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jeudi 15 mai 2014

Droits d’utilisation des logiciels : de la nécessaire gestion des licences au sein de l’entreprise

Les modes d’utilisation des logiciels se sont multipliés, que ce soient les logiciels installés (dans l’entreprise ou sur des machines identifiées), ou une utilisation via des serveurs virtuels, en Cloud, avec un PC classique, ou depuis des appareils mobiles (tablettes, voire smartphones).

Une étude récente sur les audits menés par les éditeurs de logiciels, conduite par la société de conseil IDC auprès de 1398 entreprises, indique que les éditeurs de logiciels n’hésitent plus à auditer les entreprises utilisatrices afin de contrôler la conformité de l’utilisation de leurs logiciels aux licences conclues. En cas de non-respect des conditions de licence, les éditeurs réclament le règlement des surplus de redevances, éventuellement augmentés de pénalités. Les sommes réclamées peuvent aller de quelques milliers à plusieurs millions d’euros. (1)

Même si la multiplication des modes d’utilisation rend le suivi des licences particulièrement difficile à gérer pour l’entreprise et la DSI, cette question est primordiale dans le cadre d’une bonne gouvernance juridique et financière de l’entreprise.


1. Contrat de licence, droits d’utilisation du logiciel et gestion des licences

Le logiciel est une oeuvre de l’esprit protégée par le droit d’auteur. L’auteur (l’éditeur du logiciel) dispose des droits exclusifs sur l’oeuvre et décide donc de sa commercialisation et des conditions applicables, notamment en termes de calcul des redevances. (2) Ainsi, bien qu’en droit français, il n’existe aucune disposition spécifique dans le code de la propriété intellectuelle concernant la licence d’utilisation de logiciel, l’utilisation d’un logiciel propriétaire est soumise à l’autorisation du titulaire des droits sur ce logiciel. (3)

Les droits accordés aux utilisateurs sont décrits dans le contrat de licence. Les tribunaux ont reconnu la validité des différentes formes de licences, du format papier classique aux contrats d’adhésion comme les licences dites “shrink-wrap” pour les logiciels emballés, ou les licences “click-thru” pour les logiciels téléchargeables.

Les droits accordés diffèrent suivant les éditeurs et les logiciels concernés. Les droits d’utilisation peuvent ainsi être limités selon un type ou un nombre de postes déterminé, un nombre d’utilisateurs nommés, un volume d’utilisation, etc. Les limitations peuvent également être géographiques : limitation par site ou établissement (société disposant de plusieurs établissements), par pays ou encore par région.

De même, le calcul des redevances d’utilisation diffère selon les éditeurs et les modes d’utilisation : versement d’une redevance unique et forfaitaire, abonnement périodique calculé en fonction du nombre de postes ou du volume d’utilisation, redevances évolutives en fonction des montées de version du logiciel, etc.

Comme mentionné plus haut, la multiplication des modes d’utilisation des logiciels dans l’entreprise rend le suivi et la gestion des licences - donc des droits accordés par l’éditeur - de plus en plus difficile à gérer pour les équipes IT. Même si les outils de gestion de licence (ou software license optimization tools) sont de plus en plus déployés, il ressort de l’étude IDC précitée que la majorité des entreprises utiliseraient plusieurs méthodes de suivi des licences, y compris le suivi manuel (via des tableurs). Cependant, de nombreuses entreprises n’ont toujours aucune méthode de suivi de conformité des logiciels utilisés par rapport à leurs contrats de licence.

Or, en sus de se mettre en situation de manquement à leurs obligations contractuelles, les entreprises fautives courent plusieurs risques.

Outre le risque financier (paiement des redevances supplémentaires, éventuellement augmentées de pénalités), l’éditeur peut décider de résilier la licence d’utilisation pour violation des obligations contractuelles, voire même poursuivre l’entreprise contrevenante pour contrefaçon de ses droits de propriété intellectuelle. 

La résiliation du contrat de licence peut être extrêmement pénalisante pour l’entreprise dont une partie de l’activité reposerait sur l’utilisation du logiciel en cause, l’obligeant à identifier un logiciel équivalent sur le marché et à transférer les données traitées vers le nouvel outil, souvent dans des délais très brefs.

