Avec l’arrêt Nikon du 2 octobre 2001, la cour de cassation rappelait que le salarié avait droit, même sur le lieu et pendant le temps de travail, au respect de l'intimité de sa vie privée, y compris le respect du secret des correspondances. Dès lors, l'employeur ne pouvait, sans violer cette liberté fondamentale, prendre connaissance des messages personnels émis et reçus par le salarié grâce à l’ordinateur mis à sa disposition pour son travail, et ceci même au cas où l'employeur aurait interdit une utilisation non professionnelle de l'ordinateur. (1)
Cependant, même si le principe général du respect de l'intimité de la vie privée du salarié sur le lieu et pendant le temps de travail a été reconnu, plusieurs décisions de justice sont venues en préciser les contours depuis cet arrêt de 2001, notamment trois décisions rendues par la Cour de cassation en 2013.
1. La délimitation des sphères vie privée / vie professionnelle en matière d’accès aux contenus des ordinateurs professionnels
L'employeur peut avoir accès aux fichiers informatiques créés, reçus et envoyés par les salariés, que ce soit dans le cadre de la réalisation normale de leur mission, ou dans une finalité de contrôle pour protéger les intérêts de l'entreprise ou sauvegarder les preuves en cas de faute disciplinaire du salarié.
Le contrôle par l’employeur doit néanmoins être réalisé pour des motifs légitimes et être justifié, par exemple pour vérifier que le salarié n’utilise pas son ordinateur professionnel d'une manière qui serait susceptible de porter atteinte à l'image de l'entreprise ou pour exercer une activité professionnelle concurrente. Dans ce cas, conformément à la jurisprudence, un tel contrôle ne saurait porter atteinte aux droits du salarié au respect de sa liberté d'expression et de sa vie privée sur son lieu de travail et pendant son temps de travail.
Toutefois, sans pour autant remettre en cause ces libertés fondamentales, la jurisprudence tend, depuis quelques années, à préciser les contours de la sphère vie privée en affirmant que l'outil informatique mis à la disposition du salarié, par l'employeur, pour l’exécution de son travail ne doit pas être détourné de son objet professionnel.
La règle est désormais la suivante : tous les fichiers et emails créés, adressés ou reçus par un salarié à l'aide de son ordinateur professionnel sont présumés professionnels. L’employeur peut donc y accéder hors sa présence et s'en servir, notamment en cas d’action disciplinaire. (2)
Aussi, afin de limiter les accès à des documents relevant de la sphère privée, il appartient au salarié d'apposer un signe distinctif sur les documents et messages personnels. De récentes décisions de la Cour de cassation illustrent parfaitement cette tendance jurisprudentielle.
2. Le principe de présomption du caractère professionnel des échanges
Dans une décision du 16 mai 2013, la Cour de cassation a affirmé que l’employeur pouvait prendre connaissance des messages personnels émis et reçus par le salarié, grâce à son l’ordinateur professionnel mis à sa disposition. Ces emails, même s'ils ne comportaient pas le nom de la société dans l’adresse, sont présumés professionnels. (3)
En l’espèce, une société avait assigné l’un de ses anciens salariés, et son nouvel employeur, pour détournement de clientèle et concurrence déloyale pendant l’exécution du préavis du salarié. Au cours de la procédure, les défendeurs ont invoqué le fait que le constat d’huissier versé aux débats par la société demanderesse, ne constituait pas un mode de preuve licite. Ce constat avait été réalisé à partir de la boîte email de l’ancien salarié, dont l’adresse électronique ne comportait pas le nom de la société, et en l’absence du salarié concerné. Si le salarié utilisait cette messagerie dans un cadre professionnel, il recevait également des messages personnels, protégés par le secret des correspondances et le droit au respect de la vie privée.
La Cour de cassation a cependant jugé que "les courriels adressés et reçus par le salarié à l'aide de l'outil informatique mis à sa disposition par l'employeur pour les besoins de son travail sont présumés avoir un caractère professionnel, en sorte que l'employeur est en droit de les ouvrir hors la présence de l'intéressé, sauf si le salarié les identifie comme personnels."
En conséquence, tous les fichiers et emails édités et reçus par un salarié, à l’aide de son ordinateur professionnel, peuvent être consultés par l’employeur, sauf s’ils sont identifiés comme “personnels” (dans leur intitulé ou placés dans un dossier “personnel”).
