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mardi 19 avril 2022

Google Ads : confirmation de la condamnation de Google pour abus de position dominante

 
Dans un arrêt du 7 avril 2022, la Cour d’appel de Paris a confirmé la décision rendue par l’Autorité de la concurrence en date du 19 décembre 2019 ayant condamné la société Google à une amende de 150.000 euros pour abus de position dominante sur le marché de la publicité en ligne et enjoint Google de clarifier la rédaction des règles de fonctionnement de Google Ads ainsi que la procédure de suspension des comptes des annonceurs. (1) Nous rappelons ci-après les conditions d’utilisation du service Google Ads, la notion d’abus de position dominante et la situation de Google sur le marché de la publicité en ligne, ayant justifié cette décision.
 
 
Ce qu’il faut retenir :
 
Selon l’Autorité de la concurrence, Google détient une position “ultra-dominante” sur le marché français de la publicité en ligne liée aux recherches.

L’Autorité ne remet pas en cause la liberté de Google de définir des règles limitant ou interdisant l’utilisation de son service Google Ads pour des produits et services licites à des fins de protection des consommateurs. Toutefois, ces règles doivent être définies de manière claire et être appliquées de manière objective, transparente et non-discriminatoire.



1. Les conditions d’utilisation du service Google Ads

Le service Google Ads (dénommé AdWords jusqu’en juillet 2018) est une régie publicitaire proposée par la société Google qui permet aux annonceurs “d’acheter” des mots-clés qui déclencheront l’affichage de leurs annonces publicitaires lorsque les internautes saisiront ces mots-clés. Ces annonces sont identifiées sur Google comme annonces publicitaires, publicités ou annonces sponsorisées. Les annonceurs paient, selon un système d’enchère sur les mots-clés sélectionnés, lorsqu’un utilisateur clique sur l’annonce.

L’utilisation du service Google Ads est soumise aux Conditions générales de publicité de la société Google, complétées par des règles applicables à certaines catégories de produits et de services.

    1.1 Les Conditions générales de publicité de Google


Lorsqu’un annonceur (ou une agence) s’inscrit sur le service Google Ads, il doit accepter les Conditions générales de publicité de Google qui régissent leurs relations contractuelles.

L’article 1, “Programmes” décrit les conditions d’inscription aux différents services publicitaires de Google, dont Google Ads. Cet article stipule notamment que “Google et ses Partenaires peuvent refuser ou retirer une Publicité, Cible ou Destination spécifique à tout moment”.

L’article 3, “Politiques” stipule que “le Client (l’annonceur)est seul responsable de l’utilisation des Programmes. (…) L’Utilisation par le Client des Programmes est soumise aux politiques et règlements de Google (…) et à l’ensemble des autres politiques mises à la disposition du Client par Google (…)”.

    1.2 Les règlements régissant l’utilisation de Google Ads

Les Conditions générales de publicité sont complétées par des règlements (ou règles) qui limitent ou interdisent l’utilisation de Google Ads par les annonceurs.

Ces règles sont organisées en quatre groupes :
  1. les contenus interdits (par exemple les annonces pour des produits ou services dangereux, ou pour incitation à un comportement malhonnête) ; 
  2. les pratiques interdites (par exemple l’utilisation abusive du réseau publicitaire, ou les annonces comprenant des déclarations trompeuses) ;  
  3. les contenus et fonctionnalités soumis à des restrictions (par exemple les annonces pour des contenus à caractère sexuel, alcools, jeux d’argent et de hasard) ; et  
  4. les règles d’exigence éditoriales et techniques.
Google identifie certains produits et services licites mais “propices à des abus” et présentant un risque déraisonnable pour la sécurité des internautes. Les annonces pour ces produits et services sont donc interdites par Google, afin de protéger les consommateurs et éviter les abus.


2. L’abus de position dominante

L’abus de position dominante est prohibé tant par le droit européen que par le droit français.

L’article L.420-2 al.1 du Code de commerce dispose qu’ “Est prohibée, (…) l’exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d’entreprises d’une position dominante sur le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci. Ces abus peuvent notamment consister en refus de vente (…) ainsi que dans la rupture de relations commerciales établies, au seul motif que le partenaire refuse de se soumettre à des conditions commerciales injustifiées.”

L’existence d’une situation de position dominante n’est pas répréhensible en soi. Toutefois, l’entreprise en situation de position dominante doit être particulièrement attentive au respect de la concurrence et au traitement non discriminatoire de ses clients et utilisateurs. Deux conditions doivent être réunies pour que la position dominante soit considérée comme répréhensible : 1) l’existence d’une position dominante, et 2) son exploitation abusive.

La position dominante s’analyse par rapport au pouvoir détenu par une entreprise sur un “marché pertinent” où agissent plusieurs concurrents. Selon la jurisprudence, l’existence d’une position dominante impose à l’entreprise concernée la responsabilité de ne pas porter atteinte par son comportement à une concurrence effective et non faussée.


