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jeudi 20 octobre 2011

La marque d'un concurrent peut-elle être utilisée comme mot-clé sur un moteur de recherche ?

L’annonceur qui utilise la marque d’un concurrent (ou d’un tiers) à titre de mot-clé pour générer une annonce commerciale à son nom sur la page de résultats d’un moteur de recherche commet-il un acte de contrefaçon ?

La Cour de Justice de l'Union européenne (CJUE), qui avait été saisie de cette question en mars 2010, vient d'apporter de nouveaux éléments de réponse dans le cadre d’un litige opposant la société Interflora Inc. à la société Marks & Spencer plc (M&S).(1)

En l’espèce, M&S, qui exploite notamment un service de vente et livraison de fleurs, avait “acheté” le mot-clé "Interflora" sur le service de référencement publicitaire AdWords de Google. Une annonce commerciale de M&S s’affichait ainsi automatiquement sur la page de résultats de Google chaque fois qu’un internaute effectuait une recherche à partir du mot-clé "Interflora".

La société Interflora Inc., titulaire de la marque communautaire Interflora, a introduit un recours pour violation de ses droits sur sa marque contre M&S devant la High Court of Justice au Royaume Uni. Le juge britannique a décidé de surseoir à statuer et de demander l'avis de la CJUE, compétente en matière de droit communautaire.

Dans sa décision du 22 septembre 2011, la CJUE précise les conditions dans lesquelles l'utilisation de la marque d'un concurrent, dans le cadre du service de référencement publicitaire AdWords, est susceptible ou non de porter atteinte au droit des marques.


1. L'atteinte à la marque d’autrui définie par la jurisprudence Google de mars 2010

Dans une décision du 23 mars 2010 opposant Google France aux sociétés Louis Vuitton Malletier SA, Viaticum SA et CNRRH Sarl, la CJUE s'était prononcée sur les conditions dans lesquelles l'usage par une société d'un mot-clé, identique à la marque d'un concurrent, pour promouvoir ses propres produits ou services était ou non contrefaisant.(2)

    1.1  L'utilisation du service de référencement payant AdWords
Le service AdWords proposé par Google est complémentaire des résultats de recherche “naturelle” en permettant aux annonceurs “d’acheter” des mots-clés pendant une durée déterminée (durée de la campagne publicitaire sur Google) afin que leur annonce apparaisse en tête des pages de résultat sur Google.

En l'espèce, les demandeurs reprochaient à la société Google d’avoir commis des actes de contrefaçon par le fait de proposer aux annonceurs, via son service AdWords, des mots-clés correspondant à des marques enregistrées, sans que leurs titulaires aient donné leur accord pour une telle utilisation de leur marque.

    1.2  La réglementation communautaire sur le droit des marques
Dans cette affaire, la question posée à la CJUE, sur le fondement de l'article 5 §1 a) et §2 de la Directive communautaire de 1988 et de l'article 9 §1 a) du Règlement de 1993 relatifs aux marques, était de savoir si le titulaire d'une marque pouvait s'opposer à l'utilisation de sa marque comme mot-clé dans le cadre d’un service de référencement publicitaire, tel que proposé par Google.(3)

Ces textes prévoient en effet que le titulaire d'une marque enregistrée est habilité à interdire à tout tiers, en l'absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires :
    - d'un signe identique à la marque, pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels celle-ci est enregistrée,
    - d'un signe identique ou similaire à la marque renommée pour des produits ou des services qui ne sont pas similaires à ceux pour lesquels la marque est enregistrée, lorsque l'usage du signe sans juste motif tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque ou lui porte préjudice. 
    1.3  L’analyse de la CJUE
Dans sa décision, la CJUE définit les conditions dans lesquelles une telle utilisation de la marque d'autrui est susceptible de porter atteinte au droit des marques.

Ainsi, la CJUE affirme que l'usage de la marque d'un tiers sans son consentement est condamnable si les trois conditions suivantes sont remplies :

    (i) L’usage de la marque a lieu dans la vie des affaires, à savoir, dans le contexte d'une activité commerciale. A ce titre, la Cour considère qu'en sélectionnant un mot-clé identique à une marque avec pour objet l'affichage d'un lien commercial vers le site de l'annonceur, celui-ci se situe bien dans le cadre de son activité commerciale ;

    (ii) L’usage est fait pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels la marque est enregistrée. Selon la Cour, il en va ainsi dès lors que l'annonceur sélectionne un mot-clé identique à une marque dans le but de proposer aux internautes une alternative aux produits ou services du titulaire de la marque ;

    (iii) L’usage porte atteinte ou est susceptible de porter atteinte aux fonctions de la marque: les droits dont bénéficie le titulaire de la marque lui sont octroyés aux fins de protéger des intérêts spécifiques attachés au rôle de la marque. Ce rôle (ou cette fonction) consiste notamment à garantir la provenance des produits ou services au consommateur, en lui permettant de distinguer un produit ou un service de ceux d’une autre provenance (la "fonction d'indication d'origine").(4)

Ces trois conditions sont cumulatives ; si l'une d'elles fait défaut, la Cour considère qu’il n'y a pas atteinte au droit des marques.

Selon la Cour, l'utilisation par un annonceur d'un mot-clé identique à la marque d'un concurrent dans le cadre du service AdWords porte atteinte à la fonction de la marque lorsque la publicité de l'annonceur ne permet pas ou permet seulement difficilement à l’internaute de savoir si les produits ou services visés par cette publicité proviennent du titulaire de la marque ou d’une entreprise économiquement liée à celui-ci ou, au contraire, d’un tiers.

A ce titre, la Cour précise qu'il incombe à la juridiction nationale d'apprécier, au cas par cas, si les faits du litige dont elle est saisie sont caractérisés ou non par une telle atteinte à la fonction d'indication d'origine de la marque.

En conséquence, la CJUE considère que les deux premières conditions sont remplies en l'espèce : l'utilisation de la marque d'un concurrent dans le cadre du service AdWords consiste à faire usage de cette marque dans la vie des affaires et pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels la marque est enregistrée.

Toutefois, la Cour précise que la troisième condition s'apprécie au cas par cas. Elle fera notamment défaut si l'utilisation de la marque d'un concurrent dans le cadre du service AdWords ne porte pas à confusion quant à la provenance des produits ou services. L'atteinte à la marque d'autrui dépendra donc de la rédaction et de la présentation de l’annonce commerciale de l’annonceur.

Ces critères d’analyse ont été confirmés avec la décision de la CJUE de septembre 2011.


2. L'utilisation de la marque d'un concurrent sur un moteur de recherche n'est pas nécessairement contrefaisante

Les questions préjudicielles posées à la CJUE portaient sur l'interprétation des mêmes textes communautaires sur le droit des marques.

Dans sa décision rendue le 22 septembre 2011, la CJUE précise à nouveau les conditions dans lesquelles le référencement publicitaire payant est susceptible ou non de porter atteinte au droit des marques. Elle ajoute une distinction, selon que l'utilisation concerne une marque non renommée ou une marque notoire.

    2.1  L'utilisation d'une marque ne jouissant d'aucune renommée
La CJUE réaffirme que le titulaire de la marque est habilité à en interdire l’usage par un tiers, si cet usage porte atteinte ou est susceptible de porter atteinte à l'une des fonctions de la marque. Parmi ces fonctions, la CJUE analyse notamment la fonction d'indication d'origine du produit ou du service et la fonction d'investissement (l'emploi d'une marque pour acquérir ou développer une réputation susceptible d'attirer et de fidéliser des consommateurs).(5)

La CJUE en conclut que l'utilisation de la marque d'un concurrent dans le cadre du service  de référencement AdWords n'est pas contrefaisante :

    - si la publicité affichée à partir du mot-clé ne porte pas à confusion et permet à l’internaute normalement informé et raisonnablement attentif, de savoir si les produits ou services visés par l’annonce commerciale proviennent du titulaire de la marque ou d’une entreprise économiquement liée à celui-ci ou, au contraire, proviennent d’un tiers (la fonction d’indication d’origine de la marque). L'atteinte dépend donc de la façon dont la publicité est rédigée par l’annonceur  ;

    - si cette utilisation ne gêne pas de manière substantielle l’emploi, par son titulaire, de ladite marque pour acquérir ou conserver une réputation susceptible d’attirer et de fidéliser des consommateurs (la fonction d’investissement de la marque). Le titulaire d'une marque ne peut s'opposer à ce qu'un concurrent fasse, dans des conditions de concurrence loyale, usage d'un signe identique à cette marque pour des produits ou services identiques, si cet usage a pour seule conséquence d'obliger le titulaire de cette marque à adapter ses efforts pour acquérir ou conserver une réputation susceptible d'attirer et de fidéliser les consommateurs.

