pourra obtenir du tribunal l'annulation de la marque ou du nom de domaine litigieux et/ou des dommages et intérêts.
2. Les limites à la protection du nom des collectivités territoriales posées par la jurisprudence
La protection accordée au nom des collectivités territoriales n'est cependant pas absolue et ne prohibe que les utilisations fautives. La jurisprudence a précisé les limites de cette prohibition, en affirmant que les collectivités ne disposent pas d'un droit exclusif leur permettant d'interdire a priori l'enregistrement de leur nom, à titre de marque ou de nom de domaine, par un tiers.
Les tribunaux exigent la preuve d'une faute, distincte du seul choix par un tiers d'un signe comprenant le nom d'une collectivité territoriale. Ainsi, dans l'hypothèse où une action judiciaire est engagée par une commune, il appartient à celle-ci de démontrer l’existence d’un risque de confusion avec ses propres attributions, ou un risque de nature à porter atteinte aux intérêts publics ou de nature à porter préjudice à la collectivité/ses administrés. Ce risque de confusion relève de l’appréciation souveraine des juges du fond.
Nous rappelons ci-après quelques décisions judiciaires illustrant les limites de la protection du nom des collectivités.
2.1 Conflits entre un nom de collectivité et une marque et des noms de domaine appartenant à des tiers
Affaire ville de Paris c/ Association "Paris sans fil" : Dans une affaire opposant la ville de Paris à l'association Paris-sans fil, cette dernière avait déposé et exploitait la marque PARIS SANS FIL (notamment en classe 38: télécommunication, communication par réseaux de fibres optiques, etc.) et les noms de domaine paris-sans-fil, avec les extensions ".info", ".fr" et ".org", et paris-sansfil.com. La ville de Paris a assigné l’association au motif que ces dépôts et cette exploitation portaient atteinte "aux droits de la ville sur son nom, sa renommée et son image, (...) et constitueraient en outre un usage trompeur pour le public".
Dans un jugement du 6 juillet 2007, le TGI de Paris a fait droit à ces demandes. Le tribunal prononce la nullité de la marque sur le fondement des articles L.711-4 h) et L. 714 CPI et ordonne à l'association de modifier sa dénomination sociale et de procéder à la radiation des noms de domaine en cause sur le fondement de l'article 1382 du Code civil.
Pourquoi une telle décision ? La ville de Paris avait démontré qu'elle intervenait de façon active dans le domaine des nouvelles technologies de l'information et de la communication, et notamment dans le domaine du développement du haut débit et du système Wifi et que l'emploi par l'association d'une marque déposée pour désigner des services identiques et similaires entraînait un risque de confusion avec ses propres activités. (4)
Affaire ville de Paris c/ la société Studyrama : Dans une autre affaire, la ville de Paris a été déboutée par la même juridiction dans un dossier l'opposant à la société Studyrama.
En l'espèce, la société Studyrama, titulaire de la marque JEUNES A PARIS, exploitait un magazine du même nom destiné aux étudiants et comportant des rubriques relatives aux loisirs, restaurants, voyages, etc. La marque JEUNES A PARIS avait été déposée dans les classes de produits et services 16 (papier, carton et journal), 38 (télécommunication) et 41 (éducation, formation, divertissement) . La ville de Paris a demandé au TGI de Paris de prononcer la nullité de la marque JEUNES A PARIS, sur le fondement de l'article L.711-4 h) CPI.
Dans un jugement du 24 novembre 2004, le Tribunal a rappelé qu'il appartenait à la ville de Paris de prouver que "la dénomination critiquée est de nature à tromper le public quant à l'origine des produits ou à la garantie qu'il penserait être en droit d'attendre de la collectivité". Or, le tribunal a considéré que (i) les produits et services de la marque JEUNES A PARIS ne relevaient pas exclusivement des attributions municipales, de telle sorte que le public n’était pas nécessairement amené à penser que ces services étaient proposés par la ville de Paris, et (ii) qu'"un tel raisonnement conduirait à interdire toute marque comportant le nom Paris en association avec d'autres mots". A défaut de risque de confusion entre la marque JEUNES A PARIS et la ville de Paris, la demande en nullité a été rejetée.
