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lundi 26 août 2024

Loi SREN : renforcer la protection des mineurs contre les contenus pornographiques


 Ce qu’il faut retenir

 La loi Sécurité et Régulation de l’Espace Numérique (“loi SREN”) a été adoptée le 21 mai 2024. (1)  L’un des objectifs de la loi est de renforcer la protection des mineurs contre les contenus inappropriés tels que la pornographie en ligne en mettant en place un système de contrôle de l’âge minimum des internautes accédant à ces contenus, des règles de mise en conformité pour les plateformes concernées et un régime de sanctions pour les sites non conformes.

 

Lire la suite de l'article: https://www.deleporte-wentz-avocat.com/actualite-loi-sren-renforcer-la-protection-des-mineurs-contre-les-contenus-pornographiques

 

lundi 19 septembre 2022

Prévention de la diffusion de contenus terroristes en ligne : les nouvelles règles applicables


L’un des axes de la lutte anti-terroriste et contre la radicalisation porte sur la lutte contre la diffusion sur internet de contenus à caractère terroriste. L’Union européenne a renforcé sa réglementation en la matière avec l’adoption du règlement relatif à la lutte contre la diffusion de contenus à caractère terroriste en ligne, ou règlement “TCO”, le 29 avril 2021. (1)

En France, après l’adoption de la loi du 24 août 2021, la réglementation relative à la lutte contre la diffusion de contenus terroristes en ligne vient d’être complétée par la loi du 16 août 2022. (2)

Cette loi poursuit et complète l’adaptation du droit français à la lutte contre la diffusion de contenus terroristes suite à l’entrée en application du règlement européen le 7 juin 2022. la nouvelle réglementation précise les conditions relatives à la notification et au retrait des contenus à caractère terroriste, les sanctions applicables pour non-respect de l’obligation de retrait, et enfin, les recours ouverts aux hébergeurs et fournisseurs de contenus pour contester une injonction de retrait de contenus.


1. Les règles relatives au retrait des contenus à caractère terroriste


La notion de “contenu à caractère terroriste” est précisément définie et les différents cas de figure listés dans le règlement comme “un ou plusieurs des types de matériel suivants, à savoir le matériel qui:
    a) incite à la commission de l’une des infractions visées à l’article 3, paragraphe 1, points a) à i), de la directive (UE) 2017/541, lorsque ce matériel prône la commission d’infractions terroristes, directement ou indirectement, par exemple en glorifiant les actes terroristes, entraînant ainsi le risque qu’une ou plusieurs de ces infractions soient commises ;
    b) sollicite une personne ou un groupe de personnes pour commettre l’une des infractions visées à l’article 3 (…) de la directive (UE) 2017/541, ou pour contribuer à la commission de l’une de ces infractions;
    c) sollicite une personne ou un groupe de personnes pour participer aux activités d’un groupe terroriste au sens de l’article 4, point b), de la directive (UE) 2017/541;
    d) fournit des instructions concernant la fabrication ou l’utilisation d’explosifs, d’armes à feu ou d’autres armes, ou de substances nocives ou dangereuses, ou concernant d’autres méthodes ou techniques spécifiques aux fins de commettre l’une des infractions terroristes visées à l’article 3 (…) de la directive (UE) 2017/541 ou de contribuer à la commission de l’une de ces infractions;
    e) constitue une menace quant à la commission d’une des infractions visées à l’article 3 (…) de la directive (UE) 2017/541.”

L’article 6-1 de la LCEN, modifié par la loi du 24 août 2021 et entré en vigueur le 7 juin 2022,  impose un délai très court - 24 heures - aux hébergeurs techniques et aux fournisseurs de contenus pour retirer ou bloquer les contenus à caractère terroriste. Ce délai court à compter de la réception d’une injonction de retrait de la part des autorités. En France, l’autorité compétente pour émettre les injonctions de retrait ou de blocage de contenus à caractère terroriste est l’Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication - OCLCTIC.

Les injonctions de retrait doivent notamment être motivées et inclure l’URL exacte pour permettre aux destinataires d’accéder directement au contenu litigieux et prendre les mesures de suspension ou de blocage qui s’imposent.
 
Les fournisseurs de services d’hébergement destinataires d’une injonction de retrait informent l’autorité compétente du retrait ou du blocage du contenu en cause et des date et heure de cette action.  

Un modèle d’injonction de retrait et un modèle de réponse aux autorités figurent en annexe au règlement TCO.

L’OCLCTIC peut par ailleurs communiquer les adresses électroniques dont les contenus auraient un caractère terroriste, aux moteurs de recherche ou aux annuaires pour que ces derniers désindexent lesdits contenus, notamment lorsque le retrait n’a pas été effectué dans les délais impartis.

L’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) est identifiée comme l’organisme compétent, par l’intermédiaire d’une personnalité qualifiée désignée en son sein, pour s’assurer notamment de la régularité des demandes de suppression et de déréférencement de contenus.

L’Arcom est également en charge de recueillir auprès des hébergeurs les informations nécessaires au suivi de l’application de leur obligation de retrait ou de blocage et de les mettre en demeure de se conformer à leurs obligations de retrait ou de rétablissement éventuel de contenus litigieux


2. Les sanctions applicables pour non-respect de l’obligation de retrait

Ces dispositions sont complétées par les nouveaux articles 6-1-1 à 6-1-5 de la LCEN qui précisent les modalités pratiques de la mise en oeuvre des injonctions de retrait et notamment les sanctions pénales applicables pour non-respect de l’obligation de retrait ou de blocage de contenus à caractère terroriste.

Le montant des sanctions est à la hauteur de l’enjeu de sécurité publique. En effet, l’absence de retrait ou de blocage d’un tel contenu par un hébergeur ou un éditeur de contenu dans le délai d’une heure à compter de la réception d’une injonction est punie d’un an d’emprisonnement et de 250.000 euros d’amende, ou 1.250.000 euros d’amende pour les personnes morales, qui peuvent par ailleurs être déclarées pénalement responsables. Lorsque cette infraction est commise “de manière habituelle” par une personne morale, l’amende peut atteindre 4% de son chiffre d’affaires mondial pour l’exercice N-1.

En cas de non-respect de leurs obligations de diligence vis-à-vis de ces contenus, l’Arcom peut en outre prononcer une amende administrative à l’encontre des hébergeurs fautifs, pouvant atteindre 4% de leur chiffre d’affaires mondial pour l’exercice N-1. Le montant de la sanction prend en considération plusieurs critères d’appréciation, tels que la nature, la gravité et la durée du manquement, le caractère intentionnel ou négligent du manquement, son caractère répétitif ou non, la coopération de l’hébergeur avec les autorités compétentes, etc.


3. Quels recours pour les hébergeurs et fournisseurs de contenus contre les injonctions de retrait de contenus ?

La loi prévoit différentes voies de recours aux hébergeurs et fournisseurs de contenus pour contester une injonction de retrait.

