La directive européenne sur la protection des données personnelles date d’octobre 1995. Or, depuis 1995, les manières de collecter, utiliser, interconnecter, diffuser - en d’autres termes “traiter” - les données à caractère personnel, ont beaucoup évolué. Pour prendre en compte ces évolutions, notamment le développement des usages d’internet et des réseaux sociaux, mais également de toutes les technologies utilisant des données personnelles, la Commission européenne a publié le 25 janvier 2012, une proposition de règlement relatif à la protection des personnes relative au traitement de leurs données à caractère personnel. (1)
Ce règlement, une fois le texte définitif adopté, sera d’application immédiate et uniforme dans l’ensemble de l’Union européenne et viendra remplacer la directive de 1995 et les différentes lois nationales de protection des données personnelles. Ce texte devrait être adopté début 2014 et entrer en vigueur début 2016. Même si cette échéance peut paraître encore éloignée, et que certains aspects du règlement sont toujours en cours de discussion, il nous semble important d’en exposer les principaux aspects afin de permettre aux entreprises d’anticiper au mieux sa mise en oeuvre.
Il ne s’agit pas ici de faire une description exhaustive de la proposition de règlement mais de se focaliser sur les principales dispositions. Ainsi, les deux grands axes à retenir sont un renforcement des droits des personnes concernées sur leurs données, notamment en matière d’information préalable, de consentement, de droit d’opposition et de droit à l’oubli, et en parallèle, un renforcement des obligations des entreprises en matière de collecte et de traitement des données personnelles, avec des sanctions alourdies en cas de non-respect de la nouvelle règlementation.
1. Le renforcement des droits des personnes concernées sur leurs données
Les sources de collecte de données personnelles se sont démultipliées ces dernières années, d’une part avec des technologies et pratiques commerciales facilitant ces collectes (développement du e-commerce, du web 2.0, des smartphones et des applications mobiles, du cloud computing, des technologies et objets dits “intelligents”, etc.), d’autre part du fait de l’évolution des modes d’utilisation de ces technologies par les internautes (grâce aux achats en ligne, à l’utilisation des réseaux sociaux, des applications mobiles, des services de géolocalisation, entre autres). L’intensification de l’utilisation de nos données personnelles et l’absence de frontières physiques ont rendu les lois sur la protection des données personnelles quelque peu obsolètes, en témoignent les incessants allers-retours entre la Commission européenne et les principales sociétés du web (Google et Facebook par exemple), en matière de rappel au respect des principes de protection des données à caractère personnel.
La proposition de règlement européen apporte des modifications substantielles concernant les droits des personnes dont les données sont traitées, en allant vers un renforcement de ces droits.
1.1 Les règles de recueil du consentement des personnes
Les modalités de recueil du consentement par la personne concernée, au traitement de ses données personnelles, ont été précisées et vont dans le sens d’une plus grande maîtrise de principe de l’accord et de son retrait par la personne concernée.
Le texte européen définit le consentement comme toute manifestation de volonté, libre, spécifique, informée et explicite par laquelle la personne dont les données sont traitées (la “personne concernée”) accepte, par une déclaration ou par un acte positif univoque, que des données personnelles la concernant fassent l'objet d'un traitement.
Ainsi, lorsqu’il est requis, le consentement au traitement des données personnelles ne peut être tacite ou implicite. Il doit nécessairement répondre à une information préalable claire, précise et complète. La charge de la preuve de l’obtention du consentement de l’utilisateur incombera à l’entreprise qui traite ces données.
En outre, le consentement de la personne concernée, au traitement de ses données, n'est valable que si cette personne est effectivement en mesure de retirer son consentement à tout moment, et donc de s'opposer ultérieurement à la poursuite du traitement de ses données.
Les entreprises devront systématiquement s’assurer que les acheteurs de leurs produits ou les utilisateurs de leurs services ont accepté de façon effective la collecte et le traitement de leurs données.
Enfin, le règlement prévoit que “le consentement ne constitue pas un fondement juridique valable pour le traitement lorsqu'il existe un déséquilibre significatif entre la personne concernée et le responsable du traitement”. Il en irait ainsi lorsque la personne concernée se trouverait dans une situation de dépendance par rapport à l’entreprise et qu’elle ne serait pas en mesure de négocier ou de faire modifier les conditions contractuelles ; par exemple, les données personnelles concernant un salarié et traitées par son employeur dans le cadre de l’exécution du contrat de travail, ou les contrats d'adhésion entre des particuliers et des entreprises. Il sera intéressant de voir comment cette disposition sera interprétée, dans la mesure où la plupart des contrats conclus entre les consommateurs et les sociétés de services (téléphonie, assurances, banque, etc.) et tous les contrats conclus en ligne peuvent être qualifiés de contrats d’adhésion dans lesquels existe un “déséquilibre significatif” entre les parties.