    2.2  L'utilisation d'une marque notoire
La CJUE rappelle que le titulaire d’une marque renommée est habilité à interdire à un concurrent de faire de la publicité à partir d’un mot-clé correspondant à cette marque lorsque :

    (i) la publicité porte préjudice au caractère distinctif de la marque (“dilution”) ou à sa renommée (“ternissement”). En outre, la CJUE précise qu'une telle publicité porte préjudice au caractère distinctif de la marque renommée, notamment, si elle contribue à une dénaturation de cette marque en terme générique. Ce serait le cas, par exemple, d’un usage qui conduirait progressivement à faire croire aux consommateurs que le terme Interflora n'est pas une marque désignant un service de livraison de fleurs par les fleuristes adhérant au réseau Interflora, mais constitue un terme générique pour tout service de livraison de fleurs.

Or, en l'espèce, la CJUE estime qu'une telle publicité ne conduit pas systématiquement à une évolution vers un terme générique à partir du moment où elle permet à l'internaute normalement informé et raisonnablement attentif de comprendre que les produits ou services offerts proviennent non pas du titulaire de la marque renommée, mais d'un concurrent de celui-ci ; ou

    (ii) le concurrent-annonceur tire indûment profit de ce caractère distinctif ou de cette renommée (“parasitisme”). Ainsi, la Cour précise que l'usage d'une marque renommée dans le cadre du service AdWords permet à l'annonceur de se placer dans le sillage de cette marque. L’annonceur bénéficie alors du pouvoir d'attraction de la marque, de sa réputation et de son prestige, sans aucune compensation financière pour le titulaire de la marque. Le profit ainsi réalisé par l'annonceur doit donc être considéré comme indu.

Toutefois, le titulaire d’une marque renommée n’est pas habilité à interdire ce type de publicité si l'annonceur propose une alternative aux produits ou aux services du titulaire de la marque, et sous réserve de ne pas offrir une simple imitation de ces produits ou services, ne pas causer une dilution ou un ternissement et ne pas porter atteinte aux fonctions de la marque renommée. Un tel usage par le concurrent doit alors être considéré comme participant d'une concurrence saine et loyale.

En l’espèce, la CJUE a renvoyé l’affaire devant la juridiction britannique pour qu’elle apprécie si l'usage par M&S d'un signe identique à la marque Interflora constitue ou non un acte de contrefaçon, au regard des critères posés par la CJUE.


En conclusion, même si la CJUE reconnaît la possibilité pour un annonceur d’utiliser une marque concurrente comme mot-clé dans le cadre du référencement payant en ligne, il convient de rester prudent quant à la manière dont ce mot-clé sera utilisé dans le cadre de la campagne publicitaire de l’annonceur.

Ainsi, l'utilisation de la marque d’un concurrent ne sera pas contrefaisante à la double condition (i) de ne pas porter à confusion, c'est-à-dire de ne pas induire les consommateurs en erreur sur l'origine des produits ou des services visés dans la publicité commerciale, en leur faisant croire que ceux-ci proviennent du titulaire de la marque, et (ii) de respecter les conditions d'une concurrence “saine et loyale”. L'atteinte à la marque d'un concurrent s'apprécie donc au cas par cas.



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(1) CJUE, 22 sept. 2011, aff. C-323-09, Interflora Inc., Interflora British Unit c/ Marks & Spencer plc, Flowers Direct Online Ltd.
(2) CJUE, Gr. ch., 23 mars 2010, aff. C- 236/08, C-237-08 et C-238-08, Google France et Inc. c/ Louis Vuitton Malletier SA, Viaticum SA, CNRRH et a.
(3) Article 5 §1 a) et §2 de la "Première directive 89/104/CEE du Conseil du 21 décembre 1988 rapprochant les législations des États membres sur les marques": Art. 5 - Droits conférés par la marque - §1 "La marque enregistrée confère à son titulaire un droit exclusif. Le titulaire est habilité à interdire à tout tiers, en l'absence de son consentement, de faire usage, dans la vie des affaires : a) d'un signe identique à la marque pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels celle-ci est enregistrée (...)". §2 "Tout État membre peut également prescrire que le titulaire est habilité à interdire à tout tiers, en l'absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires d'un signe identique ou similaire à la marque pour des produits ou des services qui ne sont pas similaires à ceux pour lesquels la marque est enregistrée, lorsque celle-ci jouit d'une renommée dans l'État membre et que l'usage du signe sans juste motif tire indument profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque ou leur porte préjudice".
Article 9 §1 a) du "Règlement (CE) n°40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire" : Article 9 - Droit conféré par la marque communautaire - §1 "La marque communautaire confère à son titulaire un droit exclusif. Le titulaire est habilité à interdire à tout tiers, en l'absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires: a) d'un signe identique à la marque communautaire pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels celle-ci est enregistrée (...)".
(4) Il s'agit de la "fonction d'indication d'origine". D'autres fonctions ont depuis été rattachées et reconnues à la marque par la jurisprudence, telles que les fonctions de communication, d'investissement ou de publicité.
(5) La CJUE mentionne également la “fonction de publicité”, à savoir l'emploi d'une marque en tant qu'élément de promotion des ventes ou d’instrument de stratégie commerciale. En l'espèce, la CJUE considère qu'il n'y a pas atteinte à la fonction de publicité de la marque INTERFLORA : la sélection d'un signe identique à une marque d'autrui dans le cadre du service de référencement AdWords ne prive le titulaire de cette marque de la possibilité d'utiliser efficacement sa marque pour informer et persuader les consommateurs (ex: la visibilité des produits et services du titulaire de la marque est garantie par le référencement naturel gratuit).

Bénédicte DELEPORTE - Avocat
Betty SFEZ - Avocat

Deleporte Wentz Avocat
www.dwavocat.com

Octobre 2011

jeudi 13 octobre 2011

La vente en ligne de lunettes et lentilles de vue bientôt autorisée

A ce jour, seules les lunettes de soleil, montures et lentilles fantaisie peuvent être régulièrement vendues sur internet. La vente de lunettes et lentilles de vue est spécifiquement réglementée et non autorisée en ligne.(1)

Afin de se conformer au droit européen, le gouvernement français a décidé d’élaborer un cadre légal permettant la vente en ligne de ces produits, aux fins de répondre aux besoins du marché, en respectant les exigences en matière de santé publique.

Un projet de loi, portant notamment sur la vente en ligne de produits d’optique-lunetterie, est en cours d’examen à l’Assemblée Nationale et devrait être voté par le Parlement avant fin 2011.(2)


1. La réglementation française en vigueur relative à la vente de lunettes et lentilles de vue ne prévoit pas la vente en ligne

    1.1 La profession d’opticien-lunetier et la commercialisation de lunettes et lentilles de vue

Les règles applicables à la profession d’opticien et à la vente de lunettes et lentilles de vue sont définies au Code de la santé publique.(3) La vente de lunettes et lentilles de contact de vue est notamment soumise aux conditions suivantes :

- Etre titulaire d’un diplôme ou certificat professionnel : la possibilité de commercialiser des  produits d’optique-lunetterie est exclusivement réservée aux opticiens-lunetiers diplômés. La vente de produits destinés à l’entretien des lentilles de vue relève du monopole des pharmaciens et des opticiens. Tout opticien diplômé a l’obligation avant son entrée en exercice, de s’enregistrer auprès du service compétent du département d’établissement, chaque département détenant une liste officielle des opticiens diplômés en exercice.

- Ne pas démarcher les clients en porte-à-porte : le colportage de verres correcteurs d'amétropie est interdit.

- Exiger la présentation d’une ordonnance pour les mineurs de moins de 16 ans : aucun verre correcteur ne peut être délivré à un mineur de moins de 16 ans sans ordonnance médicale. Au-delà de cet âge, la délivrance de ces produits n’est pas nécessairement soumise à la présentation d’une prescription médicale.

