Les cyberattaques contre les Etats, leurs institutions, leurs moyens de communications, les banques et les entreprises nationales sont régulièrement au cœur de l’actualité des TIC. Par exemple, dernièrement les médias ont rapporté deux types d’attaques : la première, en février 2013, avait ciblé la presse américaine en piratant les systèmes informatiques du New York Times, du Wall Street Journal et de la chaîne d'informations CNN ; la seconde, en mars 2013, avait ciblé les réseaux informatiques des chaînes de télévision et des banques de la Corée du Sud. Les Etats victimes ont publiquement désigné des gouvernements étrangers comme étant les commanditaires de ces attaques, si bien que l'on serait tenté de qualifier ces conflits de "cyberguerre".(1)
Face à la prolifération de ce type d’attaques, les institutions européennes (2) et les pays, dont la France, développent des politiques de sécurité des réseaux et des systèmes d’information. C'est dans ce contexte que le nouveau Livre blanc sur la Défense et la Sécurité nationale, publié par le Ministère de la défense fin avril 2013, fait de la lutte contre la cybermenace une priorité nationale.(3) Ce livre établit une stratégie nationale de cyberdéfense visant à prévenir et riposter aux cyberattaques.
1. L'existence d'une cybermenace pesant sur le territoire national
Des attaques croissantes dans le cyberespace - Le livre blanc fait état de l’accroissement du nombre d’attaques informatiques contre les systèmes d'information des entreprises nationales et de l'Etat, de leur diversification et de leur sophistication.
Ce texte qualifie la cybermenace de "menace majeure" pour la sécurité de la Nation. Ainsi, parmi les six menaces identifiées dans ce livre comme affectant gravement la sécurité nationale, les cyberattaques viennent en 3e position après les agressions par un autre Etat contre le territoire national et les attaques terroristes.
En outre, le livre blanc précise qu'une attaque informatique de grande envergure pourrait constituer un véritable "acte de guerre", si les intérêts stratégiques nationaux étaient menacés.
Enfin, le livre blanc qualifie le cyberespace de "milieu opérationnel". Le cyberespace constitue ainsi le 5e milieu opérationnel après la terre, la mer, l'air et l'espace. Ce texte précise également que le cyberespace constitue désormais "un champ de confrontation à part entière", et donc une zone de conflit potentiel sur laquelle doivent pouvoir être déployées des forces d'intervention.
Des risques à ne pas négliger - Bien que les cyberattaques n'aient jusqu'à présent causé la mort d'aucun homme, elles font courir des risques considérables pour les entreprises nationales et l'Etat.
En effet, le vol d'informations stratégiques et sensibles (informations industrielles, économiques, financières ou militaires) - ou la captation de savoir-faire par le biais d'intrusions informatiques, peut avoir un impact direct sur la compétitivité économique de la France.
En outre, les attaques visant la destruction ou la prise de contrôle à distance de services essentiels au fonctionnement du pays ou à sa défense, à savoir des actions malveillantes sur les systèmes d'informations et de communication d'opérateurs d'importance vitale (OIV) (4) ou sur les infrastructures et équipements militaires, pourraient engendrer la paralysie de pans entiers de l'activité du pays.
L'Estonie a ainsi été victime d'une vague d'attaques informatiques en avril 2007. Ces attaques, visant les sites web gouvernementaux et publics, ceux des opérateurs de téléphonie mobile, des banques commerciales et des organes d'information, ont perturbé durant plus d'un mois la vie courante du pays, en privant les Estoniens de l'accès à certains services en ligne essentiels.(5)
L'importance de la cybermenace est accentuée par la difficulté à établir l'origine géographique de l'attaque et donc à identifier les pirates. Or, la France doit être en mesure de se protéger contre de telles attaques. C'est pour cette raison que le gouvernement français a décidé d'inscrire la cyberdéfense parmi les priorités stratégiques nationales.
2. L'élaboration d'une stratégie de cyberdéfense nationale
Afin d'assurer la "continuité des fonctions essentielles de la Nation", le livre blanc préconise de renforcer le niveau de sécurité des systèmes d'information (SSI) des OIV et de l'Etat. Ce renforcement de la SSI passera par deux types d'actions : d'une part, l'élaboration et la mise en oeuvre de mesures législatives et réglementaires en matière de sécurité et d'autre part, le déploiement de forces armées destinées à la cyberdéfense.
L'adoption nécessaire de dispositions légales et de bonnes pratiques - Le livre blanc prévoit l'adoption prochaine de mesures législatives et réglementaires visant à permettre aux OIV et à l'Etat, de détecter et traiter les incidents informatiques touchant leurs systèmes d'information.
Aussi, seront imposés le respect de standards et référentiels de sécurité ainsi que l'obligation de déclarer les incidents. Cette dernière mesure, déjà prévue dans le rapport Bockel sur la cyberdéfense de juillet 2012, et le projet de directive européenne sur la sécurité de réseaux et de l'information, de février 2013, impose aux entreprises françaises de notifier à l'ANSSI tous incidents (perte, vol, piratage de données, etc.) qui ont un impact significatif sur la sécurité des services qu'elles fournissent.