1.2 Les droits des personnes concernées
Outre le renforcement des règles relatives au recueil du consentement des personnes, leurs droits sur la manière dont leurs données seront traitées ont été précisés.
- Le droit à l’oubli numérique : ce droit permet à toute personne de demander la suppression totale des données collectées par une entreprise, notamment lorsque ces collectes ont été réalisées alors que la personne concernée était mineure, ou lorsque les données ne sont plus nécessaires au regard des finalités pour lesquelles elles ont été collectées, ou encore lorsque le délai de conservation autorisé a expiré.
Dès lors, toute entreprise ayant collecté des données à caractère personnel devra les effacer, à la demande de la personne concernée, et en cesser toute diffusion. Par exemple, un internaute qui voudrait résilier son compte sur un réseau social devrait pouvoir obtenir de l’exploitant du site qu'il détruise toutes les données personnelles le concernant, sous réserve du droit applicable (droit du pays d’établissement de l’exploitant du site ou droit du pays de résidence de l’internaute - en l’occurrence, droit de l’UE).
La proposition de règlement prévoit également que l’entreprise doit d’une part, procéder à l'effacement des données sans délai, sauf motif légitime pour les conserver (pour respecter une obligation légale de conservation des données ou à des fins de recherche statistique et scientifique par exemple) et d’autre part, prendre toutes mesures utiles afin d'informer l'ensemble des tiers à qui elle a communiqué les données de la demande de la personne concernée.
- Le droit à la portabilité des données : ce droit offre la possibilité aux personnes concernées de se voir restituer leurs données personnelles dans un format électronique communément utilisé, permettant de les transférer à un autre fournisseur de service. Comme pour les numéros de téléphone, le principe de portabilité des données permet de faciliter le transfert des données personnelles vers de nouveaux prestataires, et de ne pas être tenu de rester indéfiniment chez le même prestataire quand bien même le niveau et/ou le prix des services serait devenu insatisfaisant.
- Le droit d’opposition au profilage : la proposition de règlement impose le principe du consentement préalable et le respect du droit d’opposition des personnes concernées aux actions de marketing direct et de profilage. Le “profilage” peut se définir comme toute forme de traitement de données personnelles destiné à évaluer certains aspects personnels propres à une personne physique ou à analyser ou prévoir ses habitudes de navigation sur le web, ses habitudes d’achat de biens et de services, voire sa productivité professionnelle, ou sa catégorie socio-professionnelle. Le texte européen exige que ces personnes soient dûment informées du traitement de leurs données à des fins de profilage et des effets escomptés de ce traitement.
2. Le renforcement des obligations applicables aux entreprises collectant des données personnelles
Face au renforcement des droits des personnes concernées, les obligations des sociétés collectant des données à caractère personnel ont également été renforcées par rapport à la situation actuelle, avec un alourdissement des sanctions pécuniaires en cas de violation des dispositions réglementaires.
2.1 L’obligation de déployer de nouvelles procédures internes de gouvernance
Les formalités déclaratives auprès de la CNIL seront simplifiées, et pour certaines catégories de traitements, supprimées.
En contrepartie, les entreprises devront déployer des procédures internes pour assurer le respect des principes de protection des données personnelles. Ces procédures, créant une véritable politique de gouvernance en matière de protection des données personnelles, comprendront : audits, registres, études d’impact, prise en compte de la protection des données dès la conception des nouveaux produits et services (mise en oeuvre des principes de “Privacy by design” ou de “Privacy by default”), codes de conduite, etc. (2)
Les entreprises devront adopter des règles internes contraignantes, tenir une documentation permettant de conserver la trace des traitements mis en oeuvre et de leurs caractéristiques, pouvoir rapporter la preuve de la mise en oeuvre de mesures de sécurité des données appropriées, mettre en œuvre des mécanismes pour vérifier l’efficacité de ces mesures, etc. Ces mesures et procédures techniques et organisationnelles devront être appliquées depuis la définition des moyens de traitement jusqu’à leur mise en oeuvre effective.