    1.2 Une réglementation non conforme au droit communautaire


La législation française en vigueur n’interdit pas expressément la vente de lunettes et lentilles de vue en ligne. Cependant, l’impossibilité, en pratique - compte tenu des conditions applicables -, de vendre ces produits en ligne est en contradiction avec les principes généraux du droit européen de libre établissement et de prestations de services, et de libre circulation des services de la société de l’information.

Les autorités communautaires se sont prononcées à deux reprises sur ce sujet, par le biais d’un avis de la Commission adressé à la France en 2008 et par un jugement de la CJUE de 2010.

La position de la Commission européenne  -  Le 18 septembre 2008, la Commission a adressé à la France, dans le cadre de la procédure d’infraction prévue à l’article 226 du traité CE, un avis motivé relatif aux “entraves à la vente en ligne de produits d’optique lunetterie”.(4)

Selon la Commission, le cadre juridique français applicable à la vente de produits d’optique-lunetterie, ne prévoyant pas la possibilité de commercialiser ces produits en ligne et obligeant tout opticien qualifié de faire enregistrer son diplôme au niveau départemental, est incompatible avec le droit communautaire. La réglementation française serait contraire aux principes de libre établissement et de prestations de services (articles 43 et 49 du traité CE) et de libre circulation des services de la société de l’information (art.3 §2 de la directive 2000/31/CE “Commerce électronique”). La Commission demande donc à la France de modifier sa réglementation nationale.

La position de la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE)  -  Dans un arrêt du 2 décembre 2010, la CJUE a jugé que les États membres ne peuvent interdire la commercialisation des lentilles de contact par internet, cette interdiction étant contraire au droit communautaire.(5)

En l’espèce, la société hongroise Ker-Optika avait commercialisé des lentilles de vue via son site internet. Les autorités de santé hongroises lui ayant interdit de poursuivre cette activité au motif que ces produits ne pouvaient être vendus en ligne, la société Ker-Optika a attaqué cette décision d'interdiction en justice. Le tribunal saisi du litige a alors demandé à la CJUE de se prononcer sur la conformité de la réglementation hongroise relative à la vente de produits d’optique-lunetterie au droit européen.

La CJUE a jugé que l’objectif visant à assurer la protection de la santé des utilisateurs de lentilles de vue pouvait être atteint par des mesures moins restrictives que celles résultant de la réglementation hongroise en vigueur et que, dans ces conditions, l'interdiction de vendre en ligne des lentilles de contact était contraire aux règles en matière de libre circulation des marchandises dans l'Union européenne.

Afin de se conformer au droit communautaire tel que rappelé dans l’avis de la Commission de 2008 et dans le jugement ci-dessus, la France doit donc adapter sa législation pour élargir la vente des produits d’optique-lunetterie à internet.


2. Le projet de loi définissant les règles de la vente en ligne de lunettes et lentilles de vue

Les dispositions relatives à la vente en ligne de "produits d’optique-lunetterie" figurent dans le projet de loi renforçant les droits, la protection et l’information des consommateurs devant être voté par le Parlement avant fin 2011. Le débat porte principalement sur les aspects liés à la santé publique et à la protection des consommateurs, et aux aspects pratiques de l’ouverture d’internet à la vente de produits d’optique-lunetterie.

    2.1. Les questions spécifiques soulevées par la vente en ligne de lunettes et lentilles de vue

L’enjeu consiste à établir un cadre juridique permettant le développement de la vente en ligne des produits d’optique-lunetterie dans le respect des exigences de santé publique et dans l’intérêt des consommateurs. Cette mise en conformité du droit français avec le droit européen est confrontée à des difficultés d’ordre pratique inhérentes à la vente à distance.

Le débat législatif porte ainsi sur de nombreuses questions telles que la nécessité d’adopter un régime identique et d’imposer les mêmes exigences de qualité en matière de santé publique, quelque soit le canal de distribution (vente en magasin et vente en ligne) ou le produit vendu (vente de lunettes, lentilles et produits d’entretien - vente de lentilles souples jetables fabriquées industriellement et vente de lentilles dures faites sur mesure).

Les exigences de santé publique et la protection des consommateurs  -  Le projet de loi vise à satisfaire les exigences de santé publique et à assurer la protection des consommateurs quelque soit le canal de vente, notamment en leur garantissant une correction adaptée de leur vision lors de l’achat en ligne de produits d’optique-lunetterie (ex: obtenir du vendeur des informations et conseils ou possibilité de se rétracter après réception du produit), en s’assurant qu’ils achètent un produit qui leur convient (ex: logiciel de prise des mesures du client à distance), ou qu’ils sont médicalement aptes au port des lentilles de vue par exemple (via la présentation d'une ordonnance).

Les difficultés pratiques posées par la vente à distance  -  La vente à distance de produits d'optique-lunetterie nécessite d'adapter et de modifier certaines conditions de commercialisation de ces produits. Il résulte de l'étude des débats et propositions d'amendements que cette adaptation est source de difficultés d'ordre pratique.

A titre d'exemple, imposer aux consommateurs la présentation d'une prescription médicale avant l'achat de produits peut poser des difficultés pratiques quant aux modalités de communication de ce document. Par exemple, l’envoi d’une copie dématérialisée de l’ordonnance par e-mail est-il suffisant ? Faut-il exiger du client la communication de l’ordonnance à chaque achat ?

En outre, les modalités pratiques de la délivrance de conseils au client à distance font également l’objet de débats. En effet, il s’agit de conseils personnalisés et non de la fourniture d’une information standard. Comment les demandes de conseils des clients vont-elles être traitées ? En temps réel ou différé, par téléphone, e-mail, tchat, etc. ?

    2.2. Une vente en ligne autorisée mais nécessairement encadrée

Les derniers amendements adoptés en séance publique à l’Assemblée Nationale viennent modifier le Code de la santé publique et le Code de la consommation.(6)

Les principales dispositions doivent avoir pour effet d’imposer des conditions équivalentes à la vente en magasin et à la vente en ligne des produits d’optique-lunetterie. Compte tenu des enjeux de protection de la santé publique, cette vente reste néanmoins encadrée.

Les nouvelles dispositions  -  La vente en ligne de lunettes et lentilles de vue sera soumise à plusieurs conditions :

- La communication d’une ordonnance : la délivrance de verres correcteurs et de lentilles de vue sera désormais soumise à la vérification, par l’opticien, de l’existence d’une ordonnance en cours de validité. L'opticien devra réclamer cette prescription médicale quelque soit l'âge du client.

- L’obligation de conseil : lors de la vente en ligne de verres correcteurs et lentilles de vue, les vendeurs devront mettre à la disposition de l’acheteur un “professionnel de santé” qualifié, apte à répondre à toute demande d’information ou de conseil.

- La certification du site web et des logiciels utilisés : le site web de vente de produits d’optique-lunetterie et les logiciels de mesure utilisés pour la délivrance des produits (ex: logiciels mesurant l'écart pupillaire) devront être certifiés. Cette certification sera réalisée et délivrée par un organisme accrédité, attestant du respect des règles de bonne pratique édictées par la Haute Autorité de santé (information de qualité et outils de prise de mesure conformes aux exigences minimales de sécurité).(7)

- Un droit de rétractation pour l’achat en ligne : le consommateur bénéficiera du droit de se rétracter en cas d’achat à distance de produits d’optique-lunetterie. Toutefois, le projet de loi prévoit que les biens scellés, qui auront été descellés par le consommateur après la livraison, ne pourront être renvoyés pour des raisons évidentes de protection de la santé ou d'hygiène.

Les modalités précises de cette vente en ligne bien spécifique, telles que les conditions de transmission de l’ordonnance et ses exceptions, la durée de validité de l’ordonnance, les mentions et informations qui doivent figurer sur le site web, doivent être fixées par décret.

Enfin, le fait de délivrer ou de vendre à distance des produits d’optique-lunetterie sans vérifier l’existence d’une ordonnance en cours de validité et sans mettre à la disposition du client un professionnel de santé apte à répondre à toute demande d’informations ou de conseils sera puni de 3.750 € d'amende.