Par ailleurs, le tribunal a fait droit à la demande de la société Studyrama en contrefaçon de la marque JEUNES A PARIS contre le nom de domaine www.jeunes-paris.fr, enregistré par la ville de Paris. Le tribunal a considéré, en effet, que ce nom de domaine constituait une imitation de la marque litigieuse : il reprenait les mêmes termes "jeunes" et "Paris" et l'utilisation de ce nom de domaine concernait le même service que celui désigné par la marque, à savoir la communication par terminaux d'ordinateurs (classe 38). Il en résultait donc un risque de confusion pour le public. Le tribunal a ainsi condamné la ville de Paris à ne plus utiliser l'expression "jeunes à paris" en tant que nom de domaine. (5)
2.2 Conflit entre une marque et un nom de domaine appartenant à une collectivité et une marque et des noms de domaine appartenant à un tiers
Affaire ville d'Issy-les-Moulineaux c/ Association "Issy on line" : En l'espèce, la ville d'Issy-les-Moulineaux, titulaire de la marque ISSY et du nom de domaine issy.com, avait assigné l’association Issy on line. Cette association avait déposé la marque "Issy Tv" et enregistré les noms de domaine "Issy.net", "Issytv.com", "Issytv.org" et "Issy.info". La ville d'Issy-les-Moulineaux demandait la nullité de la marque, la cessation de toute utilisation par l'association du terme "Issy" et la cessation de l'utilisation des noms de domaine, sur le fondement des articles L.711-4, L.713-2 et suivants CPI et 1382 du Code civil.
Dans un arrêt du 13 septembre 2007, la Cour d'appel de Versailles a débouté la commune d'Issy-les-Moulineaux de ses demandes, relevant l'absence de contrefaçon de la marque ISSY et l'absence de faute dans l'enregistrement et l'utilisation des noms de domaines litigieux.
Pourquoi une telle décision ? La Cour a rappelé "qu'une commune peut déposer son nom de domaine en intégral ou en abrégé à titre de marque et l'enregistrer comme nom de domaine, mais elle ne peut interdire son utilisation par un tiers et doit la tolérer, dès lors que celui qui utilise dans la marque ou le nom de domaine tout ou partie du nom de la commune justifie d'un intérêt légitime à se prévaloir de ce nom, notamment pour y mentionner le lieu où il exerce effectivement son activité, et qu'il n'existe aucun risque de confusion avec la marque déposée ou le site officiel de la commune".
En outre, la Cour a rappelé que l'existence d'une contrefaçon éventuelle devait être appréciée au regard du contenu du site correspondant au nom de domaine litigieux. Or, dans le cas présent, la Cour a considéré (i) qu’il n’existait aucun risque de confusion entre la marque ISSY TV et la marque ISSY, déposée en classe 38 par la commune du même nom, “l’adjonction de l’abréviation "tv" au terme "Issy" présentant un caractère suffisamment distinctif” et (ii) que le contenu des sites en cause excluait tout risque de confusion, notamment parce que les services proposés par l'administré n'étaient ni professionnels ni officiels, et qu'il apparaissait clairement qu'il s'agissait d'un site géré par une personne privée et non par la municipalité. C'est ainsi qu’en raison de l'absence de risque de confusion, la commune d'Issy-les-Moulineaux a été déboutée de ses demandes. (6)
2.3 Conflit entre un nom de domaine appartenant à une collectivité et un nom de domaine appartenant à un tiers
Affaire Commune de Levallois-Perret c/ un élu de la commune, Loic L : La commune de Levallois-Perret, titulaire du nom de domaine ville-levallois.tv, avait attaqué en référé l'exploitant titulaire du nom de domaine "levallois.tv", au motif que le site internet portait à confusion avec le site web officiel de la commune.