Les fournisseurs services d’hébergement et de contenus, ainsi que la personnalité qualifiée désignée par l’Arcom, peuvent demander l’annulation d’une injonction de retrait ou de blocage au président du tribunal administratif dans un délai de 48 heures à compter de sa réception par l’hébergeur, ou pour le fournisseur de contenu, à compter du moment où il a été informé du retrait du contenu par l’hébergeur.

De même, les fournisseurs de service d’hébergement et de contenu peuvent demander à la juridiction administrative d’annuler la décision motivée de la personnalité qualifiée désignée par l’Arcom, dans un délai de 48 heures à compter de la notification de cette décision.

Le président du tribunal administratif statue sur la légalité de l’injonction de retrait ou de la décision motivée dans les 72 heures de sa saisine.

    La plateforme Pharos permet à toute personne de signaler les contenus illicites, et notamment les contenus à caractère terroriste. (3) Ces signalements sont ensuite traités par l’OCLCTIC qui peut demander aux hébergeurs et aux fournisseurs de contenus le retrait desdits contenus dans le délai de 24 heures, ou leur blocage par les fournisseurs d’accès et les moteurs de recherche.

Selon les autorités, en 2021 l’OCLCTIC a prononcé près de 15.000 demandes de retrait auprès des hébergeurs et des fournisseurs de contenus.


                                                        * * * * * * * * * * *


(1) Règlement (UE) 2021/784 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2021 relatif à la lutte contre la diffusion de contenus à caractère terroriste en ligne, ou règlement “TCO” (terrorist content online)

(2) Loi n°2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République ;
Loi n°2022-1159 du 16 août 2022 portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière de prévention de la diffusion de contenus à caractère terroriste en ligne, codifiée aux articles 6-1-1 à 6-1-5 de la loi n°2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN)

(3) Plateforme Pharos accessible à : https://www.internet-signalement.gouv.fr/PharosS1/


Bénédicte DELEPORTE
Avocat

Deleporte Wentz Avocat
www.dwavocat.com

Septembre 2022

mardi 19 avril 2022

Google Ads : confirmation de la condamnation de Google pour abus de position dominante

 
Dans un arrêt du 7 avril 2022, la Cour d’appel de Paris a confirmé la décision rendue par l’Autorité de la concurrence en date du 19 décembre 2019 ayant condamné la société Google à une amende de 150.000 euros pour abus de position dominante sur le marché de la publicité en ligne et enjoint Google de clarifier la rédaction des règles de fonctionnement de Google Ads ainsi que la procédure de suspension des comptes des annonceurs. (1) Nous rappelons ci-après les conditions d’utilisation du service Google Ads, la notion d’abus de position dominante et la situation de Google sur le marché de la publicité en ligne, ayant justifié cette décision.
 
 
Ce qu’il faut retenir :
 
Selon l’Autorité de la concurrence, Google détient une position “ultra-dominante” sur le marché français de la publicité en ligne liée aux recherches.

L’Autorité ne remet pas en cause la liberté de Google de définir des règles limitant ou interdisant l’utilisation de son service Google Ads pour des produits et services licites à des fins de protection des consommateurs. Toutefois, ces règles doivent être définies de manière claire et être appliquées de manière objective, transparente et non-discriminatoire.



1. Les conditions d’utilisation du service Google Ads

Le service Google Ads (dénommé AdWords jusqu’en juillet 2018) est une régie publicitaire proposée par la société Google qui permet aux annonceurs “d’acheter” des mots-clés qui déclencheront l’affichage de leurs annonces publicitaires lorsque les internautes saisiront ces mots-clés. Ces annonces sont identifiées sur Google comme annonces publicitaires, publicités ou annonces sponsorisées. Les annonceurs paient, selon un système d’enchère sur les mots-clés sélectionnés, lorsqu’un utilisateur clique sur l’annonce.

L’utilisation du service Google Ads est soumise aux Conditions générales de publicité de la société Google, complétées par des règles applicables à certaines catégories de produits et de services.

    1.1 Les Conditions générales de publicité de Google


Lorsqu’un annonceur (ou une agence) s’inscrit sur le service Google Ads, il doit accepter les Conditions générales de publicité de Google qui régissent leurs relations contractuelles.

L’article 1, “Programmes” décrit les conditions d’inscription aux différents services publicitaires de Google, dont Google Ads. Cet article stipule notamment que “Google et ses Partenaires peuvent refuser ou retirer une Publicité, Cible ou Destination spécifique à tout moment”.

L’article 3, “Politiques” stipule que “le Client (l’annonceur)est seul responsable de l’utilisation des Programmes. (…) L’Utilisation par le Client des Programmes est soumise aux politiques et règlements de Google (…) et à l’ensemble des autres politiques mises à la disposition du Client par Google (…)”.

    1.2 Les règlements régissant l’utilisation de Google Ads

Les Conditions générales de publicité sont complétées par des règlements (ou règles) qui limitent ou interdisent l’utilisation de Google Ads par les annonceurs.

Ces règles sont organisées en quatre groupes :
  1. les contenus interdits (par exemple les annonces pour des produits ou services dangereux, ou pour incitation à un comportement malhonnête) ; 
  2. les pratiques interdites (par exemple l’utilisation abusive du réseau publicitaire, ou les annonces comprenant des déclarations trompeuses) ;  
  3. les contenus et fonctionnalités soumis à des restrictions (par exemple les annonces pour des contenus à caractère sexuel, alcools, jeux d’argent et de hasard) ; et  
  4. les règles d’exigence éditoriales et techniques.
Google identifie certains produits et services licites mais “propices à des abus” et présentant un risque déraisonnable pour la sécurité des internautes. Les annonces pour ces produits et services sont donc interdites par Google, afin de protéger les consommateurs et éviter les abus.


2. L’abus de position dominante

L’abus de position dominante est prohibé tant par le droit européen que par le droit français.

L’article L.420-2 al.1 du Code de commerce dispose qu’ “Est prohibée, (…) l’exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d’entreprises d’une position dominante sur le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci. Ces abus peuvent notamment consister en refus de vente (…) ainsi que dans la rupture de relations commerciales établies, au seul motif que le partenaire refuse de se soumettre à des conditions commerciales injustifiées.”

L’existence d’une situation de position dominante n’est pas répréhensible en soi. Toutefois, l’entreprise en situation de position dominante doit être particulièrement attentive au respect de la concurrence et au traitement non discriminatoire de ses clients et utilisateurs. Deux conditions doivent être réunies pour que la position dominante soit considérée comme répréhensible : 1) l’existence d’une position dominante, et 2) son exploitation abusive.

La position dominante s’analyse par rapport au pouvoir détenu par une entreprise sur un “marché pertinent” où agissent plusieurs concurrents. Selon la jurisprudence, l’existence d’une position dominante impose à l’entreprise concernée la responsabilité de ne pas porter atteinte par son comportement à une concurrence effective et non faussée.


