Messages les plus consultés

vendredi 5 août 2011

La nouvelle loi du 20 juillet 2011 sur la vente aux enchères et ses conséquences sur les sites d’enchères en ligne

Le développement des sites d’enchères en ligne au début des années 2000 avait suscité débats  et controverses, notamment sur le fait de déterminer si ces activités entraient ou non dans le champ de la réglementation sur les ventes aux enchères. La loi du 10 juillet 2000 a tenté de mettre un terme aux débats en fournissant la définition d’une nouvelle activité de “courtage aux enchères réalisé à distance par voie électronique”. Cependant, avec l’évolution des technologies et des pratiques, les commissaires-priseurs (représentés par le Conseil des ventes volontaires) estimant que cette activité crée des distorsions de concurrence et prive les consommateurs de garanties, ont continué à s’opposer au principe du courtage aux enchères en ligne en tentant de soutenir qu’il s’agissait en réalité d’une activité de vente aux enchères publiques par voie électronique. Plusieurs décisions judiciaires sur ces dix dernières années ont permis d’affiner la définition du courtage aux enchères en ligne.

La nouvelle loi du 20 juillet 2011 de libéralisation des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques, en intégrant ces précisions jurisprudentielles, devrait permettre de clarifier les contours de l’activité de courtage aux enchères en ligne.(1)

1. Une définition plus précise du courtage aux enchères en ligne

Le développement des enchères sur internet et la première définition du courtage aux enchères en ligne

La loi du 10 juillet 2000 réglementant les ventes volontaires de meubles aux enchères publiques  avait tenté de mettre un terme aux débats sur les enchères en ligne en disposant que “les opérations de courtage aux enchères réalisées à distance par voie électronique, se caractérisant par l’absence d’adjudication et d’intervention d’un tiers dans la conclusion de la vente d’un bien entre les parties, ne constituent pas une vente aux enchères publiques.”(2)

Les plateformes d’enchères qui fournissent généralement le service, laissant aux vendeurs le soin de décrire l’objet proposé à la vente, celle-ci étant conclue automatiquement à la fin du délai prévu sans adjudication, ne réalisaient donc pas de vente aux enchères publiques, au sens de la loi. Les plateformes de courtage aux enchères ne sont donc pas tenues à l’obligation d’obtenir l’agrément du Conseil des ventes volontaires (le “CVV”), ni de fournir des garanties (telles qu’intervention d’un commissaire-priseur, souscription d’un contrat d’assurance, etc.)

Cependant, la définition de l’activité de courtage aux enchères réalisé à distance par voie électronique de la loi de juillet 2000 n’a pas pour autant clôt tous les débats.

Cette activité est en effet liée au fait de déterminer le régime de responsabilité applicable à la plateforme de courtage aux enchères. Or, ce régime de responsabilité est encore largement abordé de manière binaire : hébergeur ou éditeur.

La définition du régime de responsabilité est d’autant plus ardue que les plateformes de courtage proposent de plus en plus de services et d’outils à leurs utilisateurs, et ont donc tendance à intervenir, au moins indirectement, dans le processus de mise en vente et de conclusion de la vente.(3)

Deux questions principales subsistaient avec la définition de juillet 2000 : le rôle et donc, la responsabilité, de la plateforme d’enchères dans le processus de vente du bien, et la vente de “biens culturels”.

Si l’on retient généralement que les plateformes de courtage (notamment eBay) sont soumises au régime de responsabilité de l’hébergeur dans le cadre de cette activité, il a été reconnu qu’elles font effectivement du courtage car i) le bien est mis en vente par le vendeur, le contrat de vente est conclu directement entre le vendeur et l’acheteur, et ii) il n’y a pas d’adjudication à la fin de la vente, le vendeur reste libre de conclure la vente avec un acheteur autre que le meilleur enchérisseur.

Ces éléments ont été rappelés dans un jugement rendu par le TGI de Paris le 25 mai 2010. En l’espèce, le CVV poursuivait eBay au motif que la plateforme intervenait dans le processus d’enchères. Exerçant une activité de vente aux enchères telle que définie par la loi, et non de courtage, eBay devait obtenir l’agrément du CVV.

