Messages les plus consultés

Affichage des articles dont le libellé est CSA. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est CSA. Afficher tous les articles

mercredi 3 novembre 2021

La fusion entre le CSA et la Hadopi donne naissance à l’Arcom


Selon la Hadopi, la hausse de la consommation de biens culturels dématérialisés s’est accélérée en 2020. Cette accélération a été favorisée par la crise sanitaire et la période de confinement qui ont entraîné la fermeture des lieux culturels (cinémas, théâtres, salles de spectacles). Constat positif mais également négatif puisqu’un quart des internautes français visiterait chaque mois des sites illicites de biens culturels. (1) Face à ce constat, le bilan de la Hadopi relatif à la lutte contre le piratage en ligne des oeuvres audiovisuelles est plus que mitigé, mais reflète cependant les limites de son champ d’action.

Une réforme était donc nécessaire pour tenter de lutter plus efficacement, et plus rapidement, contre les usages illicites sur internet. Celle-ci passe par la réforme, plus large, de l’audiovisuel qui se met enfin en place avec l’adoption, le 25 octobre 2021, de la loi relative à la régulation et à la protection de l’accès aux oeuvres culturelles à l’ère numérique. (2) Cette réforme, annoncée depuis deux ans, consacre la création de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique - Arcom, une nouvelle autorité administrative, née de la fusion du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) et de la Haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur internet (Hadopi). L’Arcom entrera en activité au 1er janvier 2022.

Cette nouvelle autorité interviendra sur un champ de compétences élargi, avec des agents disposant de pouvoirs d’investigation pour des actions de lutte, on l’espère, plus efficaces contre les sites illicites.


1. Un champ des compétences élargi

L’Arcom disposera d’un champ de compétences élargi par rapport aux missions combinées du CSA et de la Hadopi, consacrant enfin la convergence des technologies de communication avec l’interaction grandissante entre l’audiovisuel traditionnel et internet.

En effet, les compétences attribuées à l’Arcom couvrent les domaines allant de la création des oeuvres jusqu’à la protection du droit d’auteur. Les activités de l’Arcom s’articuleront ainsi autour de plusieurs axes, avec notamment un premier axe sur la lutte contre le piratage des oeuvres protégées, un deuxième axe sur une mission pédagogique et de régulation, et un troisième axe de régulation du secteur audiovisuel.

    1.1 La focalisation sur la lutte contre le piratage des oeuvres protégées

Le premier axe, concernant principalement la communication en ligne portera sur les actions suivantes (3) :

    - La lutte contre le piratage des oeuvres protégées par le droit d’auteur, un droit voisin ou un droit d’exploitation audiovisuelle. L’Arcom pourra ainsi créer une “liste noire” des sites exploitant, de façon massive, des contenus contrefaisant ;

    - La lutte contre les sites sportifs illicites. Considérant que l’accès aux chaînes de sports est généralement trop cher, nombre d’internautes choisissent de visionner les événements sportifs en ligne, sur des sites de streaming sportif illicites. Cette pratique a des conséquences économiques et financières très lourdes pour les diffuseurs et les clubs sportifs. Or, jusqu’ici il était très difficile pour les titulaires des droits de diffusion de lutter contre ces sites, notamment du fait des délais de procédure pour obtenir une décision de blocage. La loi d’octobre 2021 tente de remédier à ce problème en créant une procédure spécifique de référé pouvant être intentée par les titulaires de droits de diffusion d’événements sportifs contre les sites illicites et les sites miroirs ;

    - La lutte contre la désinformation sur internet (lutte contre les “fake news” en application de la loi du 22 décembre 2018) (4) et contre les contenus haineux ;

    - La régulation des plateformes de vidéo par abonnement (SVoD).