3. La situation de Google sur le marché de la publicité en ligne et l’affaire Gibmedia

La société Gibmedia avait saisi l’Autorité de la concurrence courant 2018 pour abus de position dominante de la part de Google sur le marché de la publicité en ligne.

Gibmedia édite plusieurs sites d’informations, dont les sites pages-annuaire.net et annuaire-inverse.net. A la suite de la suspension sans préavis de son compte Google Ads, la société Gibmedia a saisi l’Autorité pour pratiques anticoncurrentielles au motif que la procédure suivie par Google et les raisons de la suspension n’étaient pas objectifs, transparents, et non-discriminatoires.

Gibmedia estime que Google a abusé de sa position dominante sur le marché de la publicité en ligne en adoptant des règles de fonctionnement de sa plateforme Google Ads opaques et difficilement compréhensibles, et en les appliquant de manière inéquitable et aléatoire.

    3.1 La position ultra-dominante de Google

En l’espèce, le marché pertinent consiste en la publicité en ligne liée aux recherches, sur le marché français. Selon l’Autorité de la concurrence, Google détient une position dominante sur ce marché. L’Autorité qualifie même cette situation comme présentant des caractéristiques “extraordinaires”, notamment dans la mesure où son moteur de recherche totalise plus de 90% des recherches effectuées en France et sa part de marché de la publicité en ligne liée aux recherches serait supérieure à 90%.

En outre, selon l’Autorité, la plateforme Google Ads a une nature “biface” : d’un côté, utilisée par 90% des internautes en France ; de l’autre bénéficiant d’une dynamique très forte auprès des annonceurs, aboutissant ainsi à une position ultra-dominante.

Cette position sur le marché de la publicité en ligne impose une responsabilité particulière de Google en matière de respect des règles de concurrence, et particulièrement dans la mise en oeuvre des règles qui régissent l’utilisation de Google Ads.

Même si l’Autorité ne va pas jusqu’à reconnaître un abus de dépendance économique entre les sociétés Google et Gibmedia, elle relève que d’une manière générale, compte tenu de cette situation d’ultra-dominance, “la position des annonceurs à l’égard de l’offre de Google est (…) particulièrement contrainte”.

    3.2 Des règles Google Ads qui manquent de clarté

L’Autorité ne remet pas en cause la liberté de Google de définir des règles limitant l’utilisation de son service Google Ads à des fins de protection des consommateurs. Ces règles doivent être définies de manière claire et appliquées de manière objective, transparente et non-discriminatoire. Cet objectif ne saurait cependant justifier que Google traite de manière différenciée et aléatoire des acteurs dans des situations comparables. Google ne peut pas suspendre le compte d’un annonceur au motif qu’il proposerait des services qu’elle estime contraire aux intérêts du consommateur, tout en acceptant de référencer et d’accompagner sur sa plateforme publicitaire des sites qui vendent des services similaires.

Or, l’Autorité relève que les règles applicables aux annonceurs sont :

  • imprécises et confuses dans leur formulation et leur interprétation, 
  • sujettes à de nombreuses modifications par Google sans que les annonceurs en soient informés, 
  • soumises à des changements de position dans leur interprétation, créant une situation d’instabilité et d’insécurité juridique et économique pour les annonceurs, 
  • appliquées de manière discriminatoire : plusieurs sites ont été suspendus alors que d’autres, aux contenus ou services similaires, ne l’étaient pas.

L’Autorité a prononcé à l’encontre de Google une sanction de 150 millions d’euros et ordonné à Google de :
    - clarifier la rédaction des Règles de Google Ads,
    - clarifier les procédures de suspension des comptes afin d’éviter que celles-ci ne revêtent un caractère brutal et injustifié,
    - et mettre en place des procédures d’alerte, de prévention, de détection et de traitement des manquements à ses Règles, afin que les mesures de suspension de sites ou de comptes Google Ads soient strictement nécessaires et proportionnées à l’objectif de protection des consommateurs.


    La décision Gibmedia de l’Autorité de la concurrence, confirmée par la Cour d’appel de Paris est dans la droite ligne de la jurisprudence de l’Autorité. (2) Ainsi, dans l’affaire Amadeus, datant de janvier 2019, l’Autorité rappelait déjà que Google est libre de déterminer sa politique de contenus, mais ces règles doivent être suffisamment intelligibles pour les acteurs économiques et s’appliquer dans des conditions objectives, transparentes et non-discriminatoires afin que tous les annonceurs d’un même secteur soient traités sur un pied d’égalité.

Depuis cette dernière décision, Google a clarifié une partie des règles applicables au service Google Ads.


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(1) CA Paris, 7 avril 2022, Google Ireland Ltd c. GibMedia ; Aut. Conc. déc. n°19-D-26, 19 décembre 2019, GibMedia

(2) Voir les décisions Navx - Aut. conc. déc. n°10-MC-01, 30 juin 2010 et Aut. conc. déc. n°10-D-30, 28 octobre 2010, et Amadeus - Aut. conc. déc. n°19-MC-01, 31 janvier 2019


Bénédicte DELEPORTE
Avocat

Deleporte Wentz Avocat
www.dwavocat.com

Avril 2022


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