3. La situation de Google sur le marché de la publicité en ligne et l’affaire Gibmedia

La société Gibmedia avait saisi l’Autorité de la concurrence courant 2018 pour abus de position dominante de la part de Google sur le marché de la publicité en ligne.

Gibmedia édite plusieurs sites d’informations, dont les sites pages-annuaire.net et annuaire-inverse.net. A la suite de la suspension sans préavis de son compte Google Ads, la société Gibmedia a saisi l’Autorité pour pratiques anticoncurrentielles au motif que la procédure suivie par Google et les raisons de la suspension n’étaient pas objectifs, transparents, et non-discriminatoires.

Gibmedia estime que Google a abusé de sa position dominante sur le marché de la publicité en ligne en adoptant des règles de fonctionnement de sa plateforme Google Ads opaques et difficilement compréhensibles, et en les appliquant de manière inéquitable et aléatoire.

    3.1 La position ultra-dominante de Google

En l’espèce, le marché pertinent consiste en la publicité en ligne liée aux recherches, sur le marché français. Selon l’Autorité de la concurrence, Google détient une position dominante sur ce marché. L’Autorité qualifie même cette situation comme présentant des caractéristiques “extraordinaires”, notamment dans la mesure où son moteur de recherche totalise plus de 90% des recherches effectuées en France et sa part de marché de la publicité en ligne liée aux recherches serait supérieure à 90%.

En outre, selon l’Autorité, la plateforme Google Ads a une nature “biface” : d’un côté, utilisée par 90% des internautes en France ; de l’autre bénéficiant d’une dynamique très forte auprès des annonceurs, aboutissant ainsi à une position ultra-dominante.

Cette position sur le marché de la publicité en ligne impose une responsabilité particulière de Google en matière de respect des règles de concurrence, et particulièrement dans la mise en oeuvre des règles qui régissent l’utilisation de Google Ads.

Même si l’Autorité ne va pas jusqu’à reconnaître un abus de dépendance économique entre les sociétés Google et Gibmedia, elle relève que d’une manière générale, compte tenu de cette situation d’ultra-dominance, “la position des annonceurs à l’égard de l’offre de Google est (…) particulièrement contrainte”.

    3.2 Des règles Google Ads qui manquent de clarté

L’Autorité ne remet pas en cause la liberté de Google de définir des règles limitant l’utilisation de son service Google Ads à des fins de protection des consommateurs. Ces règles doivent être définies de manière claire et appliquées de manière objective, transparente et non-discriminatoire. Cet objectif ne saurait cependant justifier que Google traite de manière différenciée et aléatoire des acteurs dans des situations comparables. Google ne peut pas suspendre le compte d’un annonceur au motif qu’il proposerait des services qu’elle estime contraire aux intérêts du consommateur, tout en acceptant de référencer et d’accompagner sur sa plateforme publicitaire des sites qui vendent des services similaires.

Or, l’Autorité relève que les règles applicables aux annonceurs sont :

  • imprécises et confuses dans leur formulation et leur interprétation, 
  • sujettes à de nombreuses modifications par Google sans que les annonceurs en soient informés, 
  • soumises à des changements de position dans leur interprétation, créant une situation d’instabilité et d’insécurité juridique et économique pour les annonceurs, 
  • appliquées de manière discriminatoire : plusieurs sites ont été suspendus alors que d’autres, aux contenus ou services similaires, ne l’étaient pas.

L’Autorité a prononcé à l’encontre de Google une sanction de 150 millions d’euros et ordonné à Google de :
    - clarifier la rédaction des Règles de Google Ads,
    - clarifier les procédures de suspension des comptes afin d’éviter que celles-ci ne revêtent un caractère brutal et injustifié,
    - et mettre en place des procédures d’alerte, de prévention, de détection et de traitement des manquements à ses Règles, afin que les mesures de suspension de sites ou de comptes Google Ads soient strictement nécessaires et proportionnées à l’objectif de protection des consommateurs.


    La décision Gibmedia de l’Autorité de la concurrence, confirmée par la Cour d’appel de Paris est dans la droite ligne de la jurisprudence de l’Autorité. (2) Ainsi, dans l’affaire Amadeus, datant de janvier 2019, l’Autorité rappelait déjà que Google est libre de déterminer sa politique de contenus, mais ces règles doivent être suffisamment intelligibles pour les acteurs économiques et s’appliquer dans des conditions objectives, transparentes et non-discriminatoires afin que tous les annonceurs d’un même secteur soient traités sur un pied d’égalité.

Depuis cette dernière décision, Google a clarifié une partie des règles applicables au service Google Ads.


                                                      * * * * * * * * * * *

(1) CA Paris, 7 avril 2022, Google Ireland Ltd c. GibMedia ; Aut. Conc. déc. n°19-D-26, 19 décembre 2019, GibMedia

(2) Voir les décisions Navx - Aut. conc. déc. n°10-MC-01, 30 juin 2010 et Aut. conc. déc. n°10-D-30, 28 octobre 2010, et Amadeus - Aut. conc. déc. n°19-MC-01, 31 janvier 2019


Bénédicte DELEPORTE
Avocat

Deleporte Wentz Avocat
www.dwavocat.com

Avril 2022


lundi 7 février 2022

DMA : Proposition de règlement sur les marchés numériques pour encadrer les “contrôleurs d’accès”


La réforme européenne du droit du numérique vient de passer une étape décisive avec le vote, par le Parlement européen, de la proposition de Règlement sur les marchés numériques (Digital Markets Act - DMA) le 15 décembre 2021, suivi du vote de la proposition de Règlement sur les services numériques (Digital Services Act - DSA) le 20 janvier 2022. Ces deux projets de règlements passent maintenant par l’étape d’un trilogue entre des représentants du Parlement, du Conseil et de la Commission afin de parvenir à un accord sur le texte définitif, pour une entrée en application probablement début 2023. (1) 

L’objectif de cette réforme d’envergure est double : réguler le fonctionnement des marchés numériques, et plus particulièrement, le rôle des “contrôleurs d’accès” (ou “gatekeepers”), dont les GAFAM, qui jouent un rôle dominant sur le marché, et réguler les services numériques, afin de lutter plus efficacement contre les contenus illicites et la propagation de fausses informations.

Dans ce premier article, nous nous concentrons sur le DMA. Un second article suivra afin de présenter le DSA, ces deux textes ayant des objectifs distincts.


Ce qu’il faut retenir

Le DMA a pour objectif de réguler le comportement des grandes plateformes numériques, y compris les services de plateforme essentiels, qui agissent en tant que “contrôleurs d’accès” (ou “gatekeepers”) sur les marchés, notamment les GAFAM. Les services concernés comprennent, entre autres, les systèmes d’exploitation, les services de publicité en ligne, les moteurs de recherche, les réseaux sociaux, etc.

Les contrôleurs d’accès seront soumis à un certain nombre d’obligations dans le but d’améliorer la concurrence entre les entreprises utilisatrices et les services proposés par les contrôleurs d’accès.