    1.2 Une mission pédagogique

A l’instar des actions menées par la CNIL depuis plusieurs années, la loi du 25 octobre 2021 inscrit, parmi les missions de l’Arcom, des actions pédagogiques et de régulation par la création de “soft law”, comprenant :

    - Des actions de sensibilisation et de prévention, notamment auprès des jeunes. Concernant la protection des mineurs, ces actions de prévention concernent non seulement les contenus piratés, mais également les contenus illicites, violents, haineux, ou pornographiques ;

    - Une mission d’encouragement au développement de l’offre légale ;

    - Une mission de régulation et de veille relative aux mesures techniques de protection et d’identification des oeuvres et objets protégés par le droit d’auteur, avec la publication de recommandations, guides de bonne pratiques, modèles de clauses types et codes de conduite. Ces outils auront pour objet d’informer et de former le public.

    - L’Arcom pourra en outre favoriser la signature d’accords volontaires avec les professionnels pour les inciter à mettre en oeuvre des politiques de lutte contre le contrefaçon et le piratage plus efficaces.

    1.3 La régulation du secteur audiovisuel

Enfin, l’Arcom sera en charge de la régulation du secteur audiovisuel. Cette mission de régulation, héritée du CSA, comprend notamment la gestion des fréquences, les conditions de création de nouvelles chaînes de radio et de télévision et le suivi de leurs engagements, la garantie du respect de la liberté d’expression et des droits et libertés fondamentaux sur les chaînes de radio et de télévision, etc.

L’Arcom sera également en charge de garantir le pluralisme de l’offre dans le secteur audiovisuel et des sources d’information. Ce domaine est d’autant plus d’actualité avec, par exemple, le projet de fusion annoncé en mai 2021 entre les groupes TF1 et M6.


2. Des agents publics disposant de réels pouvoirs d’investigation

La direction de l’Arcom sera constituée de 9 membres, dont huit membres choisis en raison de leurs compétences économiques, juridiques ou techniques, nommés par décret, et le président de l’Autorité nommé par le Président de la République. Les membres sont nommés pour un mandat de 6 ans, non renouvelable. L’équilibre hommes/femmes doit être respecté au moment de leur nomination.

L’Arcom disposera par ailleurs d’un “bataillon” d’agents publics assermentés, habilités par décret. Dans le cadre de leurs investigations, les agents de l’Arcom pourront notamment :

    - recevoir des opérateurs de communications électroniques les coordonnées (identité, adresse postale, email, numéro de téléphone) des personnes dont l’accès aux services a été utilisé pour diffuser des oeuvres non autorisées ;

    - mais également constater les faits susceptibles de constituer les infractions lorsqu’ils sont commis en ligne, et “sans en être tenus pénalement responsables :
1° Participer sous un pseudonyme à des échanges électroniques susceptibles de se rapporter à ces infractions ;
2° Reproduire des œuvres ou des objets protégés sur les services de communication au public en ligne ;
3° Extraire, acquérir ou conserver par ce moyen des éléments de preuve sur ces services aux fins de la caractérisation des faits susceptibles de constituer des infractions ;
4° Acquérir et étudier les matériels et les logiciels propres à faciliter la commission d'actes de contrefaçon.
” (5)
Toutefois, ces actes ne pourront inciter autrui à commettre une infraction. Les informations recueillies font l’objet d’un procès-verbal pouvant ensuite être utilisé en cas de poursuites judiciaires.


3. Des pouvoirs plus efficaces ?

Regroupant les domaines de la communication audiovisuelle et par internet, l’Arcom devrait pouvoir intervenir sur un champ de compétences élargi. En effet, la convergence des technologies de l’audiovisuel et de l’internet entraîne la disparition de la frontière entre ces deux domaines.

La division des compétences sur des agences séparées n’avait plus de sens. D’une part, le champ d’action de la Hadopi se limitait au téléchargement illicite d’oeuvres en peer-to-peer. Or, cette pratique ne concernerait plus que 25% de la consommation illicite de biens audiovisuels. Depuis plusieurs années la technologie et les pratiques des internautes ont en effet évolué pour accéder aux oeuvres en streaming ou via des sites ou serveurs temporaires ou miroirs. D’autre part, grâce à la technologie de diffusion des oeuvres audiovisuelles en ligne, le rôle du CSA s’est naturellement élargi au domaine de l’internet, avec la multiplication des web radio et web TV, la télévision connectée, les services audiovisuels à la demande (SMAD / SVoD), …

La création de l’Arcom consacre donc la fin d’une frontière devenue artificielle entre les différents modes de diffusion des oeuvres audiovisuelles. L’Arcom a ainsi pour objectif d’améliorer l’efficacité de la lutte contre les différentes formes de piratage audiovisuel : téléchargement en P-to-P, streaming, IPTV, lutte contre les sites sportifs illicites.