Le défendeur, conseiller municipal de Levallois-Perret, contestait l'existence d'un risque de confusion, en l'absence de reprise sur son site des couleurs, de la charte graphique, du logo et du nom officiel de la ville de Levallois-Perret. Le juge des référés a alors procédé à une analyse du site contesté pour déterminer si un internaute moyen pouvait penser qu’il s’agissait du site officiel de la ville. Pour le juge, le signe Levallois TV associé à la photographie du titulaire du site et à son adresse email, ainsi qu’une présentation graphique différente du site officiel, le distinguaient parfaitement des publications de la ville, de sorte qu’il n’existait pas de risque de confusion avec le site de la commune. L'utilisation du terme "Levallois", seul point commun entre les deux sites, ne suffisait pas à caractériser un risque de confusion. Le juge des référés a donc débouté la ville de Levallois-Perret de sa demande d’interdire le site levallois.tv. (7)
Ainsi, il existe une réglementation protectrice du nom des collectivités territoriales, qui disposent de moyens d'action pour lutter contre l'utilisation abusive de leur nom par un tiers. Toutefois, cette réglementation n'a pas pour objet d'interdire aux tiers, de manière générale, de déposer en tant que marque ou nom de domaine, un signe identifiant une collectivité territoriale, mais seulement de réserver cette interdiction au cas où il résulterait de ce dépôt une atteinte aux intérêts publics.
Au regard de ces éléments, il est recommandé aux collectivités territoriales de définir leurs besoins en termes de marques et de noms de domaine et de faire procéder aux enregistrements nécessaires. Une protection efficace du nom des collectivités passe par la mise en place d'une stratégie commune entre la marque et le nom de domaine.
Quant aux personnes de droit privé (entreprises ou particuliers) souhaitant utiliser la dénomination d’une commune, d’un territoire ou d’une région dans une marque ou un nom de domaine, il conviendra de s’assurer que cette marque ou ce nom de domaine, non seulement ne crée pas de confusion dans l’esprit du public, mais également qu’ils ne portent pas atteinte aux intérêts publics.
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(1) Loi n°2004-669 du 9 juillet 2004 relative aux communications électroniques et décret d'application n°2007-162 du 6 février 2007 ; Loi n°2011-302 du 22 mars 2011 portant diverses dispositions d'adaptation de la législation au droit de l'Union européenne en matière de santé, de travail et de communications électroniques.
(2) A ce sujet, voir les réponses ministérielles (ministère chargé des collectivités territoriales) du 12 avril 2012, p. 913, n°21080 et du 29 mars 2012, p. 790, n°21079.
(3) CA Paris, 4e ch., section A, 12 décembre 2007, n°06/20595, Ville de Paris c/ M.Simon.
(4) TGI Paris,3e ch., 2e section, 6 juillet 2007, n°06/01925, Ville de Paris c/ Association Paris sans Fil.
(5) TGI Paris, 3e ch., 1re sect., 24 nov. 2004, Sarl Studyrama c/ Ville de Paris.
(6) CA Versailles, 12e ch. 2e sect., 13 sept. 2007, SA SEM Média c/ El Hadri, Juris-Data n° 2007-346646.
(7) TGI Nanterre, ord. réf., 30 janv. 2007, Cne Levallois-Perret c/ Loic L.
Betty SFEZ
Avocat
Deleporte Wentz Avocat
www.dwavocat.com
Septembre 2012
Cette nouvelle réglementation a conduit de nombreuses collectivités territoriales à s'interroger sur la protection de leur nom, dont l'utilisation, permettant de promouvoir leur territoire et de faciliter le lien social avec leurs administrés, suscite beaucoup de convoitise auprès des tiers, entreprises du secteur privé ou associations. (2)
Ces interrogations nous donnent l'occasion de faire le point sur : (i) les droits dont bénéficient les collectivités sur leurs noms et les moyens d'action qui s'offrent à elles pour contester l'utilisation de leur nom, à titre de marque ou de nom de domaine, par un tiers, (ii) mais également les limites aux droits des collectivités sur leur nom.
1. Les moyens d'action contre l'utilisation du nom d'une collectivité, à titre de marque ou de nom de domaine
Les collectivités territoriales ne jouissent pas d'un droit spécifique sur leur nom ; elles sont cependant en droit de protéger leur nom contre une exploitation commerciale injustifiée.