1. Le DMA - ou la régulation des contrôleurs d’accès

Selon l’exposé des motifs du DMA, “Certaines grandes plateformes jouent de plus en plus le rôle de points d’accès ou de contrôleurs d’accès entre les entreprises utilisatrices et les utilisateurs finaux et jouissent d’une position solide et durable, qui résulte souvent de la création d’écosystèmes de conglomérat organisés autour de leurs services de plateforme essentiels, renforçant ainsi les barrières à l’entrée existantes.”

Ainsi, le DMA a pour objectif de réguler le comportement des grandes plateformes numériques qui agissent en tant que “contrôleurs d’accès” sur les marchés. Alors qu’il existerait plus de 10.000 plateformes actives sur le marché communautaire, seul un petit nombre d’entre elles captent la plus grande part de la valeur générée.

Suivant le constat des régulateurs, ces plateformes ont atteint une taille telle qu’elles ont rendu les utilisateurs - consommateurs et entreprises, dépendants de leurs services. Elles se positionnent ainsi en tant que régulateurs privés pouvant imposer des conditions inéquitables aux entreprises et aux consommateurs (services captifs, blocage de l’accès aux données générées en ligne par les entreprises, etc.) et imposent des barrières à l’entrée à leurs concurrents potentiels, qui ne peuvent avoir accès au marché. En effet, les contrôleurs d’accès, par leur taille, ont acquis une situation dominante, présentant des risques pour les droits des utilisateurs, personnes physiques et morales.


2. Plateformes essentielles et contrôleurs d’accès

Le DMA vise plus particulièrement les services de plateforme essentiels (les contrôleurs d’accès ou certains services qu’ils proposent). Ces services de plateforme essentiels recouvrent les services suivants :

  • l’intermédiation en ligne (y compris les places de marchés - Amazon, App Store, Google Play), 
  • les moteurs de recherche (Google),
  • les réseaux sociaux (Facebook, Instagram),  
  • les plateformes de partage de vidéos (Youtube),
  • les services de communication électronique,
  • les systèmes d’exploitation (Android, iOS),  
  • les services en nuage (AWS, iCloud, Google Cloud) et  
  • les services de publicité en ligne (Google Ads).

Pour être qualifié de contrôleur d’accès, un service de plateforme essentiel doit remplir plusieurs critères quantitatifs (art. 3 DMA), à savoir :

  1. avoir une forte incidence sur le marché numérique européen, c’est-à-dire réaliser un chiffre d’affaires annuel dans l’UE égal ou supérieur à 6,5 milliards d’euros au cours des trois derniers exercices ou avoir une capitalisation boursière moyenne, ou atteindre une juste valeur marchande équivalente de l’entreprise à laquelle il appartient, au moins égale à 65 milliards d’euros au cours du dernier exercice, et fournir un service de plateforme essentiel dans au moins trois Etats membres ; 
  2. exploiter un ou plusieurs points d’accès majeur des entreprises pour développer leurs activités commerciales en ligne, c’est-à-dire avoir enregistré plus de 45 millions d’utilisateurs actifs par mois dans l’UE et plus de 10.000 entreprises utilisatrices actives dans l’UE au cours du dernier exercice ; 
  3. occuper une position solide et durable sur le marché, c’est-à-dire avoir atteint le nombre d’utilisateurs finaux mentionné ci-dessus pendant les trois derniers exercices.

Les contrôleurs d’accès doivent informer la Commission de leur situation dans un délai de trois mois et fournir les informations visées ci-dessus. Ils pourront également démontrer à la Commission qu’ils ne remplissent pas ces critères. Enfin, la Commission pourra désigner comme contrôleur d’accès des services de plateforme essentiels qui satisfont aux exigences qualitatives ci-dessus, mais qui ne remplissent pas les critères quantitatifs.


3. Les obligations des contrôleurs d’accès

Les contrôleurs d’accès sont soumis à un certain nombre d’obligations, l’objectif étant d’améliorer la concurrence entre les entreprises utilisatrices et les services proposés par les contrôleurs d’accès.

Parmi ces obligations, les contrôleurs d’accès doivent (art. 5 DMA) : 

  • s’abstenir de combiner les données personnelles issues de leurs services avec les données issues des autres services proposés par le contrôleur d’accès ou par des services tiers ; 
  • permettre aux entreprises utilisatrices de proposer les mêmes produits ou services aux utilisateurs finaux via des services d’intermédiation en ligne tiers à des prix ou des conditions différents de ceux proposés par le contrôleur d’accès ; 
  • permettre aux entreprises utilisatrices de promouvoir leurs offres auprès des utilisateurs finaux acquis grâce au service de plateforme essentiel et de conclure des contrats avec ces utilisateurs finaux ; 
  • s’interdire d’exiger des entreprises utilisatrices ou des utilisateurs finaux qu’ils s’abonnent ou s’enregistrent à un autre service de plateforme essentiel comme condition d’accès, d’inscription ou d’enregistrement à l’un de ses services de plateforme essentiel ; 
  • faire réaliser un audit, par un auditeur indépendant, sur les techniques de profilage des consommateurs utilisées, les résultats devant être soumis à la Commission. (art. 13 DMA)

Par ailleurs, le DMA interdira certaines pratiques manifestement déloyales, telles que l’interdiction pour les utilisateurs de désinstaller des logiciels ou applications pré-installés. Le règlement imposera également l’interopérabilité entre les services proposés sur ces plateformes et les logiciels tiers.

La Commission européenne aura la possibilité de mener des enquêtes de marché ciblées pour déterminer s’il y a lieu de faire évoluer la règlementation sur les contrôleurs d’accès pour suivre l’évolution des marchés numériques. (art. 18 et s. DMA)

 

4. Des sanctions dissuasives en cas de violation du DMA

Les sanctions pouvant être imposées par la Commission européenne et par les tribunaux nationaux se veulent être à la hauteur des enjeux et de la taille des acteurs concernés.

En cas de violation des dispositions du DMA, les amendes pourront atteindre 10% du chiffre d’affaires réalisé au cours de l’exercice précédent par le contrôleur d’accès. Pour fixer le montant de l’amende, la Commission prendra en considération la gravité, la durée et la récurrence des manquements aux obligations du DMA. (art. 26 DMA)


A l’issue de l’examen du DMA par le Parlement, les députés européens souhaitent améliorer les critères de qualification des contrôleurs d’accès. Les députés ont par ailleurs inclus les navigateurs web, les assistants virtuels et les télévisions connectées dans le champ du DMA et ajouté la possibilité de désinstaller des applications préinstallées. Les seuils quantitatifs permettant de désigner les contrôleurs d’accès ont également été relevés à 8 milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel ou 80 milliards d’euros de capitalisation boursière et le montant des amendes a été doublé, de 10 à 20% du chiffre d’affaires.