Par ailleurs, en cas de traitements sensibles de données personnelles, les entreprises devront réaliser une analyse d'impact et définir des mesures appropriées pour garantir la protection des données en cause. Par “traitement sensible”, il faut comprendre tout traitement présentant des risques particuliers au regard des droits et libertés des personnes concernées, du fait de leur nature ou de leur finalité (tels que les traitements de données relatifs à la santé, aux orientations sexuelles, aux origines raciales ou ethniques, ou encore les traitements relatifs à la surveillance de zones accessibles au public impliquant l’usage de dispositifs de vidéosurveillance).
Enfin, en cas d’existence de plusieurs filiales dans l’Union européenne, l’autorité en charge de la protection des données compétente sera celle de l’Etat membre dans lequel le responsable du traitement a son établissement principal. Ce concept de “guichet unique” sera certainement amené à être précisé dans la version finale du règlement.
2.2 La désignation d’un délégué à la protection des données
Le délégué à la protection des données (ou “DPD”) est l’équivalent en France, du Correspondant Informatique et Libertés, communément appelé “CIL”. Dans le dispositif actuel, le CIL, dont la nomination n’est pas obligatoire, a pour mission de veiller à l'application de la loi Informatique et Libertés au sein de l’entreprise qui l’a désigné. La désignation d’un CIL présente de nombreux avantages, tel que l’allégement des formalités obligatoires auprès de la CNIL et l’amélioration de la maîtrise des risques juridiques et techniques liés aux traitements des données personnelles. (3)
Avec l’entrée en vigueur du règlement européen, les entreprises auront l’obligation de désigner un délégué à la protection des données dans deux cas : si l’entreprise compte au moins 250 salariés ou si cette société traite des données sensibles, à savoir des données dont la nature, la portée et/ou la finalité exigent un suivi régulier et systématique des personnes concernées. Le DPD pourra être interne à l’entreprise ou externe à celle-ci (avocat ou consultant en informatique par exemple).
2.3 L’obligation de notifier les violations de données à la CNIL
Une violation de données personnelles consiste en une atteinte à la sécurité des traitements, entraînant de manière accidentelle ou illicite la destruction, la perte, l'altération, la divulgation ou la consultation non autorisée de données personnelles transmises, conservées ou traitées d’une autre manière. Par exemple, une faille dans la boutique d’un e-commerçant qui permettrait de récupérer des noms, adresses, et/ou numéros de cartes bancaires des utilisateurs inscrits ou un email confidentiel destiné à un client, et diffusé par erreur à d’autres personnes constitueraient des cas de violation de données personnelles.
Les entreprises françaises ont l’obligation de notifier toute violation grave des données à la CNIL dans les meilleurs délais, et si possible dans un délai de 24 heures après en avoir eu connaissance. La notification doit au minimum décrire (i) la nature de la violation ainsi que les catégories et le nombre de personnes et de données affectées, (ii) les conséquences de la violation des données, et (iii) les mesures proposées ou prises pour y remédier. L’entreprise doit conserver une trace documentaire de toute violation de données à caractère personnel.
Sauf à démontrer à la CNIL qu’elle a pris des mesures de sécurité appropriées, l’entreprise a l’obligation d’informer toutes personnes concernées de la violation de leurs données, lorsque cette violation est susceptible de porter atteinte à la protection de leurs données personnelles ou à la vie privée.
Cette obligation existe déjà à l’article 34 bis de la Loi Informatique et Libertés. Si la loi française impose uniquement cette notification aux fournisseurs de services de communication électronique, le texte européen ne semble pas faire de distinction suivant l’activité de l’entreprise. Cette obligation serait donc à la charge de toute entreprise traitant des données personnelles.
2.4 De lourdes sanctions en cas de non respect de la réglementation
Ces règles, qui s’appliqueront directement dans chacun des Etats membres de l’Union européenne, prévoient des sanctions financières particulièrement lourdes en cas de non respect de la réglementation.
Les entreprises qui enfreindraient les règles posées par le règlement seront passibles de sanctions financières pouvant atteindre des montants élevés. Si en France la CNIL peut déjà aujourd’hui prononcer des amendes d’un montant maximum de 300.000€, le texte européen permettra d’imposer des amendes pouvant s'élever à 2% du chiffre d’affaires annuel mondial de l’entreprise fautive.