Une question en suspens : qui pourra exploiter un site de vente en ligne de lunettes et lentilles de vue ?  -  Il résulte des dispositions en vigueur du Code de la santé publique que la vente de ces produits relève du monopole des opticiens-lunetiers diplômés. La loi dispose, aux articles L.4362-1 et L.4362-9 du Code de la santé publique, que seule une personne remplissant les conditions requises pour l'exercice de la profession d'opticien-lunetier peut diriger ou gérer les établissements commerciaux dont l'objet principal est l'optique-lunetterie, leurs succursales et les rayons d'optique-lunetterie des magasins.(8)

Or, le projet de loi en cours d’examen prévoit, à ses articles 5bis et 6, que :
- "Est considéré comme exerçant la profession d'opticien-lunetier toute personne qui procède à la délivrance de produits d'optique-lunetterie dont la liste est définie par décret (...)",
- "Lors de la vente à distance de lentilles oculaires correctrices, de verres correcteurs, fixés ou non sur des montures, les prestataires concernés mettent à la disposition du patient un professionnel de santé qualifié apte à répondre à toute demande d’informations ou de conseils".(9)

Telles que rédigées, ces nouvelles dispositions portent à confusion. La condition de diplôme n’apparaissant plus dans ce texte, il semble donc que toute personne (“les prestataires concernés”) pourra exploiter un site web de produits d'optique-lunetterie, à la condition toutefois de faire appel à un “professionnel de santé qualifié” pour la fourniture d’informations et de conseils. Qu’est-ce qu’un professionnel de santé qualifié ? Rien n’indique qu’il s’agisse obligatoirement d’un opticien-lunetier diplômé. Il serait souhaitable que le texte définitif soit rédigé dans des termes plus clairs pour lever cette incertitude.


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(1) Plus précisément, la législation française n’interdit pas expressément la vente en ligne de lunettes et lentilles de vue. Mais les dispositions actuelles ne permettent pas en pratique d’utiliser ce canal de vente en France. Ainsi, parce qu’elle n’autorise pas expressément ce mode de distribution, la réglementation française actuellement en vigueur est considérée, par les instances européennes, comme non conforme au droit communautaire.
(2) Projet de loi n°3508, renforçant les droits, la protection et l'information des consommateurs, déposé le 1er juin 2011; Le rapport n°3632 de la Commission des affaires économiques du 6 juillet 2011 et discussions à l’Assemblée Nationale peut être consulté sur www.assemblee-nationale.fr ; Le projet de loi a été voté par l'AN le 11 octobre 2011 et doit maintenant être examiné par le Sénat.
(3) Voir les articles L.4211-4, L.4362-1 et s., L.4363-1 et s. du Code de la santé publique. Par ailleurs, les produits d’optique-lunetterie sont considérés comme des dispositifs médicaux, dont la commercialisation est régie par les articles L. 5211-1 et R. 5211-1 et s. du Code de la santé publique.
(4) Communiqué de la Commission Européenne du 18 septembre 2008 accessible à http://europa.eu/rapid/pressReleasesAction.do?reference=IP/08/1354&format=HTML&aged=1&language=FR&guiLanguage=en
(5) Arrêt CJUE du 2 décembre 2010, affaire C-108/09 Ker-Optika bt / ÁNTSZ Dél-dunántúli Regionális Intézete.
(6) Voir discussions à l’Assemblée Nationale : 2e séance du vendredi 30 septembre 2011 portant sur les articles 5 bis et 6 du projet de loi. Les derniers amendements votés créent ou modifient les articles L.4362-9, L.4362-9-1, L.4362-10 et L.4363-4 du Code de la santé publique ainsi que les articles L.121-20-2, L.121-20-6 et L.121-20-7 du Code de la consommation.
(7) Une procédure de certification telle que prévue par le Code de la sécurité sociale devrait être établie par la Haute Autorité de santé. Voir notamment article L.161-38 du Code de la sécurité sociale : “La Haute Autorité de santé est chargée d'établir une procédure de certification des sites informatiques dédiés à la santé et des logiciels d'aide à la prescription médicale ayant respecté un ensemble de règles de bonne pratique.(…)”
(8) Article L.4362-1 al.5 du Code de la santé publique : “Peuvent exercer la profession d'opticien-lunetier détaillant les personnes titulaires d'un diplôme, certificat (...).”, et article L.4362-9 al.1 du Code de la santé publique : “Les établissements commerciaux dont l'objet principal est l'optique-lunetterie, leurs succursales et les rayons d'optique-lunetterie des magasins ne peuvent être dirigés ou gérés que par une personne remplissant les conditions requises pour l'exercice de la profession d'opticien-lunetier.”
(9) Articles 5bis et 6 du projet de loi renforçant les droits, la protection et l'information des consommateurs devant être codifiés aux articles L.4362-9 al.1 du Code de la santé publique, et L.121-20-6 du Code de la consommation.




Bénédicte DELEPORTE - Avocat
Betty SFEZ - Avocat

Deleporte Wentz Avocat
www.dwavocat.com

Octobre 2011


* Article publié sur le Journal du Net le 17 octobre 2011

mardi 4 octobre 2011

Internet : les règles de gestion des cookies et de sécurité des données renforcées

L’ordonnance relative aux communications électroniques du 24 août 2011 (1), qui vient transposer les directives dites “paquet télécoms” (2), instaure de nouvelles obligations en matière de gestion des cookies et de sécurité des données personnelles, modifiant deux articles de la loi Informatique et Libertés relatifs aux obligations incombant aux responsables de traitements (3). Ces nouvelles règles concernent, d’une part tous les exploitants de sites web utilisant des cookies, d’autre part les fournisseurs de services de communications électroniques.


1. De nouvelles règles en matière de gestion de cookies

L’ordonnance modifie l’article 32 II de la loi Informatique et Libertés.

Désormais, l’installation de cookies sur l’ordinateur d’un internaute et l’utilisation des informations déjà stockées sont soumises à deux conditions préalables :

    - l’internaute doit avoir été informé de la finalité de l’installation, ou de l’utilisation et des moyens dont il dispose pour s’y opposer, et

    - il doit avoir donné son consentement (opt-in) à l’installation du cookie et à l’utilisation de ses données. Jusqu’à présent les internautes pouvaient s’opposer aux cookies, mais uniquement postérieurement à leur installation, sauf à paramétrer leur navigateur de façon à refuser tous les cookies.

Avec cette nouvelle mesure, le consentement de l’internaute n’est pas nécessairement requis pour toute nouvelle installation de cookie. Le texte prévoit que le consentement peut provenir de paramètres appropriés de son dispositif de connexion ou de tout autre dispositif placé sous son contrôle, à savoir par exemple en paramétrant son logiciel de navigation.

Ces dispositions s’appliquent principalement aux cookies de traçage et de ciblage des utilisateurs. Elles ne s’appliquent ni aux cookies ayant pour principale finalité de permettre ou faciliter la communication par voie électronique, ni aux cookies strictement nécessaires à la fourniture d’un service à la demande de l’utilisateur.

Ces nouvelles règles s’imposent à tous types de prestataires sur internet, fournisseurs de services de communications électroniques comme éditeurs de services de communication au public en ligne (éditeurs de sites de e-commerce par exemple), à partir du moment où ces prestataires utilisent ces catégories de cookies pour collecter des informations sur leurs utilisateurs.


2. Une obligation renforcée de sécurité des données à caractère personnel

L’article 34 de la loi Informatique et Libertés impose une obligation de sécurité au responsable du traitement, à savoir, “prendre toutes précautions utiles, au regard de la nature des données et des risques présentés par le traitement, pour préserver la sécurité des données et, notamment, empêcher qu’elles soient déformées, endommagées, ou que des tiers non autorisés y aient accès.

L’ordonnance crée un nouvel article 34 bis, instaurant une obligation de notification à la charge des fournisseurs de services de communications électroniques, en cas de violation de sécurité des données à caractère personnel.

Ainsi, les fournisseurs de services de communications électroniques (à savoir, les opérateurs de télécommunications et FAI notamment) sont désormais contraints de notifier sans délai à la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), toute faille de sécurité “entraînant accidentellement ou de manière illicite la destruction, la perte, l’altération, la divulgation ou l’accès non autorisé à des données à caractère personnel (…).

