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mercredi 24 juin 2020

Flux transfrontières de données personnelles en Asie-Pacifique : le système CBPR


Les règles transfrontières de protection des données (Cross-Border Privacy Rules ou CBPR) ont été développées par l’APEC en 2011, pour permettre aux entreprises de ses pays membres de transférer des données personnelles selon des règles sûres et reconnues.

Fondé en 1989, l’APEC (Asia-Pacific Economic Cooperation ou Coopération Economique pour l’Asie-Pacifique) est un forum économique régional intergouvernemental regroupant 21 pays bordant le Pacifique. L’APEC a pour mission de faciliter la croissance économique et la coopération entre ses 21 membres. Outre les Etats-Unis, le Canada, le Mexique, le Chili et la Russie, l’APEC compte également parmi ses membres la Chine, l’Australie, le Japon, la Corée, Singapour, l’Indonésie et la Malaisie notamment. (1)

1. Qu’est-ce que le système CBPR ?

    1.1 Un système de transfert de données personnelles, basé sur le volontariat

A l’instar du RGPD européen, le système CBPR a pour objet de fluidifier les transferts de données personnelles entre les pays adhérents dans la région Asie-Pacifique. Mais alors que le RGPD s’impose à tous les organismes situés dans l’Union européenne et aux entreprises non-européennes qui ciblent le marché européen, les CBPR s’appliquent aux seules entreprises, responsables de traitement, qui choisissent, de manière volontaire, de se faire certifier conformes aux CBPR, et qui sont situées dans les pays membres de l’APEC appliquant les CBPR. (2)

Contrairement à l’Union européenne, dont les Etats membres partagent un certain nombre de valeurs sociétales, économiques, juridiques et politiques en application des traités d’adhésion européens, la région Asie-Pacifique ne dispose pas de traité d’union similaire, même s’il existe une volonté d’aller vers une plus grande intégration économique à l’échelle régionale.

Alors que les Etats membres de l’UE ont une même vision des principes relatifs à la protection de la vie privée et des consommateurs, il n’en est pas de même dans la région Asie-Pacifique, qui englobe des sociétés diverses, culturellement et économiquement notamment. Ne disposant pas de l’équivalent des règlements ou directives au niveau régional, les législations des différents pays membres de l’APEC sont diverses. Par exemple, certains pays ont adopté une loi sur la protection des données personnelles, plus ou moins protectrice, d’autres pas encore.

Forts de ce constat, les membres de l’APEC ont reconnu l’importance de la mise en oeuvre de principes de protection des données personnelles efficaces aux fins de fluidifier les flux de données entre leurs entreprises.

La philosophie des CBPR est donc différente de celle du RGPD.

    1.2 Sur quels principes fonctionnent les CBPR ?

Le système des CBPR est établi sur la base du Privacy Framework de l’APEC datant de 2005, et mis à jour en 2015. (3) Ce “cadre de la vie privée” constitue un modèle pour les lois nationales de protection de la vie privée des membres de l’APEC, et un socle de règles minimum pour les pays n’ayant pas encore légiféré dans ce domaine et souhaitant adhérer au système. On y retrouve notamment les principes fondamentaux de la protection des données personnelles, issus des lignes directrices de l’OCDE sur la protection de la vie privée. (4)

Ainsi, les CBPR reposent sur 9 principes fondamentaux, à savoir : les principes de responsabilité (accountability), d’information des personnes (notice), de choix (choice), de limitation des données collectées (collection limitation), d’intégrité des données personnelles (integrity of personal information), règles d’utilisation des données personnelles (uses of personal information), règles de sécurité des données (security safeguards), règles relatives aux droits d’accès et de rectification (access and correction), et règles relatives à la prévention des dommages comprenant l’obligation de notification en cas de violation de données (preventing harm). En revanche, les CBPR ne prévoient pas le principe de la limitation de la durée de conservation des données. (5)

    1.3 CBPR et Privacy Framework - un système de certification qui ne concerne que les responsables de traitement

Le système CBPR fonctionne sur le volontariat des Etats qui souhaitent, ou non, y adhérer, et parmi les Etats adhérents, des sociétés qui souhaitent se faire certifier. Grâce à ce système, les gouvernements et les entreprises certifiées s’assurent que, lors des mouvements de données personnelles transfrontières, celles-ci sont protégées selon les règles du système CBPR applicable dans les pays adhérents.

Les pays membres de l’APEC souhaitant rejoindre le système CBPR doivent suivre une procédure de demande d’adhésion, identifier un organe gouvernemental en charge de l’application des règles de protection des données personnelles (équivalent des autorités de contrôle telles que la CNIL), et au moins un organisme tiers certificateur. Pour les Etats-Unis, l’organe gouvernemental est la Federal Trade Commission et l’organisme tiers certificateur est la société TRUSTe.