Par ailleurs, les poursuites judiciaires qui seraient intentées par l’éditeur contre l’entreprise contrevenante nécessiteront la mobilisation de personnels internes et de consultants externes (avocats, experts, etc.), entraînant des coûts importants pour celle-ci.


2. Les clauses d’audit et le contrôle de conformité aux licences logiciel

La licence étant de nature contractuelle, le non-respect - volontaire ou non - des conditions d’utilisation du logiciel met l’entreprise utilisatrice en situation de manquement à ses obligations contractuelles.

Nombre d’éditeurs incluent dans leur contrat de licence une clause d’audit de conformité. Cette clause d’audit leur donne la possibilité de contrôler les conditions d’utilisation du logiciel et la conformité de cette utilisation aux clauses contractuelles. L’entreprise utilisatrice s’engage généralement à tenir un journal de suivi des licences devant correspondre aux droits accordés par la licence.

Lors d’un audit, en cas d’écarts constatés entre les droits accordés et l’utilisation réelle par l’entreprise auditée, un rapport d’audit est établi. L’entreprise est alors sommée de régler les redevances supplémentaires correspondant à l’utilisation effective du logiciel, parfois accompagnées de pénalités pour utilisation abusive et non autorisée du logiciel, et/ou facturation des frais d’audit à la société.

Même si ces clauses peuvent être rédigées en termes très généraux, elles peuvent également prévoir de limiter le nombre d’audits sur une période donnée (un audit au maximum par périodes de 12 mois par exemple) et prévoir qu’en cas de dépassement des droits inférieur à un pourcentage donné (5 ou 10% par exemple), la société ne sera pas tenue de régler les redevances supplémentaires.

Les clauses d’audit de conformité sont de plus en plus présentes dans les contrats de licence. Ces clauses font souvent l’objet de négociations sur les conditions d’audit, l’application de pénalités en cas de dépassement des droits d’utilisation et la durée pendant laquelle l’audit pourra être conduit après la résiliation ou l’expiration du contrat de licence.


Les éditeurs tendent à utiliser de plus en plus leur faculté d’audit pour contrôler la conformité de l’utilisation de leurs logiciels aux droits conférés par la licence. Malgré la complexité du suivi des licences dans l’entreprise, il est indispensable de mettre en place des méthodes rigoureuses de gestion des licences logicielles. Les entreprises utilisatrices doivent être vigilantes non seulement sur le suivi des licences, mais également sur les évolutions de leur activité, telles que l’ouverture de nouveaux établissements, la création de filiales, en France ou à l’étranger, le passage au Cloud, toutes ces évolutions ayant un impact sur les licences.

En parallèle, il est fortement recommandé de mettre en place une charte informatique dans l’entreprise, et ce quelle que soit sa taille. Cette charte, véritable outil pédagogique pour les salariés, mais aussi disciplinaire, devra notamment préciser les conditions d’utilisation des équipements, et des logiciels, mis à la disposition des collaborateurs de l’entreprise, la possibilité ou l’interdiction de télécharger des logiciels pour une utilisation dans le cadre de leur activité professionnelle, éventuellement les conditions d’utilisation de leurs propres outils informatiques dans un cadre professionnel (BYOD). Ce document devra être revu et mis à jour régulièrement afin de suivre les évolutions des technologies et des usages.


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(1) Voir le rapport intitulé 2013-14 Key trends in software pricing and licensing survey: software license audits: costs & risks to enterprises, commandité par Flexera Software

(2) Article L.112-2 du Code de la propriété intellectuelle. Par ailleurs, la licence d'utilisation d'un logiciel n'est pas définie, dans le Code de la propriété intellectuelle, contrairement aux règles de cession des droits de propriété intellectuelle qui suivent les dispositions de l’article L.131-3 du Code de la propriété intellectuelle.


(3)
L’arrêt de la CJUE C-128/11 UsedSoft GmbH / Oracle International Corp du 3 juillet 2012 ne remet pas en question la notion de limitations aux droits d’utilisation du logiciel. Ainsi, un logiciel qui aurait été “revendu” par un premier utilisateur “légitime” i) ne pourra plus être utilisé par ce premier utilisateur et ii) ne pourra être utilisé par l’acquéreur que dans les limites autorisées par l’éditeur (limites en nombre de postes, limites géographiques, etc.).

Bénédicte DELEPORTE
Avocat

Deleporte Wentz Avocat

www.dwavocat.com

Mai 2014