Le livre blanc prévoit par ailleurs que des audits de sécurité des systèmes d'information seront réalisés par l'Etat, qui, le cas échéant, pourra imposer des mesures de mise en conformité. Le texte préconise également d'inclure dans "les marchés publics comprenant des éléments numériques des clauses drastiques concernant la sécurité".
Enfin, le livre blanc précise que des budgets annuels seront alloués à des entreprises françaises pour la conception et le développement de produits de sécurité. Ce texte souligne en effet l'importance pour la France de produire "en toute autonomie" des dispositifs de sécurité et de maintenir une "industrie nationale performante".
Le renforcement des capacités militaires de cyberdéfense - Ce renforcement des moyens humains militaires passe par la consolidation des activités de renseignement, la création de forces nouvelles et une formation accrue à la sécurité numérique.
- Développement des capacités de renseignement : le livre blanc affirme la nécessité de développer l'activité de renseignement et les capacités techniques y afférentes, "afin d'identifier l'origine des attaques, évaluer les capacités offensives des adversaires potentiels et de pouvoir ainsi riposter de manière adéquate".
- Mise en place d'un vivier de réservistes : le livre blanc précise que deux catégories de réserves seront créées : d'une part, une réserve opérationnelle, rattachée aux services de renseignement et mobilisable en cas d'attaque majeure, et d'autre part, une réserve citoyenne cyberdéfense, mobilisant notamment des jeunes techniciens et informaticiens intéressés par les enjeux de sécurité numérique.
- Formation du personnel : enfin, le livre blanc insiste sur la nécessité de sensibiliser les administrations et salariés d'OIV aux règles élémentaires de sécurité ou "d'hygiène cybernétique", d’accroître le nombre d’experts français en sécurité informatique et de veiller à ce que ce domaine soit intégré aux enseignements supérieurs en informatique.
La cybersécurité est devenue un défi majeur tant pour les entreprises que pour les Etats. Le livre blanc insiste sur la nécessité de développer les capacités de la France à détecter les attaques, à en déterminer l'origine et, lorsque les intérêts nationaux sont menacés, à riposter.
Auteur du rapport de juillet 2012 sur la cyberdéfense, le sénateur Bockel a déclaré être satisfait du fait que les préconisations suivantes du rapport aient été reprises dans le livre blanc : faire de la cyberdéfense et de la protection des systèmes d'information une priorité nationale (priorité n°1) ; renforcer les effectifs et les moyens dédiés au sein des armées (priorité n°2) ; rendre obligatoire pour les entreprises et les OIV une déclaration d'incident à l'ANSSI en cas d'attaque importante contre les systèmes d'information (priorité n°5) ; et soutenir notamment des PME spécialisées dans la conception de certains produits ou services importants pour la sécurité informatique (priorité n°7).
L’élément positif à retenir est la détermination d’une politique de cybersécurité à l’échelon national. Cette politique devra cependant s’inscrire en amont, dans un plan pan-européen de cybersécurité. En aval, il est désormais capital de sensibiliser les entreprises et administrations, notamment mais pas uniquement les OIV, à la protection physique et logique de leurs infrastructures technologiques. Ceci passera par une approche pédagogique auprès des personnels des entreprises et des administrations et par le déploiement et la mise en oeuvre d’outils et de pratiques de cybersécurité.
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(1) Voir les articles : "Cyber-attaques en série contre la presse américaine", publié le 1er février 2013 sur http://www.latribune.fr/ et "La cyberattaque, nouvelle arme de guerre des Etats ?", publié le 22 mars 2013 sur http://www.franceinfo.fr/.
(2) Communication conjointe au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions. Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil concernant des mesures destinées à assurer un niveau élevé commun de sécurité des réseaux et de l'information dans l'Union, Bruxelles, le 7.2.2013 COM(2013) 48 final 2013/0027 (COD).
(3) Le livre blanc est disponible en ligne, sur le site du Ministère de la défense à l’URL: http://www.defense.gouv.fr/actualites/articles/livre-blanc-2013
(4) Le livre blanc définit les secteurs d'activité d'importance vitale comme suit (p.105) : activités civiles de l'Etat, activités judiciaires, activités militaires de l'Etat, alimentation, communications électroniques, audiovisuel et information, énergie, espace et recherche, finances, gestion de l'eau, industrie, santé et transports.
(5) voir le rapport de J-M Bockel publié le 18 juillet 2012, "La cyberdéfense : un enjeu mondial, une priorité nationale".
Betty SFEZ
Avocat
Deleporte Wentz Avocat
www.dwavocat.com
Mai 2013
DELEPORTE WENTZ AVOCAT est une société d’avocats spécialisée en droit des technologies de l’information - informatique, internet, données personnelles, inscrite au Barreau de Paris. Nous publions régulièrement des articles concernant des thématiques juridiques diverses relevant du domaine des technologies : actualité juridique, présentation d'une nouvelle loi ou analyse d'une jurisprudence récente. Pour consulter notre site web: www.dwavocat.com
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