    L’Arcom a pour ambition de se positionner comme le moteur d’un nouveau modèle de régulation audiovisuelle, “à l’écoute des publics et de leurs préoccupations, (…) résolument engagée dans la défense des libertés d’expression, d’information et de création.” (6) Cette nouvelle autorité devra toutefois surmonter plusieurs défis : intégrer des personnels venant de deux mondes jusqu’ici distincts, le monde de l’audiovisuel, et le monde d’internet, et démontrer l’efficacité de ses actions, particulièrement dans la lutte contre le piratage.

* * * * * * * * * * *


(1) Etude Hadopi du 6 mai 2021 “12,7 millions d’internautes ont visité en moyenne chaque mois des sites illicites de biens culturels dématérialisés en 2020, soit 24 % des internautes français”

(2) Loi n°2021-1382 du 25 octobre 2021 relative à la régulation et à la protection de l’accès aux oeuvres culturelles à l’ère numérique, modifiant le code de la propriété intellectuelle et la loi n°86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication.

(3) Art. L.331-12 et s. du Code de la propriété intellectuelle

(4) Loi n°2018-1202 du 22 décembre 2018 relative à la lutte contre la manipulation de l’information

(5) Art. L.331-14 du Code de la propriété intellectuelle

(6) Communiqué de presse conjoint du CSA et de la Hadopi sur la création de l’Arcom, 26 octobre 2021


Bénédicte DELEPORTE
Avocat

Deleporte Wentz Avocat
www.dwavocat.com


Novembre 2021

mardi 19 octobre 2021

Sites pornographiques : le renforcement de la protection des mineurs


La problématique de l’accès des mineurs aux contenus pornographiques s’est accentuée ces dernières années avec notamment un accès à internet et l’utilisation des smartphones de plus en plus jeune. Une étude menée par l’Ifop en 2017 révèle ainsi que 82% des jeunes de moins de 18 ans déclarent avoir été exposés à du contenu pornographique, dont 30% des moins de 12 ans ! (1)

Face aux risques psychologiques et comportementaux que pose l’accès des enfants à des contenus pour adultes, le législateur tente de renforcer la réglementation sur les conditions d’accès aux sites pornographique, avec des obligations plus strictes de contrôle de l’âge des internautes.

Nous examinons ci-après les principales dispositions concernant les services en ligne et les mesures actuellement disponibles pour bloquer l’accès des mineurs aux sites pornographiques ainsi que les défis en matière de protection des données à caractère personnel et les solutions techniques disponibles.


1. La loi du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales et le décret d’application du 7 octobre 2021

    a) La protection des mineurs contre les contenus pornographiques en ligne et le pouvoir de régulation du CSA

L’une des missions du CSA (Conseil supérieur de l’audiovisuel) est la protection de la jeunesse et des mineurs. Le rôle du Conseil, en tant que régulateur dans ce domaine est affirmé avec l’article 23 de la loi du 30 juillet 2020, qui dispose que :

Lorsqu'il constate qu'une personne dont l'activité est d'éditer un service de communication au public en ligne permet à des mineurs d'avoir accès à un contenu pornographique en violation de l'article 227-24 du code pénal, le président du Conseil supérieur de l'audiovisuel adresse à cette personne (…) une mise en demeure lui enjoignant de prendre toute mesure de nature à empêcher l'accès des mineurs au contenu incriminé. La personne destinataire de l'injonction dispose d'un délai de quinze jours pour présenter ses observations. (…)” (2)

Si le contenu incriminé reste accessible aux mineurs à l’expiration de ce délai, le président du CSA peut saisir le président du tribunal judiciaire de Paris aux fins d’ordonner aux fournisseurs d’accès le blocage de l’accès au site en cause. Le président du CSA peut agir d’office ou sur saisine du ministère public ou de toute personne ayant intérêt à agir, telles que les associations de protection de l’enfance.