De plus, le fournisseur doit avertir sans délai l’intéressé dès lors que cette violation est susceptible de porter atteinte aux donnés à caractère personnel ou à la vie privée de celui-ci. Toutefois, cette obligation de notification n’est pas nécessaire si la CNIL a constaté que des mesures de protection ont été mises en oeuvre par le fournisseur (ex: mesures rendant les données inutilisables à toute personne non autorisée à y avoir accès). La CNIL peut également, après avoir examiné la gravité de la violation, mettre en demeure le fournisseur d’informer l’intéressé.

Tout manquement à cette obligation de notification est puni de 5 ans d’emprisonnement et 300.000€ d’amende.

Enfin, le fournisseur doit tenir à jour un inventaire comportant la liste des failles de sécurité, leurs modalités, leurs effets et les mesures adoptées pour y remédier. Cet inventaire doit être mis à la disposition de la CNIL.

Cette obligation de notification s’impose à toute violation de sécurité, qu’elle soit accidentelle ou illicite (intrusion non autorisée par un tiers dans les systèmes du fournisseur de services).

Enfin, il est à noter que cette obligation s’impose aux fournisseurs de services de communications électroniques. Ne sont pas concernés les éditeurs de services de communication au public en ligne, tels les éditeurs de sites de commerce en ligne par exemple.
* * * * * * * * * * *

(1) Ordonnance n° 2011-1012 du 24 août 2011 relative aux communications électroniques.
(2) Directive 2009/136/CE du Parlement Européen et du Conseil du 25 novembre 2009, modifiant la directive
2002/22/CE concernant le service universel et les droits des utilisateurs au regard des réseaux et services de communications électroniques, la directive 2002/58/CE concernant le traitement des données à caractère personnel et la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques et le règlement (CE) n°2006/2004 relatif à la coopération entre les autorités nationales chargées de veiller à l’application de la législation en matière de protection des consommateurs.
(3) Loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, modifiée.



Bénédicte DELEPORTE  -  Avocat
Betty SFEZ  -  Avocat

Deleporte Wentz Avocat
www.dwavocat.com

Octobre 2011

* Article publié sur le Journal du Net (http://www.journaldunet.com) le 4 octobre 2011

mardi 27 septembre 2011

Applications mobiles : du développement à la distribution, les droits et obligations du développeur

Le développement d’applications mobiles est soumis à des règles de droit, dont le droit de la propriété intellectuelle, et leur exploitation nécessite la mise en oeuvre de plusieurs contrats, suivant le type de distribution envisagé.

Le développement et l’exploitation d’applications recouvrent en effet des réalités variées et particulièrement complexes dans la mesure où l’on opère dans un environnement éminemment multi-national, et où plusieurs systèmes de droit peuvent être amenés à se superposer. En outre, il existe plusieurs cas de figure dans le mode de développement d’applications : le développeur peut réaliser une application pour son compte et mettre cette dernière à la disposition de l’utilisateur final (ou mobinaute), soit directement par le biais de son site web ou blog, soit via une plateforme de téléchargement. Le développeur peut également développer pour le compte d’un tiers, par exemple pour une société souhaitant distribuer une nouvelle application professionnelle. Enfin, le développeur peut réaliser une application pour le compte de son employeur dans le cadre de son contrat de travail.

Nous faisons le point ci-après, d’une part, sur les droits du développeur relatifs au développement d’applications mobiles, d’autre part sur les droits relatifs à la distribution des applications mobiles.

1. Développement d’applications mobiles et droit de la propriété intellectuelle

Une application mobile est une oeuvre complexe, constituée d’un logiciel, et de tout ou partie des éléments suivants : base de données, contenu éditorial, graphisme, photo, musique, vidéo. Il s’agit d’un programme téléchargeable, gratuit ou payant, et exécutable sur un terminal mobile (smartphone, tablette internet). Les applications mobiles peuvent être pré-installées ou téléchargées par l'utilisateur par le biais d'une plateforme de téléchargement (telle l’App Store d’Apple, l’Android Market de Google, parmi les nombreuses plateformes ou places de marché disponibles).

    1.1 Développeur indépendant, ou entreprise de développement d’applis mobiles, et droit d’auteur

Les applications, en tant qu’oeuvres de l’esprit, sont protégées par le droit de la propriété intellectuelle, ou droit d’auteur (et si elle intègrent une ou plusieurs bases de données, celles-ci sont protégées par le droit sui generis des bases de données), à la condition d’être “originales”. La notion d’originalité, définie par la jurisprudence, consiste en “l’empreinte de l’auteur”, ce qui distingue cette oeuvre des autres. La protection d’une oeuvre par le droit d’auteur naît avec sa création (art L.111-1 du Code de la propriété intellectuelle ou CPI) et ne nécessite aucune formalité de dépôt particulière.

Le développeur d’applications détient sur celles-ci les droits de propriété intellectuelle qui y sont afférentes (droits patrimoniaux et droit moral). Ces créations ne pourront donc être utilisées par des tiers (exploitant ou utilisateur) qu’avec l’accord du développeur, soit en vertu d’une licence d’utilisation, soit à la suite de la cession de tout ou partie des droits du développeur.

En cas de développement pour le compte d’un tiers (le développeur étant un consultant indépendant ou une entreprise), un contrat de développement d’application devra être conclu, prévoyant outre les conditions de développement et de rémunération, les conditions de licence d’utilisation ou de cession des droits au client-donneur d’ordre et d’exploitation commerciale de l’application.

Il est rappelé que, dans le cas d’une commande de développement, le simple paiement de la prestation de développement par le client ayant commandé l’application, sans autre précision écrite sur la cession des droits, n’emporte pas la cession des droits de propriété intellectuelle au client. En effet, la cession des droits de propriété intellectuelle est strictement réglementée et n’est effective que si elle est constatée par écrit, dans les termes de l’article L.131-3 al.1 du CPI, étant précisé que les conditions de cession de droits de propriété intellectuelle sont interprétées de manière restrictive par les tribunaux.

Toute utilisation non autorisée d’une application mobile (reproduction ou distribution sans l’autorisation du développeur), comme de toute oeuvre protégée par le droit d’auteur, pourra être qualifiée de contrefaçon.

    1.2 Développeur salarié et droit d’auteur

Le développeur-salarié qui développe une application dans le cadre de son contrat de travail n’est pas, en principe, titulaire des droits patrimoniaux sur sa création. En effet, en cas de développement d’applications par un développeur salarié, les droits sur le développement de la partie logiciel de l’application seront dévolus automatiquement à l’employeur, en vertu des dispositions de l’article L.113-9 du CPI.

Par contre, il conviendra de prévoir des conditions de cession des droits de propriété intellectuelle à l’employeur pour les autres éléments, hors logiciel, de l’application (notamment contenu éditorial, éléments graphiques, musique, etc.) pour que celui-ci puisse ensuite légalement distribuer les applications développées.

Le cas des développements en mode open source
Le développeur utilisant un logiciel libre (ou open source) pour développer des applis mobiles devra se conformer à la licence open source régissant l’utilisation de ce logiciel, notamment, rendre les sources publiques en cas de modification du code ou en cas de développements supplémentaires.

Dans tous les cas de figure, il conviendra de s’assurer que les applications développées sont conformes au droit et aux règles d’ordre public. Ainsi, les applications ne devront pas inciter à la violence ou à la haine raciale, promouvoir l’utilisation ou la consommation de produits ou services illicites, etc. En cas de distribution d’une application dont l’objet serait illicite, la responsabilité du développeur, et éventuellement de la plateforme de téléchargement, pourrait être retenue.

2. Distribution d’applications mobiles, contrats et respect de la vie privée

    2.1 Application mobile et contractualisation des droits d’exploitation

Le développeur, personne physique ou morale, est libre d’exploiter son/ses application(s), soit  directement, soit en transférant ce droit d’exploitation à un tiers.

Plusieurs cas de figure peuvent se présenter. Le développeur peut développer une application : (i) pour son compte et la distribuer directement auprès des utilisateurs, par le biais de son site web ou de sa propre plateforme, (ii) pour son compte et distribuer cette application via une plateforme tierce de téléchargement, (iii) pour le compte d’un tiers (consultant développant pour une société, donneur d’ordre) qui se chargera de sa distribution auprès des utilisateurs et enfin (iv) si le développeur est salarié, pour le compte de son employeur dans le cadre de son contrat de travail.