L'utilisation abusive de leur dénomination par des tiers peut notamment être sanctionnée sur le terrain du droit des noms de domaine. En effet, la nouvelle réglementation, qui certes a supprimé l'exclusivité d'enregistrement au profit des collectivités, comporte néanmoins des dispositions visant à protéger l'usage de leur nom. A ce titre, les collectivités ont, sous certaines conditions, la possibilité de s'opposer à l'enregistrement ou au renouvellement d'un nom de domaine, ou de le faire supprimer, ou encore d'en demander le transfert, lorsque ce nom de domaine est identique ou apparenté à celui d'une collectivité territoriale ou porte atteinte à ses droits (articles L.45-2 et L.45-6 Code des Postes et des Communications Electroniques - CPCE).
Par ailleurs, et nous nous attarderons plus longuement sur ce point, l'utilisation abusive de la dénomination d'une collectivité par des tiers peut être sanctionnée sur le terrain du droit des marques, que la collectivité ait ou non déposé son nom à titre de marque.
1.1 Une réglementation protectrice du nom des collectivités territoriales
Une collectivité peut engager une action judiciaire pour atteinte au nom. Cette action, envisageable que la collectivité ait ou non déposé son nom à titre de marque, est prévue par l'article L711-4 (h) CPI qui dispose : "ne peut être adopté comme marque, un signe portant atteinte à des droits antérieurs, et notamment : h) Au nom, à l'image ou à la renommée d'une collectivité territoriale." Cette action permet à une collectivité de s'opposer à l'utilisation de son nom comme marque lorsque son utilisation peut entraîner une confusion dans l'esprit du public avec une marque déposée par la commune, un site officiel de la commune (nom de domaine) ou une action mise en oeuvre par celle-ci.
A titre d'exemple, la ville de Paris a attaqué une personne physique ayant déposé la marque PARIS L’ETE au motif que ce dépôt portait atteinte aux droits que la commune détient sur son nom. En effet, la ville de Paris affirme communiquer et intervenir dans les domaines concernés par les produits et services désignés par la marque PARIS L’ETE.
Dans un arrêt du 12 décembre 2007, la Cour d’appel de Paris a fait droit à la demande de la ville de Paris, précisant qu’"une collectivité territoriale est en droit de protéger son nom contre toute exploitation commerciale injustifiée, notamment lorsqu’un tiers, en déposant une marque, sera susceptible de lui causer un préjudice soit en l’empêchant de tirer profit de la commercialisation de son nom, soit en nuisant à son identité, son prestige ou sa renommée”.
La Cour relève que la Ville de Paris organise de nombreuses manifestations, lors de la saison d’été, dans les domaines culturel, économique et touristique ; qu’elle fait connaître ces événements, qui lui permettent de développer sa renommée, par le biais de différents médias d’information ; et utilise, dans ce contexte, son nom associé au mot L’ETE. En outre, la Cour relève que les produits et services désignés par la marque PARIS L’ETE (services de diffusion de programmes de radio ou de télévision et des services de présentation au public d’œuvres plastiques, de littérature à but culturel ou éducatif) sont similaires à ceux que la ville de Paris fournit sous son nom à ses partenaires et plus largement, aux services offerts dans le cadre de ses missions de service public.
Dès lors, la Cour considère que le dépôt de la marque PARIS L’ETE, qui crée un monopole d’exploitation au profit d’un tiers, prive la ville de Paris de la possibilité d’exploiter son nom pour désigner ses propres activités et pour en contrôler l’usage. La Cour a donc prononcé l’annulation de la marque PARIS L’ETE. (3)
1.2 Une réglementation protectrice des marques des collectivités territoriales
Conflit entre deux marques - Une collectivité territoriale peut, sous réserve qu'elle ait enregistré son nom à titre de marque, s'opposer à l'enregistrement d'une marque par un tiers par le biais d'une procédure alternative de règlement des litiges. Cette procédure permet à une collectivité d'empêcher l'enregistrement d'une marque nouvelle qui porterait atteinte à ses droits, à savoir notamment une marque qui reproduirait à l'identique ou imiterait sa marque, pour des produits et services identiques ou similaires. Cette démarche doit être engagée auprès de l'INPI et peut aboutir, si l'opposition est fondée, au rejet de la marque nouvelle. (articles L.712-4 et s. et R. 712-8 et s. du Code de la propriété intellectuelle - CPI)
Conflit entre deux marques ou entre une marque et un nom de domaine - Par ailleurs, toujours sous réserve que la collectivité territoriale ait eu le réflexe de déposer son nom à titre de marque, celle-ci peut engager une action judiciaire en contrefaçon de marque contre un tiers qui voudrait déposer une nouvelle marque, sur le fondement de l'article L.713-3 CPI.