Ces dernières années, avec la montée en puissance des GAFAM, les juridictions des Etats membres et la Commission en Europe d’une part, les juridictions américaines d’autre part, ont tenté de lutter contre des pratiques jugées abusives de la part des sociétés, qualifiées de “contrôleurs d’accès” - sans grand succès. L’objectif du DMA est donc, par l’imposition de règles homogènes dans l’Union européenne, de lutter contre les avantages permettant à ces très grands groupes de conserver leur position dominante, favorisant notamment leurs produits et services par rapport aux entreprises utilisatrices ou exploiter les données générées par ces entreprises à leur propre avantage et, in fine permettre plus de compétitivité et de diversité, en donnant accès au marché à des acteurs de taille plus modeste.



                                                      * * * * * * * * * * *

(1) Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif aux marchés contestables et équitables dans le secteur du numérique (Digital Markets Act - DMA)


Bénédicte DELEPORTE
Avocat


Deleporte Wentz Avocat
www.dwavocat.com

Février 2022

mardi 20 février 2018

Plateformes internet - Trois nouveaux décrets “pour favoriser la transparence des plateformes numériques”


Afin d’améliorer la confiance des utilisateurs dans les services numériques, et pour faire suite à la loi pour une République numérique (1), trois décrets d’application “pour favoriser la transparence des plateformes numériques” ont été publiés le 29 septembre 2017. (2) Ces décrets concernent les moteurs de recherche, les réseaux sociaux et les sites comparateurs ainsi que les places de marchés et les sites d'économie collaborative.

1. A compter du 1er janvier 2018, les plateformes qui valorisent des contenus, des biens ou des services proposés par des tiers, à savoir les moteurs de recherche et les sites comparatifs notamment, devront préciser les critères de référencement et de déréférencement ainsi que les critères de classement de leurs résultats. Ces sites devront également indiquer dans quelle mesure le montant de leur rémunération entre en compte dans l'ordre de présentation des contenus.

Les plateformes de mise en relation doivent prévoir une rubrique accessible depuis toutes les pages du site comprenant notamment les informations relatives à la qualité des personnes pouvant proposer la vente de biens ou de services (consommateurs ou professionnels), la description de la mise en relation entre vendeurs et acheteurs, la commission due à la plateforme pour la mise en relation, etc. A noter que ces informations figurent en principe dans les conditions générales de la plateforme.

Enfin, les plateformes B-to-C doivent mettre à la disposition des vendeurs professionnels un espace permettant la communication des informations prévues aux articles L.221-5 et L.221-6 du code de la consommation (description du bien ou du service proposé, prix, délais de livraison, coordonnées du professionnel, garantie légale, existence d’un droit de rétractation, modalités de règlement des litiges, etc.).

Par ailleurs, les sites web publiant des avis de consommateurs devront préciser si ces avis ont été vérifiés et, le cas échéant, de quelle manière cette vérification a été effectuée. Lorsque les avis sont vérifiés, l’opérateur du site doit veiller à ce que les données personnelles des contributeurs soient traitées conformément aux obligations de la loi Informatique et Libertés.

2. A compter du 1er janvier 2019, les plateformes qui comptabilisent en moyenne plus de 5 millions de visiteurs uniques mensuels devront “appliquer des bonnes pratiques en matière de clarté, de transparence et de loyauté.” Ces règles, qui devront être consultables en ligne, correspondent aux obligations générales d’information précontractuelle définies aux articles L.111-1 et suivants du code de la consommation.


                                                                      * * * * * * * * * * * *

(1) Loi n°2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une république numérique

(2) Décret n°2017-1434 du 29 septembre 2017 relatif aux obligations d'information des opérateurs de plateformes numériques ; Décret n°2017-1435 du 29 septembre 2017 relatif à la fixation d'un seuil de connexions à partir duquel les opérateurs de plateformes en ligne élaborent et diffusent des bonnes pratiques pour renforcer la loyauté, la clarté et la transparence des informations transmises aux consommateurs ; Décret n°2017-1436 du 29 septembre 2017 relatif aux obligations d'information relatives aux avis en ligne de consommateurs



Bénédicte DELEPORTE
Avocat

Deleporte Wentz Avocat
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Février 2018

vendredi 14 mars 2014

E-réputation : quand le droit s’adapte au numérique

 Le magazine Face au Risque a publié son 500ème numéro en février. A cette occasion, une rubrique a été consacrée à "La loi, aujourd’hui et demain". Nous y avons participé en publiant l'article ci-après dans lequel nous avons retracé l’évolution de la réglementation en matière de réputation en ligne.


    Internet est un espace de liberté d’expression, sans pour autant être exonéré des règles de droit. Si le réseau offre la possibilité pour tous de partager du contenu et donner son avis sur des produits et services, il permet aussi aux internautes de contribuer à faire et défaire la réputation d’une entreprise, ce qui peut être lourd de conséquence en termes économiques.

Face à des pratiques malveillantes, la loi a évolué pour prendre en compte les spécificités du web. C’est ainsi qu’en 2004 et 2011, le législateur a mis à disposition des entreprises de nouveaux outils juridiques.

Riposter. Initialement prévu pour la presse écrite, le législateur a crée un droit de réponse spécifique à la presse en ligne qui permet à toute personne, nommée ou désignée dans un service de communication au public en ligne, de faire connaître son point de vue.

Obtenir la suppression des contenus illicites. Cette récente procédure permet aux entreprises victimes de demander aux hébergeurs, sous certaines conditions, le retrait de propos ou contenus litigieux.

Identifier l’auteur des faits. Les hébergeurs doivent conserver pendant un an les données d’identification des créateurs des contenus qu’ils stockent. La loi permet désormais aux entreprises victimes de leur demander les coordonnées des auteurs des propos litigieux, sous réserve de l’accord du juge, afin d’entamer des poursuites judiciaires.

Faire condamner l’usurpateur d’identité. Initialement prévu pour les seules atteintes à l’état civil, le législateur a comblé cette lacune en créant un nouveau délit d’usurpation d’identité en ligne, passible d’un an d’emprisonnement et 15.000€ d’amende.

Cet arsenal répressif pourrait bientôt être renforcé par l’instauration d’un droit à l’oubli numérique, permettant à toute personne d’obtenir l’effacement de données la concernant. Ce droit est prévu dans la proposition de Règlement européen, devant être adopté courant 2014 et entrer en vigueur début 2016.


Betty SFEZ - Avocat
Deleporte Wentz Avocat

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* Article publié dans Face au Risque n°500, février 2014, www.faceaurisque.com

vendredi 14 juin 2013

Conflit entre les noms de domaine e-obseques.fr et i-obseques-paris.fr : absence de concurrence déloyale

Le Tribunal de commerce de Paris a rendu le 24 mai 2013 une décision intéressante en matière de noms de domaine. (1) Dans cette décision, le Tribunal a rappelé que le titulaire d’un nom de domaine descriptif de l'objet même du site web auquel il renvoit ne peut se prévaloir d’une quelconque protection juridique. En conséquence, l’exploitation par un concurrent d’un nom de domaine similaire ne constitue pas une faute.