Pour être pleinement applicables, ces dispositions devaient être complétées par un décret. C’est chose faite avec la publication, le 7 octobre 2021, du décret relatif aux modalités de mise en oeuvre des mesures visant à protéger les mineurs contre l’accès aux sites pornographiques. (3)

Ce décret dispose notamment que pour apprécier si l’éditeur du site en cause permet à des mineurs d’avoir accès à un contenu pornographique en violation de l’article 227-24 du code pénal, le président du CSA tient compte du niveau de fiabilité du procédé technique mis en place pour s’assurer que les utilisateurs souhaitant accéder au service sont majeurs (article 3).

A cette fin, le CSA peut adopter des lignes directrices concernant la fiabilité de ces procédés techniques de blocage ou de filtration des utilisateurs.

Le décret précise que la suspension du site en cause pourra être réalisée par tout moyen approprié, notamment par le blocage par nom de domaine (DNS).

    b) L’avis de l’Arcep sur le projet de décret : attention à ne pas imposer de nouvelles obligations aux FAI

L’Arcep (Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse) avait été saisie par le gouvernement pour avis sur le projet de décret.

Dans son avis, rendu le 11 mai 2021, l’Arcep notait que la technique de blocage DNS est déjà utilisée par les fournisseurs d’accès à internet pour bloquer des sites suite à une injonction des tribunaux (sites illicites, contrefaisants, etc.). (4)

Pour l’Arcep, les mesures de blocage doivent rester proportionnées. Or, le fait d’imposer aux FAI d’empêcher l’accès aux sites en cause “par tout moyen approprié” risque de faire peser sur les FAI une obligation allant au-delà des moyens de blocage habituels et la garantie que les internautes ne puissent recourir à des méthodes de contournement pour accéder aux sites concernés (VPN par exemple). Une telle obligation serait en contradiction avec l’article 6 7° de la Loi pour la confiance dans l’économie numérique du 21 juin 2004 (LCEN) qui dispose que les FAI “ne sont pas soumis à une obligation générale de surveiller les informations qu’ils transmettent ou stockent (…).”

Par ailleurs, selon l’Arcep, le projet de décret ne précisait pas la nature des informations transmises par le CSA aux FAI (noms de domaine, adresses emails?), ni des modalités de mise en oeuvre des mesures de blocage (délai de mise en oeuvre, processus et délai de déblocage éventuel, etc.). Ces informations ne figurent toujours pas dans le décret du 7 octobre.


2. La loi du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste

L’article 23 de la loi du 30 juillet 2020 a été complétée par la loi du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste. Les articles de cette loi ont modifié le code pénal (articles 227-21-1 à 227-28-3).

Ces articles concernent les actes d’adultes envers des mineurs (favoriser ou tenter de favoriser la corruption d’un mineur ; faire des propositions sexuelles à un mineur ; inciter un mineur à commettre un acte de nature sexuelle), en utilisant un moyen de communication électronique. Les peines s’échelonnent entre deux ans et sept ans d’emprisonnement et de 30.000€ à 100.000€ d’amende, suivant le type d’infraction commise (art. 227-22 à 227-22-2).

L’article 227-23 du code pénal dispose que le fait de fixer, d’enregistrer ou de transmettre l’image ou la représentation d’un mineur lorsque l’image ou la représentation présentent un caractère pornographique est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75.000€ d’amende. Les peines sont portées à sept ans d’emprisonnement et 100.000€ d’amende lorsqu’un réseau de communication électronique a été utilisé pour la diffusion de ces images.

Les peines sont généralement majorées lorsqu’il s’agit d’un jeune de moins de 15 ans.

Enfin, l’article 227-24, auquel il est fait référence à l’article 23 de la loi du 30 juillet 2020 et dans le décret du 7 octobre 2021, prévoit que le fait de diffuser (notamment) par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support un message à caractère (notamment) violent, pornographique ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine, ou encore de faire commerce d‘un tel message est puni de trois ans d’emprisonnement et de 75.000€ d’amende lorsque ce message est susceptible d’être vu par un mineur.