Ce texte dispose que, sauf autorisation du propriétaire, sont interdits la reproduction et l'imitation d'une marque ainsi que l'usage d'une marque reproduite ou imitée, pour des produits ou services similaires à ceux désignés dans l'enregistrement, s'il peut en résulter un risque de confusion dans l'esprit du public. Cette action peut être utilisée par une collectivité à l'encontre d'une marque ou d'un nom de domaine reprenant la marque déposée par la collectivité. La collectivité pourra obtenir du tribunal l'annulation de la marque ou du nom de domaine litigieux et/ou des dommages et intérêts.
2. Les limites à la protection du nom des collectivités territoriales posées par la jurisprudence
La protection accordée au nom des collectivités territoriales n'est cependant pas absolue et ne prohibe que les utilisations fautives. La jurisprudence a précisé les limites de cette prohibition, en affirmant que les collectivités ne disposent pas d'un droit exclusif leur permettant d'interdire a priori l'enregistrement de leur nom, à titre de marque ou de nom de domaine, par un tiers.
Les tribunaux exigent la preuve d'une faute, distincte du seul choix par un tiers d'un signe comprenant le nom d'une collectivité territoriale. Ainsi, dans l'hypothèse où une action judiciaire est engagée par une commune, il appartient à celle-ci de démontrer l’existence d’un risque de confusion avec ses propres attributions, ou un risque de nature à porter atteinte aux intérêts publics ou de nature à porter préjudice à la collectivité/ses administrés. Ce risque de confusion relève de l’appréciation souveraine des juges du fond.
Nous rappelons ci-après quelques décisions judiciaires illustrant les limites de la protection du nom des collectivités.
2.1 Conflits entre un nom de collectivité et une marque et des noms de domaine appartenant à des tiers
Affaire ville de Paris c/ Association "Paris sans fil" : Dans une affaire opposant la ville de Paris à l'association Paris-sans fil, cette dernière avait déposé et exploitait la marque PARIS SANS FIL (notamment en classe 38: télécommunication, communication par réseaux de fibres optiques, etc.) et les noms de domaine paris-sans-fil, avec les extensions ".info", ".fr" et ".org", et paris-sansfil.com. La ville de Paris a assigné l’association au motif que ces dépôts et cette exploitation portaient atteinte "aux droits de la ville sur son nom, sa renommée et son image, (...) et constitueraient en outre un usage trompeur pour le public".
Dans un jugement du 6 juillet 2007, le TGI de Paris a fait droit à ces demandes. Le tribunal prononce la nullité de la marque sur le fondement des articles L.711-4 h) et L. 714 CPI et ordonne à l'association de modifier sa dénomination sociale et de procéder à la radiation des noms de domaine en cause sur le fondement de l'article 1382 du Code civil.
Pourquoi une telle décision ? La ville de Paris avait démontré qu'elle intervenait de façon active dans le domaine des nouvelles technologies de l'information et de la communication, et notamment dans le domaine du développement du haut débit et du système Wifi et que l'emploi par l'association d'une marque déposée pour désigner des services identiques et similaires entraînait un risque de confusion avec ses propres activités. (4)
Affaire ville de Paris c/ la société Studyrama : Dans une autre affaire, la ville de Paris a été déboutée par la même juridiction dans un dossier l'opposant à la société Studyrama.