Quel que soit le cas de figure, plusieurs types de contrats sont à envisager :

    - En cas de distribution par le développeur, directement auprès des utilisateurs, un contrat de licence d’utilisation devra figurer sur le site ou la plateforme de téléchargement. Ce contrat déterminera les droits d’utilisation accordés aux utilisateurs, et ce, que l’application soit distribuée à titre gratuit ou onéreux. Le contrat sera réputé conclu au moment de l’accord de l’utilisateur, suivi du téléchargement de l’application mobile.

    - En cas de distribution de l’application par le développeur via une plateforme tierce de téléchargement, la mise à disposition de l’application sur la plateforme sera généralement soumise à l’acceptation par le développeur des conditions d’utilisation et de distribution de cette plateforme. Certaines plateformes peuvent laisser la possibilité aux développeurs de distribuer leurs applications à partir de la plateforme, mais selon leurs propres conditions de licence ; d’autres plateformes imposent leur licence d’utilisation dans le cadre des conditions générales d’utilisation de la plateforme. Il conviendra de faire particulièrement attention aux conditions de distribution et de licence proposées par les plateformes, qui ne sont pas toujours rédigées de manière claire et/ou adaptée à la distribution d’applications mobiles, et aux conditions des plateformes étrangères, qui ne sont pas soumises au droit français.

    2.2 La collecte de données à caractère personnel par les applications mobiles

Certaines applications mobiles comprennent un traitement de données à caractère personnel des utilisateurs, des données étant collectées soit au moment du téléchargement de l’application, soit encore tout au long de son utilisation.

Le téléchargement d’une application peut nécessiter, pour les utilisateurs, de communiquer des données personnelles (nom, prénom, pseudo, identifiant, etc.). Dès lors que l’application mobile permet de traiter (collecter, enregistrer, conserver, diffuser, etc.) des données personnelles des utilisateurs, et pour autant que le développeur, personne physique ou morale, est localisé en France, les dispositions de la loi Informatique et Libertés du 6 janvier 1978 viennent à s’appliquer.

Le développeur d’applications mobiles devra déclarer le traitement à la CNIL préalablement à la mise en exploitation de la/des application(s) nécessitant une collecte de données à caractère personnel.(1)

En outre, le traitement des données devra être loyal et licite, la finalité du traitement devra être déterminée, explicite et légitime, les utilisateurs devront être informés et doivent pouvoir exercer leurs droits d’accès, de rectification des données les concernant et d’opposition au traitement de leurs données. La durée de conservation des informations devra être raisonnable, en fonction de l’objectif du traitement. Enfin, le développeur devra assurer la sécurité des informations traitées en adoptant des mesures de sécurité physiques et logiques adaptées à la nature des données et aux risques présentés.

Pour rappel, le non-respect des obligations précitées est puni de sanctions pénales, prévues aux articles 226-16 et s. du Code pénal. Les infractions les plus graves peuvent être punies de 5 ans d’emprisonnement et de 300.000 euros d’amende. 
 
    2.3 Géolocalisation et respect de la vie privée

L’autorisation de collecte des données de localisation
La géolocalisation permet de localiser un objet ou une personne par le biais d'un système GPS ou d'un téléphone mobile (ex: assistance à la navigation, mise en relation des personnes, etc). Elle consiste donc à communiquer des informations sur une personne ou un objet en fonction de la position géographique.

Dès lors qu’une application mobile implique la collecte et l’exploitation d’informations relatives à la géolocalisation des utilisateurs, le traitement de ces informations doit être conforme aux règles de respect de la vie privée, et pour les applications “françaises”, soumis aux dispositions de la loi Informatique et Libertés. Il incombe donc au développeur d’effectuer une déclaration de traitement des données personnelles collectées à la CNIL.

En matière de géolocalisation, l’article L.34-1-V du Code des postes et des communications électroniques pose le principe de l’autorisation préalable de l’utilisateur à la collecte de ses données de localisation, cette autorisation pouvant être recueillie par l'intermédiaire d'une case à cocher (opt-in) au moment du téléchargement de l’application, ou éventuellement à tout moment pour activer ou désactiver l’application ou l’option de géolocalisation.

En outre, l’accord exprès de l’utilisateur d’applications pour conserver les informations liées à ses déplacements (historique des déplacements) doit être recueilli. L’utilisateur doit également être informé des données collectées et de la durée et de la finalité du traitement. Il doit, en outre, être informé du fait que les données seront ou non transmises à des fournisseurs de services tiers (ex: gestionnaire de base cartographique). Ces informations seront indiquées dans la licence d’utilisation ou dans la politique “vie privée” applicable.

Enfin, l’utilisateur doit pouvoir revenir sur son consentement par un moyen simple et gratuit ; il doit ainsi avoir la possibilité de supprimer les données de localisation qui le concernent.

Il conviendra donc de s’assurer, en cas de distribution de l’application via une plateforme tierce de téléchargement, que ses conditions d’utilisation soient conformes au droit français de la protection des données à caractère personnel.

La réutilisation des données de localisation à des fins marketing
Les données de géolocalisation peuvent parfois être utilisées pour envoyer de la publicité géo-ciblée sur le terminal de l’utilisateur. Le marketing ciblé basé sur de la géolocalisation n’est pas interdit par la loi. Cependant, les utilisateurs d’applications fournissant des services de géolocalisation doivent être informés de la possible réutilisation de leurs données par des annonceurs tiers à des fins commerciales, et doivent avoir donné leur consentement (opt-in) pour recevoir ces messages.


(1) Les plateformes de téléchargement collectent également des données à caractère personnel. Suivant la localisation du responsable du traitement exploitant la plateforme, ce traitement sera régi par le droit français ou par le droit de son pays d’établissement. Voir à ce sujet les dispositions de l’article 5 de la loi Informatique et Libertés.


Bénédicte DELEPORTE – Avocat
Betty SFEZ – Avocat

Deleporte Wentz Avocat
www.dwavocat.com

Septembre 2011

vendredi 16 septembre 2011

La vente de vins sur internet : une vente à emporter réglementée

La vente de vins et alcools est encadrée par des règles strictes, relatives à la protection de la santé publique et de la jeunesse. Ces règles, énoncées au Code de la santé publique, ont été modifiées et complétées à plusieurs reprises ces deux dernières années avec la loi Hôpital, patients, santé, territoires (loi “Bachelot”) du 21 juillet 2009, et plus récemment avec la loi du 22 mars 2011 et le décret du 22 juillet 2011.(1)

Il existe deux types de commerces de vente de vins et alcools : la vente avec consommation sur place et la vente à emporter. La vente de vins et alcools en ligne, est considérée comme une vente à emporter. Elle est soumise à la réglementation sur la vente d’alcool.

Parmi les obligations incombant aux personnes (producteurs, commerçants) vendant du vin sur internet, il convient de rappeler les obligations suivantes : être titulaire d’un permis d’exploitation, obtenir une licence “à emporter” et respecter la réglementation en matière de protection de la santé publique et de la jeunesse.

1. Le permis d’exploitation

Toute personne souhaitant vendre du vin, y compris en ligne, a l’obligation de suivre une formation dispensée par des organismes agréés par arrêté du ministre de l'Intérieur.(2) 
 
Cette formation, qui comprend plusieurs heures d'enseignement, vise à sensibiliser les professionnels sur les droits et obligations attachés à l'exploitation d'un “débit de boissons à emporter”. Les professionnels doivent ainsi acquérir des connaissances relatives à la législation et à la réglementation applicables aux obligations en matière de santé publique et d'ordre public, au commerce de détail, à la vente à emporter et à la vente à distance.
 
Cette formation donne lieu à la délivrance d’un permis d’exploitation, valable 10 ans. À l'issue de cette période, la participation à une formation de mise à jour des connaissances permettra de prolonger la validité du permis.

2. La licence “à emporter”
 
Il existe deux types de licences à emporter suivant les catégories de boissons pouvant être commercialisées. L’obtention d’une licence à emporter est soumise à déclaration.
 