Les infractions sont constituées même si l’accès du mineur aux messages en cause résulte d’une simple déclaration de celui-ci indiquant qu’il est âgé d’au moins dix-huit ans. Or de nombreux sites pornographiques sont d’accès libre ou n’affichent qu’un message demandant au visiteur de confirmer s’il est majeur.


3. Le défi de la mise en oeuvre de solutions efficaces de blocage de l’accès des mineurs aux sites pornographiques

L’objectif de la réglementation n’est évidemment pas la moralisation ou la censure d’internet, mais la mise en place de mesures effectives de protection des mineurs contre des contenus non adaptés à leur âge.

Ces dispositions renforcent désormais l’obligation, pour les sites pornographiques, de contrôler de façon effective l’âge des utilisateurs dès leur connexion, pour bloquer les mineurs. Or, le texte de loi ne donne pas d’indication technique aux sites pour se mettre en conformité. Comme mentionné plus haut, le CSA pourra adopter des lignes directrices relatives à la fiabilité des procédés techniques de blocage ou de filtration des utilisateurs.

La réglementation et les tribunaux prennent généralement en compte l’état de l’art, à savoir les solutions disponibles, à un moment donné, sachant que celles-ci devraient évoluer et être de plus en plus largement utilisées dans les années à venir.

L’obligation de filtrage des visiteurs s’impose aux éditeurs de sites pornographiques. Ceux-ci peuvent toutefois dans un premier temps rappeler l’utilité pour les parents d’installer une solution de contrôle parental sur les appareils utilisés par leurs enfants. Cette solution est cependant imparfaite puisque ce système n’empêche pas les enfants de consulter des sites pour adultes sur les appareils de tiers (famille, amis) qui n’auraient pas installé ce type de logiciel.

Concernant le blocage des mineurs, nous pouvons identifier les solutions suivantes, chacune ayant ses contraintes et ses limites :

    a) La demande de la date de naissance de l’utilisateur
Ce système, un peu plus bloquant que la simple déclaration de majorité, notamment chez les très jeunes, ne paraît pas assez efficace pour bloquer effectivement les mineurs, si elle n’est accompagnée d’aucun contrôle pour confirmer que la date de naissance de l’utilisateur est correcte.

L’article 227-24 al.3 prévoit que les infractions sont constituées même si le mineur a déclaré qu’il était âgé d’au moins 18 ans. Cette disposition pourrait être interprétée comme applicable tant à la simple confirmation du statut de majeur qu’à la saisie d’une fausse date de naissance par un mineur.

    b) La demande des coordonnées de carte bancaire
Une solution envisagée pour bloquer l’accès aux mineurs de manière plus efficace est de demander de saisir un numéro de carte bancaire lors de l’accès au site (sans débit, avec débit nominal afin de valider la carte, ou pour un accès payant au site). Même si certains jeunes de moins de 18 ans disposent d’une carte bancaire, et que d’autres pourraient utiliser la carte d’un adulte (sous réserve de connaître le code PIN de la carte …), ce système permet en principe de bloquer une plus grande partie des mineurs qui tentent d’accéder à un site pornographique.

    c) La demande de la copie d’une pièce d’identité
Enfin, il est possible de demander à chaque nouveau visiteur d’envoyer une copie de sa pièce d’identité à l’éditeur du site (ou à un service tiers), pour contrôler sa date de naissance.

Pour le moment, ce système semble le plus fiable mais est particulièrement contraignant : l’utilisateur doit scanner une pièce d’identité ; le contrôle doit être traité manuellement (il existe toutefois des services de contrôle numérique de pièces d’identité françaises) ; ce système aurait vraisemblablement un impact sur le nombre de visiteurs d’âge adulte. En cas d’utilisation d’un service tiers par l’éditeur du site, celui-ci n’aurait pas directement accès aux données personnelles du visiteur (hormis en cas d’inscription de l’utilisateur au site). Dans le cas contraire, il est recommandé de détruire la copie de la pièce d’identité dès le contrôle de la date de naissance réalisé.

    d) L’utilisation d’un service d’identité numérique
Les principales critiques relatives à la mise en place de solutions de blocage des mineurs concernent l’atteinte potentielle à la vie privée des utilisateurs, l’objectif étant de trouver l’équilibre entre un contrôle efficace de l’âge des visiteurs souhaitant accéder aux sites pornographiques et un système le moins invasif possible en matière de collecte de données personnelles, a priori sensibles (données relatives à l’orientation ou aux pratiques sexuelles).