1. Le contexte

Cette affaire opposait la société Le Passage exploitant un site web proposant des services d'obsèques dans toute la France à l’URL e-obseques.fr, à la société Services Funéraires - Ville de Paris (SFVP) exploitant un site web fournissant des services funéraires, à Paris et en proche banlieue parisienne à l’URL i-obseques-paris.fr.

Les noms de domaine e-obseques.fr et i-obseques-paris.fr avaient été respectivement enregistrés  en août 2010 et en avril 2011.

La société Le Passage a assigné les SFVP au motif que l'utilisation d'un nom de domaine, proche du sien, créait une confusion avec son propre site web et qu'en faisant ce choix de nom de domaine les SFVP agissaient de façon déloyale. La société Le Passage prétendait ainsi que l'attitude des SFVP était constitutive d'actes de concurrence déloyale.


2. Le caractère générique du nom de domaine e-obseques.fr

    2.1 Les arguments du titulaire du nom de domaine i-obseques-paris.fr

Les SFVP ont rejeté les prétentions de la société Le Passage pour les raisons suivantes :

    - d’une part, le nom de domaine e-obseques.fr est descriptif et n'est pas similaire à i-obseques-paris.fr. En outre, l'analyse comparative des sites et des services fournis permet d'affirmer que les activités des deux sociétés ne sont pas identiques. Or, selon les SFVP, il ne peut exister de risque de confusion entre les activités des deux sociétés, dans la mesure où ni les noms de domaine, ni les sites web, ni les services proposés sont identiques ou similaires ;

    - d’autre part, les SFVP affirment ne pas avoir capté la clientèle de la société Le Passage et soulignent à ce titre, que cette dernière ne rapporte pas la preuve d'une quelconque baisse du nombre de visites sur son site, ni d'une baisse de chiffre d'affaires depuis le lancement du site i-obseques-paris.fr.

En conséquence, les SFVP soutenaient n'avoir commis aucune faute et donc aucun acte de concurrence déloyale.

    2.2 Seul un nom de domaine distinctif peut être protégé
Il est de jurisprudence constante que seul doit être protégé le nom de domaine distinctif. Les tribunaux rejettent ainsi l'idée d'une protection basée sur l'antériorité du dépôt d'un nom de domaine générique.

Dans notre affaire, les SFVP considéraient que le nom de domaine e-obseques.fr était dénué de caractère distinctif, pour les raisons suivantes :

    - le nom de domaine e-obseques.fr correspond à la désignation du service fourni par la société Le Passage, à savoir un service d’obsèques proposé par voie électronique. En effet, le préfixe "e" désigne habituellement un service par voie électronique ; le terme "obseques" désigne le service fourni ;
    - les termes composant ce nom de domaine s'apparentent à des mots-clés, comme ceux utilisés pour effectuer une requête sur un moteur de recherche, pour naviguer sur internet ;
    - les termes composant ce nom de domaine ne permettent pas l'identification d'une entreprise particulière.

Dès lors, les SFVP considéraient que les termes composant le nom de domaine de la société Le Passage étaient purement descriptifs de son activité et que le nom de domaine e-obseques.fr était dépourvu de toute originalité et de caractère distinctif. Les SFVP concluaient que ce caractère descriptif privait la société Le Passage d'une quelconque exclusivité quant à l'utilisation des termes composant le nom de domaine e-obseques.fr.


3. Une décision en ligne avec la jurisprudence des noms de domaine

Le Tribunal a suivi les arguments des SFVP en relevant que :

    - l’adresse internet choisie par la société Le Passage pour exercer son activité est la simple juxtaposition du mot obsèques et de la lettre “e-” ;
    - dans l’environnement internet, la lettre “e-” associée au terme “commerce” évoque le commerce électronique ;
    - l’adresse «“e-obseques.fr” signifie donc “commerce électronique d’obsèques”, ce qui est l’exacte activité du site internet exploité par la société Le Passage.

Selon le Tribunal, en choisissant des termes intégralement descriptifs, la société Le Passage s’exposait à retrouver les mêmes termes dans des sites concurrents et notamment sur les moteurs de recherches, qui prennent en compte la requête “obsèques” pour délivrer leurs réponses.

Compte tenu de ce choix de nom de domaine, qui lui a évité les investissements indispensables pour donner une notoriété propre à une adresse internet non descriptive, le Tribunal a jugé que la société Le Passage ne pouvait revendiquer une protection qui aboutirait à lui reconnaître un monopole d’utilisation d’un terme descriptif.

Enfin, le Tribunal a constaté que la société Le Passage n'était pas en mesure d’établir  l'existence d'une confusion entre le graphisme de leur site et celui du site web des SFVP. Le Tribunal a donc jugé que les SFVP n'avaient commis aucune faute et a débouté la société Le Passage de toutes ses demandes.


Cette décision est conforme à la jurisprudence actuelle en matière de noms de domaine. Ainsi, dans un arrêt récent de la Cour d’appel de Bastia, les juges ont rendu une décision similaire concernant les noms de domaines "mariagesencorse.com" et "mariageencorse". (2)

Dans cette affaire, le titulaire du nom de domaine "mariagesencorse.com" avait assigné en concurrence déloyale, le titulaire du nom de domaine "mariageencorse", enregistré postérieurement. Le demandeur réclamait que la société concurrente soit condamnée (i) à ne plus utiliser le nom de domaine litigieux, (ii) à procéder aux formalités de transfert du nom de domaine au profit du demandeur et (iii) à payer des dommages et intérêts pour préjudice commercial et moral. Le demandeur a été débouté de ses demandes au motif que le nom de domaine litigieux était générique et descriptif de l’activité de la société. Son titulaire ne pouvait donc valablement se prévaloir de la protection d'un tel nom de domaine.


                                                    * * * * * * * * * * *

(1) Tribunal de commerce de Paris, 15e ch., 24 mai 2013, C. Davril, Le Passage / SFVP. Voir décision sur Légalis : http://www.legalis.net/spip.php?page=jurisprudence-decision&id_article=3764. A noter que dans cette affaire, les SFVP étaient représentés par le Cabinet Deleporte Wentz Avocat.


(2) CA Bastia, ch. civ. B, 20 mars 2013, Angela A. c/ Iris Média et autres.


Betty SFEZ
Avocat

Deleporte Wentz Avocat
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Juin 2013

jeudi 20 octobre 2011

La marque d'un concurrent peut-elle être utilisée comme mot-clé sur un moteur de recherche ?

L’annonceur qui utilise la marque d’un concurrent (ou d’un tiers) à titre de mot-clé pour générer une annonce commerciale à son nom sur la page de résultats d’un moteur de recherche commet-il un acte de contrefaçon ?