Cinq catégories de boissons. La loi classe les boissons selon cinq catégories : 1°) les boissons sans alcool ; 2°) les boissons fermentées non distillées (vin, bière, cidre, etc) ; 3°) les vins doux naturels, vins de liqueur, apéritifs, etc ; 4°) les rhums, alcools provenant de la distillation des vins, cidres, poirés ou fruits, etc. et 5°) toutes les autres boissons alcooliques.
 
Deux licences. L’exploitant d’un site web de vente de vins et d’alcool peut obtenir deux types de licences : la "petite licence à emporter" qui permet de vendre des boissons de 2e catégorie et la "licence à emporter", autorisant la vente de toutes les boissons, quelle que soit leur catégorie.(3)
 
Conditions d’obtention de la licence. Une nouvelle législation, entrée en vigueur le 1er juin 2011, a modifié les conditions d’obtention de la licence. Auparavant, les exploitants de débit de boissons à emporter devaient effectuer une déclaration fiscale, dite "déclaration de profession", auprès des services des douanes. Désormais, la déclaration fiscale est supprimée et remplacée par une déclaration administrative en Mairie ou, pour Paris, à la Préfecture de police. Cette déclaration doit être faite par écrit, au moins 15 jours avant le début de l’activité.(4) 
 
3. La protection de la santé publique et de la jeunesse
 
L’exploitant d’un site web de vente de vins et alcools doit en outre respecter certaines règles relatives à la protection de la santé publique et des mineurs.(5)

Message à caractère sanitaire. L’exploitant doit afficher, de manière visible, sur son site web un message sanitaire obligatoire indiquant que "l'abus d'alcool est dangereux pour la santé".

Protection des mineurs. La vente des boissons alcooliques à des mineurs est interdite ; cette interdiction s'applique aux ventes en ligne. A ce titre, l’exploitant d’un site web de vente de vins doit signaler, de manière visible sur le site, l’interdiction de vente aux mineurs (par exemple en bas de page, avec un rappel sur le formulaire de commande).

En outre, l’exploitant peut exiger des acheteurs qu'ils déclarent être majeurs au moyen d’une déclaration faite en ligne, par exemple soit en demandant à l'acheteur de renseigner sa date de naissance, soit en demandant, au moment de l'achat, qu'il déclare sur l'honneur avoir plus de 18 ans.


4. Quelles sanctions en cas de non-respect de la réglementation ?

En cas d'infraction aux règles précitées, l'exploitant du site web encourt des peines d'amende, d'interdiction d'exercer et /ou de fermeture du site web. 


Les montants des amendes varient selon les manquements constatés : 3.750€ en cas d'exploitation d'un site web sans être titulaire de la licence "à emporter" ; 75.000€ en cas d'infraction à la réglementation relative à la protection de la santé publique ; et 7.500€ en cas de non-respect de la réglementation relative à la protection des mineurs. 


Quant à la durée de l'interdiction de vendre des boissons alcooliques ou de la fermeture du site web, elle varie également selon de la gravité de l'infraction commise. L'interdiction ou la fermeture peut être temporaire, voire définitive.
(6)


Outre ces règles spécifiques à la vente de vins et alcools, l’exploitant du site web de vente de vins devra respecter les règles propres au commerce électronique, telles que figurant notamment dans la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN), complétées par les règles relatives à la protection du consommateur, au traitement des données à caractère personnel (loi Informatique et Libertés), et d’une manière générale, les règles applicables au contrat de vente figurant au Code civil.


* * * * * * * * * * *


(1) Loi N°2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, dite "Loi Bachelot" ou "Loi Hôpital, patients, santé, territoires" et articles L. 3331-1 et s. et L. 3332-1 et s. du Code de la santé publique.
(2) Articles L.3332-1-1, L.3331-4 al.2 et R.3332-4 et s. du Code de la santé publique et Décret n° 2011-869 du 22 juillet 2011 relatif aux formations délivrées pour l’exploitation d’un débit de boissons à consommer sur place et pour la vente entre 22 heures et 8 heures de boissons alcooliques à emporter.
(3) Articles L.3331-3 et L.3321-1 du Code de la santé publique.
(4) Loi n°2010-1658 du 29 décembre 2010 de finances rectificatives pour 2010 ; Loi n° 2011-302 du 22 mars 2011 portant diverses dispositions d’adaptation de la législation au droit de l’Union européenne en matière de santé, de travail et de communications électroniques (voir notamment article 1er) ; Circulaire n° DGS/DLPAJ/2011/205 du 31 mai 2011 relative à la déclaration des débits de boissons et article L.3332-1-1 et s. du Code de la santé publique.
(5) Articles L3323-4 et L3342-1 du Code de la santé publique.

(6) voir notamment les articles L.3352-4-1, L.3351-7, L.3353-3, L. 3355-4 et L. 3355-6 du Code de la santé publique.


Bénédicte DELEPORTE - Avocat
Betty SFEZ - Avocat

Deleporte Wentz Avocat
www.dwavocat.com


Septembre 2011

vendredi 9 septembre 2011

Vers une protection juridique accrue de l’e-consommateur

Malgré le développement continu du e-commerce, le législateur, tant européen que français, n’a de cesse de mettre l’accent sur les problèmes de fraude des e-commerçants et de déficit de confiance de la part des consommateurs. Reconnaissant cependant l’impact du e-commerce sur l’économie française et européenne, les politiques veulent renforcer la “confiance” dans le commerce en ligne.

De nouvelles règles, axées sur la protection du e-consommateur, doivent entrer en vigueur dans les prochains mois. Le présent article fait le point sur les grandes mesures annoncées : directive “droit des consommateurs” et projet de loi sur la protection des consommateurs.


1. Renforcer la protection de l’e-consommateur européen

Le Parlement européen vient d’adopter, le 23 juin 2011, les nouvelles règles applicables aux contrats conclus à distance et aux contrats hors établissement.(1) Après avoir été approuvée par le Conseil des ministres, cette nouvelle directive sur la protection des consommateurs devra être transposée dans les droits nationaux dans un délai de deux ans, les lois de transposition devant entrer en vigueur 6 mois après leur adoption.

- Un objectif d’harmonisation du droit européen de la protection du e-consommateur

Au niveau européen, la directive e-commerce de juin 2000, transposée en France avec la LCEN du 21 juin 2004, avait fourni un cadre juridique au commerce électronique, en définissant notamment les grandes catégories d’intervenants (opérateurs, fournisseurs d’accès, hébergeurs, commerçants) et les contours des régimes de responsabilité applicables aux unes et aux autres.(2)

Ces règles avaient pour objectif de créer un socle commun minimum, les Etats-membres pouvant décider d’adopter des règles plus contraignantes.

La directive de juin 2000 n’avait cependant pas pour objet spécifique de définir les règles applicables aux consommateurs. Les règles du droit de la consommation restaient donc assez disparates d’un Etat-membre à un autre, notamment pour les achats en ligne, certains pays ayant déjà adopté des réglementations protectrices des e-consommateurs, d’autres n’ayant pas encore réellement légiféré dans ce domaine.

La disparité actuelle entre les droits nationaux a pour effet de dissuader les achats en ligne transfrontaliers, les e-consommateurs craignant des règles inexistantes ou moins protectrices que dans leur pays de résidence, et les e-commerçants ne souhaitant pas être confrontés à des règles qu’ils ne connaissent pas en vendant à l’international.

La nouvelle directive “droits des consommateurs” a pour objet d’actualiser et de fusionner deux directives sur les droits des consommateurs, toutes deux antérieures à l’essor du e-commerce : la directive sur les contrats à distance et la directive sur les contrats négociés hors établissement. L’objectif affiché de cette nouvelle directive est de renforcer la protection des acheteurs en ligne. 

Nous ne ferons pas ici une description exhaustive de toutes les dispositions de la nouvelle directive. Trois séries de dispositions peuvent cependant être relevées :

- Un renforcement de l’obligation d’information du e-consommateur

L’e-commerçant doit être identifié clairement. Cette obligation, correspondant à l’obligation de faire figurer les mentions légales de l’exploitant du site, est rappelée dans la directive. Elle figure déjà à l’article 6 III de la LCEN.