Le TGI n’a pas suivi le CVV dans son analyse et a rappelé qu’eBay exerçait effectivement une activité de courtage aux enchères en ligne dans le cadre de la définition de l’article L321-3 al.2 du Code de commerce.(4)

La question relative aux biens culturels n’était pas résolue pour autant. Les biens culturels ne peuvent être vendus sur les plateformes de courtage aux enchères, mais uniquement aux enchères publiques, le cas échéant, par voie électronique (art. L321-3 al.3). Cependant, il n’existe pas de définition précise de la notion de bien culturel, ce qui rend la mise en oeuvre de cette disposition particulièrement délicate.

La modification de l’article L321-3 du Code de commerce

L’article 5 de la loi du 21 juillet 2011 modifie et complète l’article L321-3 du Code de commerce.

La nouvelle définition de l’activité de courtage aux enchères en ligne est plus précise. La loi dispose désormais que : “les opérations de courtage aux enchères réalisées à distance par voie électronique, se caractérisant par l’absence d’adjudication au mieux-disant des enchérisseurs et d’intervention d’un tiers dans la description du bien et la conclusion de la vente, ne constituent pas une vente aux enchères publiques au sens du présent chapitre.”

Cette définition permet de faire le lien entre la qualité d’hébergeur technique de la plateforme (tel que développé ci-dessus) et la notion de courtage aux enchères, en précisant que la description du bien et la conclusion de la vente sont réalisées en l’absence d’intervention d’un tiers (en l’occurrence, la plateforme de vente, la rédaction de l’annonce étant réalisée par le vendeur), et en l’absence d’adjudication au mieux-disant des enchérisseurs (le vendeur étant libre de conclure la vente avec un autre enchérisseur de son choix, sur des critères de proximité géographique ou de conditions de paiement par exemple).

Toute activité d’enchère en ligne n’est pas du courtage

La loi de juillet 2011 vient compléter le premier alinéa de l’article L321-3 nouveau du Code de commerce, confirmant ainsi sans ambigüité la décision rendue par la Cour d’appel de Paris le 8 avril 2009 contre la société EncherExpert.

EncherExpert, qui a pour activité le dépôt-vente sur eBay, était poursuivi par le CVV qui estimait que cette société faisait de la vente aux enchères publiques. En effet, EncherExpert se chargeait de la logistique de la vente sur eBay pour le compte des propriétaires des objets. A ce titre, EncherExpert était mandaté par les propriétaires pour réaliser la vente sur eBay : évaluation du bien, rédaction des annonces et vente au mieux-disant des enchérisseurs.

Le CVV estimait donc que la société EncherExpert exerçait une véritable activité de vente aux enchères publiques au sens de l’article L321-3 al.1 du Code de commerce. A ce titre EncherExpert devait donc solliciter l’agrément du CVV. Le TGI, puis la Cour d’appel de Paris ont considéré que la société EncherExpert exerçait effectivement une activité de vente aux enchères publiques, par voie électronique.(5)

Le nouvel article L321-3 al.1 dispose que “le fait de proposer, en agissant comme mandataire du propriétaire, un bien aux enchères publiques à distance par voie électronique pour l’adjuger au mieux-disant des enchérisseurs constitue une vente aux enchères publiques par voie électronique, soumise aux dispositions du présent chapitre.

2. Une nouvelle obligation d’information du public


L’article L321-3 al.3, dans sa version issue de la loi du 21 juillet 2011, met une nouvelle obligation  d’information des consommateurs à la charge des plateformes d’enchère : une information générale sur la nature du service proposé et une information spécifique sur la réglementation relative à la circulation des biens culturels.

L’information sur la nature du service proposé


Le nouvel article L321-3 al.3 précise que “le prestataire de service mettant à la disposition du vendeur une infrastructure permettant d’organiser et d’effectuer une opération de courtage aux enchères par voie électronique informe le public de manière claire et non équivoque sur la nature du service proposé (…)”. Cette information, qui s’adresse à tous les utilisateurs du service, doit porter entre autre, sur la description du service et les conditions générales applicables.

Ce texte s’inscrit dans la lignée de la politique pour une meilleure information du consommateur, a fortiori lorsqu’il contracte sur internet. Il reflète également les jurisprudences dans ce domaine. Les juges reconnaissent en effet qu’à partir du moment où le prestataire (la plateforme d’enchères) a fourni des informations claires et accessibles relatives au service, ainsi que, le cas échéant, des mises en garde sur les risques de fraude (usurpation d’identité, moyens de paiement, etc.), il revient aux utilisateurs du service de prendre connaissance de ces informations, d’être prudents et de prendre la responsabilité de conclure ou de refuser de conclure la vente. Dans le cas inverse, l’utilisateur victime de fraude pourra être reconnu comme ayant fait preuve de négligence fautive.