En l'espèce, la société Studyrama, titulaire de la marque JEUNES A PARIS, exploitait un magazine du même nom destiné aux étudiants et comportant des rubriques relatives aux loisirs, restaurants, voyages, etc. La marque JEUNES A PARIS avait été déposée dans les classes de produits et services 16 (papier, carton et journal), 38 (télécommunication) et 41 (éducation, formation, divertissement) . La ville de Paris a demandé au TGI de Paris de prononcer la nullité de la marque JEUNES A PARIS, sur le fondement de l'article L.711-4 h) CPI.
Dans un jugement du 24 novembre 2004, le Tribunal a rappelé qu'il appartenait à la ville de Paris de prouver que "la dénomination critiquée est de nature à tromper le public quant à l'origine des produits ou à la garantie qu'il penserait être en droit d'attendre de la collectivité". Or, le tribunal a considéré que (i) les produits et services de la marque JEUNES A PARIS ne relevaient pas exclusivement des attributions municipales, de telle sorte que le public n’était pas nécessairement amené à penser que ces services étaient proposés par la ville de Paris, et (ii) qu'"un tel raisonnement conduirait à interdire toute marque comportant le nom Paris en association avec d'autres mots". A défaut de risque de confusion entre la marque JEUNES A PARIS et la ville de Paris, la demande en nullité a été rejetée.
Par ailleurs, le tribunal a fait droit à la demande de la société Studyrama en contrefaçon de la marque JEUNES A PARIS contre le nom de domaine www.jeunes-paris.fr, enregistré par la ville de Paris. Le tribunal a considéré, en effet, que ce nom de domaine constituait une imitation de la marque litigieuse : il reprenait les mêmes termes "jeunes" et "Paris" et l'utilisation de ce nom de domaine concernait le même service que celui désigné par la marque, à savoir la communication par terminaux d'ordinateurs (classe 38). Il en résultait donc un risque de confusion pour le public. Le tribunal a ainsi condamné la ville de Paris à ne plus utiliser l'expression "jeunes à paris" en tant que nom de domaine. (5)
2.2 Conflit entre une marque et un nom de domaine appartenant à une collectivité et une marque et des noms de domaine appartenant à un tiers
Affaire ville d'Issy-les-Moulineaux c/ Association "Issy on line" : En l'espèce, la ville d'Issy-les-Moulineaux, titulaire de la marque ISSY et du nom de domaine issy.com, avait assigné l’association Issy on line. Cette association avait déposé la marque "Issy Tv" et enregistré les noms de domaine "Issy.net", "Issytv.com", "Issytv.org" et "Issy.info". La ville d'Issy-les-Moulineaux demandait la nullité de la marque, la cessation de toute utilisation par l'association du terme "Issy" et la cessation de l'utilisation des noms de domaine, sur le fondement des articles L.711-4, L.713-2 et suivants CPI et 1382 du Code civil.
Dans un arrêt du 13 septembre 2007, la Cour d'appel de Versailles a débouté la commune d'Issy-les-Moulineaux de ses demandes, relevant l'absence de contrefaçon de la marque ISSY et l'absence de faute dans l'enregistrement et l'utilisation des noms de domaines litigieux.
Pourquoi une telle décision ? La Cour a rappelé "qu'une commune peut déposer son nom de domaine en intégral ou en abrégé à titre de marque et l'enregistrer comme nom de domaine, mais elle ne peut interdire son utilisation par un tiers et doit la tolérer, dès lors que celui qui utilise dans la marque ou le nom de domaine tout ou partie du nom de la commune justifie d'un intérêt légitime à se prévaloir de ce nom, notamment pour y mentionner le lieu où il exerce effectivement son activité, et qu'il n'existe aucun risque de confusion avec la marque déposée ou le site officiel de la commune".
