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jeudi 18 avril 2019

L’importance de l’implication du client dans l’exécution d’un projet informatique

La jurisprudence relative aux contrats informatiques relève souvent les carences du prestataire dans l’exécution de son obligation de conseil vis-à-vis du client ou dans l’exécution de ses prestations. On rappellera toutefois que dans le cadre de l’exécution de projets informatiques, le client ne peut pas attendre la livraison du projet en restant passif. Deux arrêts de cour d’appel remontant à 2017 rappellent ainsi l’importance du rôle actif du client dans l’exécution de projets informatiques. Sa pleine coopération est en effet un élément clé de la bonne exécution du projet. Par ailleurs, le nouveau droit des contrats, issu de l’ordonnance du 10 février 2016 prévoit que “Les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi.” (1) Cette obligation, d’ordre public, s’impose aux parties non seulement pendant la période pré-contractuelle, mais également pendant toute la durée du contrat.

Dans la première affaire, la faute du client qui n’avait pas exprimé ses besoins a été retenue par les juges. La seconde affaire retient la résiliation du contrat aux torts du client qui a refusé la réception provisoire d’un site internet.


1. Le client est tenu d’exprimer ses besoins

Dans un arrêt rendu le 5 octobre 2017, la cour d’appel d’Aix-en-Provence a prononcé la résiliation d’un contrat de développement de sites web aux torts du client qui n’a pas exprimé ses besoins. (2)

En 2010, la société Nouvelles Destinations, tour-opérateur spécialisé dans la vente de séjours autour de parcs d’attractions, a souhaité refondre son site internet destiné aux professionnels (B2B) et développer un site à destination des consommateurs (B2C). Les prestations de développement ont été confiées à la société Flag Systèmes. Trois contrats ont été conclus en décembre 2010 et janvier 2011 : un contrat-cadre pour les développements spécifiques, pour un montant total de 135.000 euros, un contrat d’achat et de maintenance des licences I-Resa et un contrat d’hébergement et d’administration de la plate-forme I-Resa.

N’ayant pas reçu le dernier paiement prévu au contrat-cadre de développement, ni le règlement des factures d’hébergement, la société Flag Systèmes a mis le client en demeure de payer le 14 octobre 2013. En réponse, la société Nouvelles Destinations a contesté devoir les sommes réclamées, invoquant divers dysfonctionnements. Le prestataire a donc fait assigner la société Nouvelles Destinations et son assureur devant le tribunal de commerce d’Aix-en-Provence en règlement des sommes. Dans un jugement du 10 novembre 2015, le tribunal a condamné la société Nouvelles Destinations à régler les sommes dues à la société Flag Systèmes. Nouvelles Destinations a interjeté appel.

Dans sa décision du 5 octobre 2017, la Cour relève que le contrat-cadre rappelle en préambule que la société Nouvelles Destinations n’a pas fourni de document d’expression de ses besoins ni de cahier des charges, que le contrat-cadre est destiné à permettre « d’initialiser les premières phases de travail sans que les enveloppes définitives soient engagées », et qu’il est recommandé à la société Nouvelles Destinations « de recourir à une assistance à maîtrise d’ouvrage, mener une réflexion de fond sur l’organisation des services, les processus métiers et les flux d’informations mis en place, et la mise en place d’un comité de pilotage. » Or, la société Nouvelles Destinations n’a suivi aucune des recommandations du prestataire, au titre de l’obligation de conseil de ce dernier.

Par ailleurs, alors qu’il revient à la société cliente de prouver les dysfonctionnements allégués et leur imputabilité au prestataire, les juges relèvent que la société Nouvelles Destinations ne produit que des emails émanant d’elle-même, se plaignant de dysfonctionnements, sans aucune plainte de clients ou de partenaires commerciaux, ni constat d’huissier attestant desdits dysfonctionnements pouvant justifier le non-paiement des factures du prestataire.

En conséquence, la Cour a confirmé le jugement du tribunal de commerce, mais revu la condamnation à la baisse. La société Nouvelles Destinations a ainsi été condamnée à payer 101.000 euros dus au titre des contrats.


2. Le client qui refuse la réception provisoire du projet est en tort

Dans un arrêt du 6 juillet 2017, la cour d’appel de Grenoble a confirmé la résiliation d’un contrat de développement d’un site internet aux torts exclusifs du client qui avait refusé de procéder à la réception provisoire, alors que la réception aurait pu lui permettre de faire réaliser les corrections nécessaires par le prestataire au vu des éventuelles réserves.

La société Sikirdji Gemfrance, spécialisée dans le commerce de pierres fines et précieuses avait conclu un contrat de réalisation de site web avec la société DediServices le 9 juillet 2012 et a versé un premier acompte de 40% à la commande (soit 10.697,02€ TTC). Prétendant que le site commandé n’avait jamais été achevé et qu’il comportait de nombreux dysfonctionnements, la société Sikirdji Gemfrance a demandé au prestataire le remboursement de l’acompte versé par mise en demeure du 4 avril 2013, puis assigné la société DediServices en résolution du contrat et remboursement de l’acompte le 16 septembre 2013.

Dans son jugement du 28 novembre 2014, le tribunal de commerce de Grenoble a condamné la société cliente à payer à la société DediServices la somme de 16.045,54 € au titre des factures impayées avec application des pénalités de retard contractuelles, 10.000 € euros de dommages et intérêts et 2.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile. La société Sikirdji Gemfrance a interjeté appel le du 16 janvier 2015.

Alors que la réception a notamment pour objet d’obliger le prestataire à faire les modifications correspondant aux éventuelles réserves qui auraient été mentionnées au procès-verbal de recette, en l’espèce la société cliente a refusé la réception provisoire du site.

La cour a confirmé la condamnation de la société Sikirdji Gemfrance à payer au prestataire les sommes prévues par le contrat et non encore réglées, augmentées des pénalités de retard, 10.000 € pour le travail supplémentaire généré par les nombreuses demandes d’interventions et de modifications, et 50.000 € de dommages-intérêts.

Cet arrêt fait l’objet d’un pourvoi en cassation.

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(1) article 1104 du Code civil

(2) Cour d’appel d’Aix-en-Provence, 8e ch. B, arrêt du 5 octobre 2017, Nouvelles Destinations / Flag Systèmes et Hiscox Europe Underwriting Ltd

(3) Cour d’appel de Grenoble, ch. com, arrêt du 6 juillet 2017 Sikirdji Gemfrance / DediServices


Bénédicte DELEPORTE
Avocat

Deleporte Wentz Avocat
www.dwavocat.com

Avril 2019

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