Des services d’identité numérique proposés par des sociétés privées se développent, principalement pour sécuriser l’accès aux services en ligne, et garantir l’identité des individus en bout de chaîne (accès, signature, etc.).

On peut citer par exemple, Identité Numérique, service proposé par la société Docapost, filiale de La Poste. Ce service est utilisé notamment pour vérifier l’identité de l’utilisateur. Identité Numérique est principalement utilisé dans la banque (ouverture de compte, souscription de prêt, …) et dans le cadre d’achats immobiliers. Un autre exemple est My18Pass. Ce service se présente comme une solution de vérification simple et sécurisée de l’âge des utilisateurs.


4. La décision de rejet du blocage de sites pornographiques par le TJ de Paris


Dans un jugement du 8 octobre 2021, le tribunal judiciaire (TJ) de Paris a rejeté la demande de blocage de 9 sites pornographiques, intentée par les associations E-Enfance et La Voix de l’Enfant à l’encontre de 6 fournisseurs d’accès (dont Orange, SFR, Bouygues Telecom, et Free). (5)

En effet, ces sites n’avaient pas mis en place de solution de filtrage des utilisateurs, sachant que les mineurs pouvaient accéder aux contenus pornographiques soit directement, soit en confirmant simplement, sur la fenêtre s’affichant sur la page d’accueil des sites, qu’ils avaient plus de 18 ans.

La décision du tribunal de rejeter la demande des associations est fondée sur un problème procédural et non sur une question de fond.

En l’espèce, le tribunal a reconnu que l’accès des mineurs aux contenus de nature pornographique de ces sites constituait bien un trouble manifestement illicite, conformément à l’article 835 du code de procédure civile. Toutefois, en application des dispositions de l’article 6 de la LCEN, les demandeurs auraient dû contacter les éditeurs des sites hébergeant les contenus en cause avant de poursuivre les fournisseurs d’accès, d’autant que les coordonnées des éditeurs des sites étaient identifiées.

Il est vraisemblable que ces associations vont introduire une nouvelle action, soit par l’intermédiaire du CSA, soit en direct, à l’encontre de ces sites web, si ces derniers n’ont toujours pas mis en place de système de filtration des utilisateurs lors de l’accès à leurs sites.


       Ce phénomène, et les mesures de protection des mineurs, n’est évidemment pas limité à la France. Ainsi, en 2017, le Royaume-Uni a tenté d’imposer la vérification de l’âge des visiteurs de sites pornographiques accessibles sur son territoire. (6) Toutefois, face à l’impossibilité de trouver une mesure efficace et satisfaisante, cette mesure qui devait entrer en application en avril 2018, a finalement été abandonnée en octobre 2019. (7)

* * * * * * * * * * *

(1) Etude Ifop et Observatoire de la Parentalité et de l’Education Numérique, “Les adolescents et le porno : vers une “génération YouPorn” ?”, 15 mars 2017

(2) Loi n°2020-936 du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales

(3) Décret n°2021-1306 du 7 octobre 2021 relatif aux modalités de mise en oeuvre des mesures visant à protéger les mineurs contre l’accès à des sites diffusant un contenu pornographique

(4) Avis n°2021-0898 de l’Arcep du 11 mai 2021 concernant le projet de décret relatif aux modalités de mise en oeuvre des mesures visant à protéger les mineurs contre l’accès à un site diffusant un contenu pornographique

(5) Tribunal juridiciaire de Paris, 8 oct. 2021, associations E-Enfance et La Voix de l’Enfant c. Orange, SFR, et autres, n°RG 21/56149

(6) Digital Economy Act 2017 - Part 3

(7) BBC News, “UK’s controversial ‘Porn Blocker’ plan dropped”, 16/10/2019


Bénédicte DELEPORTE
Avocat

Octobre 2021