La Cour de Justice de l'Union européenne (CJUE), qui avait été saisie de cette question en mars 2010, vient d'apporter de nouveaux éléments de réponse dans le cadre d’un litige opposant la société Interflora Inc. à la société Marks & Spencer plc (M&S).(1)

En l’espèce, M&S, qui exploite notamment un service de vente et livraison de fleurs, avait “acheté” le mot-clé "Interflora" sur le service de référencement publicitaire AdWords de Google. Une annonce commerciale de M&S s’affichait ainsi automatiquement sur la page de résultats de Google chaque fois qu’un internaute effectuait une recherche à partir du mot-clé "Interflora".

La société Interflora Inc., titulaire de la marque communautaire Interflora, a introduit un recours pour violation de ses droits sur sa marque contre M&S devant la High Court of Justice au Royaume Uni. Le juge britannique a décidé de surseoir à statuer et de demander l'avis de la CJUE, compétente en matière de droit communautaire.

Dans sa décision du 22 septembre 2011, la CJUE précise les conditions dans lesquelles l'utilisation de la marque d'un concurrent, dans le cadre du service de référencement publicitaire AdWords, est susceptible ou non de porter atteinte au droit des marques.


1. L'atteinte à la marque d’autrui définie par la jurisprudence Google de mars 2010

Dans une décision du 23 mars 2010 opposant Google France aux sociétés Louis Vuitton Malletier SA, Viaticum SA et CNRRH Sarl, la CJUE s'était prononcée sur les conditions dans lesquelles l'usage par une société d'un mot-clé, identique à la marque d'un concurrent, pour promouvoir ses propres produits ou services était ou non contrefaisant.(2)

    1.1  L'utilisation du service de référencement payant AdWords
Le service AdWords proposé par Google est complémentaire des résultats de recherche “naturelle” en permettant aux annonceurs “d’acheter” des mots-clés pendant une durée déterminée (durée de la campagne publicitaire sur Google) afin que leur annonce apparaisse en tête des pages de résultat sur Google.

En l'espèce, les demandeurs reprochaient à la société Google d’avoir commis des actes de contrefaçon par le fait de proposer aux annonceurs, via son service AdWords, des mots-clés correspondant à des marques enregistrées, sans que leurs titulaires aient donné leur accord pour une telle utilisation de leur marque.

    1.2  La réglementation communautaire sur le droit des marques
Dans cette affaire, la question posée à la CJUE, sur le fondement de l'article 5 §1 a) et §2 de la Directive communautaire de 1988 et de l'article 9 §1 a) du Règlement de 1993 relatifs aux marques, était de savoir si le titulaire d'une marque pouvait s'opposer à l'utilisation de sa marque comme mot-clé dans le cadre d’un service de référencement publicitaire, tel que proposé par Google.(3)

Ces textes prévoient en effet que le titulaire d'une marque enregistrée est habilité à interdire à tout tiers, en l'absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires :
    - d'un signe identique à la marque, pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels celle-ci est enregistrée,
    - d'un signe identique ou similaire à la marque renommée pour des produits ou des services qui ne sont pas similaires à ceux pour lesquels la marque est enregistrée, lorsque l'usage du signe sans juste motif tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque ou lui porte préjudice. 
    1.3  L’analyse de la CJUE
Dans sa décision, la CJUE définit les conditions dans lesquelles une telle utilisation de la marque d'autrui est susceptible de porter atteinte au droit des marques.

Ainsi, la CJUE affirme que l'usage de la marque d'un tiers sans son consentement est condamnable si les trois conditions suivantes sont remplies :

    (i) L’usage de la marque a lieu dans la vie des affaires, à savoir, dans le contexte d'une activité commerciale. A ce titre, la Cour considère qu'en sélectionnant un mot-clé identique à une marque avec pour objet l'affichage d'un lien commercial vers le site de l'annonceur, celui-ci se situe bien dans le cadre de son activité commerciale ;

    (ii) L’usage est fait pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels la marque est enregistrée. Selon la Cour, il en va ainsi dès lors que l'annonceur sélectionne un mot-clé identique à une marque dans le but de proposer aux internautes une alternative aux produits ou services du titulaire de la marque ;

    (iii) L’usage porte atteinte ou est susceptible de porter atteinte aux fonctions de la marque: les droits dont bénéficie le titulaire de la marque lui sont octroyés aux fins de protéger des intérêts spécifiques attachés au rôle de la marque. Ce rôle (ou cette fonction) consiste notamment à garantir la provenance des produits ou services au consommateur, en lui permettant de distinguer un produit ou un service de ceux d’une autre provenance (la "fonction d'indication d'origine").(4)

Ces trois conditions sont cumulatives ; si l'une d'elles fait défaut, la Cour considère qu’il n'y a pas atteinte au droit des marques.

Selon la Cour, l'utilisation par un annonceur d'un mot-clé identique à la marque d'un concurrent dans le cadre du service AdWords porte atteinte à la fonction de la marque lorsque la publicité de l'annonceur ne permet pas ou permet seulement difficilement à l’internaute de savoir si les produits ou services visés par cette publicité proviennent du titulaire de la marque ou d’une entreprise économiquement liée à celui-ci ou, au contraire, d’un tiers.

A ce titre, la Cour précise qu'il incombe à la juridiction nationale d'apprécier, au cas par cas, si les faits du litige dont elle est saisie sont caractérisés ou non par une telle atteinte à la fonction d'indication d'origine de la marque.

En conséquence, la CJUE considère que les deux premières conditions sont remplies en l'espèce : l'utilisation de la marque d'un concurrent dans le cadre du service AdWords consiste à faire usage de cette marque dans la vie des affaires et pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels la marque est enregistrée.

Toutefois, la Cour précise que la troisième condition s'apprécie au cas par cas. Elle fera notamment défaut si l'utilisation de la marque d'un concurrent dans le cadre du service AdWords ne porte pas à confusion quant à la provenance des produits ou services. L'atteinte à la marque d'autrui dépendra donc de la rédaction et de la présentation de l’annonce commerciale de l’annonceur.

Ces critères d’analyse ont été confirmés avec la décision de la CJUE de septembre 2011.


2. L'utilisation de la marque d'un concurrent sur un moteur de recherche n'est pas nécessairement contrefaisante

Les questions préjudicielles posées à la CJUE portaient sur l'interprétation des mêmes textes communautaires sur le droit des marques.

Dans sa décision rendue le 22 septembre 2011, la CJUE précise à nouveau les conditions dans lesquelles le référencement publicitaire payant est susceptible ou non de porter atteinte au droit des marques. Elle ajoute une distinction, selon que l'utilisation concerne une marque non renommée ou une marque notoire.