3. Les emails envoyés depuis la messagerie personnelle, stockés sur l’ordinateur professionnel sont présumés de nature professionnelle
La Cour de cassation, dans cette décision du 19 juin 2013, a étendu la règle de l’identification “personnel” aux emails émis depuis l’ordinateur personnel du salarié, avec son adresse personnelle, puis transférés sur son ordinateur professionnel. (4)
En l'espèce, le directeur artistique d'une agence de publicité avait été licencié pour faute grave, à savoir pour concurrence déloyale. Une expertise de son disque dur professionnel avait révélé l'échange de nombreux emails, depuis son ordinateur et adresse de messagerie personnels, avec des salariés d’une agence concurrente portant sur les produits d’un client de son employeur. Ces emails avaient ensuite été transférés sur son ordinateur professionnel. Or, ces emails ne portaient pas la mention “personnel” dans leur objet et ne figuraient pas dans un dossier identifié comme personnel dans son ordinateur professionnel. Par ailleurs, plusieurs dossiers et fichiers expressément nommés “perso” ou “personnel” découverts sur le disque dur, avaient été exclus du rapport d'expertise.
Contestant son licenciement, le salarié a saisi la juridiction prud'homale. Il affirmait que les emails litigieux avaient un caractère personnel puisqu'ils avaient été envoyés depuis son adresse de messagerie personnelle. Aussi, le salarié considérait que l'accès à ses messages, effectué par un expert mandaté par l'employeur, hors sa présence, constituait une atteinte au respect de sa vie privée Les constatations effectuées par l'expert lui étaient donc inopposables. Selon le salarié, l’employeur ne pouvait ni lire, ni se servir des emails comme preuve d’une faute ; le licenciement était donc dépourvu de cause réelle et sérieuse.
La Cour de cassation n'a pas suivi l'argumentation du salarié. Les juges ont rappelé le principe de base concernant la qualité “professionnelle” des emails se trouvant dans l’ordinateur professionnel du salarié, en précisant que "des courriels et fichiers, intégrés dans le disque dur de l'ordinateur mis à disposition du salarié par l'employeur, ne sont pas identifiés comme personnels du seul fait qu'ils émanent initialement de la messagerie électronique personnelle du salarié".
En conclusion, tout le contenu du disque dur de l’ordinateur professionnel, y compris la messagerie, est présumé à caractère professionnel. Dans ce cas, l’employeur y a librement accès et peut consulter l’ensemble de son contenu, pour le cas échéant, l’utiliser contre le salarié.
De même, dès lors qu’un lien avec l'ordinateur mis à disposition du salarié peut être établi, les messages, dossiers, et autres fichiers sont présumés avoir un caractère professionnel. C'est ainsi que la Cour de cassation a, dans une décision du 12 février 2013, poussé le raisonnement jusqu’à considérer qu’une clé USB, même personnelle, connectée à l'ordinateur professionnel était présumée utilisée à des fins professionnelles. L’employeur peut donc avoir accès aux fichiers contenus sur la clé USB, hors la présence du salarié. (5)
Ainsi, seule la mention précise et clairement identifiable du caractère personnel d'un fichier est susceptible de protéger sa libre consultation par l’employeur. Pour rappel, dans un décision du 10 mai 2012, la Cour de cassation avait jugé que la seule dénomination "Mes documents" donnée à un fichier ne lui conférait pas un caractère personnel. L'employeur pouvait donc librement consulter ce fichier. (6)
On assiste depuis plusieurs années à une porosité accrue entre vie personnelle et vie professionnelle, tendance facilitée par une demande de flexibilité des salariés et par l’évolution des équipements informatiques.
Si les salariés ont tendance à utiliser leur ordinateur professionnel à des fins personnelles (utilisation de la messagerie, stockage de documents, consultation d’internet, etc.), la pratique du BYOD, par laquelle les salariés peuvent être autorisés à utiliser leur propre équipement informatique à des fins professionnelles, implique d’appliquer des règles de conduite strictes pour maintenir une ligne claire entre sphère privée et sphère professionnelle. La première règle consiste à distinguer entre dossiers “personnels” et dossiers “professionnels”.
Les tribunaux considèrent que les documents et emails se trouvant sur un ordinateur professionnel sont d’ordre professionnel par défaut. Cela revient-il à considérer que, pour une entreprise tolérant ou encourageant la pratique du BYOD, les documents et emails se trouvant sur un équipement informatique personnel sont d’ordre personnel par défaut ? (7) Les chartes informatiques doivent permettre aux entreprises de rappeler à leurs collaborateurs les règles de base en matière d’utilisation des outils informatiques et de distinction privé / professionnel.
(1) Cour de cassation, chambre sociale, 2 oct. 2001, n°99-42.942, Nikon France
(2) Les courriels constituent des preuves admissibles et ont force probante devant les Conseils de prud'hommes.