Les entreprises souhaitant être certifiées CBPR doivent soumettre un dossier à un agent certificateur accrédité dans leur pays d’origine. Ce dossier comprend notamment leur politique sur la protection des données personnelles, dont les droits d’accès et de correction de leurs données  par les consommateurs, la nomination d’un délégué à la protection des données (DPO) et les règles de sécurité appliquées par l’entreprise. Celui-ci doit ensuite certifier que la politique de protection de la vie privée de la société est conforme au Privacy Framework. La certification est valable un an, renouvelable.

La certification CBPR est en principe un engagement de respect de leurs données personnelles par l’entreprise envers les consommateurs, conformément au Privacy Framework. La conformité au Privacy Framework est cependant un minima. Si la loi locale sur la protection des données personnelles est plus exigeante, l’entreprise devra évidemment se conformer à sa loi locale.

L’agent certificateur est également l’organisme en charge de la résolution des litiges entre les entreprises certifiées CBPR et les consommateurs.

En résumé, seules les entreprises certifiées CBPR, situées dans l’un des pays membres de l’APEC ayant adhéré au système CBPR peuvent bénéficier de ce système. A ce jour, 9 pays, sur les 21 membres de l’APEC, ont rejoint le système CBPR : les Etats-Unis, le Canada, le Mexique, le Japon, la Corée du Sud, Taiwan, les Philippines, Singapour et l’Australie.


2. Le système de PRP, le nécessaire complément aux CBPR, applicable aux sous-traitants

Contrairement au RGPD qui est applicable aux responsables de traitement (“controllers”) et aux sous-traitants (“data processors”), le système des CBPR ne s’applique qu’aux responsables de traitement.

Afin de permettre aux responsables de traitement d’identifier plus facilement des sous-traitants (hébergeurs, développeurs, etc.) dans la région Asie-Pacifique, respectueux des règles de protection des données personnelles, le système des CBPR a été complété par le système de PRP (Privacy Recognition for Processors - ou système de reconnaissance de la vie privée pour les sous-traitants).

Le système de PRP constitue le socle d’engagements en matière de respect des données personnelles qu’un sous-traitant doit respecter pour être certifié. Toutefois, même si les PRP n’intègrent pas le Privacy Framework, qui ne concerne que les responsables de traitement, ce système de règles doit permettre aux sous-traitant certifiés de démontrer leur capacité à traiter les données personnelles qui leur sont confiées, conformément aux règles édictées par les CBPR.

Comme pour les entreprises certifiées CBPR, l’adhésion aux PRP par les sous-traitants passe par une procédure de certification par un organisme tiers certificateur. La conformité des sous-traitants certifiés PRP est également assurée par les organismes certificateurs.

Toutefois, les responsables de traitement certifiés CBPR n’ont pas l’obligation de contracter avec des sous-traitant certifiés PRP.


    De grands groupes tels que Apple, Cisco Systems, General Electric, IBM et leurs filiales ont adopté les CBPR et/ou les PRP. Cependant, bien que les systèmes des CBPR et PRP couvrent une population et un PIB cumulés plus larges que toute l’Union européenne, peu de sociétés les ont encore adoptés. Ceci peut être la conséquence de plusieurs facteurs. La liste des membres de l’APEC participant au système CBPR (9 pays à ce jour) reste limitée. Certains pays n’ont rejoint le système CBPR que récemment : Singapour a rejoint le CBPR en avril 2018 et l’Australie et Taiwan en novembre 2018. De nombreuses entreprises locales ne connaissent pas encore l’existence du système des CBPR et des PRP dans la région. Il n’existe à ce jour que 3 agents certificateurs (Etats-Unis, Japon et Singapour). Enfin, certains pays, tels la Chine, ont mis en oeuvre une politique de non-transfert de données à l’international, ralentissant le mouvement d’adhésion aux CBPR.


Enfin, on précisera que l'adhésion des pays membres de l'APEC au système des CBPR ne modifie pas les règles de transfert de données entre l'Union européenne et ces pays. Hormis le Canada, le Japon, et les Etats-Unis (Privacy Shield) considérés par l'UE comme offrant un niveau de protextion adéquate, les transferts de données personnelles vers les autres pays ayant adhéré au système CBPR (Mexique, Corée du Sud, Taiwan, Philippines, Singapour et Australie) restent soumis aux règles de transfert à l'international, à savoir, soumis aux clauses contractuelles types, à un contrat ad hoc validé par une autorité de contrôle, ou pour les groupes de sociétés, à des BCR.

                                                                 * * * * * * * * * * *

(1) Site de l’APEC : L'APEC compte parmi ses membres une grande partie des pays de l’Asie du sud et de l’est. A noter que l’Inde n’est pas membre de l’APEC.

(2) Site des CBPR

(3) Privacy Framework de l’APEC

(4) Lignes directrices de l’OCDE 


(5) “GDPR and CBPR: Reconciling Personal Data Protection and Trade”, APEC policy support unit, Policy Brief No.23, October 2018


 
Bénédicte DELEPORTE
Avocat

Deleporte Wentz Avocat
www.dwavocat.com

Juin 2020

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