En outre, la Cour a rappelé que l'existence d'une contrefaçon éventuelle devait être appréciée au regard du contenu du site correspondant au nom de domaine litigieux. Or, dans le cas présent, la Cour a considéré (i) qu’il n’existait aucun risque de confusion entre la marque ISSY TV et la marque ISSY, déposée en classe 38 par la commune du même nom, “l’adjonction de l’abréviation "tv" au terme "Issy" présentant un caractère suffisamment distinctif” et (ii) que le contenu des sites en cause excluait tout risque de confusion, notamment parce que les services proposés par l'administré n'étaient ni professionnels ni officiels, et qu'il apparaissait clairement qu'il s'agissait d'un site géré par une personne privée et non par la municipalité. C'est ainsi qu’en raison de l'absence de risque de confusion, la commune d'Issy-les-Moulineaux a été déboutée de ses demandes. (6)
2.3 Conflit entre un nom de domaine appartenant à une collectivité et un nom de domaine appartenant à un tiers
Affaire Commune de Levallois-Perret c/ un élu de la commune, Loic L : La commune de Levallois-Perret, titulaire du nom de domaine ville-levallois.tv, avait attaqué en référé l'exploitant titulaire du nom de domaine "levallois.tv", au motif que le site internet portait à confusion avec le site web officiel de la commune.
Le défendeur, conseiller municipal de Levallois-Perret, contestait l'existence d'un risque de confusion, en l'absence de reprise sur son site des couleurs, de la charte graphique, du logo et du nom officiel de la ville de Levallois-Perret. Le juge des référés a alors procédé à une analyse du site contesté pour déterminer si un internaute moyen pouvait penser qu’il s’agissait du site officiel de la ville. Pour le juge, le signe Levallois TV associé à la photographie du titulaire du site et à son adresse email, ainsi qu’une présentation graphique différente du site officiel, le distinguaient parfaitement des publications de la ville, de sorte qu’il n’existait pas de risque de confusion avec le site de la commune. L'utilisation du terme "Levallois", seul point commun entre les deux sites, ne suffisait pas à caractériser un risque de confusion. Le juge des référés a donc débouté la ville de Levallois-Perret de sa demande d’interdire le site levallois.tv. (7)
Ainsi, il existe une réglementation protectrice du nom des collectivités territoriales, qui disposent de moyens d'action pour lutter contre l'utilisation abusive de leur nom par un tiers. Toutefois, cette réglementation n'a pas pour objet d'interdire aux tiers, de manière générale, de déposer en tant que marque ou nom de domaine, un signe identifiant une collectivité territoriale, mais seulement de réserver cette interdiction au cas où il résulterait de ce dépôt une atteinte aux intérêts publics.
Au regard de ces éléments, il est recommandé aux collectivités territoriales de définir leurs besoins en termes de marques et de noms de domaine et de faire procéder aux enregistrements nécessaires. Une protection efficace du nom des collectivités passe par la mise en place d'une stratégie commune entre la marque et le nom de domaine.
Quant aux personnes de droit privé (entreprises ou particuliers) souhaitant utiliser la dénomination d’une commune, d’un territoire ou d’une région dans une marque ou un nom de domaine, il conviendra de s’assurer que cette marque ou ce nom de domaine, non seulement ne crée pas de confusion dans l’esprit du public, mais également qu’ils ne portent pas atteinte aux intérêts publics.
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(1) Loi n°2004-669 du 9 juillet 2004 relative aux communications électroniques et décret d'application n°2007-162 du 6 février 2007 ; Loi n°2011-302 du 22 mars 2011 portant diverses dispositions d'adaptation de la législation au droit de l'Union européenne en matière de santé, de travail et de communications électroniques.
(2) A ce sujet, voir les réponses ministérielles (ministère chargé des collectivités territoriales) du 12 avril 2012, p. 913, n°21080 et du 29 mars 2012, p. 790, n°21079.
(3) CA Paris, 4e ch., section A, 12 décembre 2007, n°06/20595, Ville de Paris c/ M.Simon.
(4) TGI Paris,3e ch., 2e section, 6 juillet 2007, n°06/01925, Ville de Paris c/ Association Paris sans Fil.
(5) TGI Paris, 3e ch., 1re sect., 24 nov. 2004, Sarl Studyrama c/ Ville de Paris.
(6) CA Versailles, 12e ch. 2e sect., 13 sept. 2007, SA SEM Média c/ El Hadri, Juris-Data n° 2007-346646.
(7) TGI Nanterre, ord. réf., 30 janv. 2007, Cne Levallois-Perret c/ Loic L.
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