(3) Cour de cassation, chambre sociale, 16 mai 2013, N°12-11866
(4) Cour de cassation, chambre sociale, 19 juin 2013, N°12-12138
(5) Cour de cassation, chambre sociale, 12 février 2013, No 11-28.649
(6) Cour de cassation, chambre sociale, 10 mai 2012, N°11-13.884
(7) BYOD (Bring your own device) consiste pour les salariés à utiliser leur propre équipement (ordinateur, tablette, smartphone) à des fins professionnelles
Bénédicte DELEPORTE
Betty SFEZ
Avocats
Deleporte Wentz Avocat
www.dwavocat.com
Septembre 2013
Cependant, même si le principe général du respect de l'intimité de la vie privée du salarié sur le lieu et pendant le temps de travail a été reconnu, plusieurs décisions de justice sont venues en préciser les contours depuis cet arrêt de 2001, notamment trois décisions rendues par la Cour de cassation en 2013.
1. La délimitation des sphères vie privée / vie professionnelle en matière d’accès aux contenus des ordinateurs professionnels
L'employeur peut avoir accès aux fichiers informatiques créés, reçus et envoyés par les salariés, que ce soit dans le cadre de la réalisation normale de leur mission, ou dans une finalité de contrôle pour protéger les intérêts de l'entreprise ou sauvegarder les preuves en cas de faute disciplinaire du salarié.
Le contrôle par l’employeur doit néanmoins être réalisé pour des motifs légitimes et être justifié, par exemple pour vérifier que le salarié n’utilise pas son ordinateur professionnel d'une manière qui serait susceptible de porter atteinte à l'image de l'entreprise ou pour exercer une activité professionnelle concurrente. Dans ce cas, conformément à la jurisprudence, un tel contrôle ne saurait porter atteinte aux droits du salarié au respect de sa liberté d'expression et de sa vie privée sur son lieu de travail et pendant son temps de travail.
Toutefois, sans pour autant remettre en cause ces libertés fondamentales, la jurisprudence tend, depuis quelques années, à préciser les contours de la sphère vie privée en affirmant que l'outil informatique mis à la disposition du salarié, par l'employeur, pour l’exécution de son travail ne doit pas être détourné de son objet professionnel.
La règle est désormais la suivante : tous les fichiers et emails créés, adressés ou reçus par un salarié à l'aide de son ordinateur professionnel sont présumés professionnels. L’employeur peut donc y accéder hors sa présence et s'en servir, notamment en cas d’action disciplinaire. (2)
Aussi, afin de limiter les accès à des documents relevant de la sphère privée, il appartient au salarié d'apposer un signe distinctif sur les documents et messages personnels. De récentes décisions de la Cour de cassation illustrent parfaitement cette tendance jurisprudentielle.
2. Le principe de présomption du caractère professionnel des échanges
Dans une décision du 16 mai 2013, la Cour de cassation a affirmé que l’employeur pouvait prendre connaissance des messages personnels émis et reçus par le salarié, grâce à son l’ordinateur professionnel mis à sa disposition. Ces emails, même s'ils ne comportaient pas le nom de la société dans l’adresse, sont présumés professionnels. (3)
En l’espèce, une société avait assigné l’un de ses anciens salariés, et son nouvel employeur, pour détournement de clientèle et concurrence déloyale pendant l’exécution du préavis du salarié. Au cours de la procédure, les défendeurs ont invoqué le fait que le constat d’huissier versé aux débats par la société demanderesse, ne constituait pas un mode de preuve licite. Ce constat avait été réalisé à partir de la boîte email de l’ancien salarié, dont l’adresse électronique ne comportait pas le nom de la société, et en l’absence du salarié concerné. Si le salarié utilisait cette messagerie dans un cadre professionnel, il recevait également des messages personnels, protégés par le secret des correspondances et le droit au respect de la vie privée.
La Cour de cassation a cependant jugé que "les courriels adressés et reçus par le salarié à l'aide de l'outil informatique mis à sa disposition par l'employeur pour les besoins de son travail sont présumés avoir un caractère professionnel, en sorte que l'employeur est en droit de les ouvrir hors la présence de l'intéressé, sauf si le salarié les identifie comme personnels."
En conséquence, tous les fichiers et emails édités et reçus par un salarié, à l’aide de son ordinateur professionnel, peuvent être consultés par l’employeur, sauf s’ils sont identifiés comme “personnels” (dans leur intitulé ou placés dans un dossier “personnel”).
3. Les emails envoyés depuis la messagerie personnelle, stockés sur l’ordinateur professionnel sont présumés de nature professionnelle
La Cour de cassation, dans cette décision du 19 juin 2013, a étendu la règle de l’identification “personnel” aux emails émis depuis l’ordinateur personnel du salarié, avec son adresse personnelle, puis transférés sur son ordinateur professionnel. (4)
En l'espèce, le directeur artistique d'une agence de publicité avait été licencié pour faute grave, à savoir pour concurrence déloyale. Une expertise de son disque dur professionnel avait révélé l'échange de nombreux emails, depuis son ordinateur et adresse de messagerie personnels, avec des salariés d’une agence concurrente portant sur les produits d’un client de son employeur. Ces emails avaient ensuite été transférés sur son ordinateur professionnel. Or, ces emails ne portaient pas la mention “personnel” dans leur objet et ne figuraient pas dans un dossier identifié comme personnel dans son ordinateur professionnel. Par ailleurs, plusieurs dossiers et fichiers expressément nommés “perso” ou “personnel” découverts sur le disque dur, avaient été exclus du rapport d'expertise.
Contestant son licenciement, le salarié a saisi la juridiction prud'homale. Il affirmait que les emails litigieux avaient un caractère personnel puisqu'ils avaient été envoyés depuis son adresse de messagerie personnelle. Aussi, le salarié considérait que l'accès à ses messages, effectué par un expert mandaté par l'employeur, hors sa présence, constituait une atteinte au respect de sa vie privée Les constatations effectuées par l'expert lui étaient donc inopposables. Selon le salarié, l’employeur ne pouvait ni lire, ni se servir des emails comme preuve d’une faute ; le licenciement était donc dépourvu de cause réelle et sérieuse.
La Cour de cassation n'a pas suivi l'argumentation du salarié. Les juges ont rappelé le principe de base concernant la qualité “professionnelle” des emails se trouvant dans l’ordinateur professionnel du salarié, en précisant que "des courriels et fichiers, intégrés dans le disque dur de l'ordinateur mis à disposition du salarié par l'employeur, ne sont pas identifiés comme personnels du seul fait qu'ils émanent initialement de la messagerie électronique personnelle du salarié".
En conclusion, tout le contenu du disque dur de l’ordinateur professionnel, y compris la messagerie, est présumé à caractère professionnel. Dans ce cas, l’employeur y a librement accès et peut consulter l’ensemble de son contenu, pour le cas échéant, l’utiliser contre le salarié.
De même, dès lors qu’un lien avec l'ordinateur mis à disposition du salarié peut être établi, les messages, dossiers, et autres fichiers sont présumés avoir un caractère professionnel. C'est ainsi que la Cour de cassation a, dans une décision du 12 février 2013, poussé le raisonnement jusqu’à considérer qu’une clé USB, même personnelle, connectée à l'ordinateur professionnel était présumée utilisée à des fins professionnelles. L’employeur peut donc avoir accès aux fichiers contenus sur la clé USB, hors la présence du salarié. (5)
Ainsi, seule la mention précise et clairement identifiable du caractère personnel d'un fichier est susceptible de protéger sa libre consultation par l’employeur. Pour rappel, dans un décision du 10 mai 2012, la Cour de cassation avait jugé que la seule dénomination "Mes documents" donnée à un fichier ne lui conférait pas un caractère personnel. L'employeur pouvait donc librement consulter ce fichier. (6)
On assiste depuis plusieurs années à une porosité accrue entre vie personnelle et vie professionnelle, tendance facilitée par une demande de flexibilité des salariés et par l’évolution des équipements informatiques.
Si les salariés ont tendance à utiliser leur ordinateur professionnel à des fins personnelles (utilisation de la messagerie, stockage de documents, consultation d’internet, etc.), la pratique du BYOD, par laquelle les salariés peuvent être autorisés à utiliser leur propre équipement informatique à des fins professionnelles, implique d’appliquer des règles de conduite strictes pour maintenir une ligne claire entre sphère privée et sphère professionnelle. La première règle consiste à distinguer entre dossiers “personnels” et dossiers “professionnels”.
Les tribunaux considèrent que les documents et emails se trouvant sur un ordinateur professionnel sont d’ordre professionnel par défaut. Cela revient-il à considérer que, pour une entreprise tolérant ou encourageant la pratique du BYOD, les documents et emails se trouvant sur un équipement informatique personnel sont d’ordre personnel par défaut ? (7) Les chartes informatiques doivent permettre aux entreprises de rappeler à leurs collaborateurs les règles de base en matière d’utilisation des outils informatiques et de distinction privé / professionnel.
* * * * * * * * * *
(1) Cour de cassation, chambre sociale, 2 oct. 2001, n°99-42.942, Nikon France
(2) Les courriels constituent des preuves admissibles et ont force probante devant les Conseils de prud'hommes.
(3) Cour de cassation, chambre sociale, 16 mai 2013, N°12-11866
(4) Cour de cassation, chambre sociale, 19 juin 2013, N°12-12138
(5) Cour de cassation, chambre sociale, 12 février 2013, No 11-28.649
(6) Cour de cassation, chambre sociale, 10 mai 2012, N°11-13.884
(7) BYOD (Bring your own device) consiste pour les salariés à utiliser leur propre équipement (ordinateur, tablette, smartphone) à des fins professionnelles
Bénédicte DELEPORTE
Betty SFEZ
Avocats
Deleporte Wentz Avocat
www.dwavocat.com
Septembre 2013
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