- Le nouveau droit de rétractation

Le droit de rétractation voit ses contours redéfinis. Ainsi, le délai de rétractation accordé au e-consommateur passe de 7 à 14 jours à compter de la livraison. En contrepartie, le e-consommateur devra être remboursé (montant du bien et frais de livraison) dans un délai de 14 jours à compter de sa rétractation. Un formulaire type de rétractation est proposé à la fin de la directive. L’acheteur doit renvoyer le bien au vendeur au plus tard 14 jours après avoir communiqué sa décision de se rétracter.(3)

Cependant, pour que ces délais soient applicables, il incombe au e-commerçant d’informer l’acheteur des conditions de rétractation (et le cas échéant, de l’absence de droit de rétractation). En l’absence d’information de l’acheteur, le délai de rétractation est automatiquement prolongé d’un an. Le commerçant doit également préciser si les frais de renvoi sont à la charge de l’acheteur.

Les frais de retour d’un bien acheté à distance ne pouvant être renvoyé par courrier ordinaire doivent être énoncés clairement dans le contrat de vente afin que le e-consommateur ait toutes les informations nécessaires s’il souhaite se rétracter et renvoyer le bien. Au cas où les informations relatives aux frais de retour ne seraient pas indiquées, ces frais seront à la charge du vendeur. Cette disposition sera, sans nul doute, complexe à mettre en oeuvre puisque, entreront en ligne de compte, le lieu de résidence de l’acheteur, le type d’objet et son poids.

Il existe des exceptions au droit de rétractation. Ainsi, certains types de biens et prestations de services ne peuvent faire l’objet d’une rétractation après leur commande en ligne, tels que les locations de voiture, les billets d’avion, les denrées alimentaires, les biens personnalisés ou les biens numériques. Certaines restrictions existent déjà en droit français (référence à la loi), d’autres sont nouvelles. Enfin, certains services pourront être annulés après le début de leur exécution, sous réserve que l’acheteur règle au prestataire la partie du service déjà exécutée.(4)

- Des conditions d’exécution du contrat précisées

La livraison doit être réalisée dans un délai de trente jours, sauf accord contraire entre les parties.

Le transfert des risques a lieu au moment de la remise du bien à l’acheteur. Il s’agit, en d’autres termes, de l’application du principe de responsabilité de plein droit du e-commerçant de la bonne fin du contrat, jusqu’à la remise du bien à l’acheteur.(5)

La directive “droits des consommateurs” doit être transposée dans les droits nationaux selon le principe de l’harmonisation maximale, c’est-à-dire que les Etats-membres ne pourront adopter de législations plus contraignantes (comme un délai de rétractation plus long par exemple).

Même si la directive “droits des consommateurs” intègre un certain nombre de dispositions existant déjà en droit français, de nombreux ajustements devront néanmoins être réalisés. Les nouvelles règles énoncées dans la directive entraîneront donc une mise à jour des conditions de vente (CGV) et des conditions d’utilisation (CGU) des sites web d’ici le début de 2014 pour assurer leur conformité à des règles impératives.


2. Assurer le respect des règles de la vente en ligne par les e-commerçants français


En parallèle à la directive “droits des consommateurs”, un projet de loi renforçant les droits, la protection et l’information des consommateurs est en cours d’examen par le Parlement. Ce projet devrait être voté avant fin 2011. (6)

Bien que ce projet de loi ne soit pas spécifiquement dédié au commerce en ligne, on retiendra notamment une série de mesures venant compléter ou modifier le droit existant : une information contractuelle du consommateur plus complète, les modalités d’exécution du droit de rétractation précisées, le renforcement du contrôle du respect des dispositions de la loi Informatique et Libertés en matière de sollicitation commerciale et les conditions applicables à la livraison des biens achetés à distance.

- Une information contractuelle du e-consommateur plus complète

Certains sites de e-commerce ne fournissent pas ou peu d’informations contractuelles : pas de CGV (ou CGV difficilement accessibles), des CGV très incomplètes, etc. L’un des objectifs du projet de loi est d’améliorer l’information du e-consommateur en rappelant que cette information est obligatoire, sous peine de sanctions. Ainsi, les CGV devraient désormais “figurer directement sur la page d’accueil du site” ou sur tout support de communication de l’offre, ce que l’on traduit par “être accessibles” depuis la page d’accueil du site de vente en ligne, ou depuis les pages des applications mobiles par exemple.

En outre, les informations relatives au droit de rétractation et à ses limites devront non seulement obligatoirement figurer dans le contrat, mais également être facilement accessibles sur le site web et sur tous les supports de publicité.

- Les modalités d’exécution du droit de rétractation

Dans une optique de protection du consommateur, le projet de loi prévoit de doubler les pénalités à l’encontre du e-commerçant si celui-ci ne rembourse pas à l’acheteur ayant fait jouer son droit de rétractation, les sommes versées dans le délai légal de trente jours. Ces sommes sont actuellement productives d’intérêts au taux légal en vigueur. Le projet de loi prévoit de leur appliquer le double du taux légal, à titre dissuasif.

- Le renforcement du contrôle du respect des dispositions de la loi Informatique et Libertés en matière de sollicitation commerciale

Le spam consiste notamment en la prospection commerciale non sollicitée (ou non autorisée) par son destinataire. Les adresses email peuvent avoir été collectées directement sur le net ou communiquées par des e-commerçants en violation des règles applicables en matière de consentement préalable du destinataire. En outre, les emails publicitaires ne comportent pas toujours les mentions légales pour permettre aux destinataires de se désinscrire de la base d’emailing publicitaire.

Le projet de loi propose la création de sanctions administratives à l’encontre des opérateurs ne respectant pas les règles relatives au traitement des données à caractère personnel des e-consommateurs, à l’occasion de leurs transactions sur internet.

Désormais, les agents de la DGCCRF seront habilités à relever les manquements aux dispositions de la loi Informatique et Libertés lors de leurs contrôles relatifs à la protection économique des consommateurs. La sanction applicable en cas de manquement constaté à la loi s’élèvera à 15 000 euros. De même, les emails publicitaires ne permettant pas au destinataire de se désinscrire et/ou le fait pour l’expéditeur de dissimuler son identité et/ou de mentionner un objet sans rapport avec le message commercial sera sanctionné.

En pratique, les agents de la DGCCRF pourront relever les manquements à la loi, dans le cadre de leurs contrôles et les signaler à la CNIL. Cette mesure aura pour effet d’étendre l’efficacité des contrôles de conformité à la loi Informatique et Libertés au-delà des seules enquêtes diligentées par la CNIL, en s’appuyant sur le réseau des agents de la DGCCRF.

- Les conditions applicables à la livraison des biens achetés à distance


Une dernière mesure vise d’une part à interdire aux transporteurs de se retourner contre l’acheteur en cas de non paiement de la livraison par l’e-commerçant, alors que l’acheteur a déjà réglé le montant de la livraison au e-commerçant lors de son achat en ligne, d’autre part à allonger le délai accordé à l’acheteur pour contrôler le bien livré. Le e-consommateur disposerait désormais de 10 jours, au lieu de trois actuellement, pour émettre ses protestations concernant l’état du bien livré quand le transporteur n’a pas permis au consommateur de le vérifier effectivement.


Ainsi, l’objet affiché, tant par la directive que par le projet de loi français, est une protection accrue du e-consommateur, visant à accroître sa confiance dans le commerce en ligne. De leur côté, les e-commerçants devront mettre en oeuvre des mesures souvent contraignantes, assorties de sanctions. Désormais, la non-conformité à la loi coûtera cher, même en l’absence de pratique frauduleuse.


Bénédicte DELEPORTE
Avocat
www.dwavocat.com

Septembre 2011

(1) Résolution législative du Parlement européen du 23 juin 2011 sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative aux droits des consommateurs. La transposition doit être faite dans les 2 ans à compter de la date de publication au JOUE.
(2) Directive 2000/31/CE du Parlement et du Conseil, 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur ; Loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, dite LCEN.
(3) Articles 6 -1° (points h, i, j et k), 9 à 16 de la Directive et son Annexe 1.
(4) Article 16 de la Directive.
(5) Article 18 (livraison) et 20 (transfert de risques) de la Directive.
(6) Projet de loi renforçant les droits, la protection et l'information des consommateurs n°3508, déposé le 1er juin 2011.