Dans le cas des enchères en ligne, il est d’autant plus important d’informer les parties, vendeurs et acheteurs, que la procédure de vente n’est pas simple. C’est le vendeur qui réalise la vente, le contrat de vente étant conclu directement entre vendeur et acheteur. Il revient donc à l’acheteur potentiel de se renseigner et prendre ses précautions avant de décider d’enchérir, et éventuellement acheter l’objet. La plateforme n’est qu’un intermédiaire technique, proposant plus ou moins d’informations et éventuellement des services connexes. Dans la grande majorité des cas dans lesquels des acheteurs, victimes de fraude de la part de vendeurs, ont poursuivi la plateforme d’enchères, et non le vendeur, les acheteurs ont été déboutés par les tribunaux.(6)

L’information sur la réglementation relative à la circulation des biens culturels


La seconde obligation d’information concerne “la réglementation relative à la circulation des biens culturels, ainsi qu’à la répression des fraudes en matière de transactions d’oeuvres d’art et d’objets de collection, lorsque l’opération de courtage aux enchères par voie électronique porte sur de tels biens.”

Les conditions relatives à cette obligation d’information doivent être précisées par arrêté conjoint du garde des sceaux et du ministre de la culture. Cette information devra être portée à la connaissance du vendeur et de l’acheteur.

Cette disposition suscite plusieurs remarques. Comme mentionné plus haut, il n’existe pas de définition précise de la notion de bien culturel. Les nouvelles dispositions légales ne devraient pas résoudre la confusion dans la mesure où l’on fait référence à trois notions apparemment distinctes, mais néanmoins proches : biens culturels, oeuvre d’art et objet de collection.

En outre, il apparaît que l’exception posée par la loi de juillet 2000 relative à la vente de biens culturels aux enchères a disparu. Le nouveau texte ne précise plus que les opérations de courtage aux enchères portant sur des biens culturels sont soumises aux dispositions sur la vente aux enchères publiques. Ceci impliquerait donc que les biens culturels peuvent, au même titre que les autres biens, être mis en vente sur les plateformes de courtage aux enchères sans être soumis au régime de la vente aux enchères publiques.

Enfin, les informations sur la réglementation relative à la circulation des biens culturels, ainsi qu’à la répression des fraudes en matière de transactions d’oeuvres d’art et d’objets de collection seront en principe ciblées, puisqu’elles ne seront destinées qu’aux vendeurs et aux acquéreurs de biens culturels, oeuvres d’art et objets de collection.

En tout état de cause, il conviendra de suivre les conditions posées par l’arrêté mentionné à la loi.

Le nouvel article L321-3 comprend en outre 6 alinéas supplémentaires relatifs aux dispositions pénales applicables en cas de non respect des dispositions figurant au 3é alinéa.

* * * * * * * * * *

(1) Loi n°2011-850 du 20 juillet 2011 de libéralisation des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques ; La loi du 20 juillet 2011 vient modifier la loi du 10 juillet 2000 et transpose la directive européenne n°2006/123/CE du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur
(2) Codifié à l’article L321-3 du Code de commerce
(3) Voir notamment au sujet de la responsabilité d’eBay - plateforme de courtage aux enchères, la décision de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) du 12 juillet 2011, L’Oréal et autres c/ eBay International et autres (voir http://www.legalis.net/spip.php?page=jurisprudence-decision&id_article=3205)
(4) TGI Paris, 5é ch. 25 mai 2010 Conseil des ventes volontaires c/ eBay Europe
(5) Cour d’appel de Paris, 9é ch. 8 avril 2009, Conseil des ventes volontaires c/ EncherExpert et autres. La société EncherExpert a sollicité et dispose désormais de l’agrément du CVV.
(6) voir les derniers jugements en la matière, impliquant eBay : Tribunal d’instance de Vienne, 12 novembre 2010, Vincent M c/ eBay International AG ; TGI Paris, 5é ch. 14 janvier 2010 Patrick M c/ eBay France ; TGI Strasbourg 1ère ch. 15 décembre 2009 Jean L. c/ eBay France. Ces jugements sont accessibles en ligne sur le site www.legalis.net



Bénédicte DELEPORTE
Avocat

Août 2011

www.dwavocat.com

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire