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vendredi 24 février 2023

Contrefaçon ou liberté d’expression artistique : le créateur des NFT MetaBirkins condamné pour contrefaçon de marque

Dans l’une des premières affaires relatives au droit des marques dans le métavers, le jury du tribunal du District Sud de New York vient de rendre une décision selon laquelle un artiste utilisant une marque associée à des NFTs, sans l’accord de ses ayants droit est coupable de contrefaçon. (1)


1. Les faits

En 2021, l’artiste américain Mason Rothschild (de son vrai nom Sonny Estival) a fondé le studio Gasoline, spécialisé dans la création de “solutions” pour le Web3. (2) Il lance un premier projet dénommé “Baby Birkin”, une image numérique animée représentant un sac Hermès Birkin avec un foetus à l’intérieur, associé à un NFT (non-fungible token - jeton non-fongible). L’image a été vendue 23.500$.

S’en est suivi un second projet, dénommé “MetaBirkins”, reprenant le modèle de sac Hermès Birkin en fausse fourrure de différentes couleurs. Cette image numérique, déclinée en 100 exemplaires aurait rapporté plus de 1,1 million de dollars à son créateur, selon Hermès. En parallèle, Mason Rothschild a enregistré le nom de domaine metabirkins.com. pour faire la promotion en ligne de la collection MetaBirkins, mise aux enchères sur des sites spécialisés dans la vente de NFTs.

Or, l’artiste n’a pas demandé l’autorisation à la société Hermès d’utiliser ce modèle de sac emblématique de la maison Hermès, ni la marque associée, Birkin.

En janvier 2022, la société Hermès a assigné l’artiste devant les tribunaux de New York pour contrefaçon du modèle de sac Birkin, de la marque associée, dilution de la marque Birkin et cybersquatting. Hermès demandait la cessation du projet, la récupération du nom de domaine metabirkins.com et le versement de dommages et intérêts.

2. Liberté créative vs contrefaçon de marque

Selon Mason Rothschild, la demande de la société Hermès est irrecevable. Pour sa défense, il invoque le 1er amendement de la Constitution américaine, qui garantit la liberté d’expression, arguant que les NFTs litigieux seraient des oeuvres d’art dénonçant la maltraitance animale. L’artiste se justifie en faisant un parallèle avec les célèbres tableaux de boîtes de soupe Campbell d’Andy Warhol.

Il invoque ensuite la jurisprudence Rogers vs Grimaldi, décision rendue en 1989 aux Etats-Unis, selon laquelle les utilisateurs d’une marque ne peuvent être poursuivis en contrefaçon, sous réserve que cette utilisation i) soit le fruit d’une expression artistique, et ii) n’induise pas expressément les consommateurs en erreur. (3)

Les NFTs MetaBirkins seraient donc le résultat d’une expression artistique, au même titre que les tableaux de Warhol et les utilisateurs ne seraient pas trompés sur leur origine.

Selon Hermès, la jurisprudence Rogers vs Grimaldi ne serait pas applicable à l’espèce. En effet, i) l’utilisation de la dénomination MetaBirkins pour désigner les NFTs n’est pas le résultat d’une expression artistique. Les NFTs MetaBirkins sont des actifs numériques, produits en 100 exemplaires. Il s’agirait d’une ligne de produits et non d’oeuvres d’art. La marque, et le nom de domaine, seraient utilisés non pas dans un cadre artistique mais au contraire, pour promouvoir une activité commerciale ; ii) l’utilisation de la marque, associée au modèle de sac peut induire le public en erreur sur l’origine de l’oeuvre.

A ce titre, on notera qu’Hermès a assigné Mason Rothschild pour contrefaçon dans le cadre du projet MetaBirkins, reproduit à 100 exemplaires, et non sur le premier projet (Baby Birkin) produit en un exemplaire unique.

En conséquence, les NFTs MetaBirkins ne peuvent bénéficier des règles plus favorables applicables aux créations artistiques, mais doivent au contraire être soumis à la réglementation applicable aux marques (Lanham Act). Or la reproduction d’une marque sans l’autorisation de ses ayants droit est une contrefaçon.

3. La décision

Le 8 février 2023, le jury, chargé de rendre sa décision dans cette affaire, a suivi l’argumentaire de la société Hermès et condamné Mason Rothschild à hauteur de 110.000$ pour contrefaçon de marque et 23.000$ pour cybersquatting.

Mason Rothschild a déclaré qu’il envisageait de faire appel de cette décision.

4. Les suites de l’affaire Hermès c. Mason Rothschild

On notera en l’espèce que les marques Hermès et Birkin sont des marques notoires, qui bénéficient à ce titre d’une exception au principe de spécialité, applicable en droit français des marques.

En effet, en application du principe de spécialité, une marque enregistrée n’est protégée que sur le territoire et pour les produits et/ou services désignés lors de l’enregistrement. Deux marques identiques ou similaires enregistrées dans différentes classes désignant des produits et/ou services distincts peuvent ainsi coexister.

La marque Birkin n’était pas enregistrée dans les classes permettant sa protection contre la contrefaçon numérique. Cependant, compte tenu de sa renommée, elle a pu bénéficier de l’exception au principe de spécialité qui permet d’étendre la protection de la marque au-delà du périmètre formel de l’enregistrement. Hermès a d’ailleurs déposé la marque Birkin dans les classes 9, 35 et 41 auprès de l’Office américain des marques (USPTO) en août 2022.

La question de la contrefaçon de marque par des NFTs reste donc posée pour les marques non notoires qui ne seraient pas enregistrées pour les produits et/ou services numériques. Il est donc recommandé, pour les produits et services susceptibles d’être utilisés dans le métavers, d’étendre l’enregistrement des marques aux classes permettant de protéger la marque dans l’environnement virtuel, telle que la classe 9 (selon la classification de Nice en vigueur).

Ce principe de précaution doit être étendu aux noms de domaine. Là encore, pour les produits et services susceptibles d’être utilisés dans le métavers, il est recommandé d’enregistrer les noms de domaines comprenant les termes liés au web3 (blockchain, NFT, meta…) afin de prévenir le cybersquatting.


         Même si cette décision a été rendue par une juridiction américaine, elle est intéressante à plus d’un titre. Pour la première fois, une marque désignant un produit physique peut voir sa protection étendue à sa représentation numérique. Ainsi, sous réserve des développements judiciaires en appel et du développement de la jurisprudence en France, cette décision a le mérite de rappeler aux créateurs et aux utilisateurs qui souhaiteraient commercialiser des produits de marque virtuels dans le métavers, que le droit des marques est étendu à ces mondes virtuels.

Enfin, les NFTs et les métavers ne sont pas ancrés dans un territoire géographique défini. Aujourd’hui régis par les CGU des plateformes et les smart contracts, il sera souhaitable d’encadrer ces contrats par un droit des actifs et des mondes virtuels homogène, malgré les différences entre les systèmes juridiques, afin de garantir un environnement social et économique stable, permettant à ces technologies innovantes de se développer de manière juridiquement sécurisée.

                                                    * * * * * * * * * * *

(1) Hermes International et al. v. Rothschild, Case No 1:22-CV-00384 (S.D.N.Y) 14 02 2023

(2) Le web3, successeur du web 2.0 est défini comme un web décentralisé exploitant la blockchain.

(3) Ginger Rogers vs Alberto Grimaldi, 875 F.2d 994 (2d Cir. 1989)



Bénédicte DELEPORTE
Avocat

Deleporte Wentz Avocat
www.dwavocat.com

Février 2023

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