    2.1  L'utilisation d'une marque ne jouissant d'aucune renommée
La CJUE réaffirme que le titulaire de la marque est habilité à en interdire l’usage par un tiers, si cet usage porte atteinte ou est susceptible de porter atteinte à l'une des fonctions de la marque. Parmi ces fonctions, la CJUE analyse notamment la fonction d'indication d'origine du produit ou du service et la fonction d'investissement (l'emploi d'une marque pour acquérir ou développer une réputation susceptible d'attirer et de fidéliser des consommateurs).(5)

La CJUE en conclut que l'utilisation de la marque d'un concurrent dans le cadre du service  de référencement AdWords n'est pas contrefaisante :

    - si la publicité affichée à partir du mot-clé ne porte pas à confusion et permet à l’internaute normalement informé et raisonnablement attentif, de savoir si les produits ou services visés par l’annonce commerciale proviennent du titulaire de la marque ou d’une entreprise économiquement liée à celui-ci ou, au contraire, proviennent d’un tiers (la fonction d’indication d’origine de la marque). L'atteinte dépend donc de la façon dont la publicité est rédigée par l’annonceur  ;

    - si cette utilisation ne gêne pas de manière substantielle l’emploi, par son titulaire, de ladite marque pour acquérir ou conserver une réputation susceptible d’attirer et de fidéliser des consommateurs (la fonction d’investissement de la marque). Le titulaire d'une marque ne peut s'opposer à ce qu'un concurrent fasse, dans des conditions de concurrence loyale, usage d'un signe identique à cette marque pour des produits ou services identiques, si cet usage a pour seule conséquence d'obliger le titulaire de cette marque à adapter ses efforts pour acquérir ou conserver une réputation susceptible d'attirer et de fidéliser les consommateurs.

    2.2  L'utilisation d'une marque notoire
La CJUE rappelle que le titulaire d’une marque renommée est habilité à interdire à un concurrent de faire de la publicité à partir d’un mot-clé correspondant à cette marque lorsque :

    (i) la publicité porte préjudice au caractère distinctif de la marque (“dilution”) ou à sa renommée (“ternissement”). En outre, la CJUE précise qu'une telle publicité porte préjudice au caractère distinctif de la marque renommée, notamment, si elle contribue à une dénaturation de cette marque en terme générique. Ce serait le cas, par exemple, d’un usage qui conduirait progressivement à faire croire aux consommateurs que le terme Interflora n'est pas une marque désignant un service de livraison de fleurs par les fleuristes adhérant au réseau Interflora, mais constitue un terme générique pour tout service de livraison de fleurs.

Or, en l'espèce, la CJUE estime qu'une telle publicité ne conduit pas systématiquement à une évolution vers un terme générique à partir du moment où elle permet à l'internaute normalement informé et raisonnablement attentif de comprendre que les produits ou services offerts proviennent non pas du titulaire de la marque renommée, mais d'un concurrent de celui-ci ; ou

    (ii) le concurrent-annonceur tire indûment profit de ce caractère distinctif ou de cette renommée (“parasitisme”). Ainsi, la Cour précise que l'usage d'une marque renommée dans le cadre du service AdWords permet à l'annonceur de se placer dans le sillage de cette marque. L’annonceur bénéficie alors du pouvoir d'attraction de la marque, de sa réputation et de son prestige, sans aucune compensation financière pour le titulaire de la marque. Le profit ainsi réalisé par l'annonceur doit donc être considéré comme indu.

Toutefois, le titulaire d’une marque renommée n’est pas habilité à interdire ce type de publicité si l'annonceur propose une alternative aux produits ou aux services du titulaire de la marque, et sous réserve de ne pas offrir une simple imitation de ces produits ou services, ne pas causer une dilution ou un ternissement et ne pas porter atteinte aux fonctions de la marque renommée. Un tel usage par le concurrent doit alors être considéré comme participant d'une concurrence saine et loyale.

En l’espèce, la CJUE a renvoyé l’affaire devant la juridiction britannique pour qu’elle apprécie si l'usage par M&S d'un signe identique à la marque Interflora constitue ou non un acte de contrefaçon, au regard des critères posés par la CJUE.


En conclusion, même si la CJUE reconnaît la possibilité pour un annonceur d’utiliser une marque concurrente comme mot-clé dans le cadre du référencement payant en ligne, il convient de rester prudent quant à la manière dont ce mot-clé sera utilisé dans le cadre de la campagne publicitaire de l’annonceur.

Ainsi, l'utilisation de la marque d’un concurrent ne sera pas contrefaisante à la double condition (i) de ne pas porter à confusion, c'est-à-dire de ne pas induire les consommateurs en erreur sur l'origine des produits ou des services visés dans la publicité commerciale, en leur faisant croire que ceux-ci proviennent du titulaire de la marque, et (ii) de respecter les conditions d'une concurrence “saine et loyale”. L'atteinte à la marque d'un concurrent s'apprécie donc au cas par cas.



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(1) CJUE, 22 sept. 2011, aff. C-323-09, Interflora Inc., Interflora British Unit c/ Marks & Spencer plc, Flowers Direct Online Ltd.
(2) CJUE, Gr. ch., 23 mars 2010, aff. C- 236/08, C-237-08 et C-238-08, Google France et Inc. c/ Louis Vuitton Malletier SA, Viaticum SA, CNRRH et a.
(3) Article 5 §1 a) et §2 de la "Première directive 89/104/CEE du Conseil du 21 décembre 1988 rapprochant les législations des États membres sur les marques": Art. 5 - Droits conférés par la marque - §1 "La marque enregistrée confère à son titulaire un droit exclusif. Le titulaire est habilité à interdire à tout tiers, en l'absence de son consentement, de faire usage, dans la vie des affaires : a) d'un signe identique à la marque pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels celle-ci est enregistrée (...)". §2 "Tout État membre peut également prescrire que le titulaire est habilité à interdire à tout tiers, en l'absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires d'un signe identique ou similaire à la marque pour des produits ou des services qui ne sont pas similaires à ceux pour lesquels la marque est enregistrée, lorsque celle-ci jouit d'une renommée dans l'État membre et que l'usage du signe sans juste motif tire indument profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque ou leur porte préjudice".
Article 9 §1 a) du "Règlement (CE) n°40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire" : Article 9 - Droit conféré par la marque communautaire - §1 "La marque communautaire confère à son titulaire un droit exclusif. Le titulaire est habilité à interdire à tout tiers, en l'absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires: a) d'un signe identique à la marque communautaire pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels celle-ci est enregistrée (...)".
(4) Il s'agit de la "fonction d'indication d'origine". D'autres fonctions ont depuis été rattachées et reconnues à la marque par la jurisprudence, telles que les fonctions de communication, d'investissement ou de publicité.
(5) La CJUE mentionne également la “fonction de publicité”, à savoir l'emploi d'une marque en tant qu'élément de promotion des ventes ou d’instrument de stratégie commerciale. En l'espèce, la CJUE considère qu'il n'y a pas atteinte à la fonction de publicité de la marque INTERFLORA : la sélection d'un signe identique à une marque d'autrui dans le cadre du service de référencement AdWords ne prive le titulaire de cette marque de la possibilité d'utiliser efficacement sa marque pour informer et persuader les consommateurs (ex: la visibilité des produits et services du titulaire de la marque est garantie par le référencement naturel gratuit).

Bénédicte DELEPORTE - Avocat
Betty SFEZ - Avocat

Deleporte Wentz Avocat
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Octobre 2011