Le montant de l'amende sera fixé en tenant compte de plusieurs paramètres tels la nature, la gravité et la durée de la violation, le fait que l'infraction a été commise de façon délibérée ou par négligence, le degré de responsabilité de la personne en cause, l’existence de cas de violations commises antérieurement par la société, ou le degré de coopération avec la CNIL en vue de remédier à la violation ou à la non-conformité.
Il convient cependant de noter que sans moyens humains supplémentaires, il sera difficile pour la CNIL, comme pour les autres autorités en charge de la protection des données personnelles, de jouer pleinement leur rôle.
Le risque, pour tout texte réglementaire technique, est d’être trop attaché à l'état des technologies à la date de son adoption. Or, la vitesse de l’évolution des usages, des pratiques et des outils et services disponibles tendent à rendre ces textes règlementaires très rapidement obsolètes. Même si la proposition de règlement relatif à la protection des données personnelles n’est pas encore définitif, il est à craindre qu’un texte qui ne serait pas assez générique dans son approche, prenant en compte les technologies plutôt que les usages, devienne rapidement caduque et difficilement applicable.
La proposition de règlement fait ainsi l’objet de nombreuses réserves et critiques depuis sa première publication, en janvier 2012. Ce texte suscite une multiplication de résolutions, amendements ou avis mettant en relief ses points faibles ou manquements. Par exemple, l’Assemblée nationale, dans sa proposition de résolution de février 2012, recommandait de compléter le texte européen en ajoutant des dispositions spécifiques au Cloud computing, ces services n’étant pas expressément visés par la proposition de règlement.
Le texte est actuellement en cours d’examen par le Parlement européen au sein de la Commission chargée des questions relatives aux affaires civiles, justice et affaires intérieures (Commission LIBE). Jan Philipp Albrecht, député européen et rapporteur du groupe, vient de publier son projet de rapport le 8 janvier 2013. Ce texte prévoit notamment d’allonger le délai de notification des violations de données de 24 à 72h ; l’exercice gratuit du droit d’opposition et le recours à la “pseudonymisation” et à l’anonymisation des données pour ne pas identifier directement une personne physique, notamment sur les réseaux sociaux. Ce projet de rapport précise par ailleurs que l’utilisation d’options par défaut, que la personne concernée doit modifier pour marquer son opposition au traitement, comme les cases pré-cochées (opt-out), n’est pas l’expression d’un libre consentement. Enfin, le texte encourage la mise en place d’un système normalisé d’icônes et de logos afin de faciliter la compréhension des conditions de collecte et de traitement des données par les personnes concernées. (4)
Les négociations entre le Parlement, la Commission et le Conseil européen débuteront à partir de mai 2013 en vue d’obtenir un compromis et un texte final d’ici le début de l’année prochaine.
* * * * * * * * * * * *
(1) Voir les textes en référence : proposition de règlement du parlement européen et du conseil relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données du 25 janvier 2012, (2012/0011 (COD) ; directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil, du 24 octobre 1995, relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données ; et loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, modifiée.
(2) Le “Privacy By Design” ou principe de protection des données dès la conception d’un produit ou d’un service, requiert l’intégration de la prise en compte de la protection dans le cycle de vie d’une technologie, dès la première étape de sa conception jusqu’à son déploiement, son utilisation et son élimination. Le “Privacy by Default” ou principe de la protection des données par défaut, requiert que les paramètres de respect de la vie privée dans les services et produits soient par défaut conformes aux principes généraux de la protection des données, tels que la réduction au minimum des volumes de données collectées et la limitation de la finalité des traitements.
(3) Voir à ce sujet notre article “Le Correspondant Informatique et Libertés, garant de la conformité des traitements de données personnelles à la loi”, sur notre blog à http://dwavocat.blogspot.fr/2011/12/le-correspondant-informatique-et.html
(4) Projet de rapport sur la proposition de règlement européen relative aux données du 25 janvier 2012, Commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures, publié par le rapporteur Jan Philipp Albrecht le 8 janvier 2013.
Bénédicte DELEPORTE – Avocat
Betty SFEZ – Avocat
Deleporte Wentz Avocat
www.dwavocat.com
Janvier 2013
DELEPORTE WENTZ AVOCAT est une société d’avocats spécialisée en droit des technologies de l’information - informatique, internet, données personnelles, inscrite au Barreau de Paris. Nous publions régulièrement des articles concernant des thématiques juridiques diverses relevant du domaine des technologies : actualité juridique, présentation d'une nouvelle loi ou analyse d'une jurisprudence récente. Pour consulter notre site web: